La diplomatie française s’est lourdement marginalisée au Moyen Orient. L’alignement de la France sur les monarchies du Golfe coûte cher à notre pays, même s’il rapporte gros en contrats. Depuis le début de la crise, d’un excès à l’autre, la diplomatie française s’est inutilement identifiée au camp des faucons nord-Américains. Hollande et son ministre Fabius ont d’abord appelé il y a deux ans à bombarder Damas et à éliminer le chef d’État syrien, en dehors de toute légalité internationale. Puis ils ont essayé cet été d’empêcher un accord de paix sur le désarmement nucléaire iranien. Une position totalement isolée partagée par un seul gouvernement au monde : Israël.
C’est avec ce passif que le gouvernement a essayé depuis deux semaines de reprendre pied dans le dossier syrien. La marginalisation diplomatique de la France est en effet sans précédent historique dans cette région. Les négociateurs, notamment états-uniens et russes, considèrent que mettre le départ du chef d’État syrien comme préalable à tout échange diplomatique, comme le demande le gouvernement français, empêche toute discussion. Et donc par là même éloigne tout espoir de transition pacifique en Syrie ! Du coup, la France n’a pas été invitée le 23 octobre à la première réunion internationale des pourparlers de paix à Vienne. Avant d’être finalement raccrochée à la suite des négociations. Cette faveur est le résultat d’une pression très discutable organisée par Paris. Fabius a en effet pris l’initiative de réunir ce que les médias ont appelé les « partenaires » et « alliés » de la France sur le dossier syrien. C’est une très étrange liste d’amis que celle-ci : Arabie Saoudite, Qatar, Émirats Arabes Unis, Turquie et Jordanie pour le Moyen-Orient. C’est à dire exclusivement des pays alliés aux États-Unis. Auxquels se sont ajoutés Grande-Bretagne et Allemagne. Le tout sous l’œil du secrétaire d’État adjoint des États-Unis.
Selon le journal Le Monde qui a rendu compte en détails de cette étrange rencontre, ces « pays alliés » apportent « un soutien accru en armes » à la « rébellion syrienne ». Le Monde ajoute que, le même jour, « le président américain, Barack Obama, et le roi Salman d’Arabie saoudite se sont mis d’accord pour accroître cette aide ». Ces rebelles ont une drôle de mine. Concrètement, l’expression désigne les sept principaux groupes djihadistes qui se disent distincts de Daech. Depuis mars 2015 ils se sont regroupés sous le nom de « l’Armée de la Conquête » financée par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie. Ce regroupement est principalement constitué d’Al-Nosra, branche syrienne d’Al Qaïda, qui compterait 20 000 combattants. L’autre principale composante est Ahrar Al-Sham, salafistes combattants soutenus prioritairement par la Turquie et le Qatar.
Les pays « alliés » choisis par le gouvernement sur le dossier syrien sont donc directement parties prenantes de la guerre. Ils ne sont nullement des forces de paix, de liberté ou d’une quelconque stabilité pour la Syrie et la région. On peine à discerner quel peut être l’intérêt, ne serait-ce que sécuritaire, de la France à avoir de tels alliés financeurs d’Al Quaïda. C’est pourtant ce qui se passe. Le reste des surenchères françaises ne valent pas mieux. Ainsi, il n’y a plus de représentation diplomatique française à Damas. Comment envisager une discussion sur la paix et même une transition démocratique en Syrie en maintenant la rupture de toute relation diplomatique avec l’État syrien ? Ce choix n’est pas celui de tous les pays européens. Sept pays de l’UE conservent des relations diplomatiques avec la Syrie, dont la Grèce et l’Espagne. La rupture de toute relation est d’autant plus discutable que notre pays compte encore 1 200 ressortissants à Damas. Et c’est aux Syriens, ceux du gouvernement de Damas, que l’on doit au lycée Charles de Gaulle de Damas d’être encore ouvert et de délivrer son enseignement en français!
Le général Jean-Bernard Pinatel, expert en géostratégie a donné un diagnostic sévère : « dès le début de l’affaire syrienne, François Hollande s’est trompé sur plusieurs points. Premièrement, il a cru à un printemps arabe en Syrie, alors qu’on assistait aux prémices d’une guerre civile confessionnelle financée par l’Arabie Saoudite, le Qatar et aidée par la Turquie. Il s’est trompé aussi sur la capacité de résistance interne du régime d’Assad aidé par l’Iran, le Hezbollah libanais et la Russie. Il s’est trompé encore, comme d’ailleurs Barack Obama, sur la capacité de résistance de Daech aux frappes aériennes américaines. Malgré plus de 3000 sorties, Daech, vaincu par les Kurdes à Kobané et par les milices chiites irakiennes et iraniennes à Tikrit a poursuivi son offensive vers le Sud ». J’adhère au diagnostic mais je ne suis pas certain qu’il s’agisse « d’erreurs ». Je crois que les choix de Hollande ne sont rien d’autres que la reprise des attentes et demandes des monarchies du Golfe.
Dans ce contexte, le gouvernement a aggravé sa situation en se liant sans réserve au gouvernement turc actuel. Cette « amitié » de Hollande est particulièrement dangereuse dans la période et dans la région. On se souvient comment, de manière aussi étrange qu’inattendue, Hollande a tenu cet été à « remercier pour son action vigoureuse » le gouvernement de « l’islamiste modéré » Erdogan. Pourtant, celui-ci venait de mener une offensive militaire, le 21 juillet, à la frontière avec la Syrie. En réalité, cette opération militaire, si elle était officiellement dirigée contre Daech, n’a fait que relancer une guerre d’élimination contre les Kurdes. Hollande a ainsi endossé le rôle de l’allié qui couvre la reprise de la répression contre les Kurdes. Ceux-ci sont pourtant les seuls à avoir clairement combattu Daech depuis des mois sur le sol turc. À l’inverse, Erdogan laissait « l’État islamique » se servir de la Turquie comme base arrière. Il laisse passer les combattants étrangers venus le renforcer, au point que la presse turque a parlé d’une véritable « autoroute djihadiste ».
Quel peut être le sens de ce soutien de la France au gouvernement islamiste Turc ? Dans le contexte, c’est calamiteux. On a vu en effet ce qu’ont été les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’élection législative du 1er novembre dernier. Erdogan a gouverné quatre mois sans légitimité démocratique depuis les précédentes élections du 7 juin dont il n’a jamais accepté le verdict. Ce furent quatre mois de provocations, de tensions, arrestations et meurtres d’opposants dans une ambiance de guerre civile naissante. 1 900 personnes ont ainsi été tuées dans le pays depuis le 7 juin ! Sur ces bases, Erdogan a retrouvé une majorité parlementaire en récupérant les pires thèmes de l’extrême droite turque. Des conditions impensables pour organiser des élections libres. Le gouvernement islamiste d’Erdogan accorde notamment une large impunité aux terroristes actifs sur le territoire turc et dont les premières victimes sont l’opposition démocratique, à commencer par le HDP qui incarne la Turquie la plus progressiste et émancipatrice.
Cela n’est pas sans rappeler le sort que subissaient les forces progressistes en Tunisie quand les islamistes étaient au gouvernement. Les soi-disant islamistes modérés d’Ennahda avaient d’ailleurs pris pour modèle l’AKP d’Erdogan. Et le gouvernement français les soutenait eux aussi. Dans les deux pays, la brutalisation de la société jusque dans l’intime a dissipé l’illusion médiatique d’un « islamisme modéré ». Erdogan explique par exemple qu’« il est contre nature de mettre les femmes et les hommes sur un pied d’égalité ». Le modèle qu’il impose de force à la société turque est totalement étranger au meilleur de l’histoire de cette République. Celle qui fut parmi les premières au monde à donner le droit de vote aux femmes et à interdire le voile à l’école dès les années 1930.
La voix présidentielle de la France s’égarant actuellement dans le soutien aveugle aux islamistes turcs, c’est à nous d’incarner la France qui ne se trompe pas d’amis en Turquie. Nous l’avons fait concrètement en accueillant des parlementaires et dirigeants du HDP à nos universités d’été et sur notre stand à la fête de l’Humanité. Mes camarades ont continué ce travail en participant à des opérations d’observation électorale en Turquie lors des élections du dimanche 1er novembre. Une délégation de 6 militant du PG, soit 10 % des observateurs français se trouvait sur place et jusqu’en zone kurde. Le secrétaire national du PG aux relations internationales, Djordje Kuzmanovic, et le responsable Turquie du PG, Jean-Christophe Sellin, menaient notre délégation. Il s’agissait bien sûr d’exprimer notre solidarité avec le peuple turc en lutte pour sauver sa République. Mais surtout de rendre à nouveau possible notre avenir commun méditerranéen que les religieux veulent empêcher par tous les moyens. Car si les deux rives de la Méditerranée coopèrent, c’en est fini des délires ethnicistes et religieux qui prétendent la jonction impossible et dangereuse. Le point de vue islamiste et le point de vue FN sont ici directement complémentaires. Briser ce point d’appui, c’est commencer non seulement à changer l’ordre international mais surtout l’absurde partition religieuse de nos pays qui est le but des ethnicistes des deux rives.