Tout fut écrasé par un de ces bashing dont le parti médiatique a le secret, en ligne avec les volontés du régime. Ce fut le jour où démarra une resucée de la mise en cause de mes comptes de campagne présidentielle. L’info bidon remplaça toute autre réalité nous concernant et notamment celle pour laquelle je me trouvais ce jour-là à Strasbourg. Car ce jour-là, nous agissions à l’appel des trois organisations qui ont lancé le mouvement européen « Maintenant le peuple », c’est-à-dire le Bloco de Esquerda du Portugal, l’espagnole Podemos et « La France insoumise ». Nous avions prévu de célébrer ensemble l’anniversaire du « non » français et hollandais au traité constitutionnel le 29 mai 2005. Ce « non » fut fondateur. Il ordonne le sens politique des évènements en France depuis lors. Il y a 13 ans, avec une participation désormais devenue exceptionnelle de 70% des Français, 54,67% d’entre eux ont voté « non ». 15 millions 500 mille Français. Cette date restera un tournant dans l’histoire européenne et dans celle de la gauche française.
Ce 29 mai 2005, c’est le jour où les peuples européens font leur entrée dans le débat européen. Car deux jours après les Français, aux Pays-Bas, le peuple néerlandais opposait aux dirigeants européens le même rejet contre ce traité préparé dans les coulisses de Bruxelles. La force de ces deux « non » successifs fut telle, et la peur des puissants fut si terrible, que 6 des 7 autres États européens qui avaient également prévu un référendum, décidèrent de l’annuler. Ainsi en fût-il pour le Danemark, le Portugal, la Pologne, la République tchèque, l’Irlande et le Royaume-Uni.
La suite, nous la connaissons aussi. En 2007, réunis en conférence intergouvernementale, les chefs d’États européens décident de violer la volonté des peuples européens. Ils recopièrent presque mot pour mot le Traité Constitutionnel pour en faire le Traité de Lisbonne qui s’impose désormais à nous. Mais c’est ce Traité de Lisbonne que les Irlandais ont de nouveau rejeté par référendum le 12 juin 2008. Ils l’ont donc fait voter une seconde fois en octobre 2009, sous la pression maximale pour obtenir un « oui » petit et mesquin sur la base de nouvelles promesses jamais tenues. Ainsi va la « démocratie européenne ».
Désormais, nous voici rendus à un point de brutalité qui aurait été impossible sans ce viol initial impuni. L’agression contre Chypre et la Grèce a montré ce que voulait dire Junker quand il affirmait « il n’y a pas de démocratie possible en dehors des traités ». La semaine dernière, à propos de l’Italie, un député merkeliste déclarait « il faudrait que la Troïka marche sur Rome pour y prendre le ministère des Finances ».
D’autres partis et mouvements s’étaient joints au trio fondateur. Une vidéo en direct a été réalisée sur cet évènement. La France insoumise avait mis le paquet. Outre notre eurodéputé Younous Omarjee qui présidait et animait la séance, Éric Coquerel, l’inventeur du « forum européen Plan B », Corinne Morel-Darleux de retour du Rojava, animatrice du réseau « écosocialisme » et Charlotte Girard, responsable du programme de la France insoumise, professeure de droit constitutionnel comparé. Ce niveau d’investissement signale l’importance à nos yeux de l’élargissement de notre nouveau mouvement. À présent, nous sommes certains de sa dynamique. En atteste le contenu de l’interview donnée par Sarah Wagenknecht au journal Médiapart. Quoi que l’une des deux dirigeants de Die Linke au Bundestag, elle annonce la création d’un mouvement sur le mode de « La France insoumise » et de Podemos. Voici dans quels termes elle le fait.
« Nous voulons créer un mouvement auquel chacun pourra adhérer, sans tenir compte de son appartenance à un autre parti. Ce mouvement doit créer une pression sur les partis déjà existants pour que notre politique soit portée par une majorité. La transition du Parti de gauche vers La France insoumise est un peu notre modèle. Ce que Jean-Luc Mélenchon et ses amis ont déjà atteint est tout à fait impressionnant. Notre parti a toujours eu des positions communes avec celles de FI. Mais FI parvient à atteindre un électorat beaucoup plus important que le nôtre. Nous voulons faire la même chose. C’est pour cela que nous échangeons pas mal avec eux. Nous sommes bien sûr allés nous renseigner précisément sur la formation du mouvement ou encore sur la stratégie médiatique et numérique. »
Le journal pose une question assez frontale. La réponse est sans détour elle aussi. « Adhérez-vous à la stratégie du plan B de Jean-Luc Mélenchon, qui pose la question de la sortie de l’UE pour forcer à renégocier les traités européens ? » demande Médiapart. Sarah n’hésite pas : « Je trouve cela tout à fait convaincant. La zone euro actuelle ne fonctionne pas, à cause de la politique menée par l’Allemagne. Quand un pays de cette taille pratique le dumping salarial et dope de manière artificielle ses exportations, les autres peuvent difficilement se défendre. Avec l’euro, ils ne peuvent plus dévaluer leur monnaie. Cela renforce les déséquilibres. Regardez l’état actuel de l’Italie. Cela a aussi à voir avec l’euro. Il faut donc que l’Allemagne change sa politique, c’est-à-dire qu’elle opte pour une forte augmentation des salaires et des investissements intérieurs. Il faut aussi coordonner la politique économique avec nos voisins. Enfin, il faut se tenir prêt à mettre en place un nouveau système qui permette une dévaluation des monnaies, pour offrir davantage de souplesse. »
Il faut prendre le temps d’assimiler toute l’étendue de ce que ce discours implique. Mais c’est un évènement. Non seulement nous disposons de cette façon d’un allié en Allemagne mais une ère semble close. L’allié, tout le monde le comprend. Reste à savoir si la totalité de Die linke s’y rallie. Ce n’est pas certain pour les anciens communistes de l’Allemagne de l’est qui ont leur poids dans Die linke. Et davantage encore au Parlement européen et dans le Parti de la gauche européenne où ils occupent toutes les présidences (le groupe, le parti et la seule commission que préside le groupe GUE). Tout leur a été cédé en effet progressivement par le PCF de Pierre Laurent. Cette fraction est très fermée, peu coopérative et lourdement bureaucratique. Ne cachons pas qu’elle est assez méprisante à mon égard. D’ailleurs elle m’a refusé toute aide politique dans la campagne de 2017, en lien avec les demandes du PCF alors également très acerbe. Je ne suis pas prêt d’oublier les insipides discours de Gabi Zimmer, la présidente éternelle du groupe, qui en 2016 et 2017 préférait monopoliser le temps de parole plutôt que de me le donner face à madame Le Pen qui, de son côté, s’exprimait au nom de son groupe. Beaucoup de députés de la GUE étaient choqués par ces façons de faire et cela aida beaucoup au regroupement qui s’opère désormais sur une base plus politique mais aussi plus fraternelle.
Au-delà des contingences, il faut savoir reconnaitre dans ce monopole allemand sur l’autre gauche européenne un reflet de l’épuisement du modèle qui avait d’abord fait surgir Die linke comme modèle qui se prolongea avec Synapismós en Grèce, Izquierda Unida en Espagne et le Front de gauche en France. Plusieurs partis formant un front avant de fusionner comme en Grèce ou en Allemagne, c’était la formule du moment. Mais en Espagne et en France, les PC ne voulurent pas de la fusion et la formule s’étouffa vite dans les alliances opportunistes à géométrie variable pour les élections locales. Podemos commença un nouveau chemin plein d’imagination et remporta aussitôt un formidable succès. La création de « la France insoumise » un an plus tard et son succès à l’élection présidentielle de 2017 confirma la pertinence de la nouvelle orientation. Tirée de la séquence latino-américaine dans des formes et avec des méthodes différentes dans chaque pays, elle obtient des résultats dont s’est avéré incapable l’ancienne formule frontiste.
Dorénavant, l’émergence d’un courant mouvementiste et dégagiste à partir de Die linke confirme le changement de période. On peut dire qu’une nouvelle page s’écrit. C’est cela la bonne nouvelle venue d’Allemagne : il y aura aussi les Allemands pour former l’alternative européenne à la droite extrême et aux libéraux. C’est notre devoir à ce moment de l’Histoire d’ouvrir cette alternative en Europe.