Le réacteur numéro 1 de la centrale de Fessenheim a-t-il été « momentanément hors de contrôle » en avril 2014 comme l’affirme un journal allemand ? L’autorité de sûreté nucléaire française (ASN) dit que non, mais reconnaît un incident. Un de plus. Un de trop ? Cette mise en danger permanente et cette opacité doivent cesser. Il faut fermer la centrale de Fessenheim au plus vite. Et faire enfin entrer le nucléaire dans l’ère de la démocratie.
Un réacteur nucléaire « momentanément plus contrôlable », voilà ce qui s’est produit dans la plus ancienne centrale nucléaire de France. Selon le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, « une suite de défaillances techniques et de chaos » aurait provoqué cet incident grave. Le journal écrit que le réacteur n’était « temporairement plus contrôlable ». Mais aussi que la « température du réacteur était hors de contrôle ». Le journal affirme que, pour arrêter le réacteur, les agents EDF ont dû injecter du « bore », une substance utilisée pour « forcer » l’arrêt. L’Autorité de sûreté nucléaire dit qu’il est « inexact » de dire que le réacteur était hors de contrôle. Le physicien Jean-Marie Brom, partisan de la fermeture de la centrale, dit aussi que la présentation allemande est « exagérée ».
Quoi qu’il en soit, l’incident était sérieux. L’Autorité de sûreté nucléaire française dit bien qu’il s’est produit à Fessenheim un incident nucléaire en avril 2014. La lecture de sa notification fait froid dans le dos. Elle nous apprend qu’« une inondation interne dans la partie non nucléaire de l’installation a endommagé des systèmes électriques de sauvegarde et conduit à la mise à l’arrêt du réacteur ». L’inondation s’est produite « lors d’une opération de remplissage d’un circuit de réfrigération » à cause d’une canalisation bouchée. Et l’inondation « a endommagé les armoires électriques commandant la voie A du système de protection du réacteur RPR ». Ce dispositif est alimenté par deux voies électriques indépendantes (A et B) et il a pour fonction d’assurer notamment l’arrêt automatique du réacteur en cas de problème. L’Autorité de sûreté nucléaire indique que « la fuite a été rapidement stoppée par le personnel EDF » et que « le réacteur 1 a été arrêté par l’exploitant, c’est-à-dire EDF. Elle affirme que « la voie B du système RPR n’a pas été touchée » et que « les fonctions du système RPR ont toujours été assurées ».
L’ASN explique que « à aucun moment le réacteur n’a été hors de contrôle ». Mais elle confirme que les agents EDF ont eu recours à une solution borée pour arrêter le réacteur car « les grappes de commande n’étant pas manœuvrables, seule la borication a été utilisée pour baisser la puissance primaire du réacteur ». Ce n’est pas tout, l’Autorité de sûreté nucléaire affirme aussi que la température du fluide de refroidissement est tombée « en deça de la limite prévue par les règles générales d’exploitation ». Quant au physicien Jean-Marie Brom, il affirme qu’« il n’est pas anormal en soi d’injecter du bore dans le réacteur, même si c’est effectivement rare de l’utiliser pour provoquer un arrêt d’urgence ». Selon lui, « il y avait une autre option, que les opérateurs n’ont pas utilisée, c’est de déclencher la chute brutale des barres de commande dans le réacteur. C’est un peu comme quand vous tirez le frein à main, parce que la pédale de frein ne marche plus. Mais ils ne l’ont pas fait, peut-être par crainte d’un choc thermique qui aurait pu endommager la cuve du réacteur ? Ou bien ils ont choisi le bore parce que ce dispositif de chute des barres de commande ne fonctionnait plus non plus. L’ASN a demandé à EDF pourquoi il avait choisi cette solution, mais je ne sais pas ce qu’EDF leur a répondu».
EDF et l’autorité de sûreté nucléaire ont-ils minimisé cet incident ? Selon l’ASN, il s’est agi d’un incident d’un niveau 1 sur une échelle de 0 à 7, loin de la gravité de ce qu’affirme le journal allemand. Qui a raison ? L’ASN explique ce classement car l’incident n’aurait « pas eu de conséquence sur le personnel ni sur l’environnement de l’installation », une simple « anomalie » à ses yeux pointant uniquement « la dégradation de matériels de protection qui a conduit à l’arrêt du réacteur ». Surtout, elle estime que l’incident n’est pas plus grave car il restait possible d’enclencher la procédure d’arrêt automatique du réacteur. Mais si le système de protection n’avait pas été endommagé gravement, pourquoi les agents EDF ont-ils stoppé le réacteur ? Et que ce serait-il passé s’ils ne l’avaient pas fait ? L’ASN juge-t-elle l’indice de gravité d’un incident aux dégâts qu’il cause ou aux risques qu’il engendre et aux dégâts qu’il pourrait causer ? L’Autorité de sûreté nucléaire explique qu’un centaine d’incidents nucléaires de ce niveau se produisent en France chaque année. Est-ce fait pour nous rassurer ?
Il faut fermer la centrale de Fessenheim. Pas parce que le gouvernement allemand l’a demandé une nouvelle fois suite à l’article du Süddeutsche Zeitung. Le gouvernement allemand n’a pas de leçon à donner en matière de politique énergétique. Nous ne voulons pas remplacer le nucléaire par les mines de lignite, ce charbon ultra-polluant qui fournit l’essentiel de l’électricité allemande depuis ces dernières années comme je l’ai pointé dans mon livre Le Hareng de Bismarck. Il faut fermer Fessenheim car c’est la centrale la plus vieille de France et sans doute la plus dangereuse. Cette centrale a été mise en service en 1977, il y a donc 39 ans. Les centrales franaises ont été conçues pour un service de 40 ans. Fessenheim doit donc fermer maintenant. Les incidents y sont très fréquents. Même l’Autorité de Sûreté Nucléaire avait dénoncé en 2015 l’« empressement [de la direction d’EDF] à vouloir redémarrer sans tout vérifier » après un précédent incident déjà « minimisé » par EDF. Assez joué avec le feu. La fermeture doit s’engager dès à présent. Avant un drame. Et pour assurer aux salariés de la centrale les conditions de formation nécessaires à un démantèlement de très haute sécurité sanitaire et environnementale. Il n’y a plus une minute à perdre.
Emmanuelle Cosse a affirmé que François Hollande lui a promis la fermeture de Fessenheim « fin 2016 ». Elle doit être la seule à croire encore François Hollande. En tout cas, elle n’a pas l’air au courant que en septembre dernier, la ministre de l’Énergie Ségolène Royal a annoncé la fermeture pour « 2018 » suite au nouveau retard sur le chantier de EPR de Flamanville. De toute façon, la loi de transition énergétique votée par le PS et EELV n’oblige pas à la fermeture de Fessenheim. Elle n’impose aucune fermeture de réacteurs tant que l’EPR de Flamanville n’est pas en service. En effet, la loi plafonne la capacité de production d’électricité nucléaire à sa puissance actuelle. Elle n’oblige absolument pas à la réduire. Or l’entrée en service de l’EPR est sans cesse repoussée, donc EDF n’a pas d’obligation de fermeture d’autres réacteurs dans l’immédiat. Sans compter que la loi laisse à EDF le choix de ces deux réacteurs à fermer. De même qu’elle n’interdit aucunement à Ségolène Royal de se prononcer pour le prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires à 50 ans comme le veut EDF. Bien sûr, il y a une grande part d’hypocrisie dans tout cas puisque EDF est une entreprise détenue à 85% par l’État. C’est-à-dire que l’essentiel de son conseil d’administration est sous l’autorité du gouvernement !
Mais le mal est plus profond. Le système nucléaire français est aujourd’hui hors du fonctionnement normal de la démocratie. L’opacité y est très grande. Les choix n’ont jamais été débattus devant le peuple français. La loi de transition énergétique de François Hollande est le fruit d’un marchandage politicien entre PS et EELV dans lequel la répartition des circonscriptions législatives et des postes de députés comptait davantage que la cohérence du texte. Elle affirme ainsi un objectif de baisse de la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici 2025 sans se donner les moyens d’y parvenir et en actant au passage la poursuite du nucléaire au-delà. Il faut aussi ajouter au tableau que la direction d’EDF et le lobby du nucléaire font tout ce qui est en leur pouvoir pour résister au moindre au changement.
L’heure est donc venue de proposer une autre méthode pour faire débattre et trancher démocratiquement la question du nucléaire. Il y a urgence à rendre enfin le peuple souverain sur la politique énergétique du pays et à donner toute la force du vote populaire à la sortie du nucléaire. C’est indispensable pour l’imposer à ceux qui la combattent.