Une fois de plus, le gouvernement Valls a fait le choix du pire pour contrer le coup que lui portait la journée de mobilisation du 14 juin. Ils ont polarisé toute l’attention des Français sur le soi-disant saccage de l’hôpital Necker. Cela après avoir sciemment organisé la formation d’une poche de casseurs qui détruisent tout en tête de cortège sans être inquiétés. Ici, Valls et Cazeneuve ont à ce point dépassé la limite que cela s’est vu en grand et en gros caractères. On ne saurait donc exclure qu’ils aient considérablement renforcé la volonté d’en découdre aux deux dates annoncées pour les prochaines mobilisations dans la rue. Dès la première vitrine brisée et son spectacle déversé instantanément sur toutes les chaînes, nous avons tous compris qu’il s’agissait de minimiser l’ampleur de la manifestation en détournant l’attention. Puis les mieux informés ont compris qu’il s’agissait de masquer le terrible accident provoqué par la grenade qui a explosé dans le dos d’un manifestant, situation qui a déjà provoqué la mort de Remy Fraisse.
Si grossière et violente qu’ait été la méthode, il est frappant de voir à quelle vitesse elle s’est retournée contre ses auteurs. À propos de l’hôpital Necker, le retournement de l’opinion s’est vu sur les réseaux sociaux une fois passé le premier moment de stupeur. Très vite, la manipulation médiatique a été avérée. Et ce sont les parents d’enfants malades qui ont retourné l’attaque contre ceux qui détruisent l’hôpital public de l’intérieur avec les plans de suppression de postes.
L’ambiance de haine de classe contre les syndicalistes, notamment ceux de la CGT, culminait comme d’habitude dans les médias audiovisuels et notamment à France 2 où David Pujadas s’est encore une fois surpassé en grossièreté avec son invité Philippe Martinez, et Nathalie Saint-Cricq en s’abaissant à répéter mot pour mot l’argumentaire de l’extrême droite du PS. Sur le terrain, « le service public » battait des records avec ses questions : « Que pensez-vous de la baisse de la mobilisation ? » demande une stagiaire sans aucune expérience de ce genre de situation pendant que passait derrière moi la plus importante manifestation syndicale depuis 15 ans ! Ou encore : « Pensez-vous que la manifestation d’aujourd’hui sert à quelque chose encore alors que la mobilisation baisse ? ».
Brave petit soldat qui pose les questions que les chefs dans les bureaux ont décidé de poser avant même que la manif ait commencé ! À « France 2 », tuer l’impact d’une mobilisation en détournant l’attention, c’est un art : deux minutes pour la manif, cinq pour les casseurs et la récitation d’un éditorial écrit dans le bureau de Manuel Valls. En tant que citoyen, cela me désole de voir le métier de journaliste et le service public abaissés de cette façon et davantage encore de constater le mépris que cela induit à l’égard de l’intelligence des téléspectateurs. Comme militant politique, je m’amuse par contre beaucoup d’une telle grossièreté car elle se retourne à l’évidence contre ses auteurs. En effet les centaines de milliers de personnes qui étaient dans la rue sont ulcérées, et leur détestation du régime et de son principal média s’ancre en profondeur dans les consciences. Elle devient irréversible. La méfiance et le dégoût envers la caste médiacratique se propage et s’amplifie.
Bien sûr, ces éléments d’éducation populaire ne compensent pas les dégâts provoqués sur le moment par la propagande que diffuse le journal de « France 2 ». Mais dans la durée, ils sont cependant bien plus productifs que les avantages momentanés tirés par nos adversaires quand ils parviennent à sidérer les téléspectateurs. Autre nouveauté dans ce type de situation : dans le même temps, les nouvelles pratiques populaires de la collecte d’images se forment et se renforcent de manifestation en manifestation. Les gens filment beaucoup, photographient partout. Un bidouillage comme celui à propos de l’hôpital Necker n’aura pas tenu si longtemps grâce à cela. Et désormais nous sommes nombreux à attendre les images des réseaux sociaux avant de nous faire une opinion définitive.
Cette remarque touche plus profond qu’il n’y parait. En vérité, la situation du paysage médiatique comporte un paradoxe que les pratiques de masse des reportages improvisés compensent. La cause est profonde : il y a de plus en plus d’écrans et de réseaux de diffusion mais il y a de moins en moins de sources d’information. Le nombre de journalistes encartés baisse, le nombre d’agences en état d’alimenter les tuyaux de l’info en continu diminue également. Cela veut dire que moins d’images disponibles sont diffusées sur davantage de canaux et d’écrans. C’est un biaisage de l’info disponible très fort. Si l’on croit ce qui est donné à voir, on oublie que l’on ne voit que ce que l’on vous montre. Croiser les regards est donc essentiel pour savoir. À cet impératif général s’en ajoute un second : l’image donnée à voir est l’image dont les chefferies des médias passent commande. Les équipes ne vont pas sur le terrain « à la découverte » mais elles y viennent chercher et prendre ce que les chefs ont dit de ramener… Dans ces conditions, la probabilité d’avoir une information totalement préfabriquée est très forte.
Voilà pourquoi la multiplicité des photographes et cameramen est une bonne chose pour nous et « notre droit de savoir ». On doit donc conclure que toute information de « France 2 » est une « information officielle », c’est à dire une production du studio central du service d’information politique et non une information sur les évènements eux-mêmes. Dit autrement, quand on regarde le journal de « France 2 », on apprend comment le PS et le gouvernement veulent que l’on voie les évènements. En ce sens l’info de « France 2 » est une information non sur ce qui est montré mais sur ceux qui ont décidé de le montrer. Plus le gouvernement est en déséquilibre par rapport à la société, plus son message officiel va être grossier et lourd, plus il va tirer sur le masque d’objectivité dont se drapent ses « lecteurs de prompteurs » du 20 heures.
Chaque JT de « France 2 » est donc une leçon politique essentielle pour ceux qui le regardent dans ces circonstances. Les uns n’y comprennent rien et se laissent balader par l’émotion suggérée jusqu’à ce que la suivante vague d’émotions préfabriquées les emmène plus loin ou ailleurs. Les autres comprennent d’un seul coup la manipulation qui leur « saute aux yeux » littéralement. Plus jamais ils ne regarderont l’info officielle comme avant. Il faut donc remercier Pujadas et Saint-Cricq dont les manipulations sont une école de masse pour nos idées et en particulier celles que nous développons concernant la nature des médias et des médiacrates qui les dirigent.
Après cela, une question se pose, que l’indolent CSA lui-même se posera peut-être un jour si quelqu’un peut rester réveillé dans ce machin assez longtemps pour regarder une émission politique et faire son boulot entre deux jours de paye. Puisqu’il est avéré que Pujadas, Saint-Cricq et les autres sont les répondeurs automatiques du gouvernement mis en place pour répondre aux questions que les gens se posent à 20 heures, peut-on faire une campagne présidentielle sans inclure le journal de 20 heures dans le calcul du temps de parole du gouvernement ? Ou bien, dit autrement : ne devrait-on pas plutôt mettre en place une autre équipe plus neutre et respectueuse de la liberté de conscience des téléspectateurs pendant la période de la principale élection du système institutionnel, sachant que le gagnant de la compétition nomme ensuite directement ou indirectement tout ce petit monde ?
Enfin, je veux conclure par une note plus optimiste. Nous ne sommes pas condamnés à ce régime informatif hallucinogène. On peut en changer. Il le faut, car le droit à une info honnête est une exigence basique de la vie du citoyen. Comment peut-il participer à l’expression de la volonté générale s’il ne sait rien de certain ou de vérifié sur ce qui est en cause ? Education laïque et info honnête sont les deux colonnes du temple républicain où se formate la liberté des citoyens. Je compte donc présenter le moment venu un plan particulier sur ce sujet dans la campagne présidentielle pour libérer la presse et les médias du double joug des puissances de l’argent, du copinage, et des pouvoirs.