Jeudi 17 septembre, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi déposé par le gouvernement annulant la vente des navires Mistral à la Russie. Le Sénat examinera le projet le 30 septembre. La vente portait sur 2 porte-hélicoptères, bâtiments de projection et commandement.
L’annulation de cette vente est une gabegie financière et une faute géopolitique qui met à mal l’indépendance de la France en matière militaire.
➤ Rappel : une vente décidée il y a plusieurs années
Cette vente devait intervenir en vertu d’un contrat signé début 2011 entre la France et la Russie. Preuve de l’implication géopolitique majeure, c’est un communiqué commun des présidents français et russe qui annonçait que la Marine russe avait choisi les bâtiments français.
L’accord prévoyait :
- La construction de deux navires par les chantiers navals STX France de St Nazaire avec la participation des chantiers navals russe OSK et de l’entreprise française DCNS (ex Direction des constructions navales)
- La livraison d’un premier bâtiment fin 2014 et du deuxième fin 2015
- Des transferts de technologies des constructeurs français vers la Russie.
Sous la pression de l’Allemagne, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, François Hollande a décidé de suspendre la livraison du premier navire en novembre 2014 au prétexte de la situation en Ukraine.
Puis, le 5 août dernier, la France et la Russie ont signé un accord annulant la vente des deux bâtiments.C’est cet accord que le Parlement est appelé à ratifier.
➤ Une gabegie financière
Le contrat signé portait sur un montant de 1,2 milliards d’euros mais seuls 893 millions d’euros avait été versé par la Russie jusqu’ici, le reste devant être versé à la livraison des navires.
L’accord d’annulation prévoit le remboursement par la France à la Russie de 949,7 millions d’euros correspondant :
- à 893 millions d’euros avancés par la Russie pour la commande des navires mais aussi pour l’aménagement du port de Vladivostok qui devait servir de base aux navires et l’adaptation d’hélicoptères
- à 56,7 millions d’euros supplémentaires pour le remboursement des sommes avancées pour la formation de 400 marins russes.
Le gouvernement français affirme que le surcoût pour la France se limite à ces 56,7 millions d’euros.
Mais le coût de cette annulation est bien plus élevé. Le coût brut atteindra au moins 2 milliards d’euros et peut-être jusqu’à 7,5 milliards d’euros. Le montant final dépendra du délai de revente à un autre pays des Mistral. Selon le Canard Enchaîné, le coût minimum devrait atteindre 2 milliards, montant que la revente des navires ne couvrira pas puisqu’ils avaient été vendus à la Russie pour 1,2 milliard d’euros.
La communication du gouvernement français n’intègre pas plusieurs dépenses :
- La conservation gratuitement par la Russie des transferts de technologie non-militaires (radar, système de communication, système de navigation même s’il ne s’agit pas des dernières versions + présence d’ingénieurs russes présents à la construction) => la Russie pourra construire ses propres Bâtiment de Projection et de Commandement. Même s’il n’y a pas de bond technologique, c’est un sérieux gain de temps
- Le maintien à quai depuis un an du premier navire pourtant achevé et des deux navires jusqu’à une hypothétique vente à un autre pays. L’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) estime quele coût d’entretien peut atteindre 5 millions d’euros par mois
- Le démontage à venir à St Nazaire des éléments russes intégrés aux deux navires. Selon DCNS, cette « dérussification » coûterait plusieurs dizaines voire quelques centaines de millions d’euros.
- La mise aux normes du nouveau pays acheteur, impossible à chiffrer à ce stade, très coûteuse si ce pays devait être membre de l’OTAN comme le Canada.
- La forte probabilité d’une décote sur le prix de revente à un autre pays
- Les pertes déjà enregistrées par les entreprises impliquées dont DCNS qui a renoncé à ses marges et déclare 65 millions de frais supplémentaires avec des pertes totales de 350 millions d’euros selon le Canard Enchaîné.
Une politique de gribouille jusqu’au bout !
L’accord annulant la vente est examiné par le Parlement en Session extraordinaire et par le biais d’une procédure accélérée (une seule lecture dans chaque assemblée). Cela fait pourtant un an que le premier navire est prêt.
Surtout, cette précipitation soudaine est contradictoire avec les propos de François Hollande lui-même lors de sa conférence de presse du 7 septembre dernier. À propos de la situation en Ukraine « Il y a eu des progrès, ces dernières semaines, d’abord parce que le cessez-le-feu a été presque respecté, même s’il y a encore des victimes, parce que le retrait des armes lourdes a été poursuivi […] Je proposerai qu’une réunion en « format Normandie » [regroupant les présidents russe, ukrainiens et français et la chancelière allemande] puisse se tenir à Paris, avant l’Assemblée générale des Nations unies [ouverte le 15 septembre], pour que nous puissions évaluer le processus, là où il en est, et le conduire jusqu’à son terme. Parce que vous savez que les accords de Minsk étaient prévus jusqu’à la fin de l’année, il faudra donc que nous puissions aller jusqu’au bout des engagements, sur les élections, sur la loi d’autonomie de décentralisation pour les régions de l’Est de l’Ukraine, et, si ce processus aboutit, alors je plaiderai pour la levée des sanctions, parce que c’était la condition, aussi, qui avait été posée »
=> Pourquoi François Hollande s’empresse-t-il de faire voter l’annulation de la vente des Mistral alors que le même François Hollande évoque ouvertement la levée prochaine des sanctions contre la Russie ?
➤ Un coût géopolitique sous-estimé pour la France
– des clients alternatifs pas recommandables
- le gouvernement français cherche désormais à revendre ses navires à d’autres pays parmi lesquelles l’Arabie Saoudite et l’Egypte soit une monarchie absolue et une dictature militaire, deux pays appliquant la peine de mort alors qu’elle fait l’objet d’un moratoire en Russie. Quant à l’accusation d’ingérence dans les affaires d’un autre pays tenue contre la Russie à propos de l’Ukraine par François Hollande, elle s’applique aussi à l’Arabie Saoudite dont les liens avec les réseaux islamistes en Syrie est passée sous silence par le gouvernement français
- les autres clients potentiels ont démenti (Malaisie), n’ont probablement pas les moyens (Vietnam, Canada) ou se taisent (Singapour)
– des futurs clients plus suspicieux à l’égard de la France
- des pays comme l’Inde ou le Brésil pourraient refuser de signer des contrats d’armement avec la France du fait du précédent de non-respect des garanties d’approvisionnement (remise en cause de la livraison assurée une fois le contrat signé). La remise en cause de ventes de matériels militaires sous la pression des Etats-Unis porte atteinte à la confiance que peuvent avoir des pays à l’égard de la France, de son indépendance, de sa parole. Or la France est aujourd’hui l’un des seuls pays capables de vendre du matériel militaire à des Etats qui veulent défendre leur souveraineté (par exemple, le matériel militaire composé de pièces états-uniennes ne peut être vendu à un pays sans l’accord préalable des Etats-Unis).
– La France, dindon de la farce : Pendant que la France annule la livraison des Mistral, 251 licences d’exportations d’entreprises d’armement britanniques vers la Russie sont toujours valables (fusils de précision notamment) pour 167 millions d’euros et l’Allemagne maintient ses contrats de technologies non-létales.
– Cet alignement atlantiste est une faute géopolitique. L’OTAN aurait dû disparaître avec la fin de la guerre froide. En s’alignant ainsi, la France se coupe des tentatives de constructions d’un autre ordre international dans le cadre d’une Organisation des Nations Unies refondée et en lien avec les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).
Exportation de matériel militaire :
le coût de l’indépendance dans un système capitaliste
La question de l’exportation de matériel militaire par la France fait régulièrement polémique. C’est pourtant une conséquence directe du mode d’organisation capitaliste de l’industrie d’armement en France.
Pour que la France soit indépendante, elle doit être capable d’assurer seule sa défense, avec ses propres matériels (avions de combat, navires porte-hélicoptères etc.). Or le développement de ces matériels et des technologies nécessaires est extrêmement coûteux.
La plupart des fabricants étant désormais des entreprises privées, elles refusent de produire à perte. Et le gouvernement français a donc le choix de prendre à charge la totalité des coûts, ou de réduire ses coûts en acceptant l’exportation des matériels produits.
Le gouvernement Valls a d’ailleurs renforcé encore cette logique marchande contraire à l’indépendance nationale en privatisant l’entreprise Nexter, constructeur notamment des chars Leclerc (vendu à moitié à une riche famille allemande), et en donnant son accord à l’acquisition d’un fusil d’assaut étranger pour remplacer le célèbre Famas.
Ceux qui s’opposent par principe à l’exportation de matériel militaire français doivent aller au bout de leur logique et être cohérents : soit augmenter fortement le budget militaire pour que la France paye seule la totalité des coûts de développement, soit renoncer à l’indépendance de la France en la matière et accepter la présence de la France dans l’OTAN.
L’indépendance technologique et militaire à un coût politique et financier. Mais elle est l’une condition de la souveraineté du peuple français sur ses armes avec la remise en cause de la monarchie présidentielle qui voit le monarque décider seul de l’usage de l’armée comme actuellement avec les bombardements en Syrie, loin de la conception républicaine d’une armée du peuple chargée de la défense de sa souveraineté.
➤ Pour aller plus loin :
- lire l’edito de Laurent Maffeis « Le Monarque et la Guerre », paru dans A Gauche pour la 6e République
- Voir les vidéos de la journée organisée par le Parti de Gauche sur les questions de Défense le 1er février 2014