Mille fois sur le métier remettons notre ouvrage. La récente parution d’un rapport de l’ONU sur l’état des océans nous y appelle. On ne peut y échapper. Car notre planète est recouverte à 70% d’eau. C’est une des raisons de la présence de vie sur Terre. 95% de cette eau est salée. Elle forme l’océan mondial. Il régule à plus de 80% le climat de la Terre et génère plus de 60% des services écosystémiques qui nous permettent de vivre, à commencer par la production de la majeure partie de l’oxygène que nous respirons. Les océans absorbent 30% du dioxyde de carbone produit par les humains. Près d’un million d’espèces vivent actuellement dans les mers, et deux tiers d’entre elles restent encore à découvrir.
Mais, comme on le sait, alors même que la mer est loin d’avoir révélé l’ensemble de ses secrets, elle subit déjà de plein fouet le dérèglement climatique. Il s’ajoute donc aux terribles effets directs de l’activité humaine. Pour finir, l’ONU s’inquiète de voir se former des phénomènes de vastes « zones mortes ». Plus aucune vie n’y a cours. Il ne reste plus rien là sinon des déchets humains. L’ONU estime que près de 40 % des océans doivent être déjà considérés comme « lourdement affectés » par les activités humaines. Les poissons du Pacifique Nord ingèreraient entre 12.000 et 24.000 tonnes de plastique par an. Ces graves pollutions s’ajoutent ainsi à la destruction d’habitats côtiers tels que les récifs de coraux, les mangroves et les algues marines. La diminution des populations de poissons ainsi que l’implantation d’espèces aquatiques envahissantes terminent ce tableau d’un désastre annoncé.
En tant que membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, je suis co-rapporteur d’une mission d’information sur la mer et les océans. J’effectue cette mission avec un collègue de la majorité Joachim Son-Forget, passionné du sujet et bon coéquipier. De nombreuses rencontres et auditions ont lieu. Elles concernent toute la gamme de l’activité humaine en mer, des organismes du gouvernement, de la marine, des associations, des pêcheurs etc. Nous publierons dans les mois qui viennent un rapport. Je vous fais ici un point d’étape de ce travail. Les sujets que j’aborde ici ne sont cependant pas figés même si nous avons bien avancé dans les grandes lignes de ce que nous voulons dire.
La question de la préservation des ressources est déterminante. Elle est une urgence écologique mais a aussi des implications sociales. Les petits pêcheurs souffrent de l’épuisement de leurs zones de pêche par les méthodes industrielles. Ils ont donc intérêt à défendre une gestion alternative de la biodiversité marine. Le débat se structure par exemple autour du sujet des aires marines protégées. Certes, ces réserves naturelles sont très variables. Certaines sont des sanctuaires complets ou simplement avec de la pêche au casier tandis que, dans d’autres, la pêche industrielle est autorisée. Mais les petits pêcheurs insistent sur l’importance d’avoir des sanctuaires halieutiques intégraux afin d’y permettre le développement de la biodiversité. Leur existence profite bien sûr aux zones des océans proches. Protéger la biodiversité marine n’est pas qu’une affaire de pêcheurs. Car elle a aussi un effet sur la lutte contre le changement climatique. Certaines zones comme les estuaires, les vasières ou les herbiers absorbent beaucoup de carbone. Leur disparition accélère les émissions et la bascule climatique.
Mais pour régler les questions écologiques, il faut aussi parfois avancer sur la question géopolitique. Car, en haute mer, l’océan n’appartient à personne. Il est, avec sa biodiversité, un bien commun de l’Humanité. Il s’agit donc de trouver les méthodes pour régler entre les États les moyens de le gérer et d’en assurer la protection. Nous sommes ici au cœur de notre « nouvel humanisme » sur le terrain de l’idée centrale de « biens communs ». Ainsi, il n’existe par exemple aucune aire marine protégée de haute-mer. La gestion des zones communes de pêche reste marquée par la surpêche du fait de l’absence de coopération efficace. Et puis il y a le problème de l’Arctique. Il va devenir une route navigable du fait de la fonte des glaces. Or, cet espace est très peu régulé puisqu’aucun État n’y a de souveraineté. Une très large palette de problème est alors soulevée. Elle va de la propriété du sous-sol et des réserves qu’il contient aux conditions de passage des méthaniers et des gaziers, car on ne connait pas la réaction du pétrole au contact des eaux aussi froides.
Toutes ces questions sont mises en débat. En effet, des discussions internationales sont ouvertes depuis deux ans pour discuter de la révision de la convention internationale en cours. Les États parties de cette convention ont en effet décidé d’ouvrir des discussions pour aboutir à un accord international sur la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales. C’est une opportunité. Mais aussi un risque si la discussion devait donner la main aux productivistes. Dans ce cadre, je crois que notre rapport sera une contribution bienvenue sur ce que peut et doit faire la France dans ces discussions. Comme vous le savez, notre pays peut être à la pointe pour répondre aux urgences écologiques liées à la mer. La France possède la deuxième zone économique exclusive du monde. Notre statut de puissance maritime implique des responsabilités. Beaucoup de documents et rapports existent déjà sur le sujet. Le travail entrepris avec mon collègue Son-Forget ne peut prétendre faire une synthèse exhaustive de ce qui existe déjà. Nous voulons plutôt pointer les domaines prioritaires dans lesquels la France a un rôle à jouer ici et maintenant.