Je ne sais pas quand je publierai mon prochain post. Dans les lignes qui suivent viennent les sujets à propos desquels j’ai trouvé le temps d’écrire. J’ai évidemment pris de l’avance d’écriture sur les questions qui concernent mon quotidien à l’Assemblée nationale depuis la naissance du groupe « La France insoumise » dont la présidence m’a été confiée. Je n’ai pas eu le temps de répondre à chacune des vagues d’agressions des médias dont nous avons fait l’objet depuis le début de la session. À vrai dire, le thème me lasse. Il y en a eu une par semaine depuis notre élection. Une cadence à peine plus élevée que pendant l’élection elle-même. Je fais le pari que notre activité est la meilleure réplique.
Évidemment j’ai adapté la forme et les temps de mon expression à cette situation de guerre permanente. En ce moment, c’est le Venezuela le thème du bashing utilisé contre nous. Je m’en remets aux réponses de mes amis sur le sujet. En fait, je n’aurai pas vraiment de vacances compte tenu du nombre des choses qu’il faut préparer et organiser avant la rentrée, sans oublier la tenue des « Amphis d’été » à Marseille. Il me faut donc profiter à fond des temps libres dans ma maison de campagne. Je ne m’attarde pas sur ce clavier. Après avoir enregistré la dernière « Revue la semaine » de la saison, tout en tenant la tranchée sans relâche sur mon banc à l’Assemblée nationale, je n’en ferai pas davantage pour cette fois-ci.
Peut-être cette « fatigue » à propos de laquelle « Libération » m’avait déjà enterré il y a trois ans et que je retrouve en brocard fielleux de nouveau cette année. La différence, c’est que cette fois-ci, les médias à gros sabots qui se sont concentrés contre moi à propos des vacances et des conditions de travail de l’Assemblée nationale sont passées à côté d’un fait dont l’importance politique leur a totalement échappé. Je crois que j’ai bien joué. Notamment à propos des députés de la nouvelle majorité.
Le « JDD », qui a pris le temps de faire autre chose que d’essayer de me salir, a mené une enquête auprès de ces députés. Selon cet hebdomadaire, cette situation pourrait avoir entre autres choses comme conséquence qu’un certain nombre de députés renoncerait à leurs mandats et retournerait dans le privé. Si c’est à ce point, on vivra quelque chose de véritablement inédit. Un grand salut aux blaireaux que leur obsession névrosée à mon sujet rend aveugles. « Quand le sage montre la lune, etc. »
Bonne lecture si vous me lisez et en toute hypothèse à très bientôt, par exemple à Marseille pour les « Amphis d’été » de « La France Insoumise ». Et de toute façon le 23 septembre à Paris pour la marche nationale contre le coup d’état social de Macron.
Cette semaine-là, nuit et jour, dans l’atmosphère irréelle d’un éclairage lumineux constant comme une lumière du jour, j’ai vécu ma vie de parlementaire insoumis entre les travées de l’hémicycle, les rendez-vous dans les couloirs, les stages à la buvette où se règlent mille et une affaires, les bureaux du groupe où bourdonnent nos équipes techniques. J’ai pu mesurer au nombre de messages reçus, et même aux commentaires entendus ici ou là qu’un nombre important de nos amis et de nos électeurs se sont passionnés des heures durant pour les débats suivis sur LCP et sur nos réseaux.
On peut alors croire que toute la vie est là, dans cet hémicycle et ses alentours. En étant retransmis en direct sur LCP, suivis sur notre page Facebook, commentés à tout propos par les sites et plateformes Internet, on peut avoir l’illusion d’être au centre d’un émetteur tout-puissant. Notre force aura été peut-être de savoir combien ce n’est pas vrai. Dès lors, à l’inverse, à intervalles réguliers, il faut faire entrer la vie de l’extérieur vers l’intérieur contrairement à l’illusion qui voudrait l’inverse.
Les courses pour cinq euros, le paquet de pâtes et la boîte de haricots verts présentés pendant une question au gouvernement d’Alexis Corbière, traduisent cette idée. Mais combien d’interventions de Caroline Fiat, François Ruffin et les autres l’ont illustré aussi avec une force que la propagation virale de leurs vidéos a bien prouvée. Par conséquent, nous distinguons soigneusement en continu dans ce que nous vivons. Il y a ce dont nous pensons que cela doit être vu, ce que nous voyons faire aux autres pour que cela soit vu et ce qui se passe réellement. C’est cette catégorie de faits qui nécessite de ne pas en rester aux apparences et d’analyser en profondeur pour bien comprendre ce qui se passe vraiment.
S’agissant des premiers pas de l’Assemblée nationale, beaucoup d’observateurs ont ramené les nombreux « couacs » de la majorité parlementaire à l’amateurisme des élus de « La République en Marche ». Je n’entre pas dans cette façon de voir. On ne saurait reprocher à un élu, quel qu’il soit, de ne pas l’avoir été auparavant et par conséquent de devoir apprendre à le devenir. Et puis, pour l’essentiel, cinq des sept groupes en présence sont composés de personnes qui siègent pour la première fois. La question posée n’est donc pas celle de l’amateurisme, mais celle de la cohérence de l’action des « amateurs » et de leur capacité à la faire prévaloir. Dans ces conditions, si l’on veut analyser le parcours chaotique de cette session extraordinaire, celui des incidents de séance à répétition, ce n’est pas du côté des députés « amateurs » qu’il faut chercher, même à « La République en Marche ».
Les mécanismes qui conduisent au trébuchement à répétition doivent être cherchés ailleurs, plutôt du côté de la tête que de celui des jambes. L’amateurisme de « La République en Marche » n’est qu’une petite composante de ce qui est en cause. Le fait marquant pour cette famille politique dorénavant c’est le caractère absolument et radicalement vertical de l’autorité qui la dirige. Et cela au point de créer une culture collective chez les dirigeants actuels dont tous les aspects sautent aux yeux. Je veux dire que, face à une difficulté, le réflexe qui est mis en œuvre n’est ni le compromis ni la conviction mais le passage en force. Dans ces conditions, « l’amateurisme » ne fait que multiplier les occasions dans lesquelles cette méthode se met en œuvre et génère du chaos. Car, quand « ils » ne savent plus quoi faire, ils aggravent la situation par une méthode totalement inappropriée dans un hémicycle parlementaire.
Évidemment, en face de militants aguerris, la riposte ne fait qu’aggraver le mal ! J’ai été frappé d’apprendre par les conversations de couloirs que « La République en Marche » vivait toute nos offensives oratoires comme des tentatives pour « décrédibiliser », ou « tester » la résistance des présidences de séances. Parfois l’idée même d’un débat parlementaire leur semble insupportable. Ils parlent alors de « posture » de « crispations inutiles » et ainsi de suite. Cette puérile peur de la dispute leur interdit de comprendre les enjeux d’une discussion car ils en récusent le principe même.
Leurs serre-files se sont donc souvent cantonnés à d’absurdes protestations contre les interventions du groupe « la France insoumise » sur le mode répétitif : « vous n’avez pas le monopole du peuple », « ce sont les entreprises qui créent l’emploi » et autres tautologies répétées d’heure en heure. Pour finir, ils semblaient vivre nos rafales d’interventions comme de l’obstruction. Il n’en était rien pourtant. Le choix de notre groupe n’était pas de faire de l’obstruction, ni de déstabiliser le cours d’un débat que nous avions au contraire l’intention de dominer intellectuellement et politiquement. Croire que notre façon d’agir ce serait « faire de l’obstruction » c’est n’avoir jamais vu ce qu’est une stratégie d’obstruction parlementaire. Nous avions à peine deux petites centaines d’amendements sur deux textes de loi. Rien à voir avec les milliers d’amendements déposés dans le passé par les oppositions pour ralentir un texte.
Nous avons fait ce choix consciemment. L’Assemblée commençait ses premiers pas et nous devions apprendre à y trouver notre place. Ce n’était donc pas vraiment le moment d’une offensive visant à l’épuisement de tous les protagonistes. Il ne s’agissait pas non plus en début de législature de s’abandonner à une guérilla propice à tous les débordements et tous les excès. Enfin il s’agissait pour nous de bien comprendre quelle est la nouvelle géographie politique dans un hémicycle où la réalité politique des sept groupes ne correspond pas aux clivages profonds qui les traversent. Dans ces conditions, et au fil de cette session extraordinaire, nous avons beaucoup appris pour la suite.
Aujourd’hui, j’ai la certitude qu’aucune autorité ne viendra à bout de la diversité des cultures, des parcours, des intelligences qui constituent le méga-groupe parlementaire « La République en Marche ». Le nombre même de ces députés est un défi à toute organisation. Un parti traditionnel disposait des moyens d’encadrement dans et hors de l’hémicycle qui lui permettait de dominer une telle situation. Ce moyen n’existe pas à « La République en Marche ». On l’a vu au fil des débats de l’Assemblée. Ceux-ci ont déjà provoqué mécaniquement une diversification des réactions. L’individualisation des comportements de ce groupe est inéluctable.
En effet la plupart d’entre eux n’ont « rien à faire ». Ils n’ont ni responsabilité, ni tâche à accomplir, ni tour de parole politique organisé. Ils sont donc voués à la réaction individuelle. Cela alors même qu’ils n’ont aucun ciment idéologique ni tradition de fonctionnement ou de référence qui leur permettent de trouver spontanément des dénominateurs communs et de les exprimer. Par conséquent, les piqûres de ciment pour favoriser le resserrement des files et l’autorité des chefs de circonstances, abondamment pratiquées par les caciques de « La République en Marche » au fur et à mesure des difficultés qu’ils rencontraient dans l’hémicycle, ne seront pas longtemps une médication efficace. Et les provocations personnelles n’auront pas davantage leur chance.
Car nous avons bien noté comment certains membres de « La République en Marche » dont les propos permettent de les identifier comme des personnes influencées par la fachosphère, en reprenaient les calomnies. Ils tentaient de mettre le feu aux relations plutôt détendues qui existent en réalité entre la masse des députés « La République en Marche » et ceux de « la France insoumise ». L’un m’a interpellé sur ma « fortune », ce marronnier des ritournelles de l’extrême droite. L’autre s’en est pris à Alexis Corbière et ainsi de suite. Évidemment, nous n’avons répliqué en fin de séance à aucun de ces « faits personnels » comme le règlement nous en donnait pourtant le droit. Pas question de servir leurs objectifs. Au contraire. La ligne d’action avait été fixée le premier jour. Les blaireaux médiatiques n’y ont vu que du feu occupé qu’ils étaient par leur machine à buzz qui inventa le sketch du « matheux ».
N’empêche, cette ligne sera tenue aussi longtemps que les circonstances le permettront : il s’agit avant tout de parler pour convaincre, quel qu’en soit le résultat à chaque étape. Cette façon de fonctionner rencontrera l’intelligence de son public que ce soit dans l’hémicycle ou parmi les gens sans partis pris qui suivent les débats. C’est en pensant à tout cela que nous avons décidé de quitter l’hémicycle une nuit après un nouvel abus de pouvoir de la présidence de séance. On voyait trop bien à quoi nous serions amenés sinon : ou bien nous cédions, en acceptant tous les abus ensuite, ou bien nous serions contraints à une guerre de guérilla procédurière. Nous ne voulions ni de l’un ni de l’autre. L’enjeu était ailleurs pour nous : conserver toutes nos chances d’être entendus parce que nous argumentons plutôt que d’être disqualifiés et d’alimenter l’esprit de corps des députés de la majorité. Ce fut une heureuse initiative car moins d’une heure plus tard, placé devant une alternative similaire, la droite à son tour quittait l’hémicycle dans les cris, les hurlements et la confusion.
Pendant ces heures où nous avons ébranlé le système à l’Assemblée, le président Macron a voulu « reprendre la main ». Un signal clair montrant qu’il a bien perçu lui-même à quel point il l’a perdue en peu de temps. Ce ne sont pas seulement les points d’opinions positives perdues dans les sondages. Une dynamique s’est embourbée. Le système du pouvoir d’Emmanuel Macron repose sur l’offensive permanente, la saturation médiatique sur le mode qui fut celui de Sarkozy. Il s’accompagne d’une mise en scène d’une énergie personnelle dans un style très « poutinien » dans le sens où l’engagement physique joue le premier rôle : Macron en fauteuil roulant, Macron en gants de boxe, Macron en tenue de pilote de chasse et ainsi de suite.
Dans un tel système il n’y a aucune place pour les allers-retours, l’affichage de compromis, les méandres d’une discussion parlementaire. Ni pour rien qui, de près ou de loin, évoque l’idée de tergiversation. Dès lors, cette méthode crée elle-même ses effets contraires. L’élan brisé de Macron ne l’a été que par lui-même en quelque sorte. L’épisode calamiteux du général de Villiers, celui de l’APL, les stock-options de Pénicaud, les coupes claires dans tous les budgets annoncés à la hussarde, la cogne contre les dotations des collectivités locales deux mois avant les élections sénatoriales, le piétinement du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, ont embourbé l’élan. Il y a dans cet homme quelque chose de Charles le Téméraire, tout en superbe, en assaut impétueux et en munificence. À l’occasion d’une invasion que celui-ci organisa contre le roi de France Louis XI, alors que tout semblait céder sous la furia de l’assaut, le roi qui en voyait les faiblesses, pronostiqua : « à la première place qui résiste, tout sera stoppé ». Beauvais résista, le siège dû être installé, tout s’effondra quasi sans combat parce que tout le dispositif du Téméraire reposait sur la dynamique de la cavalcade.
Mon recours aux images liées aux stratégies politiques ne me fait pas perdre de vue l’autre versant essentiel de ce qui s’est confirmé. Pour les commentateurs superficiels, le début d’une présidence est comme un monde absolument neuf. À bien des égards c’est vrai. Pour autant, chaque président s’inscrit dans un cycle d’événements de longue durée. Et le cycle impose sa règle à ceux qu’il porte. L’élection d’Emmanuel Macron est, avant toute chose, le résultat et l’agent de l’effondrement de l’ancien système de l’alternance. Et l’effondrement de cet ancien système lui-même le résultat d’une longue crise commencée avec la forfaiture sur le résultat du référendum de 2005 à propos de la Constitution européenne. Tous les monarques présidentiels depuis cette date sous les exécutants du système qui a été alors constitutionnalisé. Celui-ci, pièce après pièce s’est durci dans les deux directions essentielles de ce qu’il est : d’une part la priorité aux privilèges de la finance et la dérégulation qui va avec, d’autre part le recours de plus en plus ouverts et brutales aux méthodes autoritaires. Junker en avait résumé la philosophie : « il n’y a pas de décision démocratique en dehors des traités ».
Le programme politique d’Emmanuel Macron n’a jamais été autre chose qu’une volonté d’aller au bout de cette direction. Mais son apparence en a été l’exact contraire. Il a fait penser que sa jeunesse, ses discours sur la rénovation politique son apologie des start-ups seraient le retour du pouvoir politique, de l’esprit d’entreprise et d’une inépuisable volonté d’action. Tout et tout de suite en quelque sorte. L’illusion du renouveau est déjà retombée. Le pire semble être de retour : un pouvoir monarchique aggravé, une caste arrogante et un mépris assumé pour « les gens qui ne sont rien ». Et tout cela en affichant une série de mesures économiques ostensiblement favorables aux riches et même décidées par les pires profiteurs du système comme on le voit dans le cas de la ministre du travail Pénicaud et son million cent treize mille gagné grâce à des licenciements collectifs.
Quand un tel système s’enraye, ses maillons faibles explosent. Et cela commence par des effets de panique qui se propagent le long de la pyramide du sommet vers la base. Tout dépend alors de la solidité des points d’appui dont le sommet dispose encore dans ce type de circonstances. Si l’on met de côté le soutien indéfectible de la sphère médiatique d’État (les chaînes publiques de radio et de télévision toujours bien alignées) et du réseau des médias contrôlés par les neuf milliardaires qui sont ses amis personnels, sur quelles forces sociales le système Macron peut-il compter ?
Les start-uppeurs sont certes friands d’esprit macronien. Mais ils sont peu nombreux, volatiles et radicalement individualistes. Ajoutons que, contrairement à la légende une partie d’entre eux est assez profondément acquise à une vision de la vie beaucoup plus complexe, écologique et altruiste que ne le croit l’équipe de technocrates « hors sol » qui entourent le président de la République. Enfin et peut-être surtout, ce petit milieu est radicalement hostile à l’autoritarisme. En toute hypothèse, son influence dans la société ne saurait contrebalancer les masses immenses de fonctionnaires, de salariés du privé classique, d’intellectuels et de créateurs que les psalmodies libérales exaspèrent depuis déjà quelques temps et dont une partie significative est déjà entrée dans l’insoumission morale. Dans ce contexte, l’existence d’un méga groupe parlementaire composé de gens dont une bonne partie est déterminée à réfléchir pour son propre compte est le point faible du dispositif autoritaire que la présidence doit impérativement mettre en place.
Mais celle-ci est incapable de comprendre cet enjeu et peut-être a-t-elle déjà manqué l’occasion de poser les actes utiles qui auraient été nécessaires. En écrasant l’existence du Premier ministre et en se croyant capable d’obtenir au claquement de doigt une discipline totale de son groupe parlementaire, Emmanuel Macron a multiplié les brèches dans son propre système et raccourci la distance qui le sépare des coups qui lui sont destinés. Les surenchères autoritaires de ses subalternes qui veulent l’imiter sans avoir son talent aggravent tout. Voir l’attitude de Rugy à l’Assemblée nationale. Un point faible remarqué. Dès lors, quoi que valent les enquêtes qui le donnent en chute libre dans l’opinion, leur valeur prescriptive ne fait pas de doute. La hollandisation de Macron est commencée.
Il faut donc se préparer à connaître des moments de grande instabilité institutionnelle et politique. En effet, comme je l’ai dit en explication de vote sur la loi à propos de « la confiance dans la vie politique », il est bien probable que la nouvelle majorité a déjà mangée son pain blanc. Aura-t-elle les moyens psychologiques et politiques de surmonter ce qui va se produire ? La rédaction des ordonnances sur le code du travail et les autres avatars du type Pénicaud vont conforter un nouvel épisode « dégagiste » dans la conscience populaire. Peu importe la forme et la force de la protestation, qu’elle soit purement personnelle et ressentie ou bien collective et visible.
De son côté, en dépit des efforts médiatiques pour présenter le contraire, la loi sur la moralisation de la vie politique n’aura aucun impact positif sur la « confiance publique ». Pas seulement en raison de la confusion des débats et de la reculade sur certaines des décisions annoncées. Quoi que celle renonçant à exiger un casier judiciaire vierge ou à interdire les activités de conseil aux élus a d’ores et déjà un effet destructeur. Mais il y a eu aussi une conjonction du plus mauvais effet. Aux heures passées dans l’hémicycle à évoquer les turpitudes des élus et des responsables politiques tout en renonçant à fixer certaines garanties pour l’avenir, s’est ajouté l’éclatement d’une une nouvelle « affaire ». Celle de la ministre du Travail et de ses rémunérations somptuaires à la suite de licenciements collectifs qu’elle aurait imposé dans son ancienne entreprise. Une révélation terriblement choquante devant laquelle les principaux responsables du pouvoir répondent : « circulez, il n’y a rien à voir ». Pire : on entendit à la tribune un orateur balourd complimenter la ministre pour sa bonne affaire, sous d’indécents mais très vigoureux applaudissements sur les divers bancs du fric !
Dès lors, si l’on tient compte de l’impact désastreux de la réduction des APL, on sent qu’une nouvelle image du pouvoir est en train de s’imposer dans les esprits. En lieu et place de la « rénovation politique », de « l’ouverture à la modernité » succède la « préférence pour les riches », l’autoritarisme et l’ostentation gesticulatoire. Si la société se mobilise, d’une façon ou d’une autre, tout entière ou par secteur, quelle est la capacité de résistance d’un système fondée sur une pyramide de technocrates, appuyé sur une masse confuse de députés aux convictions diverses et relayées par un système médiatique qui en fait tellement trop qu’un nombre croissant en est excédés ? Je crois qu’elle existe mais qu’elle est moins solide que beaucoup croient.
Dans ces conditions, la tâche reste d’élargir et d’ancrer notre audience dans la société avec une option préférentielle pour les quartiers et dans tous les réseaux, quels qu’il soient. Il s’agit d’aider à prendre conscience de la nécessité de préférer le programme « L’Avenir en commun » à ce qu’ils ont sous les yeux. Notre tour pourrait venir plus vite que prévu. Ma conviction est que la force de la demande à notre égard ne dépend pas seulement de notre capacité à faire connaître et à répéter nos propositions. Elle résultera aussi de l’énergie que le système mettra lui-même à se disqualifier. De bien des façons, quoi qu’aient été adoptées la loi d’habilitation sur les ordonnances contre le code du travail et celle sur la « moralisation de la vie politique », leur présentation et leur défense par les tenants de la majorité présidentielle auront aussi été un moyen pour aider un grand nombre de gens à rompre leur confiance en elle.
Dans ces conditions, et pour me résumer, si la vague dégagiste est bien toujours à l’œuvre, si son contenu est fort de l’expérience accumulée au cours des 12 années qui ont suivi le viol du vote populaire de 2005, la crise politique qui a fini par percer sous la présidence de François Hollande va donc inéluctablement s’embraser sous Emmanuel Macron. Elle deviendra une crise de régime dans la mesure même où, dans l’esprit public, « tout aura été essayé » auparavant. J’en vois un signe lorsque j’entends le porte-parole de « LR » à l’Assemblée mettre lui aussi en cause publiquement le système monarchique de la cinquième République.
Bien évidemment, personne ne peut pronostiquer pendant combien de temps le système politique actuel restera en état « surcritique » ni à quel moment se produira l’avalanche libératrice de l’énergie accumulée ni la cause fortuite qui la déclenchera. Mais la crise du régime éclatera en entrant par la porte de service d’une crise aux maillons faibles du dispositif : une nouvelle affaire dans le gouvernement, une explosion politique à l’Assemblée nationale ou bien un épisode d’exaspération sociale.
L’entrée en vacances permettra peut-être à l’équipe présidentielle de mettre les compteurs de panique à zéro. Car panique il y a. Ces gens savent qu’ils ne savent pas aujourd’hui par quel bout prendre en main une situation qui ne leur a jamais appartenu. Le niveau de l’abstention aux législatives était un signal extrêmement fort de la grève civique froide par lesquelles passent souvent les premières phases de la révolution citoyenne. Ils ont pu croire, touchés par ce que j’ai appelé « l’ivresse des sommets », que toutes les tensions de la société se dénoueraient au fil des décisions à l’emporte-pièce qui seraient prises. Rien de tout cela ne s’est produit.
Au contraire l’un après l’autre, tous les compartiments de la société ont été mis ou remis en tension. Nos retours de terrain sont formels sur ce point. D’une façon ou d’une autre, nombreux sont ceux qui ressentent quelque chose qui finit par être une évidence : tout cela ne durera pas. Je n’aurais pas osé l’écrire si je ne l’avais entendu à plusieurs reprises venant de gens de convictions et de milieux extrêmement différents. Dans ces conditions il va de soi que la marche à laquelle nous appelons le 23 septembre est pour nous un test global. D’abord parce que ce sera un indicateur de la capacité de la société à réagir. Ensuite parce que nous pourrons voir quel arc de forces politiques se constitue pour participer à cette réplique. Enfin parce que nous en saurons davantage sur notre capacité à être des déclencheurs dans une situation dans laquelle la plupart des paramètres échappent à tout contrôle.
Pendant cette session extraordinaire de l’Assemblée, nous avons été conduits à tester beaucoup de méthodes de combat politique. Certaines notamment que nous n’avions jamais pratiqué dans le passé. On connait notre refus absolu de tout retour à la tambouille mortifère du « rassemblement de la gauche ». Il s’est renforcé quand nous avons vu pour quelle réponse nous avons pris au mot le PS qui prétendait que devait se rassembler « l’opposition de gauche ». Nous avions dit : « il y a un ticket d’entrée, le vote contre la confiance au nouveau gouvernement d’Edouard Philippe ».
La réponse est venue en deux temps. D’abord cinq membres du groupe PS ont voté la confiance pour trois seulement qui ont voté contre et vingt-quatre autres se sont s’est abstenus. Ensuite, sans un mot d’argumentation, le secrétaire général du PS, Jean-Christophe Cambadélis, toujours en poste, a dénoncé mon « gauchisme autoritaire » et mon « populisme échevelé » en réponse à une question passe plat du « Monde » qui demandait si on pouvait « encore » parler avec moi quand on est socialiste. Le final est arrivé quand est venue l’heure de voter sur les ordonnances contre le code du travail. Quatorze députés PS ont voté contre mais la majorité du groupe, soit dix-huit députés, n’a pas participé au vote. En toute hypothèse, le « rassemblement de l’opposition de gauche » ne peut donc avoir lieu avec des gens qui ont choisi de ne pas s’opposer.
Ce tour d’horizon de « l’opposition de gauche » étant achevé, j’en viens à la tactique de combat adoptée à l’assemblée pour unir des efforts quand cela est possible. Car la ligne d’action reste de dénouer par l’action tout ce que les intrigues de Palais quelles qu’elles soient embrouillent et clouent au sol. Sans complexe et sans a priori passer à guet en s’appuyant sur chaque point de passage disponible.
Seul le cas par cas peut fonctionner. Nous l’avons testé avec un amendement pour faire « sauter le verrou de Bercy ». Nous avions vu qu’à une voix près, un amendement pour le faire avait été repoussé en commission après un épisode assez rocambolesque de trois votes confus, conclu par « assis/debout » d’anthologie. L’initiative fut donc prise de proposer à tous ceux qui le voudraient de déposer ensemble un amendement commun en séance plénière. Six groupes sur sept, c’est-à-dire tout le monde, de LR à FI en passant par le Modem, le PS et les communistes, tout le monde sauf « La République en Marche » se retrouva sur un amendement commun. Une conférence de presse commune a même eu lieu pour présenter l’initiative. C’est d’ailleurs pour effacer l’impression d’isolement total de la majorité que le président de séance se lança dans des manœuvres de présentation des amendements qui tourna à la foire d’empoigne généralisée. Mais l’expérience nous a parue efficace.
Nous l’avons donc renouvelée pour déposer un recours constitutionnel contre l’ordonnance sur la loi travail. En effet pour déposer un tel recours il faut disposer de soixante signatures de députés ou de sénateurs. Aucun de nos groupes ne les a. Et la somme des insoumis et des communistes ne réunit que trente-trois signatures. L’accord a pu se faire du PS à des autonomistes corses incluant les insoumis et les communistes.
En vain cherchera-t-on à en faire un accord « d’union de l’opposition de gauche ». Les raisons que j’ai évoquées suffisent pour comprendre pourquoi ce ne peut être le cas. Mais de même que nous signons avec LR pour « faire sauter le verrou de Bercy », nous signons avec le PS quand bien même la majorité de ses membres n’a pas voté contre l’ordonnance sur le code du travail. Telle est la méthode des « additions ponctuelles ». Elle n’a pas valeur d’accord politique global. Elle ne préjuge d’aucune suite. Elle existe pour un objet clairement délimité. Et conforme à notre programme.
Comme ce sont des étapes spectaculaires et significatives, je les cite. Mais il faut savoir que la même méthode a été appliquée à des dizaines d’amendements de LR ou du PS : nous les avons appuyés de nos votes quand ils étaient conformes à notre programme. La méthode des « additions ponctuelles » doit être lue pour ce qu’elle est : le refus des attitudes sectaires, la volonté de ne pas s’en tenir aux étiquettes pour avancer dans l’action que nous avons choisie. Et d’un autre côté, c’est le refus de donner des blancs-seings ou des amnisties à qui que ce soit. Et nous admettons évidemment qu’il en aille de même pour ceux qui sont ponctuellement nos alliés dans une bataille. Je veux dire qu’ils ne doivent se sentir lié à rien d’autres nous concernant quand ils agissent avec nous.
Le jour du dépassement a eu lieu cette année le 2 août. Nous avons voulu le marquer d’une pierre blanche en demandant à Loïc Prudhomme de poser une question d’actualité publique au gouvernement. Les conséquences de cette situation sont incommensurables. Déjà on perçoit qu’il existe un impact du changement climatique sur notre vie et sur la nature qui nous entoure. Par exemple, mes amis vignerons me disent que la vendange de cette année sera le millésime le plus précoce de tous les temps. Aussi, le manque d’eau, l’assèchement des sols, la dessiccation des feuillages, tout concourt, comme on le sait, à l’éclatement, de multiples incendies plus nombreux et plus dévastateurs que jamais.
Ces causes ont peut-être un remède comme on le sait, si nous sommes capables de changer à temps notre mode de production, d’échange et de consommation. L’avancement au 2 août de la date d’entrée en dette de la planète, venant après tant d’autres signaux d’alerte sans effet, font douter que quoi que ce soit puisse changer avant qu’une catastrophe décisive impose le changement. Un groupe de chercheurs vient d’établir que nous n’avons plus que 5% de chances d’échapper à une progression de plus de deux degrés du réchauffement climatique. Autant dire aucune.
L’important est d’analyser l’impact d’une situation dans le contexte politique ou économique qu’elle rencontre. Par exemple, on ne saurait limiter la compréhension de ce qui se passe avec la multiplication des incendies de forêt, dans le sud du pays et de l’Europe, aux seuls aspects climatiques qui en sont la cause profonde ou facilitatrice. D’autres causes sont à l’œuvre. Elles nous rappellent le prix à payer pour les politiques d’austérité et de destruction des services publics. Les feux démarrent d’autant plus facilement qu’il n’y a aucune politique de gestion sérieuse de la forêt qui se préoccupe d’y pratiquer des éclaircies et des ramassages de broussailles. Les feux se propagent d’autant plus rapidement que les moyens manquent de les empêcher de le faire.
En 10 ans, de 2005 à 2015, il y aura eu 5500 sapeurs-pompiers de moins professionnel ou volontaire. Les moyens alloués aux services départementaux d’incendie et de secours sont passés de 83 € par habitant à 81 €. 2200 centres de secours ont été fermés. Pourtant dans la même période, les interventions des sapeurs-pompiers ont augmenté de 21 %. Voilà pour les effectifs affectés à cette tâche. Pour le matériel utilisé c’est tout aussi désolant. Depuis 2010 les dépenses d’investissement matériel ont baissé de 26 %. Selon la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France : « deux tiers des camions spécialisés feux de forêt ne sont plus aux normes modernes et ne contribuent pas à une sécurité optimale pour les équipes engagées. »
On a lu aussi un peu partout que quatre Canadair de la flotte des bombardiers d’eau sont restés cloués au sol par défaut de maintenance. Il est important de rappeler que la maintenance des Canadairs français a été placée sous la responsabilité d’une société privée, Sabrena Technics. On voit que l’incurie est aussi une vertu du privé. Et il est indispensable de rappeler que cette concession de service est faite dans le cadre d’un de ces coûteux et inutiles partenariat public-privé qui étaient, paraît-il, la combinaison miraculeuse de notre époque. Enfin, mais ce n’est plus qu’un détail, signalons que cet accord lamentable a été signé par Jean-Yves le Drian, l’homme à la veste retournée.
Cette situation globalement désastreuse a été dénoncée à de nombreuses reprises par les organisations syndicales professionnelles et par nombre d’élus. Le programme « L’Avenir en commun » de la France insoumise a décliné dans un de ses livrets les mesures à prendre pour traiter la forêt en tant que secteur économique décisif. Mais il s’est surtout attaché à décrire comment mettre l’objectif économique en relation harmonieuse avec l’exigence de protéger et d’étendre la réserve de biomasse sylvestre.
Rien de tout cela n’est entendu. Les libéraux continuent à décider de tout et surtout les sujets avec la même métaphysique aveuglée qui attribue des fonctions magiques de régulation des activités de l’homme, comme celle de la nature, par « le marché » et sa main invisible, cette fumisterie. À mes yeux cette question des incendies est une illustration tragique de la façon avec laquelle ce système économique se dirige vers sa propre destruction en détruisant les racines mêmes de toute activité.
Je ne voulais pas clore ce billet de fin de saison sans avoir trouvé l’occasion de vous rappeler qu’en plus des motifs politiques, notre temps est celui de l’imminence d’une nouvelle ère dans la vie de la planète dans laquelle les êtres humains mettent en jeu leur existence en tant qu’espèce.
103 commentaires
Invisible
Pour se régénérer, l’esprit a besoin de beaucoup plus que 15 jours. Il lui faut une vacuité qui permette la rêverie. Mais bon, à la guerre comme à la guerre ! Dans l’état de guerre idéologique présent, Jean-Luc devra sortir de la tranchée après une permission minimale. Prendre du recul, il n’aura pas le temps, sauf en mode accéléré.
Macron n’a pas de foi dans la représentation populaire et c’est grave pour la démocratie. Chaque être humain se forge dans sa prime jeunesse au contact de son entourage…
Yzzy
Bravo, et merci pour le courage et l’acharnement dont vous faites preuve dans l’hémicycle ! Je vous suis assidument et combien de fois ne me suis je pas énervée de n’entendre que quelques applaudissements après une des remarquables interventions d’un députés FI, alors que l’une des minables interventions d’un représentant EM déclenchait un tonnerre de bravo. Il en faut du courage et du cran pour faire face à tant d’arrogance et d’ignorance. Bravo à vous Monsieur Melenchon pour tout ce travail que vous faites, et bravo et merci à vos « petits jeunes » qui sont épatants et qui prouvent aussi que l’on peut être nouveau députés, mais prometteurs et sérieux. Vous avez tous bien mérité quelques jours de vacances, n’en déplaisent aux grincheux. Je vous les souhaite agréables, doux et réparateurs, revigorants aussi, parceque le « meilleur » reste à venir. Comme disent les américains « Keep up the good work » ce qui se traduit mal par « continuez le bon…
patrice 30
[…] Sur les réactions des députés de l’AN elles sont pour l’instant le reflet du rapport de force soit 17 d’un côté et plus de 300 de l’autre. Par contre l’avenir est bien plus prometteur pour les députés FI qui font bloc que pour les députés EM qui sont bien moins motivés et n’ont pas de ligne directrice dans leur action à part la préférence pour les riches. Les débats à l’AN vont à mon avis devenir une formidable caisse de résonnance pour nos idées, c’est une très bonne chose.
Jeanne L.
J’espère que le 12 septembre la France insoumise sera rentrée de vacances car la CGT mobilise sans attendre le 23.
HYBRIS
« …nous avons pris au mot le PS qui prétendait que devait se rassembler « l’opposition de gauche » »
Ben oui, pourquoi ne pas remettre en selle le PS ? De telle sorte que par exemple, lorsque les « Marcheurs » se seront un peu éparpillés, Macron puisse compter sur une bonne force d’appoint. Plusieurs facteurs expliquent l’émergence de FI. Le talent et l’investissement de Jean-Luc Mélenchon, de son équipe de campagne et des militants de terrain n’y sont certes pas pour rien. Mais ces éléments étaient déjà présents en 2012. En 2017 l’horizon était plus dégagé. Hollande et les siens avaient mis bas les masques et vidé le référent de gauche de toute substance sociale. Dans ce contexte, c’est bien notre stratégie politique qui a fait la différence. Sa cohérence sur la question des alliances a scellé notre crédibilité. Alors bravo pour l’excellent travail que font nos députés, mais bravo aussi à tous ceux qui ont porté et défendu la ligne politique qu’ils incarnent.
Rimbert
Je vous félicite du recul que vous savez prendre sur les situations, ce qui vous permet de faire de bonnes analyses et aussi de bonnes synthèses. Il est indéniable que vous avez de nombreux talents (vous savez raison gardée et heureusement vous ne prenez pas facilement la grosse tête !). Macron et ses « marcheurs » sont entrain de mettre la pagaille et la démocratie n’aura bientôt plus aucun droit de cité. Encore plus grave, si ce n’était déjà plus qu’assez, l’avenir de notre civilisation est en grand péril. Il ne fait vraiment pas très beau sous le soleil des vacances ! J’espère que mes compatriotes vont se réveiller en masse d’ici septembre pour porter une grande estocade aux mesures anti-peuple (oui, c’est carrément le peuple qui le gêne) de ce président d’opérette !
Bonnefemne
Je suis entièrement d’accord avec Jean-Luc Mélenchon sur la question des médias. La meilleure réponse est l’indifférence, la meilleure réplique c’est l’action et les résultats que les députés de gauche (la vraie, PCF compris et tant pis pour les anti communistes de la FI) peuvent apporter dans la difficulté de leurs mandats.
F.k
Comment réveiller cette France qui dort, qui ne croit plus en la politique ? Je rêve que tous ces efforts de la France insoumise ne soient pas vains. Mais il y a des jours où l’ennemi semble invincible. Merci Monsieur Mélenchon de nous faire croire que l homme est capable du meilleur.