Interview publiée dans la Tribune de Genève – Propos recueillis par Xavier Alonso Paris
« Macron a le point! » avez-vous concédé il y a quelques jours. Spartacus-Mélenchona-t-il mis un genou à terre devant Jupiter-Macron?
Mais non! J’ai dit qu’il avait le point « pour l’instant ». C’est tout. Dès que la moindre expression sort du canon traditionnel, elle est tout de suite interprétée dans un registre psychologique. J’ai 66 ans, je milite depuis cinquante ans, Monsieur Macron n’est pas de taille à m’inspirer une déprime !
Que fallait-il comprendre alors ?
Que l’avalanche sociale qui aurait dû se déclencher après tant d’éléments accumulés ne s’est pas produite et qu’il faut le reconnaître pour changer de tactique de lutte. Monsieur Macron n’a qu’une faible majorité électorale – vu le très haut taux d’abstention et le deuxième tour face à l’extrême droite – il a multiplié les provocations et les lois régressives. Ses insultes, quand il traite les Français de fainéants, de jaloux ou de petits enfants, ne sont pas que des écarts lexicaux. Il travaille à rassembler la droite basique du pays. En face, cela reste l’émiettement.
La mobilisation exceptionnelle que vous aviez annoncée n’a pas pris. Pourquoi?
Moi, je n’ai rien annoncé de tout ça! J’ai dit que je voulais qu’il y ait une déferlante. Le 23 septembre (ndlr: jour de la marche de La France insoumise contre le « coup d’Etat social » ), j’ai proposé aux syndicats de passer devant puisqu’ils me reprochaient d’occuper leur terrain. Je leur ai proposé une grande marche sous leur direction. Mais il ne s’est rien passé! Comment se fait-il que nous en soyons là alors que nous devrions être en pleine ébullition sociale? Il y a eu une faute terrible de stratégie et de tactique contre Monsieur Macron.
C’est la faute des syndicats?
Leur division est désastreuse. Leur refus du politique encore plus. Je pense que le temps de la séparation entre le mouvement politique et social est terminé. Nous venons de voir sous nos yeux dans quelle impasse cela nous enferme. Si l’on maintient les syndicats d’un côté et l’action politique et associative de l’autre, quand les syndicats se divisent, il n’y a plus moyen d’arriver à rassembler les masses populaires.
En dépit de ces erreurs stratégiques, n’y a-t-il pas venant des Français une part de résignation?
Cela peut se comprendre. L’an dernier, ils se sont déjà pris un coup sur la tête avec la loi El Khomri. Il y a eu toutes sortes de mobilisations, jusqu’à ce que tout le monde soit épuisé, puis plus rien Et on recommence. Quand les journées d’action sont organisées dans des conditions sans horizon, les gens se disent que cela ne sert à rien de perdre le salaire d’une journée de travail. Il faudrait une démonstration de force, en grand. J’ai parlé d’une manifestation sur les Champs-Elysées pour frapper l’imaginaire. Mais quand on vise les Champs-Elysées, il faut être au moins 500 000 pour les remplir. Si tout le monde se mettait d’accord là-dessus pour décembre, on pourrait y arriver!
Mais les Français n’ont-ils pas tout simplement accepté ces réformes?
Non, je ne crois pas. La société française rejette toujours les potages libéraux. Mais c’est vrai que ces politiques libérales créent leur environnement culturel et psychologique. Elles installent l’idée que chacun est en compétition avec tout le monde et que celui qui échoue, c’est de sa faute. Mais je ne crois pas qu’on en soit là en France. L’esprit insoumis domine. Regardez les élections législatives. Cela a été un moment de grève civique extrêmement puissant. Mais la leçon n’a pas été tirée par les commentateurs. Ils se comportent comme si l’élection de Monsieur Macron n’était pas un événement inouï et l’irruption de La France insoumise aussi. Ce n’est pas un événement banal que nous ayons 17 députés! Bref, la France reste un volcan.
Mais Emmanuel Macron, par son habileté peut-être, n’est-il pas celui qui a réussi à mobiliser le plus ces Français qui ne sont pas résignés?
Stop! Je ne suis pas commentateur. Je suis acteur de la situation. Je dis que la France est dans un état d’esprit surcritique. Une avalanche mûrit. Pour moi, la raison pour laquelle cet état surcritique ne débouche pas sur un mouvement de masse est liée aux conditions dans lesquelles est désorganisé le mouvement de masse. De la même manière que nous sommes parvenus à bousculer entièrement le jeu de notre ancien champ politique, celui de la gauche, il est temps de bousculer le reste de l’échiquier pour fédérer les forces populaires.
L’insoumission est-elle une résistance? L’Assemblée n’a pas beaucoup de pouvoir et vous êtes minoritaires…
Et alors? Il faudrait se dire que tout est perdu? Se suicider tout à l’heure? Nous sommes une démocratie et la lutte politique en fait partie, même quand on est minoritaire. Certes, le libéralisme évolue spontanément vers une forme autoritaire. Mais nous sommes des républicains. Nous nous sommes présentés aux élections et nous avons des élus. Il y a dans cet hémicycle des gens qui continuent à exprimer l’insoumission. A part nous et les communistes, il n’y a d’ailleurs pas d’autre opposition. La droite – Les Républicains – s’est partagée entre la confiance, l’abstention et l’opposition. Le groupe socialiste aussi s’est scindé en trois morceaux. Il n’y a pas d’autre opposition cohérente que la nôtre.
Vous ne citez même pas le Front national?
Il n’existe pas! Ses députés désertent l’hémicycle.
Vous incarnez l’opposition, dites-vous. Voulez-vous aussi être force de proposition?
Nous le sommes déjà! La presse privilégie les anecdotes personnelles au lieu de donner à voir le fond. Je déplore qu’elle ne relaie aucune de nos propositions sur la loi de finances par exemple. Nous avons des propositions sur les barèmes d’impôts, sur l’impôt universel. Nous présentons un contre-budget détaillé. Pourquoi ce dédain?
Vous-mêmes, n’avez-vous pas trop recherché les coups d’éclat au point d’occulter le fond?
Nous avons fait des propositions, nous avons été présents dans l’Assemblée nationale, dans la rue, dans les luttes. Que faire de plus? La France est une démocratie, et nous sommes républicains. Il n’est donc pas question de prendre les armes!
Mais des sondages parus récemment montrent que si l’élection avait lieu aujourd’hui, la donne n’aurait pas changé. Vous êtes surtout perçu comme un opposant, pas comme une alternative…
Attendons les élections, si vous voulez bien. Mais admettons que j’accepte ce diagnostic – qui indique aussi que les Français me considèrent comme la première personnalité politique à gauche. « So what? » Qu’est-ce que je dois faire? Nous sommes dans une démocratie dont nous sommes les protagonistes. Des intérêts de classes s’affrontent. On vient de distribuer dix milliards aux puissants en supprimant l’impôt sur la fortune. Nous, nous représentons le camp de l’écologie, des pauvres et des travailleurs. Certes, ce camp a rarement gagné dans l’histoire. Mais quoi qu’il arrive, nous resterons une résistance, une insoumission. Nous ne vendons pas des savonnettes. Nous défendons un point de vue sur l’avenir de notre monde. Advienne que pourra.
Le nouveau clivage, c’est la lutte des classes?
Nouveau, non. Mais rarement aussi clair. Et assumé comme tel. On l’a vu lors du débat sur la loi de finances. Le ministre des Finances, Bruno Le Maire, dit que l’argent que les capitalistes de ce pays ne paieront pas en impôts, ils sauront où le placer pour faire des investissements et créer des emplois. Ça, c’est une politique pour laquelle il y a une classe qui joue un rôle bienfaisant spontané: la classe des riches. Mais en échange de ces milliards donnés aux riches, pour maintenir l’équilibre des comptes, on fait des coupes claires dans le budget, donc dans les services publics. C’est cela, une politique de classe!