L’année qui commence ne vaudra rien pour ceux qui veulent la mettre à profit si le bilan correct de celle qui a eu lieu en 2017 n’est pas fait. Je m’y attacherai dès que possible dans ces premiers jours favorables aux moments de rencontre. Le dégagisme reste la réalité politique de base de cette séquence. Pour l’heure, l’hagiographie permanente qui entoure le président est un confortable bruit de fond. Comme ça bloque tous les canaux de la vie publique officielle sans vraiment convaincre, autant utiliser le répit. Pendant que le parti médiatique encense le grand homme de leur patron, nous avons notre temps pour finir de sortir en douceur de la trêve des confiseurs. Je donne donc rendez-vous à mon prochain post pour illustrer cette manière de voir le présent comme une étape dans une dynamique globale dont les éléments se sont joués sur plusieurs tableaux et plusieurs épisodes. D’ici là, il n’y a pas de pause pour nous les insoumis d’action. L’année démarre avec le chantier de la loi de sélection à l’entrée des Universités qui est loin d’avoir fini son parcours législatif. Et ce qui est en train de se nouer dans les divers services publics pourrait bien être déclencheur. Sans aller plus avant je résume : que chacun s’apprête à se rendre utile ! Que chacun aille à son poste de combat !
Comment ces hommes font-ils pour être à ce point capables ne de rien incarner d’autre qu’eux-mêmes ? C’est que précisément dans la société du spectacle, les vœux fonctionnent comme un miroir pour celui qui les prononce. Les vœux de Hollande étaient par nature crayeux. Le président était alors aussi ostentatoirement banal qu’il annonçait qu’il le serait. Juste un cran en dessous pourtant. Pile poil à cet endroit où toute chose commence à se décomposer en perdant son vernis. Alors commençait à suinter la médiocrité glacée et sournoise du personnage. L’homme qui se réjouissait de tromper tout le monde, l’homme du refus de l’amnistie sociale et de toutes les autres fautes humaines et mesquineries personnelles, laissait voir alors, sans le vouloir, quelque chose de la cendre froide qui est sa pâte. Hollande ne nous parlait pas. Il expédiait une formalité. Ce que nous penserions de lui l’indifférait. Il aimait se sentir capable de cette indifférence. Elle le rassurait sur sa singularité. Comment oublier cet aveu qu’il fit une fois : il admirait d’abord la capacité d’indifférence qu’il attribuait à François Mitterrand.
Avec Macron, tout est différent, bien sûr. Macron sort du cadre comme son discours sort du prompteur. Macron voudrait bien nous parler personnellement. Il voudrait qu’on admette ce qu’il dit. Il nous parle donc sur le ton d’une autorité qui veut être bienveillante. Mais le ton, et même ce registre du commandement inclusif, est celui d’un DRH. Il voudrait propager de l’esprit d’entreprise en même temps que des consignes. Plein de cette évidence qui n’appartient qu’aux haut-parleurs des aéroports, Macron déclame, certes, mais le texte est celui du mode d’emploi d’un nouvel appareil ménager. Je l’ai trouvé ennuyeusement précis comme un notaire qui n’oublie pas une ligne de ce qui doit être dit. Bref c’était décevant. Laborieux. Une sorte de lapin Duracel qui aurait perdu son tambour. Adieu le style « je franchis aller-retour le pont d’Arcole chaque matin sous la mitraille ». Et puis, « allo quoi », ce truc de recommencer sur Facebook « pour faire plus court » ! Non ! Non ! Je n’ai pas aimé de savoir qu’à vingt heures j’étais juste un cahier de brouillon pour réussir son Facebook ! Macron, ça veut être du plug and play. Mais au premier bug il prend la porte de secours. Une leçon à retenir à son sujet.
L’obscène sortie de Castaner à propos des sans-abris a cruellement mis à nu une double réalité : celle de l’abandon à la rue et celle de la bonne conscience des classes dirigeantes. L’année 2017 est encore une fois meurtrière pour les sans-abris. Pourrait-il en être autrement ? Mais la mort cette année frappe moins silencieusement. Même les médias s’y intéressent. Dans la rue ce 2 janvier, à l’appel du DAL (droit au logement), les meilleur(e)s des nôtres marchaient pour exiger la réquisition des locaux vides du Val-de-Grâce. Comment vous dire quelle gratitude on ressent en voyant ces personnes mobilisées pour les abandonnés. Comme l’abandon est la honte ineffaçable de ce système pourri, ces mobilisés sont l’honneur de notre société. Car l’abandon à la rue n’est plus la périphérie du système. Il est un attribut permanent de son fonctionnement. Le ruissellement de la misère fait partir de tous les niveaux sociaux des vaguelettes vers le bas, vers la désocialisation, vers la solitude vers la rue. On meurt à la rue toute l’année sans pause ni trêve ! On ne meurt pas à la rue qu’en hiver.
Depuis janvier 2017, l’association « Les morts de la rue » a recensé au moins les sans-abris décédés. Bien sûr, le travail de cette association est avant tout mémoriel. Son but est de rompre l’anonymat de ces morts silencieuses, pas de faire des statistiques. Cela ne nous empêche pas de savoir. Une étude réalisée il y a quelques années à partir des données du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès évaluait à 2000 par an le nombre de morts dans la rue. On ne connait pas le nombre réel et exact. Tout comme on ne connait pas le nombre de sans-abris puisque le dernier chiffre publié par l’INSEE à ce sujet date… de 2012. Notre pays comptait alors 143 000 personnes privées de domicile personnel dont 30 000 enfants. Cela représentait une augmentation de 50% en 10 ans.
Le 25 décembre, l’association Droit au Logement est allé manifester devant le ministère du Logement. Les militants ont voulu en cette occasion rappeler la promesse du Président de la République qui, le 27 juillet dernier, claironnait : « d’ici la fin de l’année, je ne veux plus personne dans les rues, dans les bois ». Depuis, l’action du gouvernement conduit au résultat inverse. Il ne prend pas les mesures d’urgence pour mettre à l’abri les personnes et prend des décisions qui vont aggraver la misère. Par exemple ce refus d’ouvrir l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris, pourtant vide. Nous le lui avons pourtant demandé à l’Assemblée nationale par la voix de la députée insoumise Caroline Fiat. Le 30 décembre, des associations ont occupé symboliquement l’hôpital pour réclamer l’action du gouvernement. Il refuse de voir le problème de pénurie de places d’hébergements. M. Castaner a même pu affirmer que la responsabilité revenait aux sans-abris eux-mêmes qui « refusent, dans le cadre de maraudes, d’être logés ».
Face à de tels propos, les associations ont dû rappeler le dernier état du baromètre du 115, le numéro d’appel pour les sans-abris. Il est saturé. Incapable de répondre à la demande. Dans le département des Bouches-du-Rhône, seul un tiers des appels au 115 ont abouti à une proposition d’hébergement. À Paris, c’est seulement un quart, en Seine-Saint-Denis 17%, et dans le département du Nord, 6%. Un tel scandale devrait justifier d’utiliser la loi de réquisition des logements vides. N’oublions jamais que cette possibilité existe dans notre ordre juridique. Une ordonnance de 1945 permet de réquisitionner un local vide depuis plus de six mois « en cas de grave crise du logement » et une loi de 1998 étend cette possibilité pour réquisitionner des immeubles entiers laissés vacants. Il y a là un gisement pour mettre à l’abri les personnes à la rue. Cet été, l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) publiait une étude dans laquelle il estimait à plus de 200 000 le nombre de logements inoccupés à Paris, soit 15% du total. Dans les arrondissements centraux, cette proportion monte même à un quart des logements.
Ce sont là des solutions d’urgence que le gouvernement pourrait appliquer s’il prenait au sérieux la promesse de cet été du Président. Mais l’hébergement d’urgence, aussi indispensable soit-il, ne constitue pas une solution pérenne. Toutes les associations pointent le manque de logements bon marché comme le véritable défi. L’objectif ne doit pas être de fournir, pour quelques jours ou quelques semaines un hébergement, souvent de mauvaise qualité, mais de sortir de la rue de manière durable les personnes qui y sont et donc de leur fournir un logement. De ce point de vue, le budget voté par la majorité va aggraver la situation. En effet, pour respecter la règle européenne des 3% de déficit, il coupe 1,5 milliard d’euros dans le budget des organismes HLM. Ainsi, alors que déjà près de 2 millions de familles sont sur liste d’attente pour l’attribution d’un logement, ce sont 54 000 logements sociaux qui ne pourront pas être construits en 2018 à cause de ces restrictions budgétaires.
Le marché privé de la location ne peut pas répondre aux besoins sociaux. La spéculation y a fait exploser le niveau des loyers. Le 28 novembre dernier, le faible encadrement des loyers mis en place à Paris a été annulé par le Conseil d’État. Il aurait suffi au gouvernement d’étendre cet encadrement à l’ensemble de l’agglomération parisienne pour annuler cette décision puisque c’est seulement le périmètre trop restreint que contestait le Conseil. Il n’en fera rien. Dans les prochains mois, il compte créer le bail précaire : un contrat de location qui pourra être signé pour une durée de 1 mois à 1 an. Ainsi, ceux qui ont perdu la sécurité de l’emploi à cause des ordonnances vont bientôt perdre également la sécurité de leur logement.
« L’Avenir en Commun » était le seul programme pendant la présidentielle et la législative qui proposait l’objectif de zéro sans-abri. Grâce à notre plan d’investissement, nous proposions de construire 200 000 logements publics par an. Un million de logements sur la mandature, ce qui correspond au nombre que l’on aurait dû construire en plus depuis 20 ans pour répondre aux besoins démographiques. Cela est bon aussi pour l’emploi puisque l’on considère que la construction d’un logement peut générer jusqu’à deux créations d’emplois non délocalisables. Il faut aussi tarir le flux de ceux qui perdent leur logement. Il faut pour cela généraliser l’encadrement des loyers sur tout le territoire et encadrer à la baisse dans les grandes villes.
Notre programme reprenait aussi la proposition de la Confédération Nationale du Logement et de la Fondation Abbé Pierre d’une sécurité sociale du logement sous forme d’une garantie universelle des loyers. Ainsi, lorsqu’un locataire se retrouve dans des difficultés pour payer son loyer, la garantie prendrait le relai auprès du propriétaire le temps qu’il trouve une solution. Bref il n’est pas vrai que les sans-abris soient un problème sans solutions de court et moyen terme et même de très long terme. Le dénuement n’est pas une fatalité. C’est le résultat d’un rapport social. Il a des causes. En les affrontant on peut commencer à éradiquer le problème.
A Noël il y a eu un mini krach spéculatif sur l’euro. C’était quatre jours après que l’on m’ait reproché en séance à l’Assemblée nationale de provoquer des catastrophes financières en les décrivant. Bien sûr, c’est un épisode sans importance de la vie parlementaire en fin d’année. Mais il m’a frappé. Voici l’histoire. Notre chef de file dans le débat sur la loi de finances, Éric Coquerel, demande du renfort pour l’ultime passage du texte devant l’Assemblée. En effet, nous avons gagné le tirage au sort pour l’attribution des motions de procédure. Au total, il y avait donc quatre discours supplémentaires de quinze minutes à prononcer. J’en prends un à propos du plan de route sur cinq ans des finances publiques. Je me suis exprimé sur l’importance de la dette privée et du gonflement de la bulle financière. Je voulais souligner que le plan de route sur cinq ans du gouvernement ne comporte aucune mesure prospective sur ce thème. Le ministre me répond que selon sa grand-mère, à force de craindre des catastrophes elles finissent par arriver. Et l’oratrice de « La République en marche » de m’inviter à davantage d’optimisme. Voilà de la méthode Coué à l’état quasi chimiquement pur. Pourtant, nous sommes sur le seuil de 2018. La dernière crise financière mondiale a tout juste dix ans. Elle a failli provoquer l’effondrement du système économique mondial. Cette année, les banques américaines vont encore devoir allonger cinquante milliards de réserve pour éponger les restes de la catastrophe de l’époque. Tous les clignotants d’annonce de bulle financière sont au rouge.
À Noël, quelqu’un n’a pas entendu l’appel de la grand-mère du ministre ni celui de l’oratrice de la République en marche. C’est l’algorithme qui travaillait cette nuit-là vers trois heures du matin. Une machine. Un logiciel. Il a provoqué un mini krach sans cause sur la valeur de l’Euro. Ce type d’engins est utilisé par tout ce que la planète de la finance compte de grosses bouches à fric les plus indifférentes aux conséquences de leurs actes. Il est donc normal que ce genre de spéculation algorithmique se caractérise par l’absence d’intervention humaine. Le logiciel fait tout. Il peut beaucoup. Comme par exemple une vente massive en quelques minutes. Une pratique dangereuse, donc, mais tellement conforme à l’appétit de profits sans règles ni limites qui a déjà été la cause de la catastrophe financière de 2008. Le plus célèbre de ces sortes de « flash krach » reste celui qui a ébranlé Wall Street, le 6 mai 2010. Ce jour-là, le Dow Jones avait brutalement chuté de près de 10 % en séance, faisant s’envoler en fumée 1 000 milliards de dollars de capitalisation boursière. Je mentionne cet évènement parce qu’il montre à quel point rien n’a changé depuis 2008 en ce qui concerne les causes qui avaient été repérée à l’époque. Je suis donc frappé par l’état d’amnésie des dirigeants actuels. Alors, j’ai résolu d’écrire ces lignes.
Je veux partir des réformes qui avaient été jugées indispensables au lendemain de la crise de 2008. Je choisi de le faire sur un terrain qui me place au-delà des textes ou analyses de notre famille politique. Je pars des diagnostics et solutions proposées à l’époque par un adversaire politique qui n’avait pas peur des mots : Nicolas Sarkozy. Chacun pourra apprécier l’écart entre ce dont il prit conscience en même temps que d’autres et ce qui fut fait. Et chacun pourra se demander sans être impressionné par mes mauvais augures si ce qui était nécessaire l’est moins et de quel prix sera payé le fait de ne rien faire.
Il y a dix ans, c’était la grande crise financière dite des « subprimes ». Partie des États-Unis, elle déferla sur le monde en quelques heures, passant d’un établissement financier à l’autre. Le système financier prouva qu’il était bien aussi global qu’on le disait et aussi libre de toutes règles qu’on le dénonçait. De leurs côtés, les nations montrèrent qu’elles étaient bien devenues aussi impuissantes devant les mouvements financiers qu’on le disait. Pourtant, ce furent les États et les peuples qui prirent en charge le règlement du problème. Le capitalisme financiarisé apporta la preuve spectaculaire à la fois de sa dangerosité et de son incapacité à s’autoréguler. Toute « la modernité » de notre temps s’effondra dans une sordide affaire de prêts consentis à des pauvres pour mieux leur voler leur chemise. N’empêche, c’était « la plus grave crise du capitalisme depuis 1929 » selon tous les doctes savants qui avaient pourtant encensés à longueur de journée le magnifique système capable d’un tel désastre.
Des moyens exceptionnels ont donc été mobilisés par les États pour empêcher l’effondrement complet du système économique mondial. Tous les peuples ont été mis à contribution. L’aberration du système financier qui avait conduit à cette situation lamentable était pourtant décrite depuis des années par tous les économistes altermondialistes. Sans leur rendre justice des sarcasmes dont ils avaient été accablés pour avoir vu clair avant tout le monde, de pieux médiacrates jurèrent que « personne n’avait vu venir la crise ». On fit donc grand bruit autour des mesures de toutes sortes annoncées pour assainir le système. Je ferais volontiers la liste des annonces et de ceux qui en prirent la responsabilité. Ce serait distrayant. Un G20 solennel se tint. Des ivrognes réunis dans un pub jurèrent de ne plus boire. Le président français d’alors, Nicolas Sarkozy, se démena il est vrai comme un beau diable. Madame Merkel montra une fois de plus son ineptie bornée puisqu’elle ne fit rien et failli même empêcher que quoi que ce soit se fasse. Sa seule préoccupation était qu’on ne vienne pas demander à ses chers rentiers bavarois de mettre la main à la poche.
Si je me concentre sur Nicolas Sarkozy c’est qu’il fit l’effort, rare à l’époque parmi les dirigeants politiques de droite, de mettre en mots une analyse de ce qui s’était passé et de ce qu’il faudrait faire en bonne logique. Comme ce sont ses mots, on ne pourra dire que ce sont les miens et donc que je serai en train de répéter mes analyses de l’époque ni celle d’aujourd’hui.
Donc, quelques semaines après l’éclatement de la crise financière aux États-Unis et en Europe, Nicolas Sarkozy prononce un discours à Toulon, le 25 septembre 2008. Il y détaille les principales mesures à prendre pour une réglementation des marchés financiers, contre les paradis fiscaux, et ainsi de suite. Une critique en règle du système capitaliste avec des mots et un plan à la clef dont une bonne part se retrouverait sans problème dans le plan de marche d’un gouvernement insoumis. Je crois qu’avec le temps qui a passé et les amnésies sélectives du système médiatique, on a oublié la virulence de ses propos de l’époque. Il faut pourtant s’en souvenir pour prendre la mesure de la panique qui avait pris le monde à la gorge devant la démonstration qui venait de se faire de la dangerosité du système dans lequel nous vivons. « Il faut remettre à plat tout le système financier et monétaire mondial » avait osé le président français.
Bien sûr, après les grandes déclarations, rien de cela n’a été touché si peu que ce soit. Le système financier et monétaire mondial continue d’être dominé par les spéculateurs et les financiers. Leur emprise sur l’économie s’est même accrue. Bien sûr, il n’y a eu aucun accord pour stabiliser les taux de change. Les marchés spéculent comme avant sur les monnaies. Aux États-Unis, des masses monstrueuses de liquidités sans contreparties matérielles ont été injectées dans la sphère financière. L’Europe s’y est mis elle aussi en dépit des bruyantes consternations allemandes. Les États n’ont absolument pas repris la main et la dérégulation a étendu son champ. Pourtant, le constat avait été fait que la finance était globale et mondiale et que les outils qui prétendaient la contrôler étaient partiels et nationaux.
Pour autant, je veux faire une rapide récapitulation des moments les plus forts du discours de Sarkozy. Le diagnostic et les préconisations qu’il a posées sont ceux d’un homme de droite nullement hostile au capitalisme. Dans le moment de panique de l’époque il exprime une clairvoyance qui le rapproche de celui des secteurs les plus critiques du capitalisme financiarisé. Il est donc intéressant à la fois pour prouver que notre analyse n’a rien d’une vision purement idéologique d’une part puisqu’elle peut être partagée par quelqu’un qui ne partage pas nos grilles d’analyse et ensuite parce que on peut constater qu’après le constat et les préconisations, tout ce petit monde est retourné à ses affaires comme si de rien n’était.
Pourtant le principe de base posé par Sarkozy était fracassant : « L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laissez-faire, c’est fini. Le marché qui a toujours raison, c’est fini. » Naturellement il ne se passa rien de tel. Trois ans après, en juin 2010, madame Merkel elle-même semblait avoir compris la nature du problème posé. Elle se joignit donc au Français pour demander à la Commission européenne des mesures pour encadrer les marchés financiers européens, contrôler le système pourri de la titrisation des dettes, interdire les « ventes à découvert » et d’autres merveilles dont le public profane venait de découvrir l’existence à cette occasion. Et ainsi de suite. En vain. L’affaire se dilua tout doucement dans les sables de l’oubli médiatique. Et pour finir, quelques temps plus tard, on reprit le cycle des décisions en sens contraire. C’est ainsi par exemple qu’au Parlement européen, la majorité droite/PS vota de nouvelles autorisations de titrisation des dettes. J’ai expliqué sur ce blog ce qu’il en était au moment où cela se décida.
On cherchera en vain une ligne sur ce sujet de la part des « observateurs » et autres « correspondants » au Parlement européen occupés à compter mes présences sur mon banc et à surveiller leurs petites affaires personnelles bien cloisonnées.
Le discours de Toulon ne se contentait pas de poser de grands principes contre la finance. Il entrait dans le détail des causes circonstancielles du déclenchement de la crise. Par exemple, une des causes pointées à l’époque était l’exubérance des rémunérations des patrons des grandes firmes. Elle aurait engendré à la fois le gonflement de la bulle financière mais surtout leur appétit pour les actions financières de court terme, les plus risquées. Pour ma part je ne le crois pas que cela ait été le facteur central de la crise. Mais la contribution au déclenchement de celle-ci par le rôle des rémunérations par stock-options et autres astuces qui indexent les salaires de grands chefs sur les cours de bourse sont assez évidents. Sarkozy lui-même en fit donc une cible publique. Depuis, le poison s’est diffusé dans les veines de l’esprit public et des rémunérations inouïes, des enrichissements sans cause fantastiques sont devenus banals. D’une autre façon, c’est ce que l’on a pu constater quand Macron a supprimé l’impôt sur la fortune financière et a ainsi redonné 4 milliards aux riches. Aucun commentateur parmi les économistes médiacrates n’a vu d’inconvénient à une telle contribution à la financiarisation de l’économie. Les payes monstrueuses des grands patrons, le retour des giga-primes aux traders, tout est revenu dans l’ordre c’est-à-dire dans un monde sans limite et sans décence. Mais à l’époque, Sarkozy avait été catégorique : « Les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs doivent être encadrés ». […] « Leur rémunération doit être indexée sur les performances économiques réelles de l’entreprise ».
Il est intéressant de se souvenir comment tout tourna court. En novembre 2008, deux mois à peine après le discours de Toulon, une proposition de loi est présentée. Elle veut réformer le statut des dirigeants de sociétés et encadrer leurs rémunérations. Elle est aussitôt bloquée au Sénat. Le texte est renvoyé à l’examen de la Commission des Finances qui l’enterrera sans bruit. Il y eut même un épisode délicieux d’humour noir. Xavier Bertrand, ministre à l’époque et dissident des Républicains aujourd’hui avait voulu rassurer: «Le Medef et l’Association française des entreprises privées, l’Afep, ont proposé un code de gouvernement d’entreprise qui aborde l’ensemble des éléments de rémunérations et les encadre de façon stricte». Des sénateurs faciles à convaincre s’en étaient contentés. Jean-Pierre Jouyet, ancien et futur copain de François Hollande, à l’époque ministre de Sarkozy puis président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) déclare même : « il est “très difficile de légiférer” sur la rémunération des dirigeants ». Et de fait, les intéressés, qui avaient eu d’abord bien peur, ne manquèrent pas l’occasion de se moquer du monde à la première occasion. Dès 2010, moins de deux ans après les présidentielles admonestations, les patrons du CAC 40 augmentèrent en moyenne leurs salaires de 24%.
La vision du discours de Toulon de Nicolas Sarkozy visait ample. « Il faut réglementer les banques pour réguler le système ». […] « Ce qu’il faudra dans l’avenir, c’est contrôler beaucoup mieux la façon dont elles font leur métier, la manière dont elles évaluent et dont elles gèrent les risques, l’efficacité de leurs contrôles internes… » […] « La crise devrait amener à une restructuration de grande ampleur de tout le secteur bancaire mondial ». Il s’agissait d’inciter les banques à développer le crédit plutôt que la spéculation. Nous ne disons pas autre chose encore aujourd’hui. Mais le gouvernement du PS sous la houlette du ministre Pierre Moscovici s’est chargé de réduire à néant toute tentative sérieuse dans ce domaine. Ainsi de l’obligation d’abord prévue de séparer les banques d’investissement des banques de détails, à l’instar de ce qui avait été fait aux Etats-Unis après la crise de 1929. Je suis conscient du contenu spécialisé de ces termes. C’est pourquoi j’ai mis des liens hypertextes sur chacun de ces mots pour que les lecteurs qui le souhaitent puissent en connaitre les définitions et l’histoire. De l’idée, il ne resta rien ou presque. Une banque célèbre, la Société Générale, constata avec une joie non dissimulée que seulement 2% de son bilan étaient concernés par les décisions de Moscovici.
En fait, il est peut-être impossible de séparer ces deux activités dans l’état du capitalisme de notre temps. Les banques doivent jouer au casino de la finance globale avec la ressource que représentent les millions de dépôts et de compte du commun des mortels car le niveau de leurs fonds propres ne leur permet pas autre chose.
Le plus sinistre, rétrospectivement, restera la pantalonnade à propos des paradis fiscaux. Nicolas Sarkozy demandait de «se poser des questions qui fâchent comme celle des paradis fiscaux… ». Donc en avril 2009, il réunit les principaux banquiers de notre pays pour les admonester et leur demander de tarir leurs relations avec les 42 paradis fiscaux dont la liste établie par l’OCDE venait d’être demandée par le G20. « Faute de quoi, elles pourraient subir des sanctions », annonce même Le Figaro. Quelques mois plus tard, en septembre, ouf ! L’annonce est claironnée, l’objectif est atteint. Le président trompette : « Les paradis fiscaux, le secret bancaire. C’est terminé. » Je suppose que cet épisode n’a pas besoin de commentaires depuis les « Panama papers » et autres « Paradise papers ».
On peut quand même après cela exprimer quelques doutes sur la localisation du danger, sans rien enlever à la gravité de la question de l’existence impunie de paradis fiscaux. En effet, la moitié des produits toxiques en Europe étaient déjà détenue en 2008 par des banques européennes, elles-mêmes, parait-il, contrôlées par une foule d’organismes non moins européens et notoirement spécialisés dans ce type d’activité. Depuis, la situation s’est aggravée comme j’ai pu le constater sur mon banc au Parlement européen avec le droit accordé aux entreprises de titriser leur propre dette.
Il y a eu aussi un moment devenu glaçant avec le recul. C’est celui des mesures à prendre contre les agences de notation. Le mérite de Sarkozy est d’avoir pointé publiquement leur rôle dans l’éclatement des crises. En effet, soit parce qu’elles ont caché la situation réelle d’entreprises géantes qui se sont ensuite écroulées entrainant des myriades d’autres dans la ruine, soit parce que leur système de mauvaise notes inappropriées déclenche des tornades financières. Sarkozy avait donc été catégorique. « Il va falloir se décider à contrôler les agences de notation qui ont été défaillantes ». En juin 2009, le Parlement européen vote donc un système de contrôle des agences de notation. L’accord prévoit que pour exercer, les agences devront s’enregistrer en Europe et qu’elles seront par la suite contrôlées par le comité européen des régulateurs des valeurs immobilières. En cas de faute, les agences se verront sanctionnées par une interdiction d’exercer. Les commentateurs sérieux n’en crurent pas un mot et montrèrent que tout cela tenait de « l’effet de manche ».
Tout cela était bien excessif aux yeux de maints intérêts. Quelques années plus tard le Parlement avait déjà permis le retour de la finance libre en tout et pour tout à coups de directives particulières flanquées de vote au sifflet de la majorité PS/droite du Parlement européen. Il a élargi le domaine de compétence de ces agences et la vertu normative de leurs arrêts. Pourtant, rien n’y poussait sinon des intérêts très privés dont les lobbies ont servi la cause avec zèle. Pourtant, rien n’avait eu lieu qui permette de croire que leur perspicacité et leur désintéressement se soient améliorés. Au contraire. Leur rôle dans le déclenchement de la crise en Grèce avait été désastreux.
Comment oublier qu’en mai 2010, après la dégradation de la note de la Grèce, à quinze minutes de la fermeture des bourses, la ministre de l’Économie Christine Lagarde demande que les agences soient contrôlées pour « s’assurer qu’elles respectent les règles ». En France, le journal Libération titra : « agence de notation triple zéro ». Et son chef de file de l’époque, Nicolas Demorand avait été loin dans un éditorial tranchant : « Prétendre que ces agences disent le vrai est donc une fable, voire une supercherie. Plus grave encore est de leur reconnaître une telle légitimité et de leur accorder autant d’influence. Pourtant, les États pensent aujourd’hui leurs politiques dans le seul but de complaire à ces professionnels du flou. Ici, les retraites sont réformées ou les fonctionnaires non remplacés ; là des services publics seront privatisés ou des pans entiers de l’économie dérégulés. La question n’est pas de savoir comment autant de pouvoir a pu être concédé à autant d’amateurs. Mais bien d’imaginer les moyens politiques de ne plus marcher sur la tête. »
De tout cela il ne resta rien, bien vite. Les agences de notation ont non seulement été labellisées et institutionnalisées en Europe mais il n’y a pas eu davantage de contrôle de leur activité qu’auparavant. En 2008, tout le monde avait vu qu’elles s’étaient trompées dans leurs analyses des principaux acteurs de la crise financière. En 2011, elles ont-elles mêmes provoqué la crise grecque. Elles tentèrent d’en faire autant en France dans les débuts du quinquennat de François Hollande. Sans succès. Je me souviens de deux manifestations « surprises » que nous avons organisées dans la place ou devant leurs murs. À mes yeux, ces agences ont montré dans cette circonstance ce qu’elles étaient en réalité. Juste une sorte de police politique, juste un bras armé des secteurs les plus virulents du capitalisme financiarisé.
Je ne conclus cette rapide récapitulation sans citer encore une forte pensée sans suite énoncée à l’époque par Nicolas Sarkozy : « J’appelle l’Europe à réfléchir sur sa capacité à faire face à l’urgence, à repenser ses règles, ses principes, en tirant les leçons de ce qui se passe dans le monde ». On s’en sait que rien de tel n’a jamais eu lieu. Au contraire. Les gouvernements Merkel ont enfoncé l’Europe dans une politique toujours plus protectrice pour la rente au détriment du travail et du capital investi dans l’économie réelle. La seule chose raisonnable qui ait été faite est le plan d’injection de liquidité par le banquier central européen. Mais son mode opératoire a fait que les banques ont d’abord capté l’essentiel de la manne pour spéculer avant de commencer à en faire revenir une infime partie dans l’économie réelle. Et ce « tout petit peu » a permis un redécollage timide de l’activité. Sans inflation, hélas.
Mais pendant les vacances de Noël, un mini krach a atteint la monnaie européenne…
101 commentaires
educpop
Il y a une forme d’auto domestication des populations qui accompagne l’ivresse de l’argent facile pour les spéculateurs. Tant de méthodes sont à l’oeuvre pour conditionner les mentalités, que la servitude est devenu le destin d’une très grande majorité soumise au pouvoir d’un nombre restreints de profiteurs. C’est parce qu’ils sont très bien organisés comme toujours dans l’histoire, si nous ne sommes pas capable d’une organisation forte, rien ne changera. A nos postes, oui cher président Mélenchon, alors de quoi notre organisation a-t-elle besoin ? La tendance est trop à l’initiative personnelle qui cache un manque de capacité à s’engager dans l’action collective.