D’aucuns, plus spécialement vigilants, ont noté ma remarque à propos des protéines animales et de la nécessité d’y recourir beaucoup moins pour l’alimentation humaine. Comme la réponse venait après une question sur ce que « pouvait faire la gauche radicale dans l’agriculture » et que cela parut étrange en tout et pour tout, je reviens sur le sujet car il est de ceux qui m’importent davantage qu’il y paraît. Je n’aime pas être étiqueté « gauche radicale », qui ne correspond pas à ce que je suis, ni le très grand nombre de ceux qui se reconnaissent dans mon porte parolat. Mais puisque je comprenais la question au-delà de l’étiquette dont je me trouvais affublé, j’ai décidé de répondre au fond.
Ce que nous voulons implique une remise de fond en comble du système agricole. Il ne s’agit donc pas seulement de la façon de produire et d’échanger mais aussi de consommer ! J’ajoute de plus en plus en plus souvent « et de consommer ». Cela ne fait pas de moi un de ces censeurs tatillons et acerbes des comportements quotidiens de chacun. Mon registre se situe plutôt dans le contenu de ce que j’appelle « la révolution citoyenne ». Celle-ci se déclenche et se mène au nom de l’intérêt général humain. Ce dernier se décline invariant d’échelle en touchant à tous les compartiments de notre mode de vie actuel. C’est très délicat à mettre en mouvement. Car nos modes de vie actuels, ceux que recommandent la publicité et qu’évalue le « qu’en dira-t-on » sont dans nos modes de consommation. Je ne fais pas la redite de la démonstration sur ce point. Le désir mimétique et le regard des autres sont les facteurs de prescription les plus actifs et contraignant pour exercer la dictature sur l’intimité qui est le cœur du consentement à l’ordre établi de notre temps, ce fameux « ordre globalitaire ».
Ici, il s’agit de la consommation de protéines animales massive, une pratique venue des temps profonds et qui s’est prolongée avec délice dans notre temps. Mais ce qui vaut pour des petites hordes pratiquant chasse et cueillette et s’empiffrant de temps à autres après une belle capture, ou bien par des communautés rurales éparses consommant la viande des bêtes en fin de cycle reproductif, tourne à l’aberration pure et simple si elle est étendue à l’échelle d’une humanité comptant 7 milliards d’êtres humains. Si l’on dit que pour vivre comme on vit en France, alors que nous ne sommes que 65 millions, il faudrait à l’humanité 1,6 planète c’est notamment à cause de notre niveau de consommation de protéines carnées. Celle-ci ne cesse de croître. Nous mangeons deux fois plus de viande aujourd’hui que dans les années 50.
Cette consommation, hier signal de bien-être et d’ostentation sociale, s’avère très destructrice à cette échelle. Non seulement sur le plan sanitaire humain, compte tenu des matières grasses ingérées du même coup par les consommateurs, mais surtout compte tenu du cycle productif que cela implique. Plus de monde, plus de viande, plus d’animaux. Le bilan pèse lourd sur l’écosystème planétaire. 40 % de la production agricole mondiale est destinée à nourrir des bêtes. Le bilan est très mauvais dans tous les domaines. Un exemple particulièrement dramatique dans le contexte actuel de montée des pénuries d’eau : à quantité égale produite, les protéines animales coutent entre cinq à dix fois plus d’eau que celles tirées des végétaux.
L’autre dommage que je veux mentionner est le traitement réservé aux animaux dans ces conditions où la production de masse est un objectif comptable et un impératif de gestion pour rentabiliser les équipements. Nul besoin de s’étendre : les fermes des mille vaches (encore n’est-ce pas beaucoup), des 30 000 cochons, des 100 000 volailles ou lapins sont là pour nous montrer quelles formes peut prendre la course au gigantisme. Le prix environnemental à payer est dorénavant connu à défaut d’être reconnu. Mais le mode de traitement des animaux considérés comme une matière première renouvelable sans fin est l’antichambre du mépris pour le vivant qui accompagne les visions technocratiques et productivistes. Et celui-ci à son tour affecte tout le reste du rapport des humains à leur écosystème. Notamment leur indifférence pour la biodiversité dont « l’utilité » ne s’impose pas au regard immédiat où au rendement instantané. Je ne cite que cela pour ne pas alourdir mon commentaire à propos d’une petite déclaration.
La révolution citoyenne, changement de paradigme au profit de l’intérêt général humain, implique le changement culturel, notamment celui des pratiques consuméristes irréfléchies. La question du passage à un régime alimentaire davantage tourné vers les protéines végétales joue ici le rôle de détonateur de la prise de conscience de masse. Interroger le contenu de son assiette et les traditions que nos consommations contiennent c’est concourir à cette « conscience » universaliste en vue de l’intérêt général humain. Il faudra réduire les protéines animales dans les assiettes parce qu’elles coûtent trop cher en intrants nocifs, en graisses ingérées, en eau utilisée, en habitudes de cruauté, en souffrances animales. J’attends les protestations des producteurs de viande pour expliquer pourquoi ma proposition est une chance pour eux s’ils proposent de la viande de qualité c’est-à-dire respectueuse de l’environnement et des bêtes ainsi que des exigences sanitaires humaines.