Interview publiée dans le JDD du 31 janvier 2016.
Dans quel état est la gauche aujourd’hui ?
Hollande aura réussi à disqualifier jusqu’au mot de « gauche » lui-même. Aujourd’hui, les gens n’ont plus de repères politiques : pour eux droite et gauche sont deux blocs faisant la même politique. Le clivage est davantage entre le peuple et la caste des puissants. En France, la misère est devenue muette et personne ne parle en son nom. Dans notre pays, toutes peurs se cumulent pour donner un état d’esprit résigné. Le paradoxe est terrible car les Français, d’après un sondage, sont le peuple le plus anti-capitaliste du monde, celui où seulement 15 % de la population pense que ce système marche bien.
Nicolas Sarkozy veut revenir sur les 35h, supprimer l’ISF… Continuez-vous à penser que François Hollande est « pire » que Sarkozy…
Nous avons élu François Hollande pour nous débarrasser de la politique de Sarkozy. Un an avant la fin du quinquennat, sur tous les marqueurs de l’époque – et au premier rang le chômage – la situation est pire que sous Sarkozy. Quant aux dommages moraux, ils sont vertigineux. François Hollande est le nom de toutes nos misères et de toutes nos désillusions.
Le départ de Christiane Taubira marque-t-il un tournant ?
Le départ de Christiane Taubira est une étape spectaculaire dans le processus d’isolement sectaire de François Hollande. Il divise tout et tout le monde : le mouvement social, la gauche, sa propre majorité, son gouvernement. Maintenant, il nomme comme nouveau Garde des Sceaux, quelqu’un qui a proposé de fusionner le ministère de la Justice et le ministère de l’Intérieur et qui traitait les frondeurs de « djihadiste ». Taubira est partie dégoûtée. Maintenant que tous les dégoûtés sont partis, ils ne restent que les dégoûtants.
Cette semaine Robert Badinter a présenté les grandes pistes d’une prochaine réforme du code travail. La CFDT n’y voit pas une remise en cause de ce code. Et vous ?
S’attaquer au code du travail parce que le chômage augmente est à peu près aussi stupide que de vouloir supprimer le code la route quand il y a des accidents. Le code du travail est volumineux ? Heureusement, cela veut dire qu’il est précis. Ceux qui prétendent le simplifier veulent juste s’attaquer aux acquis sociaux. Nous vivons une période d’obscurantisme social. Dans cette cour des miracles qu’est le gouvernement, M. Gattaz joue le chefs des capons, ces mendiants d’autrefois qui faisaient les poches dans les lieux publics. Il encaisse les milliards du gouvernement, sans que cela ne réduise en rien le nombre de chômeurs et dès que les coffres sont pleins, il retend sa sébile. En France, le grand patronat français est une classe d’assistés très parasitaire.
Le gouvernement a modifié son texte sur la déchéance de nationalité. Il n’y fait plus référence aux binationaux. Etes-vous satisfait ?
La formulation actuelle réalise le pire de ce que l’on craignait. C’est une honte. Car dans les faits, seuls les binationaux pourront être déchus. En revanche, ce qui est plus grave qu’avant c’est que cette déchéance peut s’étendre à tous les délits.
L’Etat d’urgence devrait être prolongé. Tant que la menace terroriste n’est pas écartée, n’est-ce pas légitime ?
Les terroristes font peser sur notre société une menace de mort mais aussi une menace politique. Ils ont un but : déstabiliser la démocratie et diviser le peuple français. Il ne faut donc l’aider ni à l’un ni à l’autre. L’Etat d’urgence était pleinement justifié dans les premières heures suivant le massacre de novembre car il permettait des interventions rapides. Mais dans la durée, cela fait reculer nos libertés collectives, sans aucun gain en termes de sécurité.
Aujourd’hui, Duflot, Montebourg, Hamon, Taubira sont sortis du gouvernement. Pouvez-vous travailler avec à une alternative à Hollande avec eux ?
Ceux qui veulent travailler à une alternative sont les bienvenus. Mais il ne faut pas confondre le collectif et l’entre soi. L’agora oui, le loft non ! Il n’y a pas entre nous de programme commun spontané. En 2017, il ne peut pas y avoir d’ambiguité : un nouveau traité européen sera présenté et il y aura une élection en France et en Allemagne. Ce doit être l’occasion d’un tournant total sur les politiques européennes d’où viennent nos malheurs. Toutes les personnes citées ont fait partie d’un gouvernement qui a fait adopter le traité budgétaire européen. Ils doivent dire qu’ils regrettent ! Mais les derniers arrivés ne peuvent pas dicter leurs conditions aux premiers combattants.
Hier les « frondeurs » ont appelé à une primaire. Y-a-t-il des conditions auxquelles vous pourriez participer à cette démarche ?
Participer à une primaire que François Hollande pourrait gagner ? Non. Pour une raison simple : je n’accepterai pas le résultat car je suis en désaccord total avec ce qu’il propose. De même une primaire de « toute la gauche » qui inclut des partisans des traités budgétaires européens ne peut pas me concerner. Par ailleurs, l’expérience montre que les exclus, les chômeurs, le peuple profond ne votent pas aux primaires. La primaire a de nombreux points communs avec le PMU : on vote pour le mieux placé, davantage sur des personnes que sur des idées. Hollande et Sarkozy comptent qu’il n’y ait pas de vrai deuxième tour grâce à la peur de Le Pen. Ils voudraient bien qu’il n’y ait pas de premier tour non plus grâce au « vote utile » dans les primaires….
Serez-vous candidat en 2017 ?
Je vois bien qu’il va falloir que je me décide, ne serait-ce que pour éviter d’avoir à répondre à cette question à chaque interview.