Le succès de la marche du 5 mai 2018 a été un palier dans la situation politique. Un tournant pour notre cause peut s’y nicher. Il a permis que la convocation d’une « marée populaire » pour le 26 mai ait lieu à partir du cadre commun qui réunit syndicats, associations et partis politiques depuis début mai. Formellement, on ne sait pas encore si la CGT nationale, Solidaire et la FSU appelleront à cette date commune. Chacun doit en effet consulter ses instances compétentes. En toute hypothèse, un appel commun de cette nature existe déjà dans plusieurs villes. Dont Marseille évidemment, à l’initiative de la CGT et Solidaire, puisque c’est là que la voie a été ouverte pour cette méthode d’action.
Pour moi, c’est cela l’essentiel. Un chemin est ouvert qui peut permettre une riposte à la hauteur du défi que lancent Macron et son équipe. Nous ne nous sommes pas laissés entraîner dans les manœuvres de couloir pour nous contenter de l’union des partis de la petite gauche. Nous avons tenu notre cap pour aider de toutes nos forces a construire cette large unité populaire en décloisonnant syndicats, partis et associations. Car ce décloisonnement sera fondateur. Déjà, Olivier Besancenot s’est rallié à la formule. C’est une heureuse évolution. Elle montre que ce dirigeant du NPA capte les avancées de la situation et sait s’y adapter sans dogmatisme.
Sans doute les autres forces vont-elles en faire autant et laisser tomber elles aussi la méthode de l’étroit cartel des partis. La dynamique est contagieuse. Le PS annonce lui aussi qu’il pourrait sauter le pas et participer à l’action de mobilisation. On devra surveiller cela de près car cela revient pour lui a tourner toute la page de son passé récent et les oukases de la ligne « ni Macron ni Mélenchon ». Ce serait un bouleversement interne qui impliquera de grandes évolutions pour certains de ses dirigeants… J’attends de le voir pour le croire. Mais si le PS décide de venir le 26 mai, ce peut être un évènement, même si cela risque de ne pas être convaincant tout de suite…
Au total, pas à pas, nous reprenons des couleurs et le rapport de force se reconstruit dans la société. Encore une fois, il ne faut jamais oublier d’où nous partons ! Si l’on additionne le total des voix des partis de droite et libéraux aux élections présidentielle et législatives, notre camp a été sévèrement mis à mal. Et il ne faut jamais oublier non plus de quoi il est question dans tout cela. Surement pas de rapport de forces entre sigles de partis ou syndicats. Il s’agit d’une confrontation entre deux visions du monde et de son organisation quotidienne. Quels principes doivent organiser notre vie ? Chacun pour soi ? Tous ensemble ? Il n’est pas question d’autre chose, à l’hôpital, à l’école, et ainsi de suite. C’est cela que les gens pressentent ou ressentent et ils savent alors que la réponse n’a pas de sigle.
D’ici au 26, je m’attend à un redoublement de manœuvres médiatiques pour créer des tensions et de la division entre les composantes du cadre commun s’il appelle à ce rendez-vous. Le premier article du « Monde » sur le sujet avec ses grossières flèches contre la CGT montre ce que vont être les arguments. Pointer du doigt la CGT « isolée » et « affaiblie », montrer du doigt « la France insoumise », mettre en scène des querelles de personnes, bref : toute la panoplie traditionnelle de la diversion / démoralisation. Il faut comprendre que c’est un peu panique à bord chez l’adversaire. Car à présent, le pouvoir va devoir affronter un front bien plus large et cohérent que tout ce qu’il a vu jusqu’à présent. En ce sens, depuis le 5 mai, la bataille ne fait que commencer.
La bataille ne fait que commencer !
Prochain RDV le 26 mai. #LaFeteAMacron #FeteAMacron #StopMacron #5Mai pic.twitter.com/hyLTiZIrqm— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 5 mai 2018
Dans ce contexte, la presse dite « de droite » est prudente. Elle hésite sur la leçon à tirer. Entre l’analyse sérieuse et la poursuite de l’habituelle comédie propagandiste, il y a balancement. Le sérieux c’est la compréhension du fait qu’il faut que le champ politique se stabilise autour des trois pôles qui le constituent aujourd’hui : les libéraux européistes, l’extrême droite ethniciste et nous, le nouvel humanisme écolosocial. Le sérieux, c’est aussi la compréhension du fait que ce qui est en jeu, ce sont des visions contraires du monde qui traversent réellement la société française.
La propagande, par contre, c’est la sempiternelle guerre des chiffres sur le nombre de participants, destinée à démoraliser. Sans oublier les non moins traditionnelles productions de polémiques à deux balles pour détourner le regard du tableau du succès du 5 mai. Par exemple, les délires de la députée LREM Montchalin sur notre tentative de putch ou bien les éructations sur notre responsabilité dans la violence de rue du 1er mai. Il y a eu aussi les gesticulations sur un tweet d’Alexis Corbière avec une image de foule erronée. Et enfin le non moins traditionnel numéro des gros lourdingues qui m’inventent des challengers internes à chaque occasion pour tenter le coup démoralisant de « ils sont divisés jusque dans leurs rangs».
Mais pour les uns et les autres, à mon avis, au fond, tout revient à une seule question. Qui reconnait vraiment le résultat de la présidentielle ? Je veux dire qui analyse la réalité telle qu’elle a été recomposée par l’élection de 2017. Et qui en tire la leçon concrète ? Nous, oui, nous le faisons. La preuve : nous combattons le pouvoir sans nous tromper d’adversaire ni nous laisser distraire par les chicayas annexes. On peut remarquer que nous ne polémiquons avec personne d’autres qu’avec les macronistes. De son côté, Macron aussi ne disperse pas ses charges. Et il pousse son avantage. Mais tous les autres ? Là est le problème.
Car ceux-là même qui chantent la louange de Jupiter foudroyant la scène politique, ou qui ruminent leurs rancoeurs, tous oublient l’autre partie du tableau. La foudre qui a fracassé l’autre côté de la scène. Il y a une alternative à Macron et à son monde. Car c’est de son monde dont le peuple sidéré ne veut pas. Certes il doute, il hésite, mais il se mobilise aussi tant il voit bien comment l’organisation de sa vie quotidienne est prise à revers par la société de marché qui s’installe dans tous les secteurs.
Cette alternative, depuis le résultat de la présidentielle, sur le plan politique, c’est « La France insoumise ». Surtout elle. Montée à 20 % dans l’élection présidentielle, forte d’un groupe parlementaire actif et reconnu, elle sait rassembler. Elle l’a montré dans les urnes avec sept millions de voix à la présidentielle. Elle le montre au Parlement. D’abord parce qu’elle est un groupe de rassemblement. Ensuite par son travail uni en permanence avec le groupe PCF essentiellement. Mais cette capacité à agir groupé s’est aussi manifestée dans les pourvois communs devant le Conseil Constitutionnel avec le groupe « nouvelle gauche ».
« La France insoumise » est la seule force issue du monde de la gauche qui soit parvenue a dépasser le PS en Europe ! Le PS, ce boulet de la gauche qui continue à l’infecter avec sa grande coalition en Allemagne et ailleurs. Le PS, ce tireur dans le dos en France avec son « ni Macron ni Mélenchon ». Car il est surtout évidemment un « ni Mélenchon » si l’on en juge par la direction que prennent les transfuges et les abstentions au Parlement. Son seul rôle politique est de geler les forces qui finalement seraient prêtes à se joindre avec nous au combat clair et net contre le pouvoir. Le PS arrogant et dominateur qui critique notre égo mais n’hésite pas à poser comme condition à tout travail commun qu’on se « rassemble autour de lui ». Le PS qui n’a aucun programme quand nous avons sur la table « L’Avenir en commun ». Et qui ose pourtant se donner des airs en décrétant avec arrogance qu’il ne faut pas « seulement s’opposer mais proposer ». Le PS, ce faux-nez du retour de François Hollande.
Bref, de ce côté-là, la vie et les urnes ont tranché. Pour l’instant aucune des forces de l’ancienne gauche traditionnelle n’a admis le nouveau rapport de force idéologique. Car notre percée exprime aussi un rapport de force idéologique. Il dit non au « social-libéralisme », non à la vieille gauche productiviste, non au parti d’avant-garde dirigeant les masses. Et oui, bien sûr, au programme « L’Avenir en commun » et au mouvement de réappropriation de l’action publique que met à l’ordre du jour la méthode de la révolution citoyenne que nous portons.
Au demeurant, ce que nous sommes est un phénomène européen dont attestent les percées de Podemos en Espagne et de Bloco de Esquerda au Portugal. Notre alliance européenne, le mouvement « Et Maintenant le peuple », en est un symbole très fort. Pourtant, toutes les organisations du monde de l’ancienne gauche rêvent de nous voir en difficulté et y contribuent tant qu’elles peuvent par toutes les mauvaises manières possibles. Elles croient que si nous sommes en faiblesse, elles vont retrouver du poil de la bête. Certes, ceux qui refusent de reconnaître le nouveau rapport de force idéologique nous handicapent certainement, on ne peut le nier. Mais ils se condamnent aussi eux-mêmes. Qu’ils voient ce que de tels raisonnements et manœuvres ont donné en Italie ! Là-bas, toute force populaire alternative a disparue !
Telle est la conclusion de toutes les manœuvres d’appareil de la petite gauche. D’autres fois, ceux-là prétendent parfois que nous serions plus forts si nous les laissions diriger la manœuvre. Si nous acceptions de nous effacer du tableau. Tout ce que nous avons fait et conquis, tout ce que nous avons prouvé, tout cela n’est rien à leurs yeux. Eux seuls sauraient ce qui est efficace et utile et ils n’en doutent pas en dépit du fait qu’ils ont tous échoué sans cesse dans l’histoire récente. Combien de temps leur faudra-t-il pour admettre qu’ils seront toujours plus faibles sans nous ? Car le grand nombre sait bien qu’il lui faut un point d’appui stable et solide pour agir. Il sait bien qu’on avance mieux, plus efficacement et plus surement avec une vraie force qui fédère qu’avec une poussière de groupuscules hargneux ou de revenants fourbus. Tout le monde a sa place dans la bataille. Il suffit de la prendre. Non pour bavarder et tacler la famille. Mais pour construire le rapport de force et empêcher l’installation du monde de Macron.
Ce qui compte, c’est que Macron a compris le nouveau tableau et engage le fer. Des petits génies du commentaires de café du commerce affirment que cela prouve combien nous serions « complices ». Ne nous désignons-nous pas mutuellement comme adversaire ? Ceux-là inventeront bientôt l’eau chaude. Quelle bêtise de débutant ! Évidemment que nous nous centralisons mutuellement ! Évidemment que cela avantage Macron à cette étape. Car il sait bien que nous partons de loin face à la coalition de toutes les droites qu’il est en train de constituer. Mais il doit bien combattre là où il y a matière. Quel intérêt pour lui à combattre les fantômes évanescents du PS ou de LR ? Et quel intérêt pour nous à polémiquer avec ceux-là ? Ou avec les survivants des lamentables trouvailles comme « les primaires de toute la gauche », l’unité de la petite gauche et autres impasses groupusculaires qui affaiblissent tout ce qu’elles touchent comme on l’a vu place de la République à la veille du premier mai et de la marche du 5 mai ? Jusqu’au ridicule des trois cent personnes réunies par sept organisations place de la République essayant d’opposer « l’unitay » aux méchants sectaires organisateurs du 5 mai. Vain et contreproductif, surtout pour ouvrir une semaine où nous courrions tous de grands risques avec le 1er mai divisé, le 5 mai incertain et les journées de grève qui seraient scrutées.
De notre côté, le scénario que nous favorisons avance. Il avance entre partenaires raisonnables. Le front unique de la petite gauche n’a jamais été notre but. C’est même un obstacle. Car il se présente comme une avant-garde partidaire aussi peu crédible qu’arrogante. Notre but c’est la fédération du peuple, l’unité populaire à la sauce marseillaise où combattent côte à côte syndicats, partis et associations. Nous avons dit notre préférence pour que les syndicats marchent devant. C’est le cas à Marseille. Il fallait prouver que ça marchait. Prouver qu’il y avait une disponibilité populaire de masse pour cela. C’est ce qui a été prouvé le 14 avril de la Canebière à la place de la Castellane. Et dès le lendemain, on savait que le 5 mai serait un succès.
Le premier mai, avec ses violences, a certes tout fait vaciller. Et d’un peu la propagande générale des médias du pouvoir serait parvenue à faire assez peur pour dissuader de revenir dans la rue. Mais un effort gigantesque d’organisation a fait la différence. Il a permis que se révèle un moment populaire particulier. Je le résume de la façon suivante. La foule de ce jour-là avait un très haut niveau mental, une volonté de passer outre la menace et la peur que la violence du premier mai avait semé. C’était si fort que les deux cent personnes regroupées dans une rue adjacente et prêtes à s’encagouler n’ont pu sortir de leur expectative. Du coup elles se sont limitées à prendre à partie une voiture de presse pour être certaines d’avoir un peu de reprises médiatiques des macroniens contre la France insoumise sur le thème de la violence. Ce qui fut fait séance tenante et avec enthousiasme sur tous les fils tweeter de la Team Macron comme par les chaînes du « service public » et des diverses agences gouvernementales.
Dans ces petits détails s’expriment des réalités profondes concernant l’état d’esprit dominant. La dégringolade du président et du Premier ministre dans l’opinion un an après leur installation semble être un fait nettement affirmé. La stabilité de la bonne image du mouvement social et des figures connues de « La France insoumise » est l’autre face de cette médaille. C’est de la même réalité dont il est question a propos de ces deux situations. La situation n’est pas tranchée. Pour nous, tout dépend de notre capacité à enclencher dans toutes les métropoles du pays une dynamique de mobilisation le 26 mai. Il faut agir en déclencheur. Déclencher l’idée que la résistance au changement de société voulue par Macron est possible.