Ici il est question des délires de monsieur Gattaz à propos du programme de gauche de madame Le Pen. Une bêtise déjà bien répandue dans le passé. Puis il est question de Daech et de la guerre au Levant d’où nous viennent les terroristes. Je dois parler ensuite, et en lien, de l’instauration de l’état d’urgence et des débordements auquel il donne lieu. Et de là je reviens sur l’étrange comportement de madame Taubira, du moins tel qu’on peut le percevoir à travers les prises de position des procureurs qui obéissent à ses circulaires.
Compte tenu du procès de Bobigny, je reviens à ce sujet sur la condamnation si brutale des militants syndicalistes de Goodyear. Pour terminer je dois parler des régionales et de mon exaspération devant l’état d’imbroglio et d’invisibilité permanent du Front de Gauche, une nouvelle fois éparpillé entre diverses formules d’alliances.
On aura tout vu, tout entendu. Gattaz compare le programme de Marine le Pen à celui de l’Union de la Gauche en 1981 ! Bêtise si c’est pour dissuader de voter FN. Car c’est un très bon souvenir pour tous ceux qui ont, à l’époque, bénéficié du passage de la retraite à 60 ans, de l’augmentation du Smic et des minima sociaux ! Puis vient le double outrage. Le premier asséné par Valls qui soutien Gattaz et le laisse comparer une victoire de Le Pen à celle du Programme Commun et de François Mitterrand. Puis celui commis par Gattaz sous l’habituelle antienne des importants « Mélenchon – Le Pen : même combat ». Comme c’est neuf et subtil !
Bon, reprenons les faits. En réalité, Mme Le Pen ne propose ni la retraite à 60 ans ni la hausse du SMIC ! Le Front National l’a même redit après l’interview de Gattaz aussi clairement dans un communiqué : « Dans notre programme, il n’y a pas de retour de la retraite à 60 ans (…). Il n’y a pas non plus de hausse de 200 euros du SMIC » ! Ce n’est pas une nouveauté. En 2012, Mme Le Pen disait déjà être contre la hausse du SMIC. « Augmenter le SMIC est une mauvaise mesure » a-t-elle répété le 31 mars dernier sur Public Sénat. La proposition de Le Pen pour les bas salaires est un jeu de dupe. Baisser les cotisations sociales payées par les salariés pour faire augmenter le salaire net, sans faire augmenter le salaire brut. C’est « donne-moi ta montre et je te dirai l’heure ». Car le salaire brut, c’est du salaire. Les cotisations appartiennent déjà aux salariés et servent à payer l’assurance retraite, chômage, maladie, etc. François Hollande a même repris cette idée en 2014. Il a été censuré par le Conseil constitutionnel qui a jugé l’exonération de cotisations sociales contraire au principe d’égalité entre salariés.
Quant à la retraite, le FN n’a jamais défendu la retraite à 60 ans. En 2012, Marine Le Pen s’était pris les pieds dans le tapis en disant être à la fois pour la retraite à 60 ans et pour la « retraite à la carte » qui en est le contraire. Le 18 mai dernier, le secrétaire-général du FN, Nicolas Bay, avait dit clairement «Nous n’avons jamais défendu la retraite à 60 ans. Nous avons défendu le principe des 40 annuités, ce qui est un peu différent ». Et sur ce point de la durée de cotisation, la position du FN est bien fragile. Ainsi, le Monde du 6 novembre dernier, Joëlle Melin, responsable du programme du FN disait « Nous aurons du mal à rester sur les 40 ans de travail, il faut tenir compte de l’allongement de la vie, il va falloir être inventifs » !
Gattaz sait très bien tout cela. Alors pourquoi fait-il à Mme Le Pen le cadeau de la repeindre en défenseure des travailleurs ? Pierre Gattaz panique : le FN est en train de progresser chez les patrons comme jamais. J’espère que les médias l’interrogeront aussi souvent sur le vote patronal pour le FN que nous l’avons été sur le vote ouvrier. Pierre Gattaz agit en service commandé pour aider la droite et le PS. D’ailleurs, Manuel Valls l’a félicité ce mardi matin sitôt l’interview paru. L’oligarchie serre les rangs.
Le Pen est une complice active du MEDEF contre les salariés : en 2014, Mme Le Pen s’est abstenue au Parlement européen sur la directive sur les travailleurs détachés. Elle a ainsi validé ce dumping légal qui met les salariés en concurrence entre eux en autorisant les employeurs à payer des cotisations sociales différentes selon le pays d’origine des salariés. De même, le FN défend l’allongement du temps de travail. Bernard Monot, conseiller économique de Marine Le Pen l’a dit : « Nous voulons être plus ambitieux sur les 35 heures : nous souhaitons revaloriser le travail, organiser un retour aux 39 heures ». De même, en 2012 Mme Le Pen s’opposait à la limitation des salaires des grands patrons. Pour elle, notre proposition de « salaire maximum autorisé » était « une fausse bonne idée version soviétique ».
Rappelons pour finir qu’elle communie avec le MEDEF pour exiger le retour de l’apprentissage à 14 ans. Voilà le portrait de celle que Gattaz présente comme mon double… Je me demande si en voulant ramener au bercail ses ouailles patronales, Pierre Gattaz n’est pas plutôt en train de remplumer le vote Le Pen. Car dans notre pays monsieur Gattaz reste un repoussoir et lui déplaire en votant contre son avis est toujours un plaisir dans les milieux ouvriers.
Peu à peu, le voile des propagandes se déchire. Si Daech a une réalité idéologique dans l’islamisme politique, alors c’est dans sa branche saoudienne. Les têtes coupées, le traitement réservé aux femmes et ainsi de suite, ce n’est rien d’autre que le quotidien du pays où l’on fouette aussi les blogueurs. Mais son ancrage local, sur le terrain, sa puissance territoriale entre l’Irak et la Syrie, prend racine dans la révolte des sunnites irakiens. Brutalisés par le gouvernement chiite à Bagdad sous la poigne du Premier ministre Maliki, l’homme des Américains, écartés, proscrits, mais implantés sur leur territoire, ils se sont révoltés. Ce sont les officiers de l’ex-armée de Saddam Hussein qui prennent leur revanche. Ceux-là ont introduit le concept « d’État » dans le projet initial confus des groupuscules islamistes locaux. Et quand ils renversent la frontière en terre qui sépare la Syrie de l’Irak, ils renouent aussi avec le panarabisme spécifique de l’idéologie du Baas dont les deux gouvernements irakien et syrien se réclamaient naguère.
Dans ces conditions, l’identité religieuse de Daech n’est qu’accessoirement importante. Elle l’est seulement pour sa capacité à rallier à une guerre de conquête territoriale un mouvement politique mondial conduisant près de 80 nationalités à être représentées sur place. Car c’est une guerre de conquête sur une zone qui contient une très grande part des réserves d’hydrocarbures du monde. À partir de là, au rythme actuel, si la victoire militaire n’intervient pas, Daech sera bientôt un interlocuteur incontournable du processus pour obtenir la fin des combats. Car s’ils refluent de Syrie pour retourner en Irak d’où ils viennent, je parie que bien des accords seront possibles dans le secteur avec les puissances régionales et même avec celles beaucoup plus lointaines.
En réalité, le sort du régime de Bachar el Assad leur importe peu, sinon comme prétexte pour coaliser la population sunnite du pays. A la fin des fins, les frontières bougeront peut-être. D’aucun tenteront de reformater la carte sur une base ethnico-religieuse. On invoquera la nécessité de la cohérence et de la stabilité. Je prévois que le tracé des ciseaux ne récompensera pas l’héroïsme des combattants kurdes. Car il faudrait alors reprendre le tracé des frontières dans quatre pays… En toute hypothèse, ce découpage sera une grande première, pas très rassurante comme on ne tardera pas à le voir. Toucher aux frontières est rarement un exercice dont on sort indemne. On a connu ça en Europe et on pourrait le revoir bientôt.
Mais on entendra dire qu’il faut bien tenir compte de l’échec du concept d’États-nations post-colonial au levant. Il est vrai que la destruction de l’Irak par les USA, et leur absurde appui aveuglé au gouvernement Maliki l’a rendu évident dans cette zone. N’oublions jamais les Busch dans nos malédictions. Peut-être même mes lecteurs accepteront-ils de se souvenir que dans la période longue depuis la première guerre d’Irak, mes votes sur le sujet ne se sont jamais égarés.
L’état d’urgence c’était donc bien ça : un instrument de plus pour criminaliser les mouvements sociaux ! Perquisitions, mises en résidence surveillée, pluie d’interdiction de manifester se multiplient. Pendant les deux jours qui ont précédé l’ouverture de la COP21, la lutte contre le terrorisme marquait d’étranges points avec des lettres de cachets assignant à résidence toutes sortes de militants écologistes. Pourtant une chaine humaine très réussie a permis dimanche que l’honneur de Paris dans la prise de conscience universelle soit sauf. Un petit secteur de la capitale a pu montrer qu’il s’unissait au souffle de l’humanité consciente de son intérêt général climatique. Pendant ce temps dans toutes les capitales régionales on défilait plus ou moins librement.
L’obsession du PS de s’approprier les symboles de l’ordre contre « la chienlit » est d’autant plus clairement signée que les motifs invoqués paraissent n’avoir aucun rapport avec le sujet. Le gouvernement n’a plus de bride. Le prolongement par le vote de l’Assemblée nationale et du Sénat de l’état d’urgence aggravé montre que, lorsqu’il y a un risque d’abus de pouvoir, il finit toujours par se commettre. A la décharge des nouveaux convertis de « l’ordre pour l’ordre », il est vrai qu’aucun député n’a pensé à inclure les syndicats et les associations écolos dans la liste des exclusions de perquisition qui mettent pourtant le bureau d’un parlementaire, même Balkany et les journaux, même Minute.
Du haut en bas de la chaîne des responsabilités, donc, la gesticulation ostentatoire est de mise. Au risque de débordements absurdes comme ces portes ouvertes pourtant enfoncées au bélier dans un restaurant parisien. Si bien que le ministre de l’Intérieur s’est senti obligé d’envoyer une circulaire de rappel à l’ordre. Je note que dans n’importe quelle autre circonstance cette lettre aurait paru insultante pour les fonctionnaires concernés ! En tous cas l’intention est claire quand on lit le sobre propos du préfet du Rhône. Il n’écrit surement pas sans consigne venue de haut: « Toutes les manifestations sur la voie publique à caractère revendicatif ou protestataire sont interdites. Les manifestations sportives, récréatives ou culturelles ne sont pas visées par l’interdiction … ».
Si l’on veut bien y réfléchir un instant c’est stupéfiant. Car les attentats n’ont pas eu lieu dans un rassemblement protestataire mais dans une « manifestation sportive » au stade de France, « récréative », les bistrots du canal Saint-Martin et « culturelle », le bataclan. Quelle logique conduit à en déduire l’urgence d’une perquisition chez des agriculteurs bio ? Et la mise en résidence surveillée de l’avocat de la marche climat ?
L’ardoise est sévère. Le jour de la marche mondiale pour le climat les terroristes ont vu leur victoire politique à Paris. Seule capitale du monde ou tout rassemblement était interdit « pour-ne-pas-disperser-les-forces-qui-doivent-se-consacrer-a-la-lutte-contre-le-terrorisme ». Pourtant on a vite vu que rien n’est jamais si bon qu’une jolie baston entre « casseurs » et « forces de l’ordre » pour donner au journal de 20 heures les images dont il peut se régaler. En toute objectivité cela va de soi : cinq secondes pour montrer des personnes qui jettent des projectiles, cinq secondes pour montrer des CRS qui tirent de lacrymos ! Tout pouvoir raffole de ces images pour montrer au peuple comme sa poigne est ferme.
Comme tout cela était plus que prévisible, je n’étais pas du tout favorable à ce rassemblement dont je pressentais qu’il serait mis à contribution pour produire de telles images. J’estimais que la chaine humaine était une action convaincante et digne, suffisante dans l’état du rapport de force et des mentalités actuels. Mais telle est notre gauche, chacun fait ce qui lui semble bon sans tenir aucun compte de rien ni de personne, ni de l’expérience ni de la capacité à convaincre le grand nombre. Puis tout le monde paye ensuite le prix des images pourries et des interpellations de militants. Après quoi des personnes de bonne foi, simples partisans écologistes, n’ayant rien fait d’autres que de se trouver pris dans la souricière de la place de la République se sont retrouvés pris dans un record de garde à vue en temps de paix : 317 personnes. Elles ont donc dorénavant un signalement à l’anti terrorisme. Merci qui ?
Ce 2 décembre j’étais à Bobigny pour accompagner les camarades d’Air France. Procès reporté. L’ambiance est lourde. Les salariés sanctionnés sont atteints. On sait que le gouvernement et le patronat marchent main dans la main dans cette affaire pour essayer de terroriser les salariés de l’entreprise et d’ailleurs. Pour l’équipe Hollande dans la bataille pour confisquer les marqueurs de droite et d’extrême droite, le thème de la répression anti ouvrière est assez précieux. Dans ce contexte, décidément, Christiane Taubira a un étrange comportement.
Présentée comme une figure tutélaire de la gauche amie des libertés publiques, on la trouve sans voix devant d’innombrables abus contre ces dernières. Totalement absente dans le débat sur l’opportunité de l’état d’urgence, elle reste muette à propos des abus qui se commettent désormais contre les militants écologistes et syndicalistes. Quant aux syndicalistes, c’est même son subordonné, le procureur, qui tape souvent le plus fort. Or il ne saurait agir sans consigne.
En voici un nouvel exemple bien triste. Le procureur d’Amiens a demandé une peine de deux ans de prison contre huit anciens salariés de l’usine Goodyear d’Amiens Nord. Deux ans de prison ! Dont un an ferme ! Même le journal Le Monde dit que « la réquisition apparait sévère ». Pourquoi ? Parce qu’il n’y a aucun plaignant face aux salariés ! L’entreprise et les deux cadres concernés ont retiré leur plainte. Le procureur est le seul à poursuivre et à demander une condamnation ! Pourquoi le procureur est-il plus zélé que l’entreprise et les personnes retenues elles–mêmes ? Quelle instruction applique–t-il ? Pourquoi le garde des Sceaux les lui a-t-il données ?
Que leur est-il reproché ? D’avoir participé à la retenue pendant 30 heures de deux cadres de leur entreprise dans un mouvement de grève contre la fermeture de l’usine en 2014. On leur reproche d’avoir défendu leur dignité et leur emploi, ainsi que ceux des 1 134 autres salariés de l’usine. Aucune violence n’a été portée contre les cadres en question. En revanche, l’avocat des salariés a souligné que le Comité hygiène de l’entreprise avait décompté 14 suicides en deux ans parmi les salariés. Qui jugera cette violence-là ?
La volonté de faire un exemple contre une lutte ouvrière saute aux yeux. Cette usine est depuis des années un symbole de résistance. Résistance contre le chantage patronal qui voulait augmenter le temps de travail et baisser les payes. Résistance face aux menaces de fermetures de l’usine. La retenue des cadres a eu lieu au cours d’un conflit de plusieurs années. Les salariés avaient gagné plusieurs procès et ainsi empêché la fermeture de l’usine. Mais malgré ses défaites, l’actionnaire a continué à vouloir fermer le site et il y est enfin parvenu l’an dernier. Parmi les salariés jugés, sept sont membres de la CGT et cinq sont des délégués ou élus syndicaux. Le principal responsable de la CGT de l’entreprise Michal Wamen en fait partie.
Mais qui a demandé au procureur de faire cette sale besogne ? N’est-il pas sensé agir « au nom du peuple français » comme tout fonctionnaire de justice ? Je note que les procureurs réclament des peines lourdes contre les militants impliqués dans des affaires concernant des luttes sociales ou écologiques. On l’a vu par exemple dans la même région à l’occasion du procès des militants de la Confédération paysanne en lutte contre la ferme-usine « des 1000 vaches ».
Or, les procureurs sont placés sous l’autorité directe de la ministre de la Justice. Mme Taubira a-t-elle donné des consignes de fermeté contre les salariés en lutte ? Sinon comment expliquer l’ardeur des procureurs à frapper si fort ? Le refus par le gouvernement et le PS de l’amnistie sociale pour les lutteurs condamnés sous Nicolas Sarkozy était un signal. Il a été entendu par les patrons mais aussi par les autorités judiciaires.
Je persiste : défendre son emploi n’est pas un crime ni un délit. Les actes des salariés d’Air France ou de Goodyear doivent être jugé pour ce qu’ils sont : de la légitime défense sociale face à l’agression dont ils sont victimes et dont se rendent coupable les actionnaires et la direction de l’entreprise. Le jugement de l’affaire Goodyear sera rendu le 12 janvier. Entre temps, le 2 décembre a eu lieu une première audience dans le procès des salariés d’Air France. Les syndicats appelaient à un rassemblement devant le tribunal de Bobigny à 12h. J’y étais.
C’était aussi l’occasion de poser une question sans réponse jusqu’ici. Pourquoi la police et la justice françaises sont-elles plus dures avec les salariés en lutte qu’avec Mme Le Pen ? On l’a déjà vu dans l’affaire Air France. Les salariés soupçonnés ont été arrêté chez eux à 6h du matin sans ménagement. Mme Le Pen, elle, a déjà refusé deux fois de répondre à la convocation du juge dans l’affaire de financement illégal de son parti. Mais personne n’est allé la chercher au petit matin dans son château de Montretout ! On a vu aussi la Cour d’Appel de Douai relaxer Mme Le Pen dans l’affaire du faux tract contre moi alors qu’elle avait été condamnée en première instance et qu’elle avait avoué sa responsabilité. On a aussi vu le procureur de Lyon demander la relaxe de Mme Le Pen pour ses propos comparant des musulmans à l’occupation nazie. Tout cela fait beaucoup. Pourquoi la justice est-elle complaisante avec Mme Le Pen et si dure avec les salariés en lutte ?
Comme il semble loin le moment où l’on envisageait la stratégie à mettre en œuvre pour les élections régionales ! La vérité c’est que depuis lors, et surtout depuis les massacres du 13 novembre, nous sommes entrés dans un autre monde. À cette heure, l’ethnicisme, l’idéologie sécuritaire, et toute la panoplie des fondamentaux de la droite et de l’extrême droite tiennent le haut du pavé dans les esprits. Et les sondages amplifient cette perception de la réalité. La nouveauté qui aggrave la débandade de nos idées c’est que l’idéologie sécuritaire a pris pied dans nos rangs.
En empruntant une partie des propositions de l’extrême droite et en s’alignant sur les mots de la droite, le PS et son gouvernement ont brisé une digue décisive. Le nombre de ceux qui peuvent préférer l’original à la copie a été gratuitement augmenté dans une perspective étroitement électoraliste d’ailleurs parfaitement illusoire. En effet, c’est ce qui se produit quand, dans l’angoisse d’une situation comme celle que nous vivons, ceux dont c’est le devoir et l’honneur de proposer un cap s’abaissent à valider des trouvailles aussi nauséabondes par exemple que la déchéance de la nationalité pour les binationaux. Car dans l’instant, et avant toute mesure effective, ils transforment en suspects des millions de gens du fait de leurs origines plus ou moins lointaines et pas toujours voulues.
Mais cela ne nous émancipe pas de nos propres responsabilités. L’autre gauche est une nouvelle fois en ordre dispersé dans ses réactions aux évènements. Le message de résistance à l’air du temps est dilué jusqu’au point d’être quasi inaudible. De mon côté, je m’efforce, autant que je peux, d’exprimer ce que nous savons et ressentons en marchant au pas de ce qui peut être entendu par un pays traumatisé et anxieux. Mais comment échapper à la question que m’a posé, sur « France 3 », madame Françoise Fressoz du journal Le Monde : « comment comptez-vous peser si vous êtes déjà si divisés entre vous comme sur le vote à propos de l’état d’urgence ».
Sur le sujet, pourtant, mon opinion est faite depuis toujours. Je ne crois, ni n’ai jamais cru que ce type de dispositif favorise la sécurité collective. Dans un pays qui a déjà adopté dix lois antiterroristes en dix ans, dont trois du fait de l’actuel président, il y avait mieux à faire que de légiférer dans l’urgence sur l’urgence. Mais j’ai cru de mon devoir de ne pas déclencher sur le sujet une polémique qui aurait aggravé les divisions et méconnu le vrai trouble qu’ont ressenti ceux qui ont voté l’état d’urgence.
En toute hypothèse, il y a avait trois positions dans les rangs de l’opposition de gauche. Le vote « contre » porté par trois socialistes et trois Verts, le vote « pour » et même… l’abstention ! Comme si un sujet où se débat l’équilibre toujours difficile entre liberté et sécurité on pouvait s’en remettre aux autres du soin de décider. Pour ce qui concerne les parlementaires « Front de Gauche », c’est-à-dire communistes pour la quasi-totalité, il n’y aura pas eu ni un amendement ni un vote « contre » à l’Assemblée et au total les votes « pour » auront été majoritaires face aux vote abstention. Sur la poursuite des bombardements en Syrie, tous se sont abstenus sans une seconde de discussion avec la coordination du Front de Gauche.
Quoiqu’il en soit, j’ai dit depuis longtemps combien je déplore que les groupes prennent leurs décisions sans concertation avec la coordination politique du Front de Gauche. Une nouvelle fois, il m’aura fallu découvrir dans la presse ce qui se vote et qui le fait. Sans réclamer aucun privilège, un peu de contact avec moi serait fraternel et bienvenu car c’est à moi qu’on demande ensuite d’expliquer et de commenter dans des médias qui se régalent de mon embarras. L’imbroglio d’une séquence commencée dans l’approbation sans réserve de l’état d’urgence (le groupe étant absent de la réunion de la commission des lois où se discutaient les amendements) et s’achevant dans l’abstention majoritaire au Sénat dans le groupe sénatorial « communiste citoyen et républicain » est une nouvelle démonstration de l’incohérence et de la panne stratégique sur laquelle débouche cette incroyable « indépendance des groupes et des élus ». Cette indépendance n’a jamais existé dans le passé de toutes les familles politiques de la gauche depuis l’origine de nos organisations et n’existe nulle part au monde dans les partis de gauche. J’y suis fermement opposé. Et je compte bien qu’il en aille autrement pour la prochaine législature avec ceux qui porteront la même étiquette politique que moi.
L’imbroglio est partout. Et surtout au pire endroit, c’est-à-dire face au suffrage universel. Les élections régionales nous voient arriver dans une cohue illisible nationalement. Et cela au moment où il y a le plus besoin de clarté de détermination et d’unité de l’opposition de gauche si elle veut être entendue par les gens normaux qui veulent des responsables qui assument leurs positions et non de confus psalmodiateurs de messages partidaires.
J’ai participé à la réunion où le PG a fixé sa ligne d’action. Je peux témoigner que mes amis ont abordé les élections régionales avec l’idée de permettre l’émergence et la visibilité de « l’opposition de gauche ». Il s’agissait de ne pas laisser passer l’opportunité d’élargir ce que le Front de Gauche a voulu incarner depuis le début. C’est-à-dire l’existence d’une alternative à gauche à la politique du PS. Cette possibilité semblait bien ouverte avec la sortie du gouvernement d’EELV. De plus, notre principal allié dans le Front de gauche, le PCF, affirmait sans relâche la nécessité « d’élargir le rassemblement ». Le terrain semblait facile à bâtir ou à déminer. D’autant que dans le même temps, les uns et les autres déclaraient vouloir profiter de la circonstance pour se donner les moyens d’une « implication citoyenne » approfondie.
Mais entre les déclarations de chacun et la réalité, le même vieux gouffre s’est ouvert dans la meilleure tradition politicienne. Seuls mes amis, pleins d’une confondante naïveté, renoncèrent sans contrepartie à quelque tête de liste que ce soit pensant favoriser partout le rassemblement en montrant l’exemple. Leur insistance à faire adopter des chartes éthiques est remarquable dans un tel contexte. Le reste fut une foire d’empoigne locale, un chantage permanent à la division de la part de partenaires obnubilés par la tête de liste, sans la moindre coordination nationale pour essayer d’équilibrer la représentation de chacun. Pour affronter une élection forcément nationale, puisque les nouvelles régions n’ont aucune homogénéité locale, rien de plus ridicule que cette façon de laisser la ligne nationale résulter des arrangements, amitiés et détestations, locaux. Avec la poussée du Front national et la pression du « vote utile », rien de pire que cet éparpillement puéril sans vision d’ensemble. C’est dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie que l’irresponsabilité a atteint son pic. La chance se présentait d’une liste commune de toute l’opposition de gauche puisque EELV avait accepté la fusion avec le FDG. Elle aurait pu se présenter comme une alternative au PS et donc comme un rude challenger face au FN. Mais l’ordre du monde est bien gardé. La liste d’union rassemblée autour d’EELV et du PG avec Sandrine Rousseau s’est vu opposer une liste identitaire du PCF déclenchant une polémique gratuite dans nos rangs en raison de son appropriation du sigle « Front de Gauche ».
Au final, le tableau est affligeant. Impossible d’aller dans une émission de télé ou de radio en étant capable de dire comment s’appellent nos listes puisqu’autant de « territoires », autant de noms plus poétiques les uns que les autres, choisis sans concertation entre régions. Localement, l’annexion des listes par la couleur de la tête de liste est faite sans vergogne par la presse locale qui de toute façon n’entend déjà rien aux subtilités au-delà du tripartisme bovin que le PS lui a vendu comme la nouvelle grille de lecture du monde politique en France. Et comment lui en vouloir quand nous sommes réduits à l’état de confettis. Le paradoxe est donc à son comble. Car des listes d’opposition de gauche, autonomes du PS, seront présentées devant les électeurs dans l’ensemble des régions. Le PS se retrouve, lui, isolé dans toutes les régions. C’est la première fois. Mais en face il n’y a pas d’alternative cohérente sauf dans quelques régions où l’on a su se regrouper pour agir ensemble mais où on souffre durement de l’absence de référence nationale.
Je fais un rapide tableau d’ensemble. Je sais combien il restera assez largement incompréhensible et assommant à lire pour mes lecteurs. Mais il faut bien le faire. Finissons-en. L’unité de l’opposition de gauche n’est complète que dans deux régions: en Midi-Pyrénées/Languedoc Roussillon et PACA. Cette construction, unissant notamment le FDG et EELV, a pour objectif de nous permettre d’être en tête de la gauche au soir du 1er tour. Cela constituerait un événement politique. Mais comment y parvenir sans visibilité nationale au moment où toute la campagne est devenue totalement nationale ? Deux autres régions voient également un rassemblement entre le PG, EELV, la Nouvelle Gauche Socialiste et Nouvelle Donne. Mais là, le PCF a décidé de présenter sa propre liste. C’est le cas dans le Nord Pas de Calais Picardie et en Auvergne Rhône-Alpes. Dans six autres, le Front de Gauche uni incarnera seul ce rassemblement puisque EELV y a choisi de faire cavalier seul : Île-de-France, Bretagne, Normandie, Aquitaine Poitou-Charentes Limousin, Alsace Champagne-Ardenne Lorraine, Bourgogne Franche-Comté.
Pour terminer ce puzzle, le PG sera absent dans deux régions (Centre et Pays-de-Loire) et plusieurs départements faute de n’avoir trouvé d’accord ni avec le PCF ni avec EELV, qui partent seuls, chacun de leur côté.
Bilan de ce galimatias : l’opposition de gauche existe en fait. Mais pas en liste. Le soir de l’annonce des résultats nous allons être humiliés. Notre score sera éclaté entre trois ou quatre type de listes. Le score du Front de Gauche devra porter la croix des listes du seul PCF captant cette appellation. Et il sera diminué du nombre des voix des listes ou nous partons avec EELV tout le Front de gauche ou seulement le PG. Un sac de nœuds illisible nationalement et parfois même localement. Un gâchis total ! Un boulet au pied pour des mois et des mois en pleine crise politique ! Pour moi, c’est un crève-cœur. Je peux le dire tranquillement : c’est la dernière fois. On ne m’y recollera plus. J’en ai assez de devoir rendre des comptes pour des situations qui m’ont été imposées de force et que je désapprouve totalement. Les déclarations unitaires suivies de noirs sectarismes, les « constructions originales » qui sont des feuilles de vignes sur les vieilles pratiques bureaucratiques, rien de tout cela ne correspondait déjà à la période précédente. Dans le contexte, c’est tout simplement le néant groupusculaire assuré.
118 commentaires
Siamy
Le Front de gauche a perdu sa crédibilité à mes yeux au spectacle de ses alliances avec le PS. Je ne vote plus PS et ne voterai plus jamais PS, raison de plus pour ne pas voter PS au travers du Front de gauche. Et d’ailleurs votre proximité affichée avec Pierre Laurent fais aussi partie du problème.
semons la concorde
Le vrai problème c’est la proximité de Pierre Laurent avec le PS, rien d’autre.
Nils
Votant à Paris, hier mon vote fut nul, comme beaucoup de ceux de mon entourage. Hors de question de voter Pierre Laurent qui saborde le Front de gauche élections après élections. Et dimanche prochain, Basta de leur vote utile !
Jérémie
M. Mélenchon ne pensez vous pas que le problème n’est pas tant les divisions mais plutôt les alliances systématiques aux 2ème tour avec le PS ? Personnellement je vois pas l’intérêt de voter FdG si ça devient un vote différé pour le PS.