L’Union européenne est un paradis pour ceux qui veulent éviter de contribuer par l’impôt à hauteur de leurs revenus. Elle abrite pour cela en son sein plusieurs paradis fiscaux. Et aucune règle ne permet de lutter contre les montages crapuleux pour payer le moins possible. Les géants du numérique en profitent à plein. Facebook et Apple ont pour point commun de rapatrier leurs bénéfices en Irlande. Au final, le taux d’imposition moyen de Google dans l’Union européenne est de 0,82%. Quant à Apple, c’est encore moins. L’entreprise qui est la première capitalisation boursière du monde paye 50 euros d’impôts en Europe chaque fois qu’il en gagne un million. Soit un taux d’imposition effectif de 0,005%.
La chance pour les voleurs du fisc est qu’il se trouve toujours un État européen pour bloquer toute tentative de les faire payer, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Cette fois, c’est le gouvernement allemand qui endosse le rôle de protecteur de l’évasion fiscale. En mars 2018, la Commission européenne a fait, sous la pression des scandales à répétition, une proposition limitée aux États membres. Il s’agit d’instaurer une taxe de 3% à l’échelle européenne sur le chiffre d’affaire généré par la vente d’espaces publicitaires en ligne et la vente des données personnelles. Cette taxe serait largement insuffisante pour recouvrer les sommes non payées par les multinationales du numérique, étant donné leurs taux d’impositions actuels.
Par ailleurs, elle ne vise pas toutes leurs activités. Les revenus générés par le commerce en ligne ou les abonnements ne seraient ainsi pas concernés. Des entreprises comme Netflix ou Amazon, pourtant champions de l’évasion fiscale, passeraient entre les mailles du filet. Ce n’est donc pas une proposition de nature à rétablir la justice fiscale. Mais tout cela c’est encore trop pour le gouvernement allemand qui dirige l’Europe. Il a fait savoir par la voix de son ministre des Finances, Olaf Scholz, que cette proposition était « non productive » et constituait une « diabolisation » des GAFA.
En vérité, le patronat allemand a surtout peur de représailles des États-Unis. Toutes les multinationales du numérique sont américaines. Et Trump menace déjà de rétablir des droits de douane importants sur les importations de voitures aux États-Unis. Or, le secteur automobile représente 20% de l’activité industrielle de l’Allemagne et 25% des exportations allemandes aux États-Unis. 90% du marché américain des automobiles de luxe est occupé par des constructeurs allemands. Pour protéger son industrie automobile, l’Allemagne semble donc décidée à bloquer toute tentative pour taxer en Europe les multinationales américaines.
Si l’Allemagne bloque, ce serait un nouveau camouflet pour Macron. Après le glyphosate, après le « budget de la zone euro », le gouvernement Merkel aura une fois plus choisi les intérêts du capital allemand plutôt que le fameux « couple franco-allemand » des fantasme de l’eurolatrie ordinaire. Il existerait pourtant une solution pour faire, sans attendre le feu vert de Merkel. Dans le cadre du projet de loi sur l’évasion fiscale, la France insoumise a déposé un amendement pour permettre au fisc français d’utiliser des données comme le chiffre d’affaire, le nombre de ventes, le nombre d’utilisateurs pour estimer le bénéfice réel réalisé en France et prélever l’impôt en conséquence. Par exemple, si Apple réalise 10% de ses ventes en France, on estime que son bénéfice français est égal à 10% de son bénéfice mondial. Cela permettrait de couper l’herbe sous le pied des tricheries et montages qui permettent aux multinationales de ne déclarer qu’un bénéfice ridicule en France.
Il n’y a pas besoin pour cela d’attendre l’Union européenne. C’est une décision qui dépend du Parlement français et dont l’application peut être mise en œuvre par l’administration fiscale française. C’est d’ailleurs ce que dit l’économiste qui en a apporté l’inspiration, Gabriel Zucman. « Il est très important de comprendre que la France peut réformer sa fiscalité unilatéralement. On peut continuer à essayer de négocier avec les paradis fiscaux au sein de l’Union européenne, mais cela risque de prendre des décennies. A ce stade, il vaut mieux que la France fasse cavalier seul. » déclarait-il dans Le Monde, en novembre 2017.
Mais Macron ne décide rien sans l’aval de Merkel. Et Merkel a dit non.