Le projet la France insoumise développe son plan de marche. L’assemblée représentative du mouvement est convoquée pour le 14 avril. La mise en place d’un nouvel organe de validation des propositions et plan d’action émanant des divers secteurs d’action du mouvement avait été décidé à la troisième Convention. Les procédures de tirage au sort et celles de désignation par les divers « espaces » du mouvement (lutte, politique, programme etc.) vont donc commencer bientôt. On en suivra le parcours sur le site des insoumis. Comme on l’a dit ici et ailleurs à de nombreuses reprises, le mouvement n’est pas un parti. Et sa forme est évolutive. C’est la raison pour laquelle c’est au pas à pas que se font les évolutions, les adjonctions de structures et de moments. On aurait tort de ne voir le mouvement que par l’action de son groupe parlementaire, si impressionnant que cela soit.
Car depuis la Convention on aura surtout beaucoup agi et expérimenté sur le terrain. Le succès de la mobilisation pour la votation citoyenne atteste d’une capacité acquise à se mobiliser à très large échelle. En dehors de cette campagne décidée en octobre dernier par une large et longue consultation interne, le mouvement a engagé trois campagnes qui battent leur plein. Chaque semaine, le mouvement organise entre deux cents et trois cents évènements. Il y a eu un pic, bien sûr, dans cette semaine de votation citoyenne avec sept cent évènements. Chaque semaine se tient une dizaine de réunions publiques dans le pays. Chaque semaine ce sont un ou deux ateliers législatifs qui se tiennent partout sur le territoire. Ils sont annoncés sur le site des insoumis. Chaque semaine une vingtaine de groupes d’action sont créés et deux et trois cent personnes viennent s’inscrire comme « insoumis » sur la plateforme.
Dès lors on comprend que les commandes de matériels d’action tournent à haut débit. Dix millions de tracts entre le mois de septembre et décembre. Depuis la rentrée de janvier, secteur par secteur on a encore beaucoup diffusé. Les tracts en direction de la jeunesse ont atteint le million et demi d’exemplaires. Ainsi par exemple, a-t-il été distribué 600 000 tracts pour organiser la votation sur la sortie du nucléaire de la semaine du 11 au 18 mars. Je n’évoque ici que cette forme d’action assez traditionnelle parce que c’est elle que tous mes lecteurs connaissent. Mais tant d’autres choses se font ! Les ateliers législatifs, les portes à portes enquête-agitation (méthode Alinsky). Mais tout cela ne suffit pas pour comprendre l’étape que nous voulons franchir dans les prochains mois. La France insoumise, force électorale et institutionnelle doit devenir un mouvement politico-social. J’en dis un mot, quitte à y revenir.
Le mouvement est né dans la campagne présidentielle autour du programme « L’Avenir en commun ». Son objectif était de parvenir au seuil de crédibilité électorale qui en ferait à la fois une force dans les luttes et dans les institutions, une force perçue comme capable de gouverner le pays. Objectif atteint avec presque vingt pour cent des voix et une impression ancrée que « ça pouvait le faire ». L’étape suivante, ce fut la victoire politique qu’a représenté l’élection de 17 députés et la formation du groupe parlementaire. Le changement d’échelle d’action dans la durée a commencé là. La visibilité de ce que nous faisons est désormais permanente, universelle. Elle impacte tous les secteurs de la société. À partir de là nous devons relever le défi : comment devenir majoritaire ? En tous cas comment progresser à la fois sur le plan électoral et sur le plan de la capacité d’entrainement dans la société.
Sur le plan électoral, aucune combinaison de nos forces avec celle de l’ancienne gauche ne fait, et loin de là, une majorité. De plus, des mois de pilonnage contre nous de la part de la petite gôche et ses divers organes de presse, de mépris et d’humiliations par des coups tordus comme celui de la prétendue « Corse insoumise », de la rupture du groupe commun « nouveau monde » en Occitanie, le refus de soutenir notre candidat en Guyane au premier comme au second tour et ainsi de suite ont pulvérisé le sentiment d’appartenance commune. De l’autre côté, le dégagisme virulent dans la population fait que la moindre soupe au sigle est aussitôt recrachée par les électeurs. En attestent les résultats comparés de l’élection partielle de Belfort et celle du Val-d’Oise. Quelques efforts que l’on fasse, quelque incantation que l’on psalmodie, ces deux faits sont aujourd’hui indépassables.
La stratégie de relève de notre ancien monde se joue donc sur plusieurs tableaux. Ils ne sont pas de même nature. Sur le plan électoral, tout est dit. L’abstention massive et le dégoût civique ultra dominant obligent à une clarté de cristal dans le positionnement. Pas de tambouille. Pour ce qui concerne la relation a la société c’est une autre affaire. Tout ce qui peut socialement remobiliser est bon. Le premier objectif vise à construire des combats communs sur le terrain. C’est-à-dire à regrouper tout ce qui peut l’être pour des mobilisations qui homogénéisent la société elle-même dans un esprit de résistance pour ses droits. Ici le Mouvement appuie, aide, soutient et ne devra jamais hésiter à se joindre à tous les groupements pour cela. Pour autant son action ne saurait être une simple répétition des mots d’ordre syndicaux.
Dans la lutte des cheminots par exemple, il assumera la responsabilité de mobiliser pour sa part les usagers du rail, les secteurs de la société qui ne sont pas directement mobilisables par l’action syndicale. La stratégie de moyen terme pour nous est celle qui a permis à la Guyane de produire le fameux document « accord Guyane » qui a fédéré toute la société Guyanaise dans toutes ses composantes par et dans la lutte sociale.
Le troisième aspect de cette méthode tient aux méthodes de travail. Le Mouvement produit de l’auto-organisation populaire. C’est son but essentiel. Que cette façon d’agir passe par des séances de méthodes Alinsky ou par des séances « d’ateliers des lois » comme celle que tient chaque semaine Gabriel Amard un peu partout dans le pays ou des quinzaines culturelles comme nous l’avons fait à Marseille, tout cela procède d’une même visée. Cela n’a plus rien à voir avec les formes traditionnelles de l’action de parti. Cela modifie la nature de la relation des personnes engagées envers le milieu auquel elles s’adressent. Mais cela modifie surtout la nature de la relation des gens à eux-mêmes et à leurs droits.
C’est cette visée large que nous nommons « mouvement politico-social ». Nous faisons de la politique dans des conditions d’actions sociales, ou culturelle, ou écologique. Rien à voit avec les rabâchages des groupuscules et de leurs rites soi-disant « démocratiques » machine violente à cliver, écraser, dominer entre militants d’une même chapelle. Au mouvement, la démocratie est un cycle très long et inclusif de la prise de décision comme ce fut le cas pour la convention sur le programme. Ou la Convention sur le choix des campagnes que mène à présent le mouvement. Mais c’est surtout le système de la délégation de pouvoir et le contrôle a posteriori pour les actions décidées dans les groupes d’action. Tout ce que n’aiment pas les grands chefs inspecteurs des travaux finis et autre porte-parole de leur précieuse « différence » qui pépient sur les branchages des dîners en ville.