L’entretien du président de la République diffusé dimanche soir sur France 2 était un modèle du journalisme de révérence et de complaisance. La séquence était entièrement construite à la gloire du président de la République. Les « questions qui fâchent » étaient ici absentes. Cette impertinence sadique n’était-elle pas le prétexte de France 2 pour justifier le traquenard de « L’Émission politique » à laquelle j’ai participé ? Même sans être aussi abjecte, la séquence aurait pourtant eu matière à aller plus loin que les rites du passe-plat.
Ainsi du dialogue entre Laurent Delahousse et Emmanuel Macron sur l’écologie. Le Président y adopte clairement une position pro-finance, il parle de « la finance au chevet du climat ». Une position pour le moins étonnante. En effet, entre 2014 et 2017, les grandes banques ont financé pour 630 milliards de dollars des entreprises du charbon. Les banques françaises ont même augmenté depuis 2015 leurs investissements dans le charbon de 135%. Ces chiffres sont publics. Ils ont été publiés par des ONG le jour de la tenue du sommet climat-finance qui était aussi le jour d’enregistrement de l’interview. Emmanuel Macron n’y sera pas confronté par un Laurent Delahousse préférant commenter : « c’est votre héroïsme en politique qui revient, là ? ».
De même, le président peut affirmer vouloir rester dans le nucléaire parce qu’il veut développer les énergies renouvelables sans qu’on lui fasse remarquer l’incohérence cette position. Rester dans le nucléaire signifie dépenser 100 milliards d’euros pour le grand carénage des centrales. Autant d’argent qui ne sera donc pas investi dans les énergies renouvelables. Aucune réaction non plus de la part du journaliste lorsqu’il qualifie de « grande avancée » la décision européenne sur le glyphosate. Tout le monde sait pourtant que cette décision était une défaite de la France.
Une autre partie de l’entretien a porté sur la politique internationale. On peut d’abord s’étonner qu’il ne fut pas du tout question d’un des sujets fétiches des journalistes politiques de France 2 : le Venezuela. Pourtant, celui qui est décrit comme le plus proche conseiller d’Emmanuel Macron, Ismaël Emelien, n’a-t-il pas participé directement à la campagne de Maduro en 2014 ? Le service public a permis au président de s’exprimer sur la situation en Syrie, ce qu’il m’avait refusé. Il faut noter qu’Emmanuel Macron s’est sur ce sujet rapproché de la position défendue depuis le début par « La France insoumise » sous les quolibets, à l’époque, des brosses à reluire de la chaîne publique : discuter avec tous les acteurs présents sur le terrain pour trouver une solution politique durable en Syrie. Il est vrai que ce n’est autre que la position qui est contenue dans les résolutions de l’ONU.
Là encore, des incohérences auraient pu être soulevées entre ces paroles et les actes posés par le gouvernement. Ainsi, alors que Laurent Delahousse, par ses questions, tentait de faire passer Emmanuel Macron pour le contrepoids à Donald Trump sur la scène internationale, le président soutient la création d’une Europe de la défense totalement imbriquée dans l’OTAN, l’alliance militaire dirigée par les États-Unis. Ce ne sont pas là des interprétations mais ce qu’ont affirmé les dirigeants européens eux-mêmes dans leur lettre d’intention sur l’Europe de la défense et lors d’un sommet UE-OTAN le 5 décembre. On ne saura pas non plus comment peuvent s’accorder la volonté d’avoir une position équilibrée au Moyen-Orient et les déclarations hostiles à l’égard de l’Iran prononcées par le ministre français des Affaires étrangères depuis l’Arabie Saoudite.
Cet entretien s’est aussi illustré par les questions totalement ignorées. Pas un mot sur la réforme de l’Université qui rompt avec le principe du droit de choisir ses études pour tous les bacheliers. L’entretien a été enregistré à deux jours du Conseil européen de fin d’année mais cela n’a pas donné lieu à une seule question. Le budget en faveur des riches va être voté définitivement la semaine prochaine, alors qu’un rapport sur l’explosion des inégalités au niveau mondial est publié mais cela n’a pas fait partie des thèmes retenus par France 2. Certes, tous les sujets ne peuvent pas être abordés en 45 minutes mais Laurent Delahousse et Emmanuel Macron ont eu le temps d’échanger sur l’ameublement du bureau et la durée des nuits présidentielles.
La comparaison entre cet entretien et le traitement dont j’ai été la victime pendant l’émission politique est cruelle pour France 2. Elle montre où en est le média public. Un tel état de fait est problématique en République. Les médias devraient permettre le débat contradictoire en traitant de la même manière les différents courants politiques. Ici, certains sont présentés avec une hostilité systématique quand le pouvoir jouit d’une très grande complaisance. Il convient, dans l’intérêt du débat démocratique de rééquilibrer les choses. Je crois que la création d’un conseil de déontologie du journalisme sera un premier pas dans cette voie.
Je suis allé à Barcelone tenir meeting aux côtés de nos amis de « Catalunya en Comú », alliance locale de Podemos et de diverses composantes politique de « l’autre gauche » catalane. Parmi celles-ci « Barcelona en comú » au nom de laquelle Ada Calau, maire de Barcelone, a pris la parole dans ce meeting. Le chemin choisi par nos amis et leur candidat à la présidence de la Generalitat, Xavier Domènech, est un chemin de crête. Ils refusent de s’aligner sur l’un des deux blocs aujourd’hui dominants : d’un côté les indépendantistes catalans, de l’autre les « unionistes » espagnols (de la droite post franquiste au PS). Leur projet est de sortir par le haut c’est-à-dire de parvenir à un gouvernement progressiste en Catalogne. Un gouvernement « pour tous », c’est-à-dire ayant en priorité à son agenda la question sociale et pas pour un « nationalisme » contre l’autre. Les chances de gagner sont très faibles. Les chances d’être les faiseurs de rois sont très grandes. Car aucun des deux blocs « nationalistes » ne semble en état de réunir à lui seul une majorité. L’option « ni-ni » ouvre donc une issue. Dans l’ambiance locale survoltée, il faut oser !
Mais quel autre chemin prendre ? Car la caractéristique des deux camps centrés sur l’indépendance (en pour ou en contre) est de nier la question sociale ou écologique qui ne tient aucune place dans leur offre politique. De bien des façons on peut dire que le cadre même de leur positionnement exige que tout ce qui ne concerne pas la question nationale, ou pourrait entraver le rôle fédérateur qui en est attendu, est repoussé hors du champ. C’est l’éternel vieux débat sur le sujet du nationalisme et de son articulation avec la question écologique et sociale. Sur le vieux continent européen le bilan est clair : le nationalisme a toujours été essentialiste, ethnicisant jusqu’au racisme et xénophobe. Au point que François Mitterrand a pu résumer : « le nationalisme c’est la guerre ». Il en va tout autrement dans le nouveau monde où le nationalisme est avant tout un acte de rejet de l’impérialisme américain. Il est donc le plus souvent progressiste puisque les États-Unis sont toujours en position sociale réactionnaire.
La vague des nationalismes dans l’Europe actuelle est de deux sortes. D’un côté le nationalisme de la vieille école, autoritaire et xénophobe. Il est le plus souvent d’ailleurs nourri et dirigé par l’extrême droite. C’est le cas de l’Europe de l’Est, Autriche et Pologne incluses. L’autre nationalisme est celui des sécessionnistes. Ecossais, Flamands, Catalans et ainsi de suite. Sur la base d’un ethnicisme « régional » il s’agit de récupérer une souveraineté assimilée à l’idée que le pouvoir central ayant échoué à régler les problèmes, un gouvernement local indépendant y parviendrait. On voit bien vite comment cette idée est liée au fait que le gouvernement central a été réduit à l’impuissance par les politiques européennes de coupes claires dans les budgets sociaux et par les plans de liquidation des services publics, deux fondamentaux de la raison d’être de la communauté nationale. Dans le cas européen, cette politique s’est accompagnée d’une volonté délibérée de miner les États-nations et de fortifier des structures fédératives sur le modèle des länders allemands. Autrement dit : dans des États sans chômage, bien équipés et socialement accompagnés, les séparatismes ne s’exprimeraient pas du tout de la même façon et seraient restés sans doute extrêmement minoritaires. Surtout si l’État-nation s’était montré respectueux et soucieux des problèmes et frustrations soulevés par l’opinion populaire.
En Catalogne, Podemos tient compte du fait que le vote indépendantiste n’est pas fédérateur mais clivant. Clivant de deux façons. D’abord parce qu’il partage toutes les catégories sociales et le peuple lui-même en opposant deux points de vue par définition inconciliables. Ensuite parce qu’il institue un paysage politique où chacun est mis en demeure de radicaliser son choix en assumant qu’aucun compromis n’est possible. Podemos propose donc un déplacement du débat sur les thèmes qui finissent par mettre à nu les contradictions sociales de chaque camp et donc l’illusion que chacun de ces camps constitue en tant que « camp ». Ce déplacement propose une autre ligne fédératrice dont les aliments sont les exigences écologiques et sociales. Il milite donc pour une formule gouvernementale « progressiste » incluant la gauche indépendantiste et la gauche « unioniste ».
J’ai accepté et partagé ce cadre. Je le crois le plus utile pour les voisins que nous sommes, très directement intéressés par la paix à nos frontières. Utile pour les amis des peuples en Espagne que nous sommes. Autant le leur dire : on n’a jamais construit une nation à coup de trique. On ne fait rien de bon quand la pâte est sortie du tube si on pense la faire y revenir avec des troupes qui cantonnent. Sauf au prix d’une dictature. Et celle-ci ne dure jamais aussi longtemps que le croient ceux qui les instaurent. La fraternité est une composante objective d’une communauté humaine, fusse-t-elle aussi étendue que l’est une nation. Je crois bien que c’est une donnée invariante d’échelle. Ne parle-t-on pas de « l’affectio societatis » pour désigner en latin le lien qui unit des personnes qui fondent une entreprise ? Pour se figurer correctement l’enjeu d’un tel sentiment il n’y a qu’à imaginer l’inverse s’il survient parmi les composantes de cette entreprise : la mésentente. C’est pourquoi les juristes insistent sur le caractère volontaire et conscient de ce sentiment « affectio societatis ».
Sans étendre outre mesure le parallèle on peut cependant comprendre qu’un tel lien ne peut exister là où l’un domine, humilie l’autre ou le conduit contre l’idée qu’il se fait de ses propres intérêts. L’inégalité est donc l’obstacle le plus évident au lien de fraternité. La question des séparatismes, que je distingue du pur nationalisme se traite donc à l’endroit où se reconstruit le lien social car c’est la que se reforment les « affectios ».
Une autre question vient sur ce thème. C’est celle de la signification de la souveraineté et de sa source. Pour nous, jacobins, la souveraineté est celle du peuple. Aucune autre source n’a de légitimité à gouverner la société. Je ne glose par sur le thème. Quoiqu’il soit important de bien situer chacun des termes fondamentaux de l’équation républicaine. Je m’arrête sur un point : la forme institutionnelle que doit prendre l’expression de la souveraineté populaire. On s’accorde à penser qu’une relation directe de pourvoir n’est pas possible à 65 millions. Le besoin d’un mécanisme de représentation est donc quasi incontournable. Je n’entre pas non plus dans cette discussion ici. Je relève seulement qu’une médiation est toujours jugée nécessaire. Le vote, le tirage au sort, sans être identique ni de portée égale, peuvent être considérés comme de telles médiations.
Le régime intérieur du mouvement « La France insoumise » cumule les deux modes. Donc on peut en conclure que l’unité et l’indivisibilité du peuple n’est pas forcément celle des formes de l’institution. La République française est une et indivisible. Mais elle comporte en son sein diverses formes institutionnelles pour que s’exerce la souveraineté du peuple. Le gouvernement de la Polynésie, celui de la communauté de Wallis-et-Futuna, le congrès du territoire de la Nouvelle-Calédonie, et ainsi de suite, attestent de la diversité des formes que prend l’expression de la souveraineté populaire au sein même d’une République « une et indivisible ».
Cela devrait nous aider à penser autrement que par la violence ou la sécession le cas de la Corse. La spécificité de la Calédonie a été introduite dans la Constitution. Ce fut en raison du fait colonial reconnu comme tel. Faut-il cette extrémité pour y parvenir ? La plateforme de la liste de monsieur Simeoni qui a largement gagné les deux dernières élections sur l’île réclame une autonomie avancée. Et/Mais elle demande à l’inscrire dans la Constitution. Ce qui revient à dire que l’unité et l’indivisibilité de la République est reconnue par tous puisqu’elle est également proclamée par cette Constitution. C’est donc une base de discussion acceptable sans déroger aux principes fondamentaux. Nous sommes ici dans l’essence de la souveraineté populaire. On a connu plus radical. La Constitution de 1793 prévoyait que si un tiers des assemblées départementales rejetaient une loi celle-ci ne s’appliquait pas. À mon avis, on a trop confondu le jacobinisme et sa dégénérescence autoritaire imposée Napoléon Bonaparte. L’Histoire est assez pleine d’humour pour qu’on ait eu besoin d’un Corse pour diminuer les libertés individuelles et collectives après une révolution faite pour les émanciper.
D’un autre côté les amis de monsieur Simeoni voudraient que la loi puisse être spécifiquement « adaptée » localement. C’est déjà le cas dans plusieurs territoires français. Et en Corse même dans l’ancien statut. Mais cela n’est pas acceptable tel quel à mes yeux. Je précise : ce n’est pas le principe de « l’adaptation » que je mets en cause. Ni même celui de l’initiative locale des lois applicable sur l’île. Je conteste qu’une fraction du peuple décide que la loi de tous ne s’applique pas à tous sans que tous aient donné leur avis. Donc une « adaptation » ou même une initiative législative ne devrait pas être possible sans être approuvée ensuite par la représentation commune du peuple tout entier. Imaginer une navette législative entre l’assemblée territoriale et l’Assemblée nationale n’est pas si difficile. Dès lors autant être clair : le séparatisme ne peut rester l’apanage de la plus petite partie. La plus grande devrait aussi être autorisée à se prononcer sur son envie de continuer à faire République commune si les conditions choisies par la partie séparatiste contreviennent aux principes et intérêts communs tels que pensés et voulus par le reste de la population. La relation de la Corse à la République qui l’englobe ne peut être construite sans une confiance réciproque. Elle ne peut être un simple lien administratif qui aurait vocation à se diluer dans l’eau froide du bilan des avantages et des inconvénients soupesés. Cela doit être un « affectio societatis » conscient et volontaire, un référendum quotidien, une fraternité choisie et alimentée.
Le mardi 12 décembre, s’est tenu à Paris le « One Planet Summit », un sommet climat-finance organisé à l’initiative d’Emmanuel Macron. Ce sommet était censé consacrer Macron comme le chef d’État en pointe sur les questions climatiques. Son organisation est très macronienne : il mêlait dans d’aimables bavardages des interventions, à égalité, d’acteurs étatiques, des organisations internationales et des représentants des grandes banques, compagnies d’assurance et autres multinationales. Rien n’incarne mieux l’erreur de croire que le capitalisme financiarisé peut être une partie de la solution contre le changement climatique, alors qu’il en est le principal facteur d’accélération.
Car le secteur financier mondial ne cesse de montrer combien il est un obstacle à la transition écologique. La banque HSBC a été dénoncée en janvier 2017 par l’ONG Greenpeace pour avoir participé au financement de vastes exploitations d’huile de palme en Indonésie qui sont responsables de déforestation. Ses représentants étaient invités au sommet de Macron lors d’une table ronde opportunément intitulée « verdir la finance ». La compagnie d’assurances AXA, qui a investi 848 millions de dollars dans les entreprises charbonnières depuis 2015, était également de la partie. Plus largement, on estime que le système bancaire mondial a financé l’industrie du charbon depuis 2005 à hauteur de 373 milliards d’euros. Il a investi 115 milliards de dollars dans les sables bitumineux entre 2014 et 2017. Les premières compagnies d’assurance d’Europe et des États-Unis ont actuellement 590 milliards de dollars d’investissements dans des entreprises des énergies fossiles, soit plus du triple des investissements dans le secteur des énergies renouvelables. Les ultra-riches ont une contribution plus importante que le reste de la population à la destruction de la planète. Les 1% les plus riches au niveau mondial ont une empreinte carbone 175 fois supérieure à celle des 10% les plus pauvres. Et les 88 milliardaires qui ont des intérêts financiers directs dans les énergies fossiles ont vu leur fortune augmenter de 50% depuis 2010.
En France, une étude de la Caisse des dépôts est parue très dernièrement sur les investissements pour le climat en France. Elle montre que nous sommes en dessous de ce qu’il faudrait faire. Depuis 2014, la somme des investissements réalisés contre le réchauffement climatique stagne à 30 milliards d’euros. Il s’agit ici des investissements mis dans les énergies renouvelables, dans les transports propres ou dans l’isolation thermique des bâtiments. Ces sommes sont largement insuffisantes pour tenir les objectifs fixés par la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie. Au lieu de 30 actuellement, c’est 60 à 70 milliards d’euros qu’il faudrait investir annuellement pour atteindre ces objectifs. Encore sont-ils insuffisants puisqu’ils ne proposent pas de sortir du nucléaire ou de passer au 100% énergies renouvelables.
Mais surtout, l’étude montre une nouvelle fois la défaillance du secteur privé pour le financement de la transition écologique. En effet, plus de la moitié des investissements pour le climat sont financés par la puissance publique, qu’il s’agisse de l’État, des collectivités locales ou des entreprises publiques comme la SNCF. Cette proportion a tendance à augmenter avec les années. Les chiffres montrent donc clairement qu’on ne peut pas compter sur les investissements privés guidés par la main invisible du marché pour faire la transition écologique. L’intérêt général n’est pas une composante du fonctionnement spontané de la prétendue économie de marché. C’est pourquoi nous avons proposé ce plan d’investissements publics de 100 milliards d’euros dont 50 concentrés sur les énergies renouvelables, la rénovation thermique des logements et le développement du fret ferroviaire. Mais les bouffis de prétention du style Hollande qui nous lancent de définitifs « vous ne faites pas de propositions » ont des difficultés de lectures au-delà de cent quarante signes. Et ils roulent avec des grosses voitures. Et leurs fondations puent le pétrole, l’atome et le gaz.
Un collectif d’associations citoyennes, d’ONG a mis à profit ce sommet macronien pour organiser une manifestation. L’objectif annoncé était d’appeler à stopper le financement des projets qui contribuent au réchauffement climatique. Le mot d’ordre était « Pas un euro de plus pour les énergies du passé ». Ils avaient donné rendez-vous le 12 décembre à la place du Panthéon. Un jeudi… à 8 heures du matin… Certes, la démonstration des ONG fut réussie. Et nos déléguées sur place ont été efficaces. Mais il n’en reste pas moins clairement que le peuple n’était invité par personne à ces rendez-vous. Et c’est un problème ! Encore une fois, la séparation du syndical, de l’associatif et du politique est un gâchis formidable d’énergie et un manque à gagner de prise de conscience inouï. Il y a deux ans, la mobilisation Climat organisée par Avaz nous avait tous impressionnés par sa vigueur, sa bigarrure et son ampleur. C’était un samedi et chacun avait été appelé à s’y impliquer de toutes les façons possibles. C’est la bonne méthode pour être à la hauteur de l’enjeu. Le présent nous montre que la lutte contre le changement climatique est un rapport de force social et culturel. Ce n’est pas une affaire d’opinion mais un problème de survie commun, quelles que soient les opinions.
Comme il est difficile de le savoir, la semaine dernière nous débattions à l’Assemblée du projet de loi du gouvernement pour mettre en place la sélection à l’entrée de l’université. Ce fut l’occasion de constater la méconnaissance de la majorité de la condition sociale étudiante et de ses conséquences sur le déroulement des études de la jeune génération. Un argument du gouvernement pour justifier du bien-fondé de sa réforme est le prétendu alarmant taux d’échec en licence. Ils affirment la chose suivante : « 60% des étudiants échouent en licence ». C’est faux. Parmi les étudiants qui entrent en première année de licence, il est vrai que seuls 40% d’entre eux passent en deuxième année du premier coup. Mais en bout de course, 80% des étudiants sortent de l’enseignement supérieur français avec un diplôme. Soit mieux que la moyenne des pays développés.
Cependant, leur propre constat aurait au moins dû les conduire à s’interroger sur les raisons pour lesquelles tant d’étudiants échouent à l’université. Leur seul raisonnement est : puisque certains étudiants échouent à l’université, c’est qu’ils ne devraient pas y être. D’où l’instauration d’un numerus clausus à l’entrée des facultés. Contresens total. On ne peut aller pire contre l’intérêt général d’un pays comme le nôtre qui exige l’élévation générale du niveau de qualification de sa population. Il faut donc qu’une part toujours plus importante de jeunes accèdent à l’université. Ce n’est pas le cas puisque dans les trois dernières générations, cette part stagne en dessous de 45%. L’augmentation actuelle du nombre d’étudiants qui s’inscrivent n’est uniquement due qu’à la croissance démographique et au boum de la natalité au début des années 2000.
Les conditions dans lesquelles étudient les jeunes sont parfois autant d’obstacles à leur réussite. Entre le logement, la nourriture, les frais de santé, les frais universitaires, une année universitaire coûte à l’étudiant 11 000 euros. Or, la bourse maximale qu’il peut toucher est de 555 euros mensuels sur 10 mois. Par conséquent, on met les étudiants issus des familles d’ouvriers, d’employés ou même de professions intermédiaires dans une situation où ils ne peuvent pas se concentrer uniquement sur leurs études. C’est au point que 73% d’entre eux déclarent avoir une activité salariée en plus de leurs études. La moitié d’entre eux ont une activité à mi-temps et un tiers à temps complet ! Ce chiffre est en augmentation de 10 points par rapport à la génération précédente. Ainsi, le fait qu’une majorité redouble leur première année s’explique aisément. Le temps passé à travailler pour un salaire est autant de temps qu’ils ne passent pas à étudier. Il a des répercussions sur leur état de fatigue ou de stress.
Avec l’augmentation du coût de la vie étudiante, supérieure à l’inflation depuis une dizaine d’années et l’appauvrissement des familles à cause de la crise économique, la pauvreté étudiante progresse. Un étudiant sur cinq vit aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté. Leurs mauvaises conditions de vie ont des répercussions sur leur capacité à suivre sérieusement leur cursus universitaire. Ainsi, un tiers d’entre eux renoncent à se soigner pour des raisons financières. On comprend facilement quelle conséquence peut avoir sur son travail le fait d’être malade sans se soigner. Il en est de même des conditions de logement. Le député insoumis Ugo Bernalicis alerte depuis cet automne la ministre sur l’état insalubre de nombreuses résidences universitaires. Par manque d’investissements, les étudiants sont souvent logés dans des chambres de 9m2, rongées par l’humidité et habités par des cafards. Sa visite filmée des résidences étudiantes de Villeneuve d’Ascq est particulièrement parlante sur le sujet. Ugo Bernalicis est pour l’instant sans réponse de la ministre.
Ces problèmes sont ceux auxquels il faudrait s’attaquer pour réellement favoriser la réussite de tous les étudiants. Au lieu de cela, le gouvernement va aggraver la situation. D’abord, rappelons qu’il a décidé de baisser les APL de 5 euros. Plus de 600 000 étudiants perdent ainsi de l’argent. Ensuite, il va tout simplement barrer la route de l’université pour les bacheliers qui jusqu’ici réussissaient, tant bien que mal, à poursuivre leurs études. En effet, il propose que les établissements puissent imposer, selon des critères qui pourront être différents selon l’endroit, des cours supplémentaires voir une année de « remise à niveau » pour que l’étudient ait le droit de s’inscrire en licence. Cette perspective est impossible pour les étudiants qui galèrent déjà à financer trois ans d’études. Quant à ceux qui sont obligés de travailler pour financer leur cursus, accepter des heures de cours en plus n’est pas une option. Le gouvernement veut aussi supprimer le « critère géographique » qui obligeait les universités à garder des places pour les bacheliers résidant dans leur académie. Désormais, ils n’auront plus l’assurance d’avoir une place dans une fac près de chez eux. Poursuivre leurs études signifiera un coûteux déménagement.
C’est donc une loi de sélection sociale. Elle est contre-productive pour le pays puisqu’elle va conduire à empêcher des jeunes de réaliser leur plein potentiel en élevant leur niveau de qualification. Notre logique est toute autre. Nous pensons que l’investissement dans la réussite dans les études du plus grand nombre et un facteur de progrès pour la Nation. C’est pourquoi nous proposons une allocation d’autonomie pour que les étudiants puissent se concentrer uniquement sur leurs études ainsi que la totale gratuité de l’université.
Cette loi sur l’université couronne une construction politique de l’université à la sauce des libéraux. Depuis vingt ans et plus, l’OCDE et l’Union européenne poussent sans relâche à la formation d’un marché de l’éducation. Les dépenses d’éducation sont en effet un énorme gisement financier. Les ressources qui y sont affectées sont supérieures à celles de la santé. Personne ne peut se passer d’éducation. « Les gens paieront » se disent les marchands. À quoi s’ajoute le marché de la dette étudiante nouvelle et immense source d’extension des titres de dettes en circulation. Au point que c’est peut-être de là que partira la prochaine défaillance du système financier global.
Depuis la loi LRU, la mise en place du marché de l’éducation avance à grands pas. Le numerus clausus généralisé et la rareté organisée de l’accès au bien éducatif se présente comme un moyen impressionnant de franchir un seuil vers le « capitalisme éducatif ». L’enjeu de la protection de la valeur nationale des diplômes et du libre accès à l’université n’est donc pas seulement une question de défense d’un acquis de la jeunesse. Cela serait cependant une raison de mener le combat. Mais il s’agit une fois de plus du combat pour un modèle de société. La nôtre veut que le savoir soit aussi répandu que possible et qu’il ne soit pas une marchandise réservée a ceux qui peuvent se la laisser payer. Car ceux-là organisent leur succès personnel au prix du déclassement des capacités collectives du pays.
Tandis que je me trouvais à Barcelone, Gabriel Amard me représentait à un évènement italien que je ne pouvais suivre moi-même. Gabriel est un des dirigeants du combat pour le droit à l’eau en France. Mais il est aussi un des animateurs de « La France insoumise » avec lequel je milite depuis qu’il avait dix-neuf ans, il y a trente ans. Dans la présidentielle de 2012, il dirigeait les « évènements » c’est-à-dire la mise en place de tous les temps forts de masse de cette campagne, marches, meetings et ainsi de suite. Ensuite, en 2017, il assumait le poste stratégique de la collecte des signatures de parrainage que nous menions seuls contre tous. Je donne toutes ces précisions pour que mes lecteurs sachent que c’est un observateur particulièrement aigü qui était nos yeux et nos oreilles dans l’événement italien.
Après la réunion de fondation du mouvement de Zoe Konstantoupoulou à Athènes, c’est la deuxième fois que nous participons à l’émergence d’une force politique nouvelle cousine de notre mouvement « La France insoumise » devenue une des références les plus importantes des mouvements de cette nature dans toute l’Europe. De plus, Gabriel parle l’Italien. De la sorte, il était donc le meilleur truchement pour moi auprès des italiens du nouveau groupe en formation. Je lui ai demandé de m’adresser un court résumé de ce qu’il a vu sur place. Il a intitulé son rapport : « Petite note de voyage en Italie à Rome à la rencontre de « Potere al popolo »». Je la reproduis ici pour vous associer du mieux que je peux à notre aventure commune pour la construction d’une alternative populaire européenne. Une alternative indépendante, sans compromis avec les sociaux-démocrates, la droite, et les débris du vieux monde ou de l’espoir trompé et foulé au pied du genre d’Alexis Tsipras et Syriza. Voici le coup d’œil de Gabriel.
« Cela vaut le coup de faire un voyage en train de 10 heures dans chaque sens de Lons le Saunier à Rome à l’invitation des Assemblées « Potere al popolo ». En effet, les assemblées territoriales adossées à des centres sociaux donnent ici naissance à un mouvement citoyen pour » donner le pouvoir au peuple » en français. Elles traduisent une disponibilité politique de la jeunesse à s’auto-organiser et entraîner d’autres générations pour refonder quelque chose de populaire en Italie en dehors des partis politiques traditionnels »
J’ajoute au récit de Gabriel : et de la vieille gauche usée jusqu’à la corde dans les compromis pourris. Le plus puissant parti communiste d’Europe occidentale a fini sa décadence jusqu’au point d’être un « parti démocrate » où ses vieux bureaucrates grenouillent avec les survivants de la démocratie chrétienne et du parti socialiste italien. Gabriel continue :
« J’ai entendu ici nombre d’assemblées territoriales parler de solidarités concrètes et d’auto-organisation et aussi de traduction politique des luttes pour « changer le quotidien des exploités « . Je vois bien que des forces politiques ne sont pas très loin et sont disponibles pour soutenir cette démarche. J’espère qu’ils sauront se mettre à disposition sans chercher à récupérer cette énergie et cet enthousiasme naissant. Ce sont près de 90 assemblées territoriales qui se sont tenues ces dernières semaines en Italie et près de 1000 représentant-e-s qui se sont retrouvé-e-s aujourd’hui à Rome. Leur première objectif est de présenter des candidatures aux élections législatives du mois de mars prochains en Italie. Mais ils ont solennellement pris l’engagement de continuer en dehors des élections. Ces assemblées territoriales proposent au peuple d’occuper lui-même la scène politique. Très clairement un vent de dégagisme peut se lever. Il faudra sûrement que toute cette jeunesse issue des centres sociaux italiens se tiennent à distance des organisations politiques traditionnelles.
Mais je veux être fidèle à la pensée des organisateurs ou, en tous cas, de ce que j’ai compris après avoir pris le temps de poser maintes questions à Tania , Giuliano, Viola, Chiara, Eleonora, Fabio. Ce 17 décembre 2017, dans un théâtre bondé à Rome, plus de 1000 personnes, de toutes les régions d’Italie, ont écouté les propositions des assemblées territoriales, la voix des travailleurs en lutte, le récit des citoyens qui se battent pour défendre leur territoire contre des opérations de « spéculation écologiquement criminelles » qui les détruisent, les témoignages de ceux qui, sur le terrain, s’auto-organisent pour récupérer ce qui leur est nié, le droit de vivre une vie digne.
Voilà le message entendu aujourd’hui et que ces assemblées comptent porter pendant la campagne électorale et au-delà : « le monde libéral n’est pas le seul possible, aucune force naturelle ne contraint la jeunesse à émigrer et la majorité de la population à travailler pour 3 euros de l’heure, y compris le dimanche ». Dans ce monde-là, ils préviennent : » Nous n’avons plus rien à perdre ! La raison est de notre côté et nous avons le nombre, il est temps de reprendre le pouvoir, dont nous sommes les légitimes dépositaires ! » Toutes leurs interventions convergent : « Nous regardons avec solidarité ceux qui, en Europe comme dans le monde, luttent pour améliorer leur vie quotidienne. Ceux qui se sont battus, en France, contre la Loi Travail et les ordonnances, mais aussi en Grèce, en Espagne, en Catalogne, en Portugal, ceux qui se sont élevés contre la gestion libérale de la crise. C’est ensemble que nous réussirons à briser les chaînes de cette Union Européenne des traités qui répand la misère et fomente la haine et la division du Peuple. «
Que la vibration de ces mots arrive jusqu’à vous mes chers lecteurs, dans ce temps de pause qu’il faut rendre aussi festives que possible. Nous ne sommes plus seuls. De tous côtés surgissent des énergies et des regroupement à vocation tribunicienne et populaire. Notre patient combat sans concession a augmenté la confiance en soi des insoumis de toutes les peuples. Et nous augmentons notre détermination en les voyant se lever.
60 commentaires
Buonarroti
En Italie aussi nous sommes minoritaires. Avec une minorité de plusieurs dizaines de millions à l’international, voici une dynamique de nombre en profondeur océane ! Pouvons-nous faire émerger des contres modèles utiles, rentables, auto gérables, fédérateurs. La révolution citoyenne ne crée t-elle pas de la richesse, des moyens pour son propre avènement. Les insoumis ne doivent pas être réduits par la misère, ni l’ONU, ni l’UNESCO. Les représentants de la paix doivent disposer de moyens financiers conséquents. Le lendemain du grand soir pour socialiser l’appareil de production condamne à l’affrontement de masse et la guerre reporte indéfiniment la naissance de ce jour.
Henry J
D’accord, sauf que le programme des insoumis, « L’Avenir en commun », ne prévoit pas, à ma connaissance, de socialiser l’appareil de production ni même le secteur financier. Alors sans moyens productifs et financiers conséquents, on voit mal comment la révolution citoyenne pourrait advenir.
Buonarroti
Précisément ! D’où le concept de planification écologique qui associe et assigne l’orientation de la sixième république. Il importe de n’humilier personne. Les contradictions animent la révolution citoyenne. Vivre, laissé vivre et inviter nos concitoyens à rédiger la constituante, à initier des process socio-économiques culturellement crédibles. La difficulté initiale réside dans l’absence de modèle porteur d’évidence. Réunir ex nihilo quelques acharnés sur cet objectif expérimental condamné à la réussite pour faire sens, c’est la seconde difficulté. Enfin la troisième et non des moindres, relève de la nécessité absolue pour les réactionnaires d’en interdire l’accès. On voit mal dans ces conditions comment la révolution citoyenne pourrait advenir et pourtant la constitution de la 6eme république en édifiera la fondation !
Jacqueline Sacoreine
Je propose un néologisme, l’informatation pour caractériser la presse actuelle.
olivier
« Je vois bien que des forces politiques ne sont pas très loin et sont disponibles pour soutenir cette démarche. J’espère qu’ils sauront se mettre à disposition sans chercher à récupérer cette énergie et cet enthousiasme naissant. »
Modestement, je pense qu’il serait opportun de considérer les mêmes phénomènes pour France Insoumise. A mon sens admettre que chaque individu ne représente que lui (sauf mandat) et non un parti politique dans les assemblées serait déjà un progrès. Exercer une vigilance même bienveillante pour éviter les tentatives de récupérations politiques aussi. Et le faire savoir dans les groupes locaux.