Interview d’Alexis Corbière, porte parole de Jean-Luc Mélenchon, dans L’Opinion. Il publie Le piège des primaires aux édition du Cerf.
Pourquoi la primaire reproduit-elle, selon vous, tous les défauts de nos institutions ?
Elle exacerbe la présidentialisation de la Ve République et caricature un peu plus toutes ses tares. Chacun, pour exister, se doit d’être candidat au moins le temps de la primaire. La Ve République, avec l’élection présidentielle au suffrage universel, selon la vision césariste chère aux gaullistes, c’est la rencontre entre un homme et un peuple. Avec les primaires, tout se jouerait dans la rencontre entre un homme et un petit réseau de CSP+. Les débats, les congrès n’ont plus aucun intérêt. Vous ne pesez plus dans un parti politique par le poids que vous donne le vote des adhérents, mais par votre score dans la primaire et le choix que vous avez fait au second tour. C’est ainsi que Manuel Valls est devenu Premier ministre. Cette course de petits chevaux se joue en fonction de « celui qui a le plus de chances d’être au second tour ». Et ce sont les sondages qui donnent la réponse. Certains chevaux sont dopés aux sondages, d’autres non. Et le plus dopé l’emporte.
Le plus riche aussi, dites-vous ?
Oui, ceux qui ont le plus de moyens sont privilégiés. Reprenons ce qui s’est passé en 2011 dans la primaire des socialistes : c’est le candidat qui avait le budget le plus significatif, François Hollande, qui l’a emporté. Pire encore : le nombre de voix obtenues est proportionnel aux moyens mis en œuvre, 0,24 euro par voix obtenue pour les trois candidats arrivés en tête. La primaire crée les conditions d’une explosion des micro-partis, qui n’ont ni militants ni programme et ne sont que des coquilles vides pour recueillir de l’argent grâce aux déductions fiscales afin de financer des aventures individuelles.
La primaire devait permettre aux citoyens de participer davantage à la vie politique. Au vu de l’expérience de 2011, pourquoi ça ne marche pas ?
La primaire fonctionne comme un tamis social, elle reste à la main des partis, avec les réseaux de notables et d’élus. Une étude de CSA l’a bien montré en 2011 : ceux qui participent à la primaire sont les gens qui sont déjà les plus participationnistes, les plus intégrés ; ceux qui, dans cette période de grande défiance vis-à-vis de la politique, sont encore reliés à la vie interne des partis : les CSP +, les retraités, les clientèles des partis. En revanche les milieux populaires, déjà fortement abstentionnistes, s’abstiennent encore plus. La primaire a recréé une forme de suffrage censitaire.
N’est-ce pas quand même un bon moyen de ne pas se disperser afin de lutter contre le FN ?
Le Fn se combat par des idées et des dynamiques populaires, et non par des astuces disciplinaires. La primaire consacre l’existence d’un « tripartisme » cher à M. Cambadélis. La vie politique se structure désormais autour de l’existence de trois pôles minoritaires dans la société (FN, droite et « gauche »). C’est une vision fainéante et manœuvrière du combat politique. La logique est qu’ensuite vous passiez un accord électoral avec l’autre pôle, c’est à dire la droite, face au FN. Cela génère une sorte de « Grosse Koalition » à la française, où droite et gauche votent l’une pour l’autre. Ponctuellement, cela stoppe éventuellement la famille Le Pen, mais à court terme, cela renforce l’extrême droite qui apparaît comme la seule formation « antisystème » alors qu’elle en est la béquille. Face au FN, il faut au contraire remobiliser le peuple sur des propositions qui changent le quotidien, avec de grandes ambitions pour le pays, et non sur des astuces tactiques de courte vue. En Italie, le système des primaires a tué la gauche et n’a jamais montré la moindre efficacité contre la droite et l’extrême droite de Berlusconi.
Est-il choquant que le président sortant, quel qu’il soit, passe par une primaire pour être candidat ?
La primaire a pour but de redonner à François Hollande une légitimité, c’est même l’ultime astuce pour lui permettre de se représenter en n’étant pas réduit à son terrible bilan. Le PS désigne son candidat comme il l’entend. Le problème est qu’il voudrait en faire la primaire qui excommunie ceux qui ne veulent pas y participer. Moi, je veux être sûr que les idées qu’incarne Jean-Luc Mélenchon seront représentées, alors qu’on vise à les interdire, comme s’il n’avait pas le droit de se présenter. Mais pour revenir à votre question, le plus choquant c’est la concentration des pouvoirs et le déséquilibre des institutions. C’est bien pourquoi nous proposons de passer à une VIe République et non d’aménager la Ve.