Les étudiants, enseignants-chercheurs et personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche sont appelés à une journée d’action le 16 octobre 2015 pour protester contre la politique du gouvernement dans ce secteur. Les raisons ne manquent pas.
Recherche : la vaine course aux financements
Le financement de la recherche publique française a été profondément bouleversé depuis une dizaine d’années. Auparavant, les laboratoires et les chercheurs étaient financés majoritairement par des « fonds propres », c’est à dire de l’argent public régulièrement alloué par les organismes de tutelle (CNRS, Université, INRIA, CEA, etc.) ; le financement « sur projet » (financements ponctuels attribués après sélection d’un projet) correspondait principalement à des partenariats avec le privé ou à des financements publics d’exception, mais restait peu développé.
Dans le cadre général du processus de Bologne, la création de l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR) en 2005 et de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AÉRES) en 2006, puis le vote en 2007 de la loi Liberté et Responsabilité des Universités (dite « loi LRU » ou « loi Pécresse ») ont radicalement modifié les règles de financement. La loi Fioraso votée en 2013 a poursuivi la logique de désengagement de l’Etat et d’autonomie des universités.
Avec le désengagement de l’État, les « fonds propres » se sont réduits comme peau de chagrin. Et les financements « sur projets » – attribués de manière sélective, pour trois ans seulement – ont pris une importance croissante.
Si beaucoup de chercheurs ont d’abord accueilli favorablement ce modèle de financement « sur projets », censé favoriser les « bons » chercheurs, apporter plus de flexibilité à la recherche et stimuler l’innovation, tous se rendent aujourd’hui compte :
- que loin d’être la structure transparente, l’Agence Nationale pour la Recherche est opaque,
- que le financement par projets favorise la précarité dans l’ESR avec la multiplication des CDD liés à des financements temporaires
- que le taux d’acceptation des projets est ridiculement bas
- et donc que la majorité d’entre eux doivent se contenter des fonds propres de leurs laboratoires, qui ne peuvent plus à l’heure actuelle subvenir aux besoins
- que le travail de chercheur devient de plus en plus un travail para-administratif d’écriture et d’élaboration de projets et relève de moins en moins de la recherche effective
Ce dispositif, qui n’a pas été substantiellement modifié par la « loi Fioraso » (2013), maintient les universités et la recherche française dans une situation de concurrence et de pénurie généralisées.
L’austérité et le malthusianisme règnent, comme l’a encore montré, en juillet dernier, la publication de la liste des projets acceptés et financés par l’ANR. A peine 10 % des projets ont été retenus. Autrement dit, 90 % des dossiers (dont la mise au point mobilise les équipes pendant des semaines) sont recalés.
Enseignement supérieur : vers une nouvelle baisse du budget par étudiant !
En cette rentrée universitaire, les difficultés dans l’enseignement supérieur et la recherche sont encore montés d’un cran.
Le Monde a ainsi publié un reportage sur le manque de moyens à l’université Jules-Verne d’Amiens face à la hausse du nombre d’étudiants (amphi bondé, TD à 45 étudiants au lieu de 25 normalement) donnant un maigre aperçu d’une situation devenue tristement banale).
Face à cette situation, le gouvernement Valls a été contraint d’annoncer un « effort » budgétaire supplémentaire de 165 millions d’euros en 2016 en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mais cette annonce cache mal l’absence de volonté politique et budgétaire de François Hollande et son gouvernement :
- l’essentiel de la rallonge budgétaire promise aux universités pour 2016 correspond en fait simplement à la non-reconduction d’une ponction de 100 millions d’euros opérée en 2015 sur le fond de roulement des universités.
- la somme annoncée ne permettra pas de couvrir des besoins qui ne font que croître, avec l’augmentation continue du nombre d’étudiants (+ 1 à 2% par an depuis 2012 ; + 65 000 étudiants à la rentrée 2015 par rapport à 2014, soit presque + 3%).
➤ Même avec le prétendu « effort » du gouvernement, le montant dépensé par l’État par étudiant sera en baisse ! Comme l’écrit l’association Sciences en marche « en 2014-2015 la dotation de l’État aux universités françaises était de 10,6 milliards d’euros pour 1,516 millions d’étudiants. La dotation était alors en moyenne de 7000€ par étudiant et par an. Ce budget était de l’avis de tous notoirement insuffisant. En cette rentrée 2015, 65000 étudiants supplémentaires sont venus grossir les rangs des universités. Pour permettre à celles-ci de fonctionner dans des conditions identiques, l’État aurait dû a minima abonder sa dotation de 450M€ supplémentaires. La croissance de 165M€, du budget des universités cette année, ne compensera donc même pas la croissance du nombre d’étudiants »
➤ Le prétendu effort budgétaire ne concerne pas le budget de la recherche publique qui stagne (565 millions d’euros pour l’ANR)
Et les universitaires savent désormais ce que valent les promesses gouvernementales. Le gouvernement avait ainsi promis de « sanctuariser » le budget de l’Enseignement supérieur et de la recherche en 2014. Mais un récent rapport sénatorial indique que les crédits finalement disponibles en 2014 ont diminué de 2 % à 3 % par rapport à 2013 et étaient très nettement en-deçà de ceux prévus initialement au budget 2014.
Le gouvernement est un adepte de ces tours de passe-passe. Début octobre, le journal Le Monde écrivait ainsi que « de 2013 à 2015, 3 000 postes avaient déjà été créés… » Officiellement, « mais les universités, faute de moyens, en ont aussi supprimé. Si bien qu’au total seuls 1 500 à 2 000 emplois nouveaux sont apparus ».
De l’argent il y en a : le scandale du crédit impôt recherche ! Chiche avec les universitaires et les étudiants, l’État se montre plus généreux avec les entreprises, surtout les grandes : l’allègement de charges accordé à des dernières au titre du Crédit Impôt Recherche atteint des sommets (plus de 6 milliards d’euros en 2014, contre 1,6 milliards en 2008). Ce dispositif fiscal fait l’unanimité contre lui : la Cour des comptes l’a jugé « coûteux et peu efficace », et l’OCDE a souligné que les entreprises françaises n’avaient « pas accru leur effort de Recherche & Développement depuis 2008 », alors même que le crédit d’impôt recherche est « l’un des soutiens publics (…) les plus généreux » de la zone. En réalité, il s’avère que le crédit d’impôt recherche est utilisé principalement par les grandes entreprises, à des fins d’optimisation fiscale, avec des retombées en recherche dérisoires. A titre d’exemple emblématique, Sanofi, qui a licencié en 2012 plus de 1000 employés de son service de Recherche & Développement, a pourtant touché quelques 150 millions d’euros au titre du crédit d’impôt recherche !
Les dégâts de l’austérité : précarité et inégalité
La pénurie budgétaire a conduit les universités et les autres institutions de recherche à réduire leurs activités.
Cette politique d’économies tous azimuts affecte les chercheurs : le recours aux contrats précaires se généralise, les postes libérés sont gelés, les recrutements de plus en plus rares. Résultat : le taux de chômage des jeunes docteurs se maintient à un niveau élevé (près de trois fois supérieur à celui de l’OCDE).
Mais l’assèchement budgétaire dégrade aussi, par contrecoup, tout le service universitaire : beaucoup d’établissements ont choisi de réduire leur offre de formation ; et l’idée de sélection (permettant de réduire le nombre d’étudiants) fait son chemin…
Le désengagement de l’Etat s’accompagne d’une recherche de nouvelles sources de financement :
➤ Une hausse significative des frais d’inscription a déjà été pratiquée dans certains établissements. Tout récemment, un rapport de l’inspection générale des Finances, commandé par les ministères des Finances et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, envisageait favorablement une augmentation générale des droits d’inscription.
➤ Prenant acte des difficultés financières des universités, le rapport sur la Stratégie nationale de l’Enseignement Supérieur, remis le 8 septembre dernier au Président de la République recommandait aux établissements de solliciter une aide accrue de la part :
- des régions et des collectivités locales elles-mêmes confrontées à la baisse des dotations de l’État
- des financeurs privés : « entreprises », « fundraising, crowdfunding, réseaux d’anciens élèves »…
L’austérité budgétaire et le désengagement financier de l’État aboutissent à une dégradation de l’enseignement supérieur et une fragilisation de la recherche publique.
L’austérité, meilleure alliée du néolibéralisme
L’étranglement budgétaire est ainsi la meilleure alliée de la logique libérale portée par les lois Pécresse et Fioraso : celle d’une autonomie toujours plus grande des universités permettant :
- de dé-nationaliser un peu plus l’enseignement supérieur et la recherche pour le faire dépendre de plus en plus de logiques régionales ou locales
- d’accélérer la mise en concurrence entre universités pour l’accès aux financements auprès des collectivités locales et des entreprises privés
- d’éloigner l’enseignement supérieur et la recherche du service public pour le subordonner de plus en plus aux intérêts privés, qui n’investiront qu’à condition que l’ESR s’adapte à ses intérêts, ses besoins, ses principes.
- de pousser au regroupement d’universités dans des structures gigantesques (communauté d’universités et d’établissements…) pour mieux supprimer des emplois, fermer des filières ou des sites délocalisés ou transférer leurs coûts aux collectivités locales. Dans l’enseignement supérieur comme dans l’aménagement du territoire, l’heure est à la concentration des moyens dans quelques grands pôles au mépris d’un aménagement équilibré du territoire et d’un égal accès de tous aux études supérieures.
Face à cette logique néolibérale de l’université porteuse de précarité, d’inégalité et de marchandisation, les étudiants, enseignants-chercheurs et personnels de l’enseignement supérieur sont appelés à se mobiliser vendredi 16 octobre 2015 pour une manifestation nationale à Paris (départ 14h devant la faculté de Jussieu en direction du ministère des Finances à Bercy).
Pour aller plus loin, retrouvez :
– L’intervention de Jean-Luc Mélenchon contre la loi LRU-Pécresse en juillet 2007 au Sénat
– Les argumentaire publiés sur ce blog contre la loi LRU et la loi Fioraso.
– Le site de sciences en marche et l’appel intersyndical à la manifestation nationale à Paris le 16 octobre.