Histoire triste. Peut-être en avez-vous manqué un épisode. Depuis la fin de la primaire du PS nous étions en attente d’un coup de téléphone de Benoît Hamon, pourtant annoncé et promis avec beaucoup de publicité. Je décidais donc après trois semaines d’attente de prendre l’initiative. Je proposais publiquement à mon meeting de Strasbourg une date de rencontre au candidat socialiste. Dès le lendemain, nous avons établi un contact SMS. Puis je lui ai aussitôt adressé une lettre résumant mon point de vue tel qu’exprimé à de nombreuses reprises. Je détaillais les « garanties » que je demandais dans la discussion à commencer. Du classique et usuel dans ce type de situation. Tout allait bien. Nous avons eu un nouveau contact direct depuis le Portugal où il se trouvait. Nous avons alors convenu de fixer en début de semaine la date et il m’annonce qu’il va répondre à mon courrier. Ambiance : zen/cordiale.
Là-dessus Jean-Christophe Cambadelis sort de ses gonds. En un tweet, il dénonce mon courrier, y voyant un écho des 21 conditions de 1920 ! Assez drôlement, il m’accuse aussi de charger « la mule ». Passons sur la référence historique à cet instant, quoi qu’elle ne manque pas de sel dans la bouche de cet homme. Mais il faut bien reconnaître que sa reprise en main a fonctionné. Car soudain tout le tableau change. Quelques heures plus tard, le dimanche, tandis que nous sommes en train de réaliser nos cinq heures d’émission télévisée sur le chiffrage, Benoît Hamon m’accuse d’avoir « fermé la porte ». Puis ce sera, douze heures après, une mise en cause contre ma « brutalité » s’appuyant sur un mot dans une interview d’une demi-heure sur le plateau de BFM. « Corbillard ». J’ai parlé du PS comme d’un corbillard. Ce n’est pas la première fois. Et Pierre Laurent lui aussi en avait fait de même en 2014. Mais quand bien même. Franchement : un mot et tout est fini ?
Comédie ! Au passage nous découvrons qu’il y a enfin un réseau dans l’équipe Hamon qui diffuse des éléments de langage. On avait vu depuis plusieurs heures déjà une belle montée en ligne des PS sur le thème « Mélenchon parle pendant cinq heures, c’est du Castro ». Délicat et respectueux. Nous eûmes droit ensuite à des déclinaisons sur ce « corbillard » si utile. Et ensuite ce fut, relayé par un tweet de Bruno Masure, un crescendo purement inventé : j’aurais traité Benoît Hamon de croquemort ! Une pure invention. Tous les réseaux PS dans la presse et l’entregent de toutes sortes se mirent en mouvement pour m’habiller dans le paletot du méchant garçon anti -unitaire. Mardi enfin j’apprenais par la presse qu’il n’y aurait ni coup de fil ni rendez-vous. Et même que Benoît Hamon convoque un meeting le 18 mars à Paris, le même jour que notre marche convoquée depuis le mois d’août. Juste un peu frontal, non ? Après quoi il est bien surréaliste de lire que j’ai « fermé la porte » quand c’est exactement le contraire qui se produit. Et avec quelle brutalité !
Je ne suis pas dupe de la manœuvre en cours. On va voir si se vérifie une fois de plus la fable de « Perette et le pot au lait » au détriment de ceux qui comptent sur le ralliement de EELV et même des communistes pour me « siphonner » selon l’expression si unitaire employée par le porte-parole de Benoît Hamon. Mon avis est que la vérité se fraie toujours un chemin. Le plus affligeant à mes yeux n’est pas là, quand bien même il m’en coûte de devoir subir ce traitement. Mais pourquoi toutes ces personnes sensées, souvent militantes, conscientes, ramènent-elles tout cela a une bataille d’égo ? Pourquoi excluent-elles les sujets qui nous séparent et cinq ans de gouvernement Hollande de leurs raisonnements ? Quel genre d’égo aurais-je à mettre en balance à ce point de ma vie et de mon engagement politique ? Pourquoi pas une de ces personnes si soucieuses de psychologie ne mentionnent jamais ni le programme « L’Avenir en commun », ni son chiffrage en public ?
Bon. Benoît Hamon à son meeting à Blois devant six cent personnes annonce l’ouverture d’une plateforme collaborative pour écrire son programme (à moins de 70 jours du premier tour !) et le tirage au sort d’un jury citoyen. Qui va lui dire que ça s’est déjà fait de mars à novembre 2016 jusqu’à la Convention de Lille de « La France insoumise » ? Mais avec sa délicatesse unitaire bien connue, pourquoi a-t-il éprouvé le besoin de commencer en disant qu’il ne s’agit pas pour lui d’utiliser la technique pour se dédoubler mais pour « mettre l’intelligence collective en action » ? Première fois que quelqu’un m’accuse d’abêtir ceux qui m’écoutent ! Quelle aigreur !
Reste l’essentiel : ma lettre est sur la table. J’attends la réponse et le rendez-vous café qui va avec.
Thomas Piketty, mandaté par Benoît Hamon, propose la création d’un « parlement de la zone euro ». Dans ce projet que François Hollande a proposé il y a bientôt deux ans, cette assemblée viendrait remplacer le Conseil des ministres des Finances par une chambre parlementaire de la zone euro. Chaque pays y serait représenté par un certain nombre de députés issus de son parlement national, en proportion de la population de son pays et des différents groupes politiques. J’avoue que ma première réaction à l’époque où j’avais entendu parler Hollande était assez narquoise. Quelle trouvaille ! Un parlement de plus pour l’Europe, tout aussi impuissant que le précédent. Un président de plus s’ajoutant aux cinq autres déjà vibrionnant. Et comme on connaît les « trilogues » entre le Parlement actuel, la Commission et le Conseil de gouvernement, j’imagine ce que seraient les « quadrilogues » quand ce parlement s’y ajouterait ! Sans oublier de dire bonjour à la bureaucratie de plus que cela générerait.
Comme cette idée est revenue sur la table au moment où il était question de débattre avec Benoît Hamon, j’ai donc pris le temps de récapituler ce que j’en sais. Je vous le fais partager.
Car l’idée n’est vraiment pas nouvelle. La question de la « gouvernance de la zone euro » est en débat, depuis un certain temps déjà. En juin 2015, le rapport des 5 présidents (président de la Commission, du Parlement européen, du Conseil, de la Banque centrale et de l’Eurogroupe) visait à « compléter l’union économique et monétaire ». Il s’appuyait sur la base très excitante des recommandations de la Commission émises en 2012 dans un « projet détaillé pour une union économique et monétaire véritable ». Appétissant, non ? Et dès juillet 2015 c’est au tour du député PS Christophe Caresche de défendre au nom du président Hollande une « initiative européenne destinée à renforcer la cohésion de la zone euro ».
Cette proposition s’accompagnait d’un « approfondissement démocratique ». Évidemment, il s’agissait déjà de créer un parlement de la zone euro. C’était une reprise directe des propos de François Hollande, le 14 juillet 2015 en faveur d’«une présence plus forte des parlementaires, de ceux qui représentent les nations». Pour ce faire hollande proposait déjà la création d’une «assemblée de la zone euro». D’après lui elle devait être composée de membres des parlements nationaux sur une base démographique et elle aurait à se prononcer sur les décisions prises par l’Eurogroupe. L’objectif est, selon Caresche et Hollande « de constituer un noyau d’États, dont l’Allemagne et l’Italie, qui pourrait entraîner les autres ». En apparence « démocratique » mais dans les faits, cela place nombre de pays de la zone euro en situation subalterne.
Puis en septembre 2015, c’est Pierre Moscovici qui plaidait pour « une meilleure gouvernance de la zone euro, avec un gouvernement spécifique doté d’un budget propre pour plus de convergence, sous l’autorité d’une sorte de ministre des Finances de la zone euro qui, pour moi, pourrait être membre de la Commission européenne ». Il ajoute également « je défends aussi un parlement de la zone euro pour permettre plus de légitimité, de proximité avec le peuple européen ».
Au final, donc, la « proposition de Benoît Hamon » et le mandat de Piketty sont une idée de François Hollande. Je la trouve bien dans l’esprit d’une évaluation au rabais de l’idée européenne. Ici la monnaie d’abord comme identifiant européen ailleurs c’est juste l’Europe de la Défense. Et ce sont toujours les mêmes qui défendent ce deux nouveaux « rêve européen » : la grande coalition de la droite et du PS en Europe.
D’ailleurs la figure centrale du groupe libéral au Parlement européen, monsieur Verhofstadt a présenté lui aussi un rapport au Parlement européen sur « les évolutions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l’union européenne ». Lui aussi prévoit l’emploi de représentant des parlements nationaux en remplacement des ministres. Et le rapport conjoint signé par la présidente de la délégation PS française au Parlement européen demande lui aussi que « le Parlement européen et les parlements nationaux puissent jouer un rôle plus important dans le nouveau cadre de gouvernance économique afin de renforcer la responsabilité démocratique »
Mais avec toutes ces belles paroles, les problèmes de la gouvernance de la zone euro demeurent inchangés. Car nul ne demande, pas même Benoît Hamon, de revenir sur l’indépendance de la Banque centrale européenne ni sur son statut. Et personne ne parle de placer le marché unique et ses règles sous le contrôle parlementaire. Ce sont là les points clefs de blocage pour que les États ou les citoyens puissent avoir une quelconque influence sur la politique monétaire de la zone euro. Dès lors, je vois bien qu’il ne s’agit pas non plus de mettre en cause les orientations économiques actuelles de l’Union mais juste d’en légitimer la forme de prise de décisions. Il ne s’agit pas de changer de politique économique mais de préserver les apparences de la « démocratie européenne ». Cette cosmétique ne tiendra pas cinq minutes devant un public informé, j’en suis certain.
Pour ma part, je suis opposé aux logiques austéritaires impulsées par la Commission et l’Eurogroupe du fait du modèle de construction de l’Union européenne. Il ne s’agit donc pas de trouver de nouvelles formes d’apparence de l’Europe mais de régler ses problèmes à la racine !
J’ai traité dans mon discours de Lyon (et Paris pour mon hologramme !) de la situation sociale précaire de très nombreux créateurs, notamment les auteurs, dessinateurs ou les peintres. J’y reviens car j’ai proposé une idée que je ne retrouve pas dans le débat public. Et elle compte pour moi. Les créateurs ne bénéficient pas du régime protecteur de l’intermittence du spectacle. Ils travaillent comme indépendants, sans droit aux arrêts maladie ou maternité. Et surtout ils n’ont que des droits minimaux à la retraite. 40 % d’entre eux vivent donc sous le seuil de pauvreté. Les artistes que j’ai rencontrés lors de ma visite au salon de la Bande dessinée d’Angoulême fin janvier m’ont alerté sur ce sujet. Dans ce domaine comme dans tant d’autres, l’ample tissu que contient notre pays ne tient plus que par l’abnégation de ceux qui le font vivre. Ça n’est pas acceptable. Les créateurs font l’art, nourrissent la culture qui, une fois partagée, devient collective. Là est le terreau qui nourrit ensuite toutes les imaginations, toutes les créations dans les autres domaines et jusqu’au plus éloignés. Ils sont absolument vitaux pour une société développée.
Il faut donc trouver un moyen pour mettre fin à la précarité des créateurs les plus concernés par l’absence de protection sociale digne de ce nom. Notre programme L’Avenir en commun propose d’étendre le système de l’intermittence du spectacle à l’ensemble des créateurs. Chacun aura ainsi les moyens de se consacrer à son travail et d’en vivre dignement, malgré l’irrégularité intrinsèque de ses activités. Pour financer cela, on peut modifier les règles du droit d’auteur.
Actuellement, les œuvres (littéraires et artistiques : livres, pièces de théâtre, partitions et enregistrement de musique, cinéma…) sont soumises aux droits d’auteur. C’est-à-dire qu’une redevance doit être versée pour leur reproduction ou leur interprétation. Cela vaut par exemple si l’on souhaite utiliser une chanson d’un musicien vivant ou mort récemment, dans un film. Cette taxe est obligatoire tant que l’auteur est en vie, et jusqu’à 70 ans après sa mort. Elle est versée à des sociétés de gestion de droit. Il existe par exemple, la Société des Auteurs Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM), la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) ou la Société Civile des Auteurs Multimédia (SCAM). Ces sociétés collectent et reversent la redevance aux auteurs puis à leurs « ayants-droits » jusqu’à 70 ans après le 1er janvier suivant la mort de leur auteur. La redevance est variable en fonction de l’utilisation qui est faite de l’œuvre. Ainsi, la taxe est plus élevée si l’œuvre est utilisée pour des visées commerciales. Elle est moindre s’il s’agit d’une activité associative. Sont exemptées de droit également les utilisations d’œuvres à visée pédagogique, pour les enseignants notamment.
Une fois cette période de 70 ans écoulée, l’œuvre est dite libre de droits, et donc son interprétation ou sa reproduction est gratuite. Doit néanmoins être respecté le droit moral de l’auteur au respect de l’intégrité de son œuvre : il est ainsi interdit de la modifier.
Les œuvres sont libres de droit cette fois quelle que soit leur utilisation. Une troupe de théâtre amateur peut jouer Hernani de Victor Hugo gratuitement. Mais un éditeur peut également vendre cette pièce de théâtre sous forme de livre, en ne payant aucun droit. Pourtant, c’est une activité très rentable. Ainsi Maupassant, Molière, Zola ou Hugo ont vendu chacun plus de 3 millions de livres de janvier 2004 à janvier 2012. Ils sont en effet aux programmes scolaires. Chaque année, les ventes de chacun de ces auteurs excédent 3 millions d’euros.
Je propose donc d’instituer un « domaine public commun » qui serait constitué de l’ensemble des œuvres qui ne sont plus soumises à droits d’auteurs. La mise en place d’une redevance sur ce « domaine public commun » permettrait de participer au financement du régime de Sécurité sociale pour les artistes précaires, notamment ceux qui ne peuvent pas cotiser au régime des intermittents du spectacle. Cette redevance serait instaurée uniquement pour l’utilisation commerciale des œuvres du domaine public. Ainsi, l’utilisation ou la reproduction d’œuvres pour des buts non lucratifs (notre exemple de la troupe de théâtre amateur) resteraient gratuites.
Bien sûr, le montant de la redevance qui sera instituée doit être étudié de façon à ne pas contraindre l’utilisation des œuvres. Ce droit d’utilisation des œuvres du « domaine public commun » sera ainsi réduit par rapport au droit normal.
La gestion de cette redevance pourrait être confiée aux créateurs ou à leurs coopératives, sur le modèle des sociétés qui existent aujourd’hui comme je l’ai indiqué (SACEM, SACD, SCAM…). La forme de la protection sociale à mettre en place pourrait être assez simple. On peut imaginer un système calqué sur celui des intermittents : des droits à chômage permettant de vivre décemment, dès lors que le bénéficiaire a suffisamment cotisé sur une période de référence. La gestion de ce système de protection sociale pourrait être confiée à la Maison des artistes. Elle a d’ores et déjà pour mission de gérer la Sécurité sociale des artistes et auteurs. Mais elle pourrait être aussi articulée avec des organismes du type coopérative ou association à but d’emploi, que sais-je, en tous cas ce qui correspondrait le mieux à la manière d’être et de coopérer des créateurs entre eux.
Cette idée de protection sociale élargie pour les artistes, je ne l’ai pas inventé. Elle est déjà discutée et portée dans plusieurs syndicats d’artistes ou auteurs comme les auteurs de bande dessinée. C’est d’ailleurs l’un d’entre eux, Benoît Peeters, l’organisateur des états-généraux de la bande dessinée à Angoulême qui me l’a présentée. La mise en place d’un tel système était également présente dans le rapport rendu par Pierre Lescure. Ce rapport, commandé par François Hollande et Aurélie Filippetti sur l’« acte 2 numérique de l’exception culturelle » n’a pas été suivi d’effet. Il faut dire que c’était la période noire du début du quinquennat Hollande. Pendant deux ans, le budget de la culture a été baissé de 6 % ! C’était la première baisse du budget de la culture depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Avec la règle qui prévaut aujourd’hui, ce « domaine public commun » prendrait effet 70 ans après la mort de l’artiste. Mais on pourrait aller plus loin. L’artiste vit des droits d’auteurs qui lui sont versés de son vivant et c’est tout à fait logique. La perception de droits d’auteurs par ses héritiers, pendant 70 ans après sa mort peut, elle, se discuter. Pour Victor Hugo d’ailleurs, seul l’auteur était légitime à percevoir des droits. Il écrivait ainsi en 1878 « L’héritier du sang est l’héritier du sang. L’écrivain, en tant qu’écrivain, n’a qu’un héritier, c’est l’héritier de l’esprit, c’est l’esprit humain, c’est le domaine public. Voilà la vérité absolue. ». Pour ma part je ne me prononce pas pour la suppression des droits d’auteurs pour les héritiers car à cette étape je ne veux rien brusquer : il s’agit de faire avancer une idée dans le débat public. Mais, auteur moi-même de 14 livres, je pense que c’est vraiment un sujet de discussion et on pourrait limiter nettement la durée de cet héritage.
Jusqu’à récemment, la législation française prévoyait le maintien de redevances au bénéfice des ayant-droits de l’auteur, 50 ans seulement après sa mort. On pourrait revenir à cette durée. Les plus proches – veuf ou veuve, enfants – garderaient ainsi un lien privilégié avec l’œuvre de leur parent décédé. On pourrait également imaginer que les droits d’auteurs perçus par les ayants-droits soient dégressifs. Ainsi, ils seraient identiques à ceux perçus par l’auteur de son vivant pendant 25 ans après sa mort. Puis pendant les 25 ans suivants ils seraient diminués de moitié. L’autre moitié serait versée pour financer la protection sociale des auteurs vivants que je viens d’évoquer. Au bout de 50 ans, les œuvres entreraient dans le « domaine public commun ».
Par ce mécanisme, chacun y trouverait son compte : l’auteur pendant la durée de sa vie, les ayant-droits pendant encore 50 ans après sa mort avec une dégressivité au bout de 25 ans. Enfin, les autres artistes en vie et en création qui bénéficieraient du nouveau système de protection sociale ainsi financé.
Je sais que nous aurons bien du mal à faire entrer les débats sur la culture dans la brève campagne qui va suivre la publication des programmes des autres candidats qui en sont encore à le rédiger ou à préparer leur chiffrage. Mais je suis certain qu’en l’ayant mis dans notre programme nous avons déjà fait murir l’idée.
Le CETA vient d’être validé, le 15 février dernier, par le Parlement européen. Je veux faire ici un point précis. Et récapituler mes arguments d’opposant à ce traité. Et je commence par l’étude politique du vote. Si on fait les comptes par groupes, les 408 voix en faveur du traité et 254 contre montrent que ce sont les sociaux-démocrates, majoritairement pour le CETA, qui ont rendu possible cette défaite des progressistes. Cela d’ailleurs se fait en cohérence avec leurs engagements passés. Nous ne sommes pas dupes !
Le président Hollande a soutenu le CETA, au nom de la France, le 30 octobre 2016 devant le Conseil européen. En novembre 2016 Mathias Fekl, secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur et un temps pressenti pour être directeur de campagne de Hamon déclarait encore « le CETA est un bon accord ». Le 2 février 2017 ce fut un point d’orgue. Les sociaux-démocrates n’ont même pas daigné venir voter à l’Assemblée nationale au moment où était présentée une résolution déposée par le groupe Front de Gauche qui s’opposait au CETA en demandant un referendum. La résolution proposait aussi la saisie de la cour de justice européenne sur la légalité du CETA. Benoît Hamon lui-même était absent. Quant aux députés PS incapables de trancher entre les pour et les contre, ils décidaient de s’abstenir. Ne perdons pas de vue que pendant ce temps plus 4 millions de citoyens européens ont signé une pétition d’opposition à l’appel d’initiative citoyenne européenne et des 2 000 Collectivité locales s’étant déclarée zone hors-CETA et hors TAFTA.
Pourtant, les raisons de contester cet accord sont nombreuses, comme on le sait et on l’aura répété pendant des mois. Mais le plus frappant c’est que bon nombre d’entre elles sont confirmées par les organismes responsables. Ainsi sur l’emploi en Europe. Les études les plus optimistes de la Commission n’osent pas promettre plus de 0,018% d’augmentation d’emploi pour les 10 prochaines années. C’est optimiste. Car des études indépendantes un peu plus documentées prévoient des pertes d’emploi effectives s’élevant à 204 000 dans l’ensemble de l’Union. Cela veut dire 45 000 en France, 42 000 en Italie et 19 000 en Allemagne.). En effet seront directement menacées les 20,9 millions de PME européennes qui seront dès lors exposées à la concurrence avec les entreprises canadiennes. D’autant que les conditions de travail et salariales ne sont pas les mêmes des deux bords de l’Atlantique. Le Canada n’a, à ce jour, toujours pas ratifié la convention de l’OIT sur le droit d’organisation et de convention collective et ne dispose toujours pas de mécanisme de sanctions pour les cas de violation des droits et de la réglementation en matière sociale et du travail. Dans ces conditions, les objectifs même de croissance envisagés par la Commission ont été revus à la baisse. À côté des discours pompeux et pleins de promesses, ses propres chiffres annoncent la déprime. Ils envisagent au mieux une augmentation du PIB de 0,03% à 0,08% par an en Europe.
Ce traité aura également des incidences sur la politique de coopération internationale. Car l’augmentation du commerce UE -Canada sera fera principalement au détriment du commerce de l’UE avec les pays en développement, essentiellement l’Afrique. Cela aura nécessairement des impacts négatifs sur les débouchés économique de ces pays et donc sur leur développement. Accroissant du même les inégalités Nord/Sud et les pressions migratoires qui en découlent.
Cette augmentation des échanges (prévision de 23% d’augmentation) avec le Canada aura également un fort impact sur l’environnement. Car elle entraînera de fait une augmentation des transports et donc une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, notamment de méthane et d’oxyde d’azote. Ces données sont confirmées par l’étude d’impact de la Commission elle-même ! Où sont alors passés les engagements de réduction des gaz à effets de serre de 40% d’ici 20130 pris à l’occasion de la COP 21 ? D’ailleurs l’accord de Paris n’est pas cité une seule fois dans le texte de l’accord. Et les deux seuls chapitres de l’accord CETA évoquant à l’environnement (chapitre 22 «Commerce et développement durable» et chapitre 24 «Commerce et environnement ») ne contiennent aucune mesure contraignante. Cet accord facilitera de plus l’importation d’énergies fossiles en Europe, particulièrement les sables bitumineux canadiens dont l’extraction produit une fois et demie davantage de gaz à effet de serre que les pétroles conventionnels.
Le traité présente également des menaces spécifiques sur l’agriculture. Tout d’abord du fait de l’ouverture de quotas de dizaines de milliers de tonnes de bœuf et de porc canadiens sans droit de douanes. Les marchés européens seront envahis de viande produite dans des fermes pouvant concentrer jusqu’à 30 000 bêtes ! Ces produits issus d’animaux nourris à 90% de maïs OGM et soumis à des antibiotiques activateurs de croissance rentreront directement en concurrence avec les produits européens aux conditions d’élevage bien différentes. 90% des animaux d’élevage en France sont nourris principalement à l’herbe, les activateurs de croissance sont interdits en France depuis 2005. Ainsi l’accord encourage un modèle agricole fondé sur les fermes-usines canadiennes au détriment de petites exploitations de qualité, du circuit-court et du bien-être animal.
C’est aussi le patrimoine agricole européen qui est directement menacé via la non-reconnaissance de la plus grande partie des 4 500 Indication Géographiques Protégées (IGP). Seules 173 IGP sont reconnues dans l’accord excluant ainsi des spécialités locales reconnues telles que le Rocamadour. Et pire ! Certaines indications géographiques considérées comme « génériques » par le Canada pourront toujours être utilisées. Ainsi pour le Munster ou la Feta, les producteurs canadiens qui utilisaient ces mentions avant 2013 pourront continuer à les utiliser. Et pour les nouveaux venus sur le marché, ils leurs suffira d’ajouter la mention «style» ou «type» pour être autorisé à revendiquer un nom lié à ces appellations et commercialiser du fromage de style Feta ou autre atrocités…. De même, les producteurs canadiens de «jambon de Bayonne», de «Beaufort» ou de « Comté » qui utilisaient ces noms avant 2003 pourront continuer à les utiliser, à condition d’ajouter un élément distinctif («Comté du prince Édouard», «Beaufort range»…), et évidement les commercialiser y compris à l’export, notamment en Europe.
Enfin ce traité représente une menace pour la démocratie.
Négocié dans l’ombre depuis 2009, le contenu de l’accord n’a été dévoilé qu’en 2014 à l’occasion de la conclusion des négociations. Et l’on comprend mieux l’empressement de la Commission à nous le cacher quand on découvre qu’il prévoit un mécanisme de règlement des différends investisseurs-États via des tribunaux d’arbitrages. Ces juridictions à la solde des entrepreneurs permettront aux multinationales (canadiennes et aussi aux américaines ayant une filiale au Canada) d’attaquer les États. Enfin, son adoption par le Conseil comme par le Parlement européen s’est fait dans un contexte de pression inouïe cherchant à étouffer les débats et les voix discordantes. Et dès son adoption accélérée par le Parlement européen il va pouvoir être mis en œuvre de manière anticipée. L’accord s’appliquera totalement sauf les chapitres relatifs aux tribunaux d’arbitrage (protection des investissements) et à la propriété intellectuelle dès le printemps 2017 et cela avant même qu’il soit ratifié par les 28 États concernés selon leurs procédures nationales. Et dans le cas où l’un des 38 parlements appelés à se prononcer dans cette procédure, refuserait d’entériner l’accord rien n’a été prévu ! On ne sait même pas si l’accord serait remis en cause dans son ensemble ou juste dans le pays contestataire !!! Autant dire que tout est fait pour que les États obéissent sagement et valident sans rechigner.
Mais c’est sans compter le peuple français, insoumis par caractère. Il peut encore faire échouer l’application de ce traité sur son territoire. Et cela par un seul bulletin de vote en avril et en mai prochain. L’élection présidentielle au printemps 2017 sera une occasion décisive de s’opposer à ce traité. Je ne le signerai pas. « La France insoumise » refusera de mettre en œuvre cet accord et saura sortir du carcan imposé par les différents traités européens !
349 commentaires
Manu
Bonjour Monsieur Mélenchon,
J’ai 58 ans, cadre moyen, dans une multinationale, j’ai toujours voté à gauche, principalement pour le PS. Je vous soutiens depuis quelques temps. J’essaye de convaincre autour de moi que rallier la FI est la seule solution. Le PS nous a trahi, je ne veux plus rien avoir à faire avec ces gens. S’ils veulent nous rejoindre ils sont les bienvenus, mais à nos conditions. Bien qu’étant en région lyonnaise, je serai au rendez-vous du 18 mars à Paris.
CLAUDEJ
Votre discours de Brest est l’un de vos meilleurs discours. Maintenant que la France Insoumise a publié l’ensemble de son programme et son chiffrage, toute sa cohérence apparaît. Notons que cette cohérence n’a pas été réellement contestée à ce jour. Nous sommes quelques uns à beaucoup apprécier que, partant de mesures précises dans le domaine social, vous remontiez sur les indispensables réformes des institutions. L’exemple de la volonté d’assurer une nourriture bio et en circuit court dans les cantines scolaires qui ne pourra pas être mise en oeuvre sans modifier certains aspects des traités européens est particulièrement éclairant. Merci de continuer à exploiter ce registre.
JeanLouis
Une information dans la continuité des discours sur la transition énergétique. J’ai vu un reportage sur Arte concernant une entreprise EEL Energy qui développe une hydrolienne à membrane ondulante pour produire de l’électricité à partir des courants marins ou fluviaux, dont le directeur général dit qu’avec quelques centaine de km2 installés il est possible de remplacer le parc nucléaire français. Cette entreprise en est à l’expérimentation de maquettes et de ce fait n’a pas pu profiter des fonds européens du plan Junker car ils ne se mobilisent que sur des projets plus avancés et donc moins risqués ! Voilà typiquement le type de projets qu’il faudrait au contraire booster si nous arrivons au pouvoir !
Laurent
Nous vous faisons confiance. Vos dires sont exacts en toute bonne logique. Mais vous ne gagnerez pas l’un sans l’autre. La situation impose de tout remettre à plat. Proposer un programme consensuel de gauche et tout baser sur une constituante (3 ans ou 4 de travail et non 2 comme proposé). 4 ans de campagne pour imposer la règle verte etc., et aboutir à un texte qui réunira une majorité. Voilà ce qu’il serait convenable d’appeler une révolution par les urnes.
corinne iehl
J’entends parler dans les médias et programmes de la France insoumise et de B. Hamon d’abroger les accords CETA mais aucun candidat de gauche ne parle des APE avec les pays de l’ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) tout aussi, voire même plus liberticides et violents, compte tenu de la pauvreté des ces régions, spoliées de leurs richesses depuis l’épopée coloniale (extractivisme intensif, pollution à grande échelle, confiscation des terres agricoles, etc.). Que propose l’avenir en commun ? Il est urgent de tenir un discours clair sur ce point noir. Comment pourrait-il y avoir un traitement à deux vitesses entre l’Europe et ces pays ?
JeanLouis
Si, JL Mélenchon en parle très souvent de ces accords et de leur effets néfastes, conduisant à appauvrir les pays concernés à détruire l’agriculture vivrière et de fait à pousser les gens à migrer pour tenter de survivre, il en parle tout le temps !
emmanuel
N’associez pas s’il vous plait le programmes de la France insoumise avec celui (est-ce bien le sien ?) de B. Hamon.
Jean-Luc Mélenchon s’est montré très clair au sujet des traités de libre échange signés entre les pays africains et l’Europe. Celle-ci se montre ici plus agressive que les Etats-Unis eux-mêmes, d’après lui, en organisant la destruction des productions vivrières locales.