À présent, la grande bataille sociale est engagée. Le mouvement syndical indépendant du pouvoir jette ses forces dans le combat. Une vague générale semble agiter les secteurs les plus divers de la société. Dans la jeunesse, le feu semble prendre à la plaine. Avant tout cela, ce sont des centaines et des milliers d’heures de travail militant de toute sorte qui ont travaillé les esprits et réorganisé les courages pendant des mois. Le retour dans le combat d’un homme comme Besancenot est aussi un signe et une bonne nouvelle. Sa présence réduit le champ des conciliateurs et soulage notre effort. Il élargit le râteau dégagiste et oblige au combat les secteurs politiques qu’il concurrence. De leur côté, les diverses branches de la CGT et de Solidaires ancrent le combat dans les gros bataillons du salariat. Tout est en place pour un bras de fer de longue durée.
Notre première tâche est de le fortifier en lui attirant le soutien de l’opinion. Le parti médiatique va lui aussi labourer en profondeur et attiser les haines comme à son habitude. Il reste notre seul adversaire réel. Retirez le pilonnage des médias, que reste-t-il à Macron ? Où sont ses militants, ses tracts, ses interventions dans la société ? Il n’y a en a pas. Notre action au contact des gens peut contrebalancer leur action de propagande anti-populaire.
La seconde tache est d’aider les combattants matériellement. Des caisses de solidarité apparaissent pour cela.
La troisième est d’aider à la fédération des mouvements en cours. Leur convergence. Nous avons multiplié les occasions de proposer cette « marche » fédératrice. Mais on ne peut la déclencher à main nue et directement, comme nous l’avons fait dans le passé. Tant mieux. Car à ce moment-là, il y avait moins de professions engagées dans le combat direct sur le terrain. Désormais, compte tenu du nombre des protagonistes engagés et de leur diversité, le mouvement fédérateur peut partir d’eux, du terrain, partout où c’est possible. Il va avoir alors la force d’un enracinement profond contre lequel le parti médiatique ne pourra pas organiser les tirs de barrage qu’il lance contre nous sitôt que nous lançons une consigne comme on l’a vu en septembre. Il le faut dès que c’est possible. Partout.
On me rapporte que des dates locales et nationales circulent dans divers cercles et région. Tant mieux. La consigne est donc une fois de plus : « n’attendez pas les consignes ! ». Agissez ! Auto-organisez-vous ! Fédérez-vous ! Que mille étincelles s’allument et il fera jour dans la nuit macroniste.
Quelle étrange semaine que celle-ci. Le jeudi 22, j’avais chaussé mes bottes de militant et je rechargeais ma batterie au contact des cheminots qui descendaient de la gare de l’Est. Le pays était à l’unisson. Le fond de l’air était social et le malaise s’épanchait à gros bouillons sur la place publique.
Un jour plus tard, à Trèbes et Carcassonne, un épisode majeur de la tragédie du terrorisme bousculait de fond en comble le pays. Le même jour encore, un assassinat, déclaré antisémite par la justice, celui d’une vieille dame rescapée des camps nazis, mettait le pays en sidération.
Pourtant, sitôt close la cérémonie des Invalides à la mémoire du Colonel Beltrame, la marche qui devait exprimer l’unité de la communauté républicaine fut déchirée par un particularisme communautariste arrogant et sans pudeur. Un chef communautaire, nommé Kalifat, ayant fulminé une interdiction de paraître à la marche, contre l’avis même de la famille, le ministre de l’intérieur ayant reproché à la LFI ses « péchés », toute dignité collective du système s’effondra. Dix députés en écharpes furent exfiltrés sur ordre de la police devant une milice braillarde dans l’indifférence des hautes autorités qui passaient devant la scène en détournant les yeux et en se bouchant les oreilles. À trois mètres fusaient pourtant les menaces, la violence et les injures sexistes. Jour de honte. Non pour nous, les élus de « la France insoumise ». Au contraire ! Venus à dix députés sur dix-sept, seuls sous l’outrage communautariste, nous avons honoré notre mandat républicain en répondant à l’appel que nous avions lancé avec tous les autres groupes parlemenatires de l‘Assemblée nationale.
La honte est pour ceux qui nous ont abandonnés à la vindicte de la milice du CRIF. Les officiels, la police, le cabinet du ministre de l’Intérieur alerté depuis le matin à tous les étages de responsabilité, les hautes autorités morales gorgées de leur importance portant crète haute, bras dessus bras dessous dans la veulerie, laissant le drapeau être foulé aux pieds devant eux. La honte n’est même pas pour « la ligue de défense juive » non plus. Dans cette circonstance, elle défend à sa façon d’extrême droite traditionnelle et violente ce qu’elle défend tous les jours avec l’approbation des « institutions » communautaires juives et la bienveillante complicité des autorités de l’État. Elle avait annoncé son coup de force sur son site. Sur le terrain, elle maîtrisa de bout en bout son action comme si elle était certaine d’obtenir ce qu’elle voulait sans que nul ne s’y oppose : l’expulsion de la LFI et la réintégration dans le cortège des dirigeants du FN. Pourtant, nous étions dix députés en cortège et en écharpe bleu-blanc-rouge. En face, une quarantaine d’énergumènes vociférant des injures sexistes et des menaces sur nous et nos enfants. Mais c’est pourtant à nous qu’a été donné l’ordre de partir.
Eh, vous autres, les parfumés, les bien notés, les « grandes consciences », les Ponce Pilate drapés dans vos toges de comédie, vous croyez peut-être que c’est là juste un incident de manif qui concerne « les extrêmes » comme vous le cancanez dans vos dîners en ville ? Ce jour-là, vous avez accepté que soient rompues des digues symboliques essentielles. Vous avez accepté que nous soyons mis dans le même sac que l’extrême droite. Vous avez accepté que les écharpes tricolores soient expulsées sur ordre des communautaristes. Vous avez cautionné le raisonnement de Kalifat : pour défendre la France, c’est-à-dire son unité nationale par-delà les confessions, il faut être solidaire de la politique d’un État étranger et des crimes de son gouvernement. Vous avez cautionné qu’une milice obtienne sous les injures, les menaces et les coups l’expulsion d’un groupe de l’Assemblée nationale en écharpe.
La leçon doit être retenue et comprise au pied de la lettre. La blessure qu’elle a ouverte en moi ne cicatrisera pas de sitôt. Je ne demande pas que les lâches l’admettent. Leur opinion m’indiffère dorénavant davantage encore qu’hier. Je voudrais qu’ils comprennent quels chiens ils ont lâché. Entendez bien : ce flot que vous avez libéré ne fera pas le tri. Pour y échapper, vous serez poussés d’une abjection à l’autre puisque vous avez pris le chemin de la soumission au communautarisme. Bien sûr, j’ai la prudence de ne pas écrire davantage de ce que je pense quant au fond sur le danger qu’est pour la patrie républicaine ce type de communautarisme.
Mais pour nous, la leçon doit être retenue. Ni écharpe, ni onction du suffrage universel, ni rien, ni personne ne nous protège de rien dans ce pays désormais. La bonne société adore nos paroles de paix et d’unité nationale mais elle nous hait si profondément qu’elle est prête à nous abandonner au premier groupuscule ethnique venu, se réclamant des intérêts d’un État étranger, écharpe tricolore ou pas. Je le dis sans oublier les personnes, les intellectuels, les journalistes et les amis de toutes sortes, de toute religion et de toutes convictions qui n’ont pas accepté cette honte et qui l’ont dit. Je ne parle pas de ceux qui ont attendu deux jours et des rappels à l’honneur pour le faire. Je parle du NPA, du rabbin Fahri, du journaliste Attal, de Gérard Miller, des militants de l’Union des étudiants juifs de France venus nous protéger de coups et de combien d’autres heureusement. Je parle de ceux du tout de suite, ceux qui étaient là non pour faire des phrases mais pour aller eux aussi au bout de leurs convictions. Je parle de Richard Ferrand, adversaire politique et président du Groupe « La République en Marche » mais qui a préféré quitter la marche plutôt que de cautionner par sa présence l’agression contre ses collègues.
Ce jour-là, cette heure-là, tenant par le bras Danièle Obono et Clémentine Autain accablées d’injures les plus vulgaires, mes collègues du groupe parlementaire confrontés à une violence dont ils n’avaient jamais eu idée, scrutant du regard l’avis des plus vieux militants parmi nous, avec nos pauvres dix camarades de service d’ordre, je refusais de sortir de l’endroit où nous nous tenions, au rendez-vous donné par l’Assemblée nationale, en face du café « Le philosophe ». Je n’acceptais de partir, pour finir, que sur ordre des policiers inquiets pour eux-mêmes. Nous n’avons donc pas quitté la marche. Nous avons reçu l’ordre de la police de la quitter. Ce n’est pas du tout la même chose. La volonté d’une milice était donc plus forte pour ce groupe de la police nationale, d’ailleurs abandonnés par ses chefs, que le devoir de protéger des députés répondant à l’appel de l’Assemblée nationale.
Nombreux sont ceux qui ont compris comme moi que le pire n’était pas le traitement qui nous était réservé quoiqu’il soit inacceptable. Mais monsieur Kalifat, le CRIF et son bras armé de la LDJ ont proclamé devant le pays une singularité communautaire radicale dont je doute qu’elle soit beaucoup appréciée par la masse du peuple français. Le peuple français, quelle que soit sa religion, ses « racines », et ainsi de suite comme on le dit dans la novlangue obscurantiste de notre temps, n’aime pas le sectarisme communautariste. Et encore moins l’allégeance de principe à un gouvernement étranger et à sa politique quelle qu’elle soit. Kalifat et la LDJ ont fait plus pour l’antisémitisme à cette occasion que des dizaines de basses besognes des vecteurs antisémites. Notre devoir reste entier : y faire échec. Non pour eux, mais pour nous.
Ce pays est à nous, les républicains. Aucune secte communautaire ne doit y avoir le dernier mot. Quoiqu’en pense le CRIF et Kalifat, les personnes de religion ou de culture juive en France sont des citoyens de la République commune et sont unis par la loi commune à tous les autres Français. Ils ne doivent en être distingués d’aucune façon, sinon par le soin particulier dont on doit les entourer compte tenu des crimes que la superstition, le fanatisme religieux et le racisme leur ont fait endurer sur ce territoire depuis plus de 1 000 ans. La République n’accepte pas que leur soit attribué une mise à part, même par ses propres chefs communautaires : ils n’ont pas d’autre patrie, d’autres députés, d’autre gouvernement ni d’autre drapeau que celui du peuple français tout entier auquel ils participent. Il est interdit de les distinguer des autres personnes et à plus forte raison de les persécuter et molester à raison de leur religion ou de leurs mythes culturels identitaires.
De cela, il ne faut démordre d’aucune façon. Ceci est l’essence de notre victoire de 1789. L’universalisme a vaincu en France. La France n’est pas une collection d’indigènes. Non parce que l’histoire n’en aurait pas produit mais parce que nous avons décidé qu’il en irait autrement.
Dans ce moment où je me sens si mortifié par la face hideuse de mon pays que je viens de voir me cracher à la figure et m’insulter, la France des lâches et des violents, je lis pour me consoler de cette grande douleur les mots du dernier livre de Timothy Tackett sur les fêtes qui précédèrent le 14 juillet 1790. Le pays tout entier s’auto-organisait contre la pagaille résultant de l’effondrement de l’ancien régime et des ligues se formaient pour « fédérer » les actions. « Avec le temps, écrit Tackett, il y eut une évolution des motifs et de l’esprit de ces fédérations. L’accent fut mis non seulement sur le maintien de la loi et de l’ordre, mais aussi sur les expressions de fraternité et de dévotion partagée à la Patrie et à la Révolution en général. Des gardes nationaux se regroupèrent à Besançon en novembre, à Valence en janvier, en Anjou et en Bretagne en février. Dans ce dernier cas, ils déclarèrent “que désormais ils n’étaient ni bretons ni angevins, mais Français” ».
Ici, le mot « Français » désigne l’appartenance commune à la seule « communauté commune » : celle de la loi qui s’applique à tous en pleine liberté. Peut-être ergotera-t-on et moquera-t-on une fois de plus sur mon adhésion à la religion républicaine qui anime ma vie et donne son sens à mon engagement. Chacun va sur le chemin commun avec son paquetage. Le mien en vaut d’autres, non ? Le chemin se fait en cheminant, il n’y a pas de République sans républicain, ni de courage sans courageux comme l’enseigne le geste du colonel Beltrame. En voyant de Rugy, président en papier mâché de l’Assemblée nationale, détourner la tête tandis qu’un de mes jeunes collègues lui lançait un appel du regard, j’ai reçu une rude blessure. Elle ne cicatrisera pas davantage que quelques autres des plus fondamentales qui m’ont construit comme homme et comme citoyen engagé. Je fais la part des choses. de Rugy est un tout petit bonhomme voué au parjure et aux coups bas comme le montre sa trajectoire politique. Mais je n’oublierai pas qui a foulé le drapeau, qui a laissé faire et pourquoi ces gens-là agissaient de cette manière.
Deux jours plus tard, une armée de tueurs tiraient sur une foule sans défense en Palestine. Les injures et les menaces ne m’empêcheront pas de condamner ce crime, ceux qui l’ont ordonné, ceux qui l’ont commis et ceux qui se taisent.
Chaque campagne de la France insoumise est l’occasion de perfectionner des techniques militantes nouvelles. Comme vous le savez, notre but n’est pas de construire une « avant-garde révolutionnaire » dans la société mais de contribuer à faire émerger un peuple auteur de son histoire. Cette consigne abstraite commande une méthode constante.
À toute occasion, le but reste de rendre possible une implication citoyenne maximale du grand nombre. Évidemment, nous ne sommes pas engagés dans l’animation pour elle-même. Tout part au contraire d’un contenu. L’objet du travail est sa propagation et son enracinement. Ici, ce qui fait l’origine et l’élément fédérateur du mouvement, le programme « L’Avenir en Commun ». Ainsi en a-t-il été de la campagne pour la sortie du nucléaire. Certes, elle est passée en partie sous les radars de la presse parisienne. Mais il en a été autrement en province. Elle a abouti à la plus importante consultation jamais réalisée sur ce thème en France. 1 700 bureaux de votes ont été ouverts à cette occasion. Pour cela, un logiciel de travail a été mis au point pour organiser le vote en ligne. À partir de là, le mouvement s’est à la fois doté d’un outil mais surtout de la formation de centaines de personnes capables de le manier.
Cet aspect de l’activité ne peut être sous-estimé dans notre démarche. Chaque développement du mouvement la France insoumise s’accompagne d’avancées techniques qui en facilitent la répétition. Elles passent parfois inaperçues mais sont essentielles. Contrairement à un mouvement comme En Marche, nous avons à cœur de maitriser nous-mêmes les outils que nous utilisons. Et donc de le développer par nos propres moyens. C’est une liberté fondamentale de se doter d’outils dont nous maîtrisons de bout en bout les fonctionnalités.
À nos yeux, la réussite de la votation sur la sortie du nucléaire dépendait en grande partie de notre capacité à développer un système de vote qui soit à la fois fiable, garantisse la sincérité du vote et permette au plus grand nombre d’y prendre part. Le moyen existe donc, et il peut servir à maints autres usages. La solution technique développée est totalement inédite dans notre pays. Au demeurant, personne, à l’issu de notre votation, n’a contesté sa sincérité. Nous avons en effet travaillé à la rendre irréprochable. Pour cela, nos deux développeurs (Guillaume et Arthur) ont travaillé d’arrache-pied. Voyons le parcours.
Les groupes d’action du mouvement ont collecté les listes électorales officielles. Elles étaient notre première base pour pouvoir vérifier que personne ne vote deux fois. Cela paraît être une opération simple mais en réalité, ça ne l’est pas du tout. Il n’existe pas en France de liste nationale des électeurs inscrits. Les listes sont départementales, voire communales dans certains départements. Et chaque département construit son fichier d’une manière différente et sous un format différent. Ce fut donc un travail de fourmi pendant 2 mois de préparation. Il a impliqué une demi-douzaine de volontaires pour récupérer et compiler toutes ces listes. Nous avons au final créé une base nationale comportant plus de 40 millions d’électeurs inscrits sur les 45 millions que compte le pays. C’est une première.
Dès lors, notre système garantissait qu’une personne inscrite sur les listes électorales ne pouvait voter une deuxième fois. Mais nous avons également mis en place d’autres procédures de vérification. Pour accéder au vote en ligne, il fallait donner son numéro de téléphone mobile. Un code d’accès envoyé par SMS permettait ensuite de participer au vote. Le même numéro ne pouvant être utilisé qu’une fois, cela bétonnait la sincérité du vote. Ce deuxième système de vérification nous a permis d’ouvrir le vote aux mineurs de plus de 16 ans et aux étrangers résidents sur le territoire, en conformité avec notre programme. Enfin, chaque votant se voyait attribuer à la fin de son vote un numéro unique. Nous n’associons pas ce numéro à son identité. Mais à la fin de la votation, nous avons publié la liste des numéros uniques avec les choix de vote associé. Chacun pouvait donc vérifier, s’il avait noté son numéro, que le vote indiqué correspondait bien à son choix.
L’autre enjeu dans la mise en place du système de vote était de permettre une votation large. Cela supposait des outils suffisamment simples d’utilisation pour que le grand nombre puisse se les approprier. Dans ce domaine, une des premières prouesses consistait à proposer différentes modalités pour accéder au scrutin. À partir de la même plateforme, il était ainsi possible de voter depuis son ordinateur, son mobile ou dans un bureau physique. Pour les bureaux de vote physique, chaque président de bureau et ses assesseurs avaient accès à un espace privé sur l’application mobile. Cet espace leur permettait d’indiquer les personnes ayant voté sur le même fichier que celui utilisé pour le vote en ligne. L’application permettait aussi la saisie et la centralisation des résultats. Grâce à ces outils, alors que la votation s’est terminée le dimanche à 17h, nous avons pu annoncer les résultats à 18h.
Avec l’exemple de la votation sur la sortie du nucléaire, on voit bien l’importance de la technique et des outils dans notre combat politique. Nos capacités dans le domaine informatique ne sont pas seulement un motif de fierté. C’est une tâche politique de première importance. Mille autres choses de cette nature mériteraient d’être expliquées concernant le fonctionnement de la plateforme. Ceux qui s’y intéressent peuvent consulter le blog de Guillaume et Arthur, nos héros en la matière, responsables du pôle « outils numériques » au sein de l’équipe opérationnelle de « La France Insoumise » : au43.fr.
Avec cela, tout autour de la consultation se sont organisés des « nuages » d’actions diversifiée en relation avec l’objectif. Ce fut le cas par exemple des « ateliers des lois ». Cette opération est animée nationalement sur tout le territoire par Gabriel Amard. Ce n’est pas la première fois que « la France insoumise » organise des « ateliers des lois ». Nous l’avons déjà fait pendant la campagne présidentielle et depuis sous plusieurs formes expérimentales. Au fil du temps, les méthodes de travail se sont rodées. À présent, le dispositif est mûr. Une méthodologie existe, un parcours est balisé. La méthode est reproductible.
Ainsi, 8 ateliers se sont tenus en appui de la campagne pour la sortie du nucléaire. Ils ont réuni chacun entre 35 et 85 personnes. Ce sont donc au total plus de 400 personnes qui ont participés à ces réunions d’un genre inédit. Leur objectif, comme on le devine, est l’écriture collective de la loi. Ces ateliers sont, avec la méthode Alinsky, une autre façon pour nous de faire émerger de l’auto-organisation populaire, de répandre un apprentissage de citoyenneté d’un genre extrêmement abouti.
Ces ateliers, à l’opposé d’autres réunions publiques, sont construits de façon à ce que tous les participants s’y expriment. Chaque atelier est donc accompagné par un animateur de l’éducation populaire qui aide à la prise de parole. En fait, il s’agit d’aider chacun à désinhiber sa participation à la formulation de la loi. Toutes les paroles sont légitimes. Bien sûr on a aussi sur place des experts des sujets discutés pour répondre aux interrogations éventuelles des participants. Jean-Marie Brom, directeur de recherche en physique au CNRS était par exemple présent lors de plusieurs ateliers sur le nucléaire. Sur place, en réel, les participants sont répartis en petits groupes de travail. La séance comporte plusieurs étapes, ponctuées d’allers-retours entre le travail en petits groupes et le débat avec toute la salle. Les participants sont invités, à partir de leurs questionnements, de leurs opinions et de leurs certitudes, à identifier ce sur quoi ils sont tous d’accord pour le transformer en proposition législative. Des juristes sont également là pour traduire en langage juridique les conclusions. Ainsi, on vient à un atelier des lois, non pour écouter une parole verticale mais pour produire collectivement un travail concret.
Le résultat des ateliers des lois tenus pendant la campagne pour la sortie du nucléaire aura donc été la production d’une proposition de loi de 47 articles sur les questions énergétiques et d’une proposition de loi constitutionnelle pour consacrer l’énergie comme un bien commun. Les gens qui viennent dans les ateliers font concrètement l’expérience du fait que dire la loi, donc l’intérêt général, leur appartient. Pour chacun des participants, c’est un renversement du rapport à ses droits, à la loi, à la politique. Toutes ces choses sont généralement vues comme venant du haut. En ce sens, c’est un processus cohérent avec la stratégie de la Constituante. Je décris dans « L’Ère du peuple » la convocation de l’Assemblée constituante comme le moment où le peuple se décrit lui-même, s’institue, en énonçant ses droits et les règles qui régissent sa vie collective. Les ateliers des lois reproduisent ce schéma, à petite échelle et sur des sujets précis. Ils font partie des dispositifs qui contribuent à « construire » le peuple de la révolution citoyenne, ce qui est l’objectif du travail de la France insoumise.
Les ateliers des lois ne sont donc pas de simples expériences isolées. Leur portée n’est pas limitée dans le temps. Ils participent pleinement au combat politique dans leur déroulement comme dans leur résultat.
D’abord, leurs productions sont disponibles sur la plateforme du mouvement sous une forme qui permet à chacun de proposer des amendements. Par ailleurs, ils nourrissent le travail du groupe parlementaire. Les propositions de lois issues des ateliers concernant le nucléaire vont ainsi être utilisées dans les textes que nous déposerons à l’Assemblée. On peut imaginer qu’ils prennent place dans notre prochaine niche parlementaire. Les ateliers des lois sont donc aussi une manière de suivre la ligne de conduite que le groupe parlementaire s’est fixée en lien avec le Mouvement. Il s’agit d’assurer un pont pour le passage de l’expression populaire a l’action législative.
À nos yeux ces « ateliers des lois » préfigurent donc la forme des évènements que nous voudrions voir surgir le moment venu dans le processus constituant. Ils incarnent aussi une forme de ces « assemblées citoyennes » qui sont à nos yeux les bases populaires du processus de révolution citoyenne tels que nous les avons héritées de l’histoire profonde du pays. Celle qui ont mené l’action en 1789, puis en 1871 où les assemblées locales portèrent concrètement le processus de rupture avec l’ancien régime puis le second empire.
Bon, ce n’était pas le jour. Notre attention était scotchée ailleurs. Je me rattrape ici. Le jeudi 22 mars, c’était aussi la journée mondiale de l’eau sous l’égide des Nations-Unies. Ce jour-là, nous étions dans la rue entièrement absorbé par la lutte pour les services publics.
Telle est notre époque. Les déroulements de la crise de l’écosystème vont s’accélérant, franchissant des seuils désormais visibles de tous côtés. Ainsi quand les symptômes de la sixième extinction de la biodiversité s’accumulent. Ce que fit l’annonce sidérante que le nombre des oiseaux vivants en Europe s’est effondré. Puis quand parut l’étude mondiale sur la destruction des terres arables vidées de leur sang par les mauvais traitements humains. Mais sur ces fronts, il n’y a aucune capacité de mobilisation constante dans la société. Quand nous avons déposé notre proposition d’inscription de l’accès à l’eau dans les droits constitutionnels nous avons vu à quelle vitesse « La République en Marche » l’a rejeté. Comme pour le reste des problèmes écologiques, cette question-là surgit dans un univers économique dominé par la loi de l’argent et la protection des intérêts particuliers. Ceux-là sont très directement lié aux intérêts de l’oligarchie qui règne sur notre pays.
Dans ce contexte, la bataille pour l’accès à l’eau est un des enjeux essentiels de notre siècle. L’action humaine et le réchauffement climatique mènent à raréfier l’accès à cette ressource essentielle à la vie. Trois chiffres résument ce que l’eau veut dire pour les êtres humains : à 2% de manque on a soif, a 10 % on délire, à 12% on meurt. 70 % d’un être humain est fait d’eau. Les singulières ressemblances de formes dans la nature et dans l’air ont cette racine commune : l’eau que tous ces corps contiennent. L’eau est donc la composante essentielle de l’écosystème dans lequel la vie humaine s’épanouit. Sa raréfaction échappe au regard du commun et nombreux considèrent que tout est en ordre puisqu’il pleut et parfois beaucoup…
J’ai lu dans le journal La Dépêche du midi un article passionnant de Serge Bardy qui analyse la situation dans l’une des zones de chalandise du journal. Le mérite de son travail est d’être concret et localisé de sorte qu’on sort du niveau des abstractions et généralités qui limitent parfois la portée des mises en garde. « Dans le bassin Adour-Garonne, relève-t-il, on prévoit une baisse de 40 à 50 % du débit d’étiage dans les 120 000 km de rivière, et une chute de 40 à 60 % de l’enneigement dans les massifs » explique Guillaume Choisy, le directeur général de l’agence de l’Eau Adour-Garonne qui couvre les régions de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie. Pour anticiper les problèmes, immenses, que ces pénuries d’eau annoncées engendreraient, tant pour les habitants, les animaux, les poissons, que pour l’agriculture ou l’industrie, un plan d’adaptation au changement climatique (PACC) est en cours de préparation. Il s’agit, pour l’Agence et ses partenaires, qu’ils soient élus, usagers ou professionnels de l’économie, de définir une stratégie collective pour éviter, autant que possible, la catastrophe. » Qui aurait imaginé un bilan et un projet pareil il y a seulement quelques années…
L’enquête de Bardy montre bien l’enchaînement qui conduit à cette situation de détresse en dépit des apparences qui laissent croire à une stabilité de la situation. « De l’eau, il en tombe beaucoup sur le bassin Adour-Garonne, écrit-il. 93 milliards de mètres cube environ. On en consomme 2,4 milliards pour l’alimentation en eau potable, pour l’agriculture et l’industrie. L’équation paraît donc simple et rassurante : il resterait donc un peu plus de 90 milliards de m3. Pas de quoi s’inquiéter ? En réalité, les milliards de données numériques accumulées pendant des années et moulinées par les algorithmes de l’Agence de l’eau crachent d’autres scénarios, infiniment plus complexes. En effet, l’eau s’évapore, s’infiltre dans le sol, réduisant de fait le volume de la ressource. Si l’on ajoute les besoins des nouveaux habitants, qui, par dizaines de milliers, s’installent chaque année dans les agglomérations surchauffées l’été et sur les berges du fleuve Garonne, ceux croissants liés à l’économie, la perspective d’une ressource inépuisable et surtout disponible s’éloigne davantage… même si, en théorie, le volume global de l’eau reste le même. »
Une fois de plus, la question écologique est aussi, et peut-être d’abord, une question liée à la nature du modèle économique dominant. Par exemple, on voit bien que l’impunité des pollutions reste la norme générale. Elle est typique de l’externalisation des coûts par le capital et les maîtres de l’agriculture productiviste. La protection de l’eau disponible est donc une question essentielle. Car la pollution des réserves est particulièrement alarmante. Les points de surveillance dont nous disposons révèlent la présence de pesticides dans 93% des eaux de surface et dans 63% des réserves souterraines.
Dans ce domaine aussi, l’État recule. Certaines zones autour des cours d’eau sont censées être préservées de l’épandage de pesticides. Un arrêté laxiste de mai 2017 a considérablement réduit ces « zones de non traitement ». 30% d’aires protégées en moins dans le Tarn-et-Garonne. 43% en Indre-et-Loire. Et ainsi de suite. Le gouvernement a par ailleurs décidé d’amputer cette année de 20% les budgets des agences de l’eau, qui sont justement chargées de la préservation et de la protection de l’eau. L’enquête de Serge Bardy dans La Dépêche du midi pointe aussi le problème en montrant de nouveau le mécanisme à l’œuvre. « Encore faut-il que l’eau qui coulera dans nos robinets et nos rivières soit d’une qualité suffisante, ne serait-ce que pour maintenir la biodiversité. Or, là aussi, l’équation n’est pas simple. Car, qui dit baisse du niveau de l’eau dans les rivières, dit concentration des polluants, des résidus médicamenteux qui, s’ils ne sont pas traités, risquent d’intégrer la chaîne alimentaire. “Aujourd’hui, malgré les efforts de recherches, on ne sait encore pas tout traiter. Avec des volumes trop réduits, on se met en danger” précise Guillaume Choisy. D’autant que la sécheresse accélère l’eutrophisation et les risques de voir se développer des bactéries. »
C’est ici une des questions qui se pose le plus crûment. D’ores et déjà, 768 millions d’êtres humains au moins n’ont pas accès à l’eau potable selon l’organisation mondiale de la santé. En France, l’accès à l’eau courante n’est pas totalement acquis. 17% des logements en Guyane ne l’ont pas. Cette proportion atteint un quart de la population à Mayotte. En Guadeloupe, les coupures d’eau sont quotidiennes. À quoi s’ajoute la demande rendu socialement insolvable. Sur l’ensemble du territoire français, ce sont ainsi 2 millions de personnes qui sont en très grande difficulté pour payer leurs factures d’eau.
Sur ce point, il y a un cas particulier en France. 60% de la gestion est privatisée. En effet, même si une majorité des services d’eau du pays est gérée en régie publique, les multinationales du secteur se partagent les marchés les plus importants et les plus rentables. Il s’agit de Veolia, Suez et de la Saur. Pourtant, la norme dans le monde est que l’eau, sa distribution et son assainissement, soient gérés par le public. Ainsi, seul 1% des activités autour de l’eau sont privées à l’échelle du monde. La France est à l’inverse !
Évidemment, ce mode de gestion privé d’un bien commun par nature monopolistique a des conséquences pour les usagers. Il faut payer, sur la facture, en plus des coûts de fonctionnement et des investissements nécessaires, les dividendes des actionnaires. Pour Véolia, c’est tout de même 470 millions d’euros versés aux actionnaires. Selon les années, jusqu’à 8% de rentabilité payés en dernière instance, et en pure perte par les usagers. Ce qui fait logiquement de l’eau privée une eau plus chère que l’eau publique. La Cour des Comptes l’a écrit dans un récent rapport. Chacun peut le constater lorsque des collectivités ont fait le choix d’un retour en gestion publique.
Parfois, la gestion privée mène à des pratiques où les élus et les entreprises sont soupçonnés de s’entendre sur le dos des usagers. Récemment, on a par exemple découvert que le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap) avait accordé à Véolia le contrat pour une usine de traitement des eaux usées, dont l’offre était pourtant 10% plus chère que celle de son principal concurrent. Le représentant de l’État lui-même a considéré qu’il y avait là un favoritisme injustifié puisqu’il a déféré le contrat devant la justice. L’appât du gain que représente de tels marchés en monopole est par nature corrupteur.
Les entreprises privées, malgré les prix qu’elles pratiquent, ne sont pas capables de faire les dépenses d’investissement nécessaires dans le réseau. Celui-ci n’est bien souvent pas assez entretenu. En conséquence, il souffre de nombreuses pertes, de nombreuses fuites. Ainsi, il est établi qu’un litre sur cinq n’arrive jamais au robinet parce qu’il est perdu en chemin. 20 % de perte de la ressource ! Le chiffre laisse pantois ! Je reviens à l’enquête de La Dépêche du midi qui montre comment d’autres pratiques peuvent venir au secours des objectifs de la reconquête du cycle de l’eau. « Face à ces constats, alarmants, des solutions existent, écrit Serge Bardy. Elles supposent de modifier nos habitudes. Le premier enjeu, c’est d’économiser cette eau si précieuse à la vie, de la protéger. Et des signes positifs sont enregistrés. “Les agriculteurs ont fait des efforts importants pour réduire les intrants chimiques. On estime qu’une baisse de 25 % des apports ne fragilise pas le modèle économique des exploitations. En raison d’une amélioration des pratiques, d’une irrigation nocturne, d’assolement en rotation, de la mise en place d’un couvert végétal, nous économisons 100 millions de m3 par an” affirme [Guillaume Choisy].
Adapter les territoires, les filières, modifier les modèles agroéconomiques constituent autant de pistes à creuser, parallèlement aux recherches entreprises par des organismes pour développer des plantes qui supportent davantage la sécheresse.
Pour limiter l’accroissement de la consommation, l’agence de l’eau, qui finance l’entretien des rivières, développe des zones humides en réutilisant les eaux retraitées des stations d’épuration, plutôt que la pomper dans les rivières. “Ce sont des solutions naturelles” ajoute Guillaume Choisy. Le but à atteindre est ambitieux : actuellement, 2, 8 millions de m3 sont réutilisés. “Notre objectif, c’est de parvenir à irriguer 11 000 hectares sur des zones soumises à des stress hydriques avec 14 millions de m3” indique Guillaume Choisy.
(…) Au mois de juillet prochain, le plan d’adaptation va être soumis pour validation au ministère de l’environnement. “L’enjeu, c’est que tous ensemble, agriculteurs, usagers, décideurs, chercheurs, industriels, nous agissions pour gagner le pari de l’eau”, conclut Guillaume Choisy. Un immense pari, conclut La Dépêche du Midi. »
Mon intention n’est pas de dire ici que ce qui est dit ici est suffisant ou pas adapté ou non. Il s’agit de montrer qu’une mobilisation est nécessaire et qu’elle est possible. Vu de notre point de vue, c’est-à-dire depuis le programme « L’Avenir en Commun », la question de l’eau est un sujet global à traiter dans le cadre de la planification écologique.
Il est temps de consacrer l’eau comme un bien commun. Nous avons proposé d’inscrire ce principe dans la Constitution à l’occasion de notre niche parlementaire du 1er février dernier. Le reste en découle : monopole du service public dans ce domaine, gratuité des mètres cubes essentiels à la vie, priorité à la préservation de l’eau sur les activités industrielles et agricoles. Le gouvernement et sa majorité avaient traité cette proposition avec dédain. Cette proposition de loi constitutionnelle, comme le livret thématique de la France insoumise sur le sujet, coordonné par Gabriel Amard, sont des outils utiles à tous ceux qui veulent mener la bataille pour l’eau et décident de l’inscrire dans les priorités de l’action locale. Dans ce contexte, il s’agit pour nous de passer d’une écologie des principes a une écologie des combats directs et concrets a propos des bien communs de l’humanité.