Cet article a été publié par Frédéric MB sur le site du Parti de Gauche.
Avec un revenu généré estimé à 2 milliards de dollars annuels, la vente de pétrole est sans aucun doute la ressource financière qui permet à Daesh de perdurer et de se renforcer. Il est désormais établi que la Turquie ferme les yeux sur un trafic pétrolier transitant par la frontière syro-turque. Le pétrole est ensuite acheminé vers Iskenderun (port d’où il peut être exporte), mais également dans les villes de Cizre ou Batman. La nature de la marchandise (liquide) le rend intraçable et par conséquent sujet à la revente à n’importe quel acheteur. Le principe est simple : le pétrole ainsi acheminé est vendu autour de 30 $ le baril, bien en dessous des prix du marché, de quoi assurer un écoulement total et continu nécessaire au financement de Daesh, puis revendu par les intermédiaires situés sur le territoire turc aux prix du marché, assurant ainsi une marge confortable à ceux prenant le risque de se compromettre avec l’organisation terroriste. A l’heure actuelle, au moins 8 500 camions-citerne sont engagés dans le trafic criminel de produits pétroliers. Ils transportent quotidiennement jusqu’à 200.000 barils de pétrole.
Les négociations du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE reprennent alors que celle-ci joue clairement dans le camp de Daesh.
A l’heure ou l’Union Européenne relance la négociation du processus d’adhésion de la Turquie et lui apporte une aide de 3 milliards de dollars en compensation de sa gestion des réfugiés Syriens, de plus en plus d’éléments viennent attester la thèse russe (attestée par des images satellites) de l’aide du gouvernement Turc à Daesh :
En septembre 2014, le New York Times avait souligné la difficulté de l’administration Obama à « persuader la Turquie, où une grande partie du pétrole est coté au marché noir, de sévir contre le vaste réseau de vente. Les responsables du renseignement occidentaux assurent avoir tracé le trafic de pétrole de l’EI au travers de l’Irak mais aussi dans les régions frontalières au sud de la Turquie ».
Fin juillet 2015, The Guardian révélait la découverte, lors d’un raid américain en Syrie, de documents prouvant que l’un des principaux dirigeants de Daech, Abou Sayyaf, chargé de la vente du gaz et du pétrole pour l’organisation, était en lien direct avec Ankara.
L’implication Turque dans la « coalition » contre Daesh reste une action de façade.
En effet, selon Arte : « Pour l’Opposition, le revirement d’Erdogan n’est qu’une manœuvre électorale. Elle reproche au président turc d’avoir soutenu les groupes djihadistes et de leur avoir livré secrètement des armes. Quelques mois avant l’attentat de Suruc, on pouvait voir sur les réseaux sociaux une vidéo qui a suscité l’émoi. Les images montraient un convoi de camions turcs immobilisés à la frontière avec la Syrie, apparemment pour apporter de l’aide humanitaire aux populations victimes de la guerre civile. Ce sont pourtant des armes qui ont été découvertes à la douane. Parmi les personnes qui ont été arrêtées, se trouvaient des membres des services secrets turcs. Les véhicules avaient terminé leur périple sur une route contrôlée par Al-Nusra, la branche syrienne d’Al-Qaïda ».
Plus grave, des pays de L’UE sont impliqués dans le trafic de pétrole : Mme Jana Hybaskova, ambassadrice de l’Union Européenne en Irak, a récemment déclaré devant les députés de la commission des affaires étrangères du Parlement européen : « Malheureusement, des États membres de l’Union européenne achètent ce pétrole. Je ne peux pas partager avec vous cette information. Ce n’est pas une information publique », refusant de donner plus de détails.
Cette situation est véritablement scandaleuse. Comment l’Union Européenne peut-elle aider et envisager à nouveau l’adhésion d’un pays qui :
- finance le terrorisme via un trafic remontant aux plus hautes instances de l’État, effectue des bombardements sur les positions kurdes, seule armée de terrain capable de tenir tête à Daesh.
- pénètre sur le sol irakien avec environ 130 soldats, des chars et de l’artillerie sans avoir consulté Bagdad, qui a ordonné dimanche à Ankara de retirer son contingent de la province irakienne de Ninive sous 48 heures. Cette situation a été soumise au conseil de sécurité des Nations Unies, et a provoqué la livraison d’armes russes aux Kurdes irakiens pour la première fois depuis le début du conflit.
- abat un chasseur russe en territoire Syrien, luttant également contre Daesh, invoquant le prétexte ahurissant d’avoir survolé 17 secondes son espace aérien ?
Un renforcement de l’autoritarisme turc contraires aux valeurs de l’UE
De plus, cette réouverture des négociations a lieu alors même que le gouvernement Erdogan accentue son autoritarisme en emprisonnant les journalistes dénonçant les liens entre Daesh et la Turquie et en faisant pression sur la presse d’opposition, procédés bien évidemment contraires aux valeurs affichées par l’Union Européenne dans l’article 3 du Traité sur l’Union Européenne (TUE).
Des manœuvres diplomatiques françaises ambigües et dangereuses.
C‘est pourtant par ce même traité que la France a appelé récemment les Etats-membres de l’UE à la solidarité face à l’attaque du 13 Novembre 2015 (article 42.7), prenant ainsi soin de ne pas invoquer l’article 5 du Traité Atlantique Nord (OTAN) dont la Turquie est un État-partie. Manuel Valls et François Hollande choisissent ainsi sciemment de ne pas impliquer la Turquie dans la lutte contre Daesh et, pire, tendent la main à un pays en alliance étroite avec les États sunnites de la région, dont le Qatar et l’Arabie Saoudite, également alliés des États-Unis et soutiens puissants des islamistes de Daesh.
Comment la Russie interprétera-t-elle le rapprochement de l’UE avec le pays ayant abattu son chasseur et devenu son adversaire ? Les déclarations récentes de John Kerry, insistant sur l’extension des sanctions économiques envers la Russie dans le contexte ukrainien, sont une preuve supplémentaire de la fragilité d’une potentielle coalition et de la ligne de fracture stratégique fondamentale qui sépare la Russie et ses alliés des États-parties à l’OTAN.
Le revirement français en faveur de l’action russe, qui bombarde spécifiquement les installations pétrolières de Daesh ne semble donc qu’être une façade exigée par les circonstances, voire la politique intérieure française, et non un changement de stratégie de notre diplomatie.
Cette mascarade diplomatique est extrêmement dangereuse sur deux plans. Tout d’abord, en fermant les yeux sur le soutien de la Turquie à Daesh, l’UE renforce son « ennemi déclaré » et prolonge une situation d’horreur insupportable pour les pays sous le joug de ces meurtriers. Mais en jouant la carte Turque, l’UE s’éloigne clairement de toute discussion possible avec la Russie venant de perdre deux pilotes et identifiant clairement la Turquie comme son ennemie et qui considérera de plus en plus l’Union Européenne comme un ennemi potentiel. C’est l’objectif de Washington, dont l’administration a toujours prôné le fait d’éviter quel qu’en soit le coût un rapprochement russo-européen.
Le double-jeu du gouvernement français, qui affiche aujourd’hui des concessions majeures bienvenues à la Russie envers la question syrienne, doit cesser. Rien ne doit être cédé à la Turquie de M. Erdogan, qui joue aujourd’hui clairement dans le camp de Daesh et contre une coalition si difficile à mettre sur pied.
– Qui achète le pétrole de Daech ?
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