De Paris à Montréal, le vol est long, bien sûr. J’écris ces lignes à plus de 2870 kilomètres du but. Reykjavik à ma droite. « Chaque minute de vol, c’est un jour de moins à la nage » m’avait dit une fois un commandant de bord. Cela m’aide à patienter. Mais il y a un autre bienfait : six heures de vol sans possibilité de s’adonner à l’addiction du smartphone. Car je pense le plus grand mal de l’impact de cet outil pourtant vital. Je ne parle pas seulement des ondes qu’il fait rayonner si près de mon corps. Je ne sais rien à ce sujet sinon que j’ai bel et bien une petite angoisse et un gros doute. Ça m’étonnerait que ça me fasse du bien. Et la grosse grappe d’antennes pile poil en face de chez moi ne me dit rien qui vaille non plus.
Mais ici, je parle d’autre chose. Certes, je ne veux pas être ingrat avec l’objet central de mon époque. Le smartphone m’a fait déserter avec délice la sphère de l’info émergée, celle des journaux télévisés et de la plupart de mes journaux papier. Je n’ai pas été moins informé pour autant. Et j’ai découvert des dizaines de sources d’infos précises, sérieuses et sans les injonctions du prêt à penser de la sphère émergée. De plus, le smartphone me permet l’équivalent d’un porte à porte quotidien en tchatant ici ou là, et en répondant à des commentaires parfois sur ma page Facebook. Je m’enhardis aussi depuis quelques temps à aller commenter chez les autres. C’est comme une déambulation, ou une diffusion de tracts. Tous les jours. Un militantisme personnel follement oxygénant. Un petit défi pour moi et une gourmandise car j’ai toujours aimé le dialogue même bien animé. Ce sont donc des moments ou s’affutent pensées et arguments.
Mais à cet instant, j’évoque un autre aspect. L’addiction au smartphone n’est pas seulement une occupation qui peut tout envahir. Elle crée des réflexes comportementaux, de véritables tics mentaux. En bref, elle abaisse la capacité à se concentrer durablement sur un sujet. Je m’en suis aperçu quand j’ai commencé à constater que je me tournai vers mon smartphone pour le consulter en pleine rédaction d’un texte, en pleine lecture d’une fiche ou d’un livre. Exactement comme autrefois je le faisais avec ces cigarettes que je ne touche plus depuis 14 ans bientôt.
Alerte ! Dans mon activité, la capacité à se concentrer vite, fort et durablement est décisive. Le zapping d’activité donne peut-être une illusion de toute puissance et d’ubiquité totale. Mais en réalité, il vous asservit au temps court et vous cloue dans les pulsions. Voilà qui vous dépossède de vous-même, car la conscience de soi ne se possède que dans la durée et la perception d’elle-même. Sur le rocher, la moule est la plus forte malgré les vagues qui le battent. Du point de vue de la lutte, fusse-t-elle intellectuelle, le pulsophone vous met à la merci de qui s’installe dans une temporalité plus calculée, plus lente, c’est-à-dire plus maitrisée.
C’est presque une allégorie de la condition du porte-parole politique que je suis et du candidat que je propose d’être. Je viens de l’éprouver. Un bon sondage m’a valu une mise en lumière qui m’a replongé dans les tourbillons affreux de la vie au rythme des échos médiatiques, des réactions aux réactions et ainsi de suite. Sans oublier le fiel de jalousie et de haine giclant à plein jet de toute la gentry médiatique à qui une bonne nouvelle me concernant arrache la bouche et le pissat de vinaigre des aigris dans les réseaux sociaux. Tout ce que j’ai appris à détester et à ne plus accepter au fil des mois de violences que j’ai vécu en même temps que François Delapierre agonisait. En ce temps-là, je ne me sentais plus capable d’aucune exposition durable tant la vanité de ce qui se faisait et se disait me semblait vertigineuse et jusqu’au sens de ma propre existence, face à au défi sans issue de sa mort annoncée. Je n’en reparle que parce que j’ai le temps d’écrire plus tranquillement et lentement qu’à l’ordinaire.
Bref, je n’ai pas aimé cette brutale accélération du temps politique et de sa violence nous concernant. Je m’en méfie. Il est vrai que c’est un effet d’une conjonction dont nous ne sommes que la conséquence. Retour de la question sociale, de la question citoyenne et spectacle de l’impuissance de la monarchie présidentielle forment un cocktail détonant. Il faut à la fois réévaluer le dispositif et continuer à agir dans toutes les dimensions de la scène. Tandis que toute notre équipe tend ses muscles dans l’effort, je ne suis pas mécontent de pouvoir m’éloigner un peu, hors de portée, surtout pour aller jouer le début d’une partie dont j’espère de nombreux rebondissements intellectuels (chutt !).
Car la meute va se déchainer, les jalousies s’exaspérer. Et nous sommes encore trop tendres, comme des pousses de printemps. Le mouvement « la France insoumise » est encore très balbutiant après dix semaines d’existence. Dans mes plans, cette situation de croisement des courbes avec Hollande et le PS n’était pas envisageable avant janvier prochain. Le dévouement sans borne des militants du PG et de ses réseaux alliés ne peut à lui seul tenir la grande tranchée dans la cour des grands que nous commençons à occuper. Surtout quand les mêmes doivent courir des mobilisations sociales et écolos aux soirées de la Nuit Debout et aux perrons de la Société Générale. Et encaisser la campagne de dénigrement permanent du PCF. Entendre dire que ma « percée dans les sondages ne fait pas reculer le danger du Front national , bien au contraire…. » de la bouche du porte-parole de Pierre Laurent est un signe d’ignominie qui laisse pantois ! « Bien au contraire… » ! Décidément… « Jupiter rend fou ceux qu’il veut perdre » dit l’adage latin.
La solidité de notre équipe de pilotage et le déploiement de tous les postes de combat exige de ne se laisser ni emballer ni griser. C’est une affaire sérieuse que de vouloir conquérir démocratiquement le pouvoir de son pays, renverser un régime institutionnel et mettre en mouvement une force aussi immense que celle du peuple français pour ouvrir une voie nouvelle dans l’Histoire.
Alors je ne veux pas répéter les raisons scientifiques qui me font mettre à distance les sondages comme moyens de connaissance. Mais je connais leur capacité d’injonction. Et je ne voudrais pas que nous y succombions. Car si l’opinion n’existe pas, par contre elle se fabrique. Un jour bleu, l’autre noir. Pour moi, il faut construire patiemment et méthodiquement les moyens de ne pas dépendre de telles sautes d’humeur. Que ferions-nous d’une force dont l’humeur fluctuerait au gré des sondages, des succès accordés et des enthousiasmes de circonstances ? La méthode reste de s’incruster plus avant et plus profond dans les consciences. De construire le mouvement en avançant. Sans oublier un instant que j’ai proposé ma candidature et que la réponse à cette proposition est en cours, tout juste à son début. Elle l’est avec les clics d’appuis sur le site, la formation du collectif des partis et organisations qui veulent se joindre à la campagne, la collecte de financement, la mise en place des groupes d’appuis, la préparation du défilé du 5 juin.
Montréal le 22 avril 2016