J’ai fini d’écrire en apprenant que le gouvernement turc venait de faire abattre un avion russe qui aurait traversé son espace aérien pendant vingt secondes. La volonté d’escalade est évidente de la part de ce gouvernement car il voit se mettre en place une coalition universelle qui contrarie ses objectifs régionaux. Mais le risque de guerre généralisée se confirme. On doit donc compter sur la sagesse du gouvernement russe pour éviter le pire.
Depuis le 14 novembre, d’une prise de parole à l’autre, j’ai pu dire bien des choses. Mais parler n’est rien en soi. Compte ce que les mots provoquent chez ceux qui les entendent. C’est pourquoi la prise de parole est une prise de responsabilité. Je traite ici d’abord de ce point. Donc, cette fois-ci encore je réserve mon appréciation sur le bilan du gouvernement. Ce n’est pas le plus urgent. Je me contente de dire que je n’aurais pas voté l’état d’urgence qui me semble créer davantage de problèmes qu’il peut en régler. Puis je viens sur ce que je considère comme l’essentiel : avoir une stratégie globale dans le contexte. C’est-à-dire une façon d’agir qui couvre tous les aspects du problème posé. De l’ordre du monde aux mécanismes intimes de construction de soi, tout se tient quand tout se défait
Mais tout en mettant en place la panoplie des moyens complexes et nombreux qui sont nécessaires, on ne devrait pas perdre de vue l’essentiel. Aucune action « terroriste » n’a jamais lieu en France autrement qu’en relation directe avec un conflit entre puissances. Dès lors, la priorité est de stopper la guerre dans la région de la Syrie et de l’Irak là où est l’enjeu pour tous les protagonistes.
Je ne dis rien des élections régionales. Sinon pour vous inviter à vous préparer à voter comme je le ferai moi-même. Pour le reste, l’état d’imbroglio permanent du Front de Gauche fait que je ne peux même pas nommer nos listes tant elles ont de configurations différentes selon les régions. Tous mes efforts pour obtenir une stratégie et un accord nationaux ont été vains. Ni les étiquettes en région, ni les classements du ministère de l’Intérieur ne permettent le plus souvent de s’y retrouver. Entre les listes « Front de Gauche » du seul PCF (comme par exemple en Nord-Pas-de-Calais-Picardie ou dans la région Centre), celles du Front de Gauche en entier, celles où le Front de Gauche est allié aux Verts et celles où seul le PG est allié aux Verts… c’est la grande tambouille. Donc, faites pour le mieux avec ce que vous avez sous les yeux. Pour moi c’est simple en région parisienne je vote pour la liste de Pierre Laurent, Clémentine Autain, Éric Coquerel. Pas de Verts. Ils n’ont pas voulu.
Au fil des heures, mon intention était de répondre à des besoins particuliers que l’expérience de situations similaires m’a fait connaître. Les chocs de la nature des massacres de la nuit du 13 novembre sont amples et profonds. C’est bien le but des meurtriers. Leur façon d’assassiner est faite pour cela. Ils ne visent ni une institution, ni un bâtiment, mais la société elle-même à l’endroit où elle se construit et s’organise selon des règles de vie communes : en nous-mêmes. Car, par empathie, dans les premiers instants, nous sommes frappés bien davantage que dans le cas de n’importe quelle autre situation qui mettrait en cause une institution ou ses personnels. Nous sommes tous couchés à terre dans le Bataclan, assis à la terrasse du café où la mitraille passe, puis, ensuite, parents, frères, sœurs, cousins, amis personnels, de ceux qui ne reviendront pas, dont les sourires ne se verront plus qu’en photos pour toujours.
De la sorte, ce qui s’est passé n’est pas un évènement extérieur à nous, cela n’est pas seulement arrivé « aux autres » mais à nous-mêmes aussi d’une certaine façon. Ce choc diffuse en chacun de nous des réactions qui se modifient d’heures en heures, de jour en jour, et nous font faire un parcours toujours unique où maintes douleurs enfouies sont réveillées, et bien des connexions intimes mises à vif et reconfigurées. L’instinct nous pousse à attribuer une cause à la douleur que nous ressentons. Nous voulons alors la nommer, lui donner un visage. L’ennemi, qui est-ce ? Que peut-on vouloir contre lui ?
C’est le moment de ne pas se tromper. Ce processus est un enjeu. Pour les amis du choc des civilisations le moment est trop beau. La figure de l’arabe musulman est immédiatement proposée à la vindicte publique. Et cette proposition se fait de bien des manières parmi lesquelles bien des insidieuses. Au bout du compte, il s’agit toujours de construire un lien qui part de l’arabe pour finir dans le terroriste comme s’ils allaient plus ou moins de soi. Il n’en est rien. D’aucune façon. C’est bien pourquoi sont si dangereux ces groupuscules prétendument identitaires qui lynchent des passants, attaquent des mosquées, et font des scènes d’hystérie collective contre les populations marginalisées. Pour ne rien dire des politiciens à deux balles qui proposent des solutions qui n’en sont pas et ne se distinguent que par leurs exagérations. Ceux-là comptent sur les frustrations que provoque le refus de leurs délires.
J’en reviens aux personnes que nous sommes. Nos réactions au lendemain des faits portent un double contenu : on ressent très fort et on réfléchit de façon tourbillonnante aussi. Affect et raison, le vieux couple est en scène. L’aide que je pense utile d’apporter par la parole veut se placer dans les deux registres. D’abord accompagner la sidération et l’angoisse tétanisante qui naît dans l’instant et s’infiltre partout ensuite des jours durant. Je ne suis pas spécialiste de cet état. Je connais juste l’importance de se tenir présent et proche et de tenir la main pendant que chacun fabrique ses anticorps et panse des plaies dont le voisin n’a pas idée. Et je sais que cela doit être fait, non seulement à titre privé, mais sur la scène publique quand on a l’honneur de s’y exprimer.
Après quoi il faut aussi venir à la discussion rationnelle. Donc aussi à la politique. Parler de politique participe aussi des soins car cela va mettre l’évènement à sa place dans le grand tout des faits qui font une vie. Là encore la parole est une action. Expliquer aide. Nommer l’ennemi et montrer ses buts pour proposer des façons de les déjouer et de les mettre en échec, c’est aussi replacer le monde dans la réalité concrète. C’est l’arracher aux brumes poisseuses des fantasmes et des cauchemars. C’est proposer une grille de lecture pour comprendre et affronter la suite des évènements qui vont se produire. Apprendre sur soi et sur le monde libère. Mais bien-sûr, au-delà de l’expérience individuelle, il y a le devoir d’agir en société. Mieux vaut affronter de face une réalité dangereuse. Point par point il faut déjouer la stratégie de l’ennemi. Il faut la traquer partout où elle agit. En soi et dans le monde. Nous avons besoin d’une approche rationnelle de la situation. Ici il s’agit de penser un combat : comment ôter à l’adversaire ses points d’appuis et de quels moyens nous doter pour marquer nos points contre lui ? Il faut pour cela se doter d’une vision ample et aussi globale que possible des paramètres de la situation.
Si l’origine des basses besognes des terroristes est dans la guerre en Irak et Syrie comment la stopper là-bas ? Il faut d’abord pour cela ne pas se tromper sur ce qu’elle est. Prenons un instant pour nous souvenir d’un commencement que les moins de 24 ans n’ont pu connaître.
J’ai voté en 1991 contre la guerre en Irak d’où est parti tout le chaos actuel. À l’époque, le président des USA, George Bush avait annoncé qu’avec cette guerre allait naître un « nouvel ordre mondial » après l’effondrement de l’URSS. La théorie du « choc des civilisations » surgit en 1996 pour donner un habillage idéologique au nouvel âge de l’Empire enfin débarrassé de son adversaire et qui s’en cherchait un autre pour justifier son interventionnisme et ses budgets d’armement. On voit en quoi ce nouvel ordre consiste. Si vous voulez bien rire, cherchez les éditos d’alors signés par Alain Duhamel ou Jean-Pierre Elkabbach et des autres grands prêtres de toutes les guerres. Un an plus tard, en 1992 se tenait le premier « sommet de la Terre » sur le climat à Rio de Janeiro. J’étais dans la délégation française qui accompagnait François Mitterrand sur place.
Deux décennies plus tard, on sait ce qu’il en est des belles résolutions « non contraignantes » de l’époque. Le même Bush avait annoncé : « le mode de vie américain n’est pas négociable ». Dans l’un et l’autre cas, je ne dis rien de la façon dont furent traités les gens comme moi, qualifiés de suppôts des crimes de Saddam Hussein et « d’anti-américanistes primaires ». Ceci m’est l’occasion de vous dire combien le temps long est le temps du réel qui se construit tandis que le temps court des effets de communication et des emballements est un temps vain, source d’erreurs tragiques. Vous verrez bientôt ce que valent les décisions, élaborées en pleine crise émotive cette fois ci, le super état d’urgence et la reforme constitutionnelle décidée par François Hollande moins de 60 heures après le massacre du 13 novembre…
En ce qui concerne le nouvel épisode actuel de la guerre commencée en 1991, Alain Billon, mon maître en la matière, bien malade aujourd’hui, m’a enseigné à ne pas perdre de vue les niveaux qui s’empilent pour former le terrain du conflit. Mais c’est sur la dernière couche que fleurissent les évènements. Je laisse donc de côté ici le conflit israélo-palestinien. Les autres strates qui entrent en jeu sont souvent moins bien perçues en Europe. On connaît l’antique rivalité des Perses et des Arabes dans la région. On connaît aussi celle plus actuelle entre les monarchies et les autres régimes de la région qui ont à tour de rôle menacé leur existence archaïque : nassérisme, panarabisme, socialisme, baassisme (en Syrie et Irak) et à présent l’actuelle République tunisienne, du fait de sa constitution démocratique et de sa façon d’opérer la séparation du religieux et du politique dans les institutions. On sait quel rôle joue la question kurde et l’inflexible détermination du peuple kurde réparti entre quatre pays. Et on sait aussi que tous les conflits finissent par transiter par l’opposition religieuse entre sunnites et chiites, sans oublier celles qui opposent ou allient les sous-composantes de chacune de ces branches de l’islam dans la région, et ce n’est pas du tout un détail. Sans oublier non plus la prégnance du tribalisme. Évidemment, à mesure que les structures étatiques sont détruites, la société glisse par pans vers les autres niveaux d’organisation qu’elle contient et qui n’ont jamais été effacés.
Alors l’observateur superficiel peut croire que la situation qu’il voit a toujours été. En réalité, il ne voit qu’un état transitoire de décomposition de la société. Tout cela joue. Mais plus que tout joue l’accès au pétrole et au gaz, les points de passage des pipelines. Ils étaient les enjeux de la première guerre du Golfe. Ils étaient la vraie cause de l’intervention en Afghanistan. Ils sont au cœur de la lutte présente. Pour suivre les guerres et les combats actuels, suivez les pipelines.
En France aussi, la lutte contre les assassins de Daech appelle un réel changement de pied. Parler de « guerre intérieure » comme l’a fait Valls est un sidérant abus de langage. Nous avons besoin d’un vrai État, fort, respecté, efficace pour assurer la sûreté de tous. Parler de « guerre intérieure » c’est reconnaître un statut de guerriers à de lâches criminels qui tuent des gens sans défense. C’est aussi désigner sans le nommer un ennemi de l’intérieur support de tous les fantasmes. Il faut d’urgence au contraire priver ainsi nos ennemis du terrain pourri des ressentiments et des stigmatisations propices aux recrutements. Sur notre territoire, contre le terrorisme, on doit donc faire la police. C’est-à-dire réprimer ou prévenir des actes et poursuivre des personnes en particulier. Et non des idées, des concepts ou fantasmes. La surenchère sécuritaire ne sera pas efficace. Les Echos soulignaient ainsi récemment que 23 textes ont été adoptés en matière de renseignement depuis 1986. Depuis 2001, il y aura eu 10 lois contre le terrorisme adoptées : 4 lois de sécurité comprenant des dispositions anti-terroristes et 6 lois spécialement anti-terroristes. Déjà 3 lois antiterroristes ont été votées sous le mandat de François Hollande dont deux rien que dans cette dernière année. La loi sur le renseignement adoptée au printemps n’est pas encore entièrement en vigueur : seuls 5 des 12 décrets d’application ont été pris. Évidemment, aucun bilan, aucun rapport de synthèse n’a jamais été établi. Pourtant ! S’il a fallu revenir tant de fois sur le sujet cela signifie tout de même que l’on a été à côté de la plaque déjà 22 fois !
Faisons simple : le premier devoir est la reconstruction de l’État. La lutte contre le terrorisme passe par des moyens publics. J’en reste à la police. Remonter les filières, tarir les financements, démanteler les trafics mafieux, notamment d’armes de guerre, repenser les prisons, disposer d’un maillage territorial fin et régulier en matière de renseignement etc., tout cela demande de l’argent public, des fonctionnaires nombreux et formés, une politique qui ne se résume pas à de la communication ou à la politique du chiffre. Encore faut-il une police et une justice républicaines en état de fonctionner. En temps normal, les disfonctionnements et manques de moyens sont devenus la norme. L’urgence est de reconstruire l’État.
En la matière, pourquoi ne pas se fier à l’avis de l’ancien juge anti-terroriste Marc Trévidic. Selon lui, « ce ne sont pas les lois qui manquent, mais les moyens » pour les appliquer. Bien sûr, des moyens de police et de renseignement. Mais ce qu’il pointe surtout, c’est l’indigence des moyens de la justice anti-terroriste et de l’analyse du renseignement. C’est indispensable dans ces enquêtes longues et difficiles, où il faut remonter des filières, surtout si l’on veut pouvoir assurer l’efficacité des procédures et pas seulement la mise en scène d’opérations coup de poing. Ainsi, selon ce juge, « Nous faisons face à un goulet d’étranglement : quand près de 2.500 personnes travaillent au renseignement, en face, il n’y a que 150 personnes du côté judiciaire ». Et, il ajoute : « il importe de doubler les effectifs du département judiciaire de la DGSI. Cela permettra notamment d’éviter la situation actuelle où seulement la moitié des personnes qui se sont rendues en Syrie pour des raisons terroristes sont aux mains de la justice. Le reste circule librement en France, parce que nous n’avons pas les moyens nécessaires de traiter leur dossier ». François Hollande a annoncé la création de 2 500 postes dans la justice. Ils seront les bienvenus. Mais chacun devine que cela ne peut se faire du jour au lendemain. Les retards pris nous ont mis en danger.
Beaucoup comprennent enfin que la République a besoin d’un État présent et efficace. La politique libérale et d’austérité budgétaire se trouve ainsi condamnée par là où on ne s’y attendait pas forcément : la situation de la gendarmerie, la police, la justice, les douanes, l’armée dresse un réquisitoire terrible contre l’irresponsabilité des politiques publiques des libéraux… Le président de la République a donc dû faire volteface. Son annonce de plusieurs milliers d’embauches dans les services publics de sûreté sonne comme un terrible aveu d’échec pour lui et son prédécesseur. Souvenez-vous de M. Sarkozy moquant en 2007 qu’il y ait toujours des douaniers alors « qu’on a supprimé les frontières ». Ils ont perdu 2700 postes en 10 ans y compris sous le gouvernement Hollande. Résultat : moins d’un conteneur sur 1000 est fouillé ! Il aura donc fallu une tragédie pour obtenir ce que plusieurs grèves nationales des douaniers n’ont pas obtenu : l’arrêt des coupes et 1 000 embauches selon la promesse de François Hollande. Quant à la police et à la gendarmerie, là aussi, les chiffres sont accablants. 12 000 postes ont été supprimés par Nicolas Sarkozy. François Hollande avait promis en 2012 de créer 1 000 postes par an pendant son mandat dans ce secteur dans lequel il incluait la justice. Cela ne permettait pas de reconstituer les destructions sarkozystes. Mais selon le journal Le Monde, la situation est pire encore « sur les trois exercices clos du quinquennat Hollande (2012, 2013, 2014) les effectifs réels dans la police ont baissé de 143 997 à 143 050, et de 96 213 à 95 195 dans la gendarmerie. 2015 devrait être la première année du quinquennat Hollande à voir une hausse réelle ». Il y avait donc moins de postes au début de cette année qu’en 2012 ! Qu’en sera-t-il réellement des 5000 créations supplémentaires annoncées par François Hollande d’ici 2017 ?
Entendre François Hollande dire que « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité » est un heureux changement de pied. On aurait aimé entendre cela à propos d’un pacte de solidarité ou d’égalité. Sans parler d’un pacte de santé publique face à l’effondrement en cours du système. Mais ne faisons pas la fine bouche. La mise en cause de la politique d’austérité, même du seul point de vue sécuritaire, est une respiration bienvenue que nous saurons pousser plus loin le moment venu. Dans ce contexte, certains sont particulièrement irresponsables. Ainsi le MEDEF et son président Pierre Gattaz. Dès le lendemain des annonces du président de la République en matière de moyens publics, il a appelé à ne « pas laisser partir à vau-l’eau les dépenses publiques ». Pour lui, comme pour d’autres, « il faut faire des économies par ailleurs, faire mieux avec moins ». Bonne idée : supprimons le versement des 40 milliards prévus dans le cadre du crédit d’impôts compétitivité. Mais on devine que ce n’est pas ce que veut dire monsieur Gattaz. Son raisonnement est irresponsable et indigne. Il ferait mieux de se demander si, malgré le professionnalisme des agents, ce n’est pas une bêtise d’avoir confié au secteur privé des tâches comme la sûreté aéroportuaire au prétexte que cela coûterait moins cher ? Peut-être pourrait-il cesser ses attaques contre le service public et sa mendicité fiscale pendant quelques temps ? Je le dis aussi à l’attention de Pierre Moscovici. Le commissaire européen a déclaré ce jeudi 19 novembre que les règles du pacte de stabilité « ne doivent pas être remises en cause ». Que valent de tels idéologues illuminés dans les circonstances que nous vivons ? Ils sont absurdes.
Ensuite nous devons reconstruire des frontières. Car la lutte contre le terrorisme condamne aussi le mythe rédempteur de la libre circulation des marchandises et des biens comme un bienfait permanent. La libre-circulation des capitaux et des marchandises permet aux armes et à l’argent de circuler sans contrainte. Sans parler du pétrole, du coton ou des œuvres d’arts pillés en Irak et en Syrie. L’absence de contrôle des personnes aux frontières extérieures et intérieures permet aux assassins de se déplacer quasi-impunément. Bien sûr, c’est une ligne de crête. Certains instrumentalisent cette question pour dresser des frontières mentales et affectives. Pour eux, les frontières doivent être des murs, si possible avec des barbelés et jusque dans les cœurs. Pour nous, les frontières sont des portes. On doit décider souverainement de les ouvrir ou de les fermer. Vouloir des frontières et des contrôles n’est pas vouloir la fermeture du pays. Simplement vouloir faire respecter la souveraineté des citoyens qui y vivent. On peut vouloir des contrôles aux frontières et refuser la surenchère sécuritaire ou identitaire, comme je le fais.
Enfin c’est une tâche prioritaire de renforcer les anticorps républicains de la population. L’unité du peuple de France est un enjeu. Je dois donc citer à cet instant l’idée d’une Garde nationale par conscription. Tous les Français, garçons et filles y seraient affectés à tour de rôle pour assurer un certain nombre de tâches de sûreté, de protection de bâtiments et de sécurité civile. J’en suis personnellement partisan de longue date. François Hollande a repris le mot sans que personne n’ait compris de quoi il parlait précisément. Le but de nos ennemis est de nous diviser et répandre la haine entre nous. Ne pas se laisser manipuler sur ce point c’est faire un grand pas vers notre victoire. Dans ce domaine c’est aussi faire acte de lucidité. L’islam ne poussa pas davantage au crime terroriste que n’importe quelle autre religion. Et il est temps de bien se dire qu’on ne nait pas djihadiste, on le devient. Si l’on veut tarir le mécanisme du recrutement, il faut écouter les spécialistes de ces questions et suivre leurs conseils plutôt que les délires et les fantasmes des rouleurs de mécaniques ou des racistes. Là encore, l’ancien juge anti-terroriste Marc Trévidic dit des choses qui doivent faire réfléchir : « ceux qui partent faire le djihad agissent ainsi à 90% pour des motifs personnels : pour en découdre, pour l’aventure, pour se venger, parce qu’ils ne trouvent pas leur place dans la société… Et à 10% seulement pour des convictions religieuses : l’islam radical. La religion n’est pas le moteur de ce mouvement et c’est ce qui en fait sa force ».
Samedi soir sur le plateau de l’émission « Salut les terriens », l’anthropologue Dounia Bouzar a très bien expliqué les mécanismes d’embrigadement. Sur la base des 700 jeunes dont elle a la charge, elle nuance l’approche qui unit mécaniquement misère et crime, islam et djihadisme. Elle nous apprend que sur ces sept cents jeunes à la dérive on compte bien des enfants « de professeurs, d’avocats, de médecins ». En revanche, elle confirme l’importance toute relative du milieu religieux. Plus de la moitié des jeunes radicalisés dont elle s’occupe sont issus de familles athées, chrétiennes et même juives ! Cela confirme que nous sommes bien face à un processus d’embrigadement mental comme y procèdent les sectes. D’ailleurs, la structure dans laquelle elle travaille s’appelle « Centre de prévention contre les dérives sectaires liés à l’Islam », elle parle de « secte totalitaire », de « retournement » des individus. La prévention, le signalement précoce, l’accompagnement, la mise en place de programme de déradicalisation sont donc des exigences absolues et urgentes.
La répression des fanatiques est un devoir dans ce contexte. Il ne peut y avoir d’excuses pour les meurtriers ni ceux qui voudraient les imiter. Je plaide donc pour ne pas se laisser aller à un misérabilisme compassionnel qui ne mène nulle part. Que dans le peuple des croyants, comme dans la société toute entière, les pauvres soient les plus nombreux ne donne nullement le droit d’établir un lien mécanique entre la pauvreté et le fanatisme. Et quand cela se trouve, la pauvreté n’est ni une cause unique ni une excuse. D’une façon générale, nul n’est jamais exempté de sa responsabilité personnelle devant ses actes. Le crime n’a pas d’excuses, même quand il a des explications. Et j’invite aussi à distinguer tout le temps entre les croyants et leur foi et les organisations qui les encadrent et parlent en leur nom.
Je n’ignore rien non plus de ceux qui tirent les ficelles : ce sont nos ennemis depuis bien longtemps, ici et partout comme l’ont montré les assassinats de Charlie Hebdo ou de nos camarades progressistes Tunisiens. La lutte de l’obscurantisme religieux contre les Lumières est une longue et vieille affaire. Il ne faut donc jamais donner non plus aucune excuse à aucune religion quand elle prétend imposer ses vues par la force ou l’intimidation. Dès lors je me prononce pour une répression sans faiblesse des prêches ou des manifestations propageant la haine religieuse. Il est bien dommage que rien ne soit fait contre les groupuscules qui sont descendus dans la rue pour frapper des immigrés, souiller des mosquées ou agresser nos camarades. La répression doit frapper rudement les fanatiques ethnicistes et religieux violents quelle que soit leur bannière. Pour l’instant, ce que nous voyons n’est vraiment pas bon. Ficher des manifestants qui militent contre l’état d’urgence est hors sujet et gravement attentoire à l’entretien de l’esprit civique. Interdire les manifestations syndicales, politiques ou écologistes tout en permettant les marchés de noël est un pari très risqué en même temps qu’une décourageante stigmatisation des citoyens qui s’engagent pour leurs idées.
116 commentaires
Kontarkosz
Comme si il suffisait de boire des coups dans les cafés et aux terrasses de ceux-ci pour devenir un résistant, les médias et les experts en tout genre abreuvent de signaux et de commandements cette jeune génération afin qu’elle se résigne à ne pas chercher les vrais responsables politiques à cette aventure guerrière en Syrie.
jean ai marre
Si je peux me permettre j’ajouterais : comme si la liberté se mesurait à un pouvoir de consommation ! Je suis abasourdi quand j’entends « génération Bataclan ». Mais enfin ces trente – quarante qui ne votent pas, j’espère qu’ils vont prendre conscience, et se bouger.
dametartine
Merci Jean-Luc pour cette analyse claire et nuancée. Et merci aussi de reprendre la plume. N’ayant aucune mémoire auditive je ne suis pas fan des vidéos. J’apprécie beaucoup plus vos écrits. Et il va y avoir beaucoup à faire dans les semaines qui viennent…
cogilles
Bonjour,
Ils votent en masse l’état d’urgence (moins 7 courageux) et viennent pleurer sur les atteintes aux libertés fondamentales, notamment celle de manifester. Cherchez l’erreur. Il se marre le capital.
NoNo
Ce matin, je vous ai tous lu. Que de choses intelligentes un peu partout. Je suis en gros d’accord avec toutes. Merci également à Jean-Luc Mélenchon pour son art (oui, oui!) de rassembler les éléments essentiels en une voix (voie?) cohérente et réaliste. Je constate chez nous, avec un certain dépit, l’engouement toujours prompt à s’emparer de faits (importants ou non) et d’y trouver des liens directs plus ou moins logiques, à la manière des infos distillées par les médias dominants (à qui appartiennent-ils ?). L’art du chef d’Etat étant de faire passer les impératifs de ceux qui l’ont porté au pouvoir (ses sponsors ?) pour une orientation politique unique (le bonheur du peuple…) et d’envergure (son prestige international), il est je crois de notre ressort (pouvoir ?) à tous de rejeter le gloubi-boulga de news qu’on nous sert à la louche à longueur de journées. Pour ma part, plus de télé ni de radio prétendue informative, plus de plateaux politiques, plus d’éditos de « spécialistes », plus de débats publics sous contrôle. Leur effet à long terme n’est pas tant de nous présenter un diaporama simpliste de la situation présente (car après tout elle change tout le temps), que de nous imprimer cette façon infantile de comprendre le présent (justifier le futur) par juxtaposition de faits et de déclarations. Ça fait beaucoup de bien de faire abstraction du « connu » pour systématiquement mettre en avant une approche critique (et humble) de toute nouvelle info (sa pertinence, sa fiabilité, son importance réelle à mon niveau), et surtout se poser toujours la question primordiale (dans le cas le plus fréquent de news reprises jusqu’à la nausée par tous les faux exégètes « indépendants » : Qui cela intéresse-t-il de me faire avaler ça ?
Au fait, personne ne demande jamais publiquement à un intervenant son pédigrée complet, étonnant non ?
marianne31
Marre des idées moyennageuses des fascistes de tous bords qui veulent nous faire régresser au temps des guerres de religion. Personnellement pour la région Midi-Pyrénées je vote Onesta. L’écosocialisme c’est l’antidote aux guerres de religion.
CEVENNES 30
Votez Onesta ( tête de liste EELV ) en MPLR qui en 2005 a voté Oui au référendum sur la constitution Européenne (Traité de Lisbonne) et qui il y a deux mois annoncé déjà le désistement au second tour des Régionales en faveur du PS. Très peu pour moi, se sera un parti anti-européen ou rien.
zaccio
La liste Onesta c’est aussi la liste de la mise à mal de la République une et indivisible. En effet, le Partit Occitan y est représenté (pas besoin d’un parti pour défendre la langue occitane là où une association suffirait, preuve en est que c’est politique). La liste Onesta prône aussi un statut particulier pour la Catalogne Nord ainsi qu’un budget dédié (propositions soutenues par les partis catalans Erc et Jerc).
Que vient faire le PG là-dedans, mis à part pour l’écosocialisme ? D’autre part, après les votes d’une majorité de parlementaires EElV, PC et Ensemble en faveur de l’état d’urgence, où est la cohérence intellectuelle ? D’un coté on prône la liberté, et au même moment, de l’autre côté on la réduit. Beaucoup de candidats de la liste Nouveau Monde En Commun étant issus de ces trois partis, quel crédit leur apporter ?
gege
Compte-tenu de l’attitude du pouvoir en place lors de l’ouverture de la COP 21 et des défilés de participants pourquoi ne pas manifester dans les urnes le 6 et 13 décembre une dose supplémentaire d’hostilité envers ces suppos de l’état d’urgence ?
jusserand
Je n’entends plus beaucoup parler de la révolution citoyenne. N’est elle pas hautement d’actualité dès aujourd’hui ? J’attends encore un appel à manifester contre la guerre. Dès aujourd’hui !
J’avoue mon malaise face à la pusillanimité des partis de gauche depuis le 13. Je ne parle même pas du PCF qui sent la naphtaline à plein nez mais le PG et même Ensemble me semblent complètement en dehors du coup. Comme s’ils avaient peur de parler révolution quand il s’agit de la faire, surtout en dehors de leur contrôle. On dirait que leur priorité numéro un est de garder leurs places dans les conseils régionaux. Ils se trompent car leur quasi-silence démontre leur inutilité.
Francis
Un pas devant les masses.
MOUILLE Jean-Pierre
Dans le même ordre d’idées sur le malaise ambiant, je constate que la seule déclaration politique claire et développée sur le sujet de la manif COP21 de dimanche dernier émane ce lundi de Jean-Luc Mélenchon. Toutefois me semble-t-elle à relativiser puisque Jean-Luc Mélenchon se positionne sur une ligne de combat exclusivement de « chaîne humaine (…) convaincante et digne », en fait essentiellement électorale et en contradiction avec un des slogans du FdG : « Une seule consigne, n’attendez pas les consignes ! » À mon humble avis, à défaut de rassemblement sur la place de la République, les milices de l’état totalitaire PS auraient tout de même provoqué des débordements par ailleurs, fut-ce sur quelques maillons de chaîne humaine.
ddacoudre
Avec cet article tu souffles dans le sens du vent, et tu ramènes une stratégie étasunienne dont nous sommes devenus partenaire en entrant dans l’OTAN à une simple affaire de terrorisme d’un groupement qui serait des fous. Nous sommes bien loin de tout cela. Chez Ruquier tu avais posé la bonne question il faudra savoir qui armes ces gens et qui les finances, cela fait drôle quand l’on y retrouve la France et que la Turquie écoule leur pétrole, et que l’OTAN organise une agression de la Russie.
Mais sur un point tu as raison il faut suivre le pipeline. Daesh n’est qu’un groupement instrumentalisé qui vit sur des fantasmes. Qui peut croire que 30 000 ou 200 000 soldats suivant les évaluation fait peur au puissances les mieux armé du monde qui leur vendent leurs armes et qui disposent des moyens de surveillance les plus efficaces. Une question se pose qu’est-ce donc que nous ne pouvons offrir ou que nous n’avons pu offrir au jeune pour qu’ils se trouvent un idéal chez des frappadingue du moyen âge. La police et l’armée ne sont jamais venus à bout du terrorisme, pas plus que les contrôles aux frontières. 50 ans de terrorisme en Espagne avec l’ETA et 80 ans en Irlande avec IRA le démontre, seule l’infiltration est un moyen efficace. Le lavage des cerveaux fait dans les goulags n’ont pas empêché le communisme totalitaire de mourir.
Jonathan L.
Vivement ton prochain post, qui ne devrai tarder avec ce qui s’est passé ces derniers jours. Merci d’être là, de ne pas baisser les bras…
jusserand
Ce n’est pas un post mais un texte hors blog qui est venu. Il débute bien mais la fin est catastrophique. C’est la panique générale dans nos partis. Vive la révolution citoyenne mais avec des citoyens qui obéissent au doigt et à l’œil aux grands leaders. Je crois que le moment est venu de faire vivre l’esprit du Front de gauche sans les partis.
La Renaudie
Oui il faut suivre le pipeline. Mais ce tube mène-t’il à soutenir par du verbiage maladroit des barbouzes pseudo anar qui saccagent les gestes des anonymes envers les victimes d’attentats. Ces barbouzes ne valent pas mieux que les massacreurs d’hier et d’avant hier, ils n’ont aucune conscience, ni politique, ni humaine.
Seule Clémentine Autain a précisé sa pensée quand elle s’est aperçu du manque de précision de sa réaction. Et les CRS, ou les mobiles, ne sont que des gens aux ordres de l’État, alors par une photo faire une telle inversion de charge, c’est dégueulasse. Ils sont la loi et ce n’est pas eux qui décident de l’application, mais le politique (tous les politiques) accessoirement le citoyen qui vote.
Voilà, on assiste encore une fois au moment où la communication l’emporte sur la raison, où l’image l’emporte sur la parole. Pour être électoraliste… S’étonner que nous soyons si bas dans les urnes après cela ? enfin, je ne m’étonne plus, je désespère. Mais je ne vois pas de raison autre que le devoir de citoyen pour aller glisser un bulletin dans l’urne.
Dans la définition de Piaget de l’épistémologie, en politique, la pensée de gauche s’est immobilisé avec la Commune.
claudius
Tous les jours je lis des mecs qui se cassent les neurones à expliquer aux djihadistes pourquoi ils nous assassinent, comme si ils étaient trop cons pour le savoir eux-mêmes. S’est-on posé autant de questions sur les motivations d’Heidrick, de Bormann, de Mengele ou d’Himler ? Non, dans leur cas on a admis que les vrais salopards ça existe et que la seule question les concernant est de les empêcher de nuire. Rien ne justifie le meurtre d’innocents.
lilou45
Les propos de Gattaz dans le Parisien sont ignobles bien sûr. Mais il faut se souvenir que le fascisme a été « inventé » par le grand patronat italien au début des années 20. C’est l’ultime rempart du capitalisme face à la lutte des classes, quand la classe ouvrière prend l’avantage, quand le capital a besoin de contourner la démocratie pour pouvoir garder ces privilèges et sa domination. Depuis les années 20 le grand patronat en a usé et abusé sur tout les continents. Il faut dire et même hurler aux gogols qui votent FN que l’extrême droite n’a jamais été au côté des peuples, au contraire, elle les a asservis, torturés, affamés, pour servir le capital.
cogilles
Bonjour,
Nous ne sommes pas dupe des manœuvres de Gattaz, Valls et consorts. En effet, il s’agit de diaboliser la gauche dite radicale et de dédiaboliser le FN en faisant un amalgame pourri (le FN aurait un programme social de gauche et serait contre le capital). Quelle embrouille des esprits. Peut-être cela fera t’il réfléchir ceux de gauche qui, avant même le premier tour d’une élection, envisagent les désistements.
oberon
Je rentre d’Asie du sud est. J’apprends l’état de choc dans mon pays. Tristesse et rationalité doivent l’emporter.
Je viens d’écouter Dominique de Villepin sur BFM TV. Ces propos sont identiques à ceux tenus par JL Mélenchon. C’est heureux et relever par aucun journalistes.
Je suis désespéré de constater que l’opposition de gauche soit si nulle en des temps pareils. Je suis désespéré de voir les sondages d’opinion (avec toute la réserve requise) donner le FN si haut partout en France. Je suis désespéré de constater que mes compatriotes français soient si mauvais dans leur choix politiques. Nous n’avons tiré aucune leçons du passé, les Français en sont incapables, pas tous certes. N’oublions pas qu’en 1940 le régime de Vichy n’a jamais obligé mes compatriotes à aller au cinéma voir les films anti-sémites, ni livrer les juifs à la police, ils l’ont fait par choix et convictions. Plutôt Hitler que le Front populaire est encore vivace en France de 2015.
Le combat de Mélenchon en de nombreux sujets est pertinent et courageux, il a toute mon estime. Que les français l’écoutent !
danievre
Je suis bien d’accord avec vous mais toute la « médiacratie » est là pour occulter le combat de la vraie gauche avec la pression de la finance !
claudius
Gattaz et d’autres ne cessent de rabâcher que le programme du FN comme celui du PG conduiraient à une catastrophe économique. Mais la catastrophe nous y sommes, grâce au programme de ces mêmes beaux messieurs, nous avons perdu une grande part de nos industries et de nos emplois et que nous proposent Gattaz et consorts ? D’abandonner en sus le prix de notre travail et l’essentiel de nos droits. La catastrophe c’est eux et maintenant, il ne suffit pas de rabâcher pour démontrer, monsieur Gattaz ! Mais peut être espérez vous encore nous faire croire que la crise est météorologique et ne résulte en rien des choix politiques que vos lobbies ont promu et des traités que vous avez appelés de toutes vos forces ?
Roger
Tout ce mois de novembre j’étais en Guadeloupe. Réaction la plus souvent entendue chez les « locaux » : on a rien à faire en Syrie, on récolte ce qu’on a semé !