La bataille contre la Loi El Khomri entre dans une nouvelle dimension. Après les escarmouches exploratoires, voici le plat de résistance. La journée de grève de jeudi prochain 31 mars doit être de très haute intensité. Dans l’émission C politique du 13 mars, j’ai dit que nous serions plus d’un million dans la rue si François Hollande ne retirait par le projet. C’était avant les premiers reculs de Manuel Valls. Depuis, on sait que ces reculs ne concernent pas l’os dur de la loi. Le gouvernement vient de valider le projet de loi en Conseil des ministres. Il est toujours inacceptable. C’est le retrait total et définitif du projet de loi que nous demandons. Rien n’est encore joué.
L’examen du texte à l’Assemblée nationale est prévu le 5 avril en Commission mais pas avant début mai en séance. Manuel Valls a tort de mépriser la colère des salariés et des jeunes. Pour qui se prend-il en allant dire devant des ouvriers inquiets pour leur emploi que son « mandat est précaire, je suis en CDD, et le marché, c’est vous » ? Quelle est cette conception de la politique qui voit les élections comme un « marché » ? Espère-t-il qu’on le plaigne pour sa sale besogne ? Dans son cas, la période d’essai est passée depuis longtemps ! Malheureusement pour nous, la 5e République et son Parlement godillot nous ont empêchés de le renvoyer à la maison au moment de la loi Macron. A l’époque, les beaux « frondeurs » du PS, les écologistes et quelques députés communistes n’ont pas voulu voter la motion censure comme l’ont fait 6 députés communistes et Isabelle Attard. S’ils l’avaient votée, nous serions débarrassés de Valls depuis plus d’un an maintenant ! Que chacun se souvienne de cet épisode au cas où le gouvernement Valls serait de nouveau tenté d’utiliser l’article 49-3 pour imposer la loi Khomri sans vote du Parlement. Pour ma part, j’ai déjà dit, comme Marie-Noëlle Lienemann, qu’en ce cas, il faudrait voter la censure pour faire tomber Valls.
La mobilisation des salariés et des jeunes fait peur au gouvernement. Manuel Valls a dû battre en retraite sur une partie de la loi. C’est la preuve que la lutte paie. La journée du 9 mars demandant le « retrait » du texte a ainsi permis d’obtenir le retrait de plusieurs mesures. Elle aura ainsi permis d’éviter certains reculs particulièrement cruels. Ainsi, le gouvernement a abandonné l’idée de revenir sur les deux jours de congés en cas de décès d’un proche. Valls a aussi renoncé à permettre la fin des 11 heures de repos consécutives entre deux journées de travail. Pour moi, c’étaient là deux mesures particulièrement dévastatrices de la vie de gens ! Il est même incroyable qu’on ait pu le proposer. De même, l’augmentation du temps de travail des apprentis au-delà de 8 heures par jour et 35 heures par semaine restera conditionnée à l’accord préalable de l’inspection du travail. Qui avait bien pu imaginer le contraire ? De même, les indemnités auxquelles a droit un salarié licencié illégalement ne seront pas plafonnées par la loi. Seul un barème « indicatif » sera proposé mais les conseils de prud’hommes pourront aller au-delà. Enfin, et c’est le plus faible, un employeur ne pourra pas imposer à un salarié le passage au forfait-jour sans qu’un accord d’entreprise n’encadre un minimum ce changement.
Ces reculs de François Hollande et Manuel Valls sont des victoires de la mobilisation. Bien sûr, il ne faut pas relâcher la pression. Ces mesures ont disparu du projet de loi mais le Medef réclame leur retour. Gattaz et ses amis grands patrons réclament le rétablissement des mesures enlevées « sous la pression de la rue ». Ça tient du jeu de rôle pour ne pas montrer l’étendue de la connivence quotidienne de cet organisme avec le gouvernement de « gôche ». De son côté, Emmanuel Macron ne désarme pas non plus ! Le ministre s’apprête à conspirer à l’Assemblée avec la droite et les députés PS les plus libéraux pour faire revenir par la fenêtre ce que la lutte a fait sortir par la grande porte ! Il a confié qu’il aimerait « aller plus loin ». Il aurait voulu garder l’extension du forfait-jour aux entreprises de moins de 50 salariés sur simple décision de l’employeur. Et aussi l’allongement du temps de travail des apprentis. Il ne désarme pas. Il « espère que le débat parlementaire permettra de réintroduire des dispositions de bon sens qui ont été retirées à la demande des syndicats réformistes et des organisations de jeunesse ». Même les « syndicats réformistes » sont des gauchistes pour Macron… Et il soutient encore la demande de Gattaz sur le plafonnement des indemnités des salariés licenciés illégalement. Et son espoir est que « le consensus se fera » sur ces positions extrémistes. Ce n’est donc pas le moment de baisser la garde !
Rien à faire : le gouvernement est pris en tenaille entre son envie de jouer sa nouvelle partition de monsieur plus du libéralisme et l’obligation de lâcher du lest face au mouvement social. Les communicants travaillent dur pour dire deux choses en même temps. Une partie de ce travail consiste à enfumer le paysage pour masquer les faits. Rendre médiatiquement invisible ce qui est le plus choquant. Rude exercice que celui qui vise à faire croire qu’une mesure est enterrée alors qu’elle reste cachée dans le projet. Ces lignes informées en montrent la limite. Rappelons donc, par exemple, ce qu’il en est de la tri-annualisation du temps de travail. C’est-à-dire de la possibilité de ne plus décompter le temps de travail des salariés seulement sur une année comme c’est possible depuis les lois Aubry mais sur trois ans ! Cela permet de réduire considérablement le nombre d’heures considérées comme « heures supplémentaires » et payées comme telles. Devant la mobilisation, le gouvernement est revenu sur son idée de rendre cette tri-annualisation possible par un simple accord d’entreprise. Mais l’idée n’a pas disparu pour autant ! Cette régression reste possible si un accord de branche l’autorise. Le pas de côté de Valls ne doit pas cacher ce vrai recul qui reste.
Surtout, ces reculs de Valls ne font pas des progrès ! Ce sont seulement des maintiens de la situation existante. Valls voulait nous couper les 2 mains. Il a finalement dû se résoudre à ne couper que 8 ou 9 doigts. Cela n’en fait pas une avancée ! L’idéologie du projet de loi reste la même : celle du dogmatisme libéral qui veut faire croire que le chômage est dû aux protections des salariés. Aucune étude ne démontre un tel lien. C’est uniquement de la propagande patronale. C’est totalement absurde. Dire « on va faciliter les licenciements pour encourager l’embauche » est aussi stupide que dire qu’on va faciliter le divorce pour encourager le mariage !
Le projet de loi, même partiellement nettoyé, reste inacceptable. De très nombreuses mesures d’une incroyable violence demeurent dans le texte. Ainsi, le gouvernement veut toujours faciliter les licenciements économiques dès la moindre difficulté. Son but est de protéger les multinationales. Même si l’entreprise ruisselle de profits au niveau international et quand bien même aurait-elle elle-même ruiné sa filiale française, c’est d’après la seule situation de celle-ci que serait évaluée « la difficulté » justifiant les licenciements. Emmanuel Macron s’en est bruyamment et très crument réjoui : « sur le licenciement économique, il n’y a aujourd’hui absolument aucun recul » du gouvernement. Certes, Manuel Valls a promis un contrôle du juge contre les difficultés d’une filiale « artificiellement créées » par un groupe pour pouvoir licencier mais c’est très hypothétique. Le conseil d’État a déjà réduit la promesse de Valls à peau de chagrin.
Bien d’autres mesures cruelles sont toujours dans le texte. Ce projet de loi va ainsi généraliser le chantage à l’emploi et au dumping entre entreprises. Comment ? En permettant au patronat d’obtenir sous la contrainte une hausse de la durée du travail ou une baisse de salaire. C’est le principe des accords de compétitivité, imaginés par Sarkozy. Une première mise en œuvre a été faite par la loi dite « de sécurisation de l’emploi » de 2013, sous François Hollande. La loi Khomri va considérablement élargir le champ d’application de cette méthode de chantage à l’emploi. D’abord de tels accords seront désormais possibles dans toutes les entreprises et pas seulement les entreprises en difficulté. Le texte prévoit en effet que de tels accords peuvent ne pas prétendre seulement à sauver des emplois mais aussi en créer, ce qui ouvre la porte à tous les chantages au prétexte du moindre marché à gagner. Ensuite, ils pourront être conclus pour cinq ans et non plus seulement deux ans comme aujourd’hui. Au bout de cinq ans on pourra continuer à voir le négrier plier armes et bagages et fermer l’entreprise comme chez Conti. Enfin, ces accords s’imposeront avec encore plus de facilité à tous les salariés. En effet, un salarié qui refuse la modification de son contrat de travail suite à un tel accord sera licencié pour « cause réelle et sérieuse » sans la protection déjà insuffisante des licenciements pour motif économique applicable aujourd’hui.
Le projet de loi prévoit aussi une baisse à venir des salaires. Ainsi, il ouvre la possibilité de moins payer les heures supplémentaires qu’aujourd’hui. Demain, il sera possible de payer les heures supplémentaires seulement 10% de plus que les heures normales, même si la loi et un accord de branche prévoient une majoration de 25% en principe ! Enfin le temps de travail quotidien est abandonné au bon vouloir patronal. Un accord d’entreprise pourra prévoir une durée quotidienne de travail de douze heures, « en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise ». Dans ces deux cas on retrouve le combat archaïque de certains exploiteurs pour ne compter comme temps de travail que le strict minimum, dévaloriser ce qui est produit pour ne pas le payer au coût de sa reconstitution. Le « travailleur à la tâche » c’est le rêve de certains et la hantise des autres.