Cet article a été publié par Louise Robert sur son blog
Pardon de titrer avec cette formule à la fois emphatique et usée, mais je n’ai rien trouvé de mieux pour exprimer ce que je veux dire : qu’est-ce qui se cache derrière l’emballement politico-médiatique que nous avons connu la semaine dernière ?
Dans quelques jours le Brésil sera sans doute dirigé par un homme d’extrême droite violent, raciste, homophobe et misogyne. C’est l’aboutissement d’un processus qui a commencé par la destitution de Dilma Roussef, accusée d’une manœuvre budgétaire assez courante destinée à masquer un déficit, puis par l’élimination de Lula, alors favori des sondages, jugé et emprisonné sous l’accusation de corruption pour un appartement. Il ne s’agit pas de nier que le Brésil est miné par la corruption et la violence, mais le gouvernement de droite qui a remplacé celui de Dilma Roussef est beaucoup plus compromis qu’elle dans des affaires de corruption. La gauche éliminée, la place est libre pour l’extrémisme droitier et les politiques économiques libérales, c’est là l’essentiel.
En Italie, comme dans certains pays d’Europe de l’est, l’extrême droite est déjà au pouvoir. Là il n’a pas été nécessaire d’éliminer une gauche anti-libérale, inexistante.
Jeremy Corbyn, à la tête d’un Labour largement gauchisé pourrait arriver au pouvoir. Il est soumis dans la presse à de violentes et ridicules accusations d’antisémitisme pour une histoire de dépôt de couronne dans un cimetière tunisien.
Bernie Sanders qui avait l’outrecuidance de se dire « socialiste » a été éliminé de la course à la présidence des Etats Unis par l’appareil démocrate. Il avait semble-t-il plus de chances que Clinton de barrer la route à Trump. Aujourd’hui nous assistons impuissants aux multiples dégâts provoqués par ce président. Mais l’essentiel est qu’il déréglemente à tout va et qu’il baisse considérablement les impôts des plus riches.
Pablo Iglesias dirigeant de Podemos et sa compagne ont dû faire face à une campagne de dénigrement délirante pour l’achat d’une maison au moyen d’un prêt courant sur plusieurs décennies.
Ces exemples montrent que chaque fois qu’un courant de gauche anti-libérale devient suffisamment puissant pour être en mesure d’accéder au pouvoir, des manœuvres visant à son élimination sont mises en œuvre. Campagnes médiatiques, instrumentalisation de la justice à partir de faits mineurs ou franchement fantaisistes. Tous ces mouvements et partis politiques ont en commun de vouloir renverser l’évolution qui depuis bientôt quarante ans, accroît les inégalités en laissant s’accumuler d’immenses richesses d’un côté et la précarisation des plus faibles se développer de l’autre. Ils veulent un partage des richesses plus juste, restaurer les solidarités, les services publics, stopper les privatisations, en finir avec les politiques d’austérité. Gauche radicale donc, au sens de retour aux racines de la gauche. Rien de révolutionnaire au sens du grand soir, c’est par les élections qu’ils veulent transformer la vie des gens. Mais leurs adversaires les accusent d’être des communistes-le-couteau-entre-les-dents, des staliniens, des dictateurs en puissance.
C’est à cette aune qu’il faut apprécier ce qui s’est passé depuis une semaine en France autour de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise. Pour le pouvoir macronien, la FI est pour le moment le seul adversaire crédible, en dehors du Rassemblement National. Il n’en veut pas parce que c’est seulement dans l’affrontement avec le RN qu’il a une chance de se maintenir. Mais dans cette configuration notre pays court un immense danger, celui de voir le RN arriver effectivement au pouvoir en France, à cause du discrédit de LREM que cette première année de gouvernement assez calamiteuse a commencé produire.
Pour tous ceux qui veulent éviter à la France ce choix impossible entre l’extrême-droite et l’extrême-centre ultra-libéral, il est fondamental qu’une autre alternative existe, autour de la France Insoumise, pour éviter à notre pays un scénario à l’italienne. Stefano Palombarini, économiste italien hétérodoxe, l’explique dans un récent entretien avec Aude Lancelin sur Le Media2.
Voilà pourquoi la France Insoumise, le Parti de Gauche, leurs responsables et ceux qui à un moment ou un autre ont travaillé avec eux ont été l’objet de perquisitions d’une ampleur absolument inédite, pour des faits ne justifiant pas ce déploiement de force, et alors qu’ils avaient jusque là répondu à toutes les demandes d’éclaircissement venant de l’administration. Voilà pourquoi seule la France Insoumise a été soumise à ce traitement, alors que d’autres comptes de candidats à la présidentielle présentaient des anomalies, comme ceux d’Emmanuel Macron.
Enfin, comment ne pas s’étonner qu’un ton de voix, une colère s’exprimant d’une voix forte devant l’impossibilité pour un député d’accéder au local de son parti ait déclenché un tel déferlement de cris d’orfraie dans certains médias ? Comment ne pas s’étonner que l’imitation ironique de l’accent méridional d’une journaliste ait été considérée comme une atteinte insupportable au droit de la presse ?
Bien sûr, il vaut toujours mieux s’exprimer calmement, mais dans certaines circonstances, c’est difficile, et même, élever le ton est une façon d’exprimer son indignation. Qui peut dire quelle est la limite sonore acceptable dans l’expression de la colère? Il y a beaucoup d’hypocrisie dans les réactions entendues sur les médias à ce sujet.
Ces derniers jours les députés de la France Insoumise invités sur les plateaux sont sommés de répondre à une question, répétée avec insistance : « regrettez vous le ton et les mots de Jean Luc Mélenchon ? Est-ce que vous le regrettez ?»1
Alors, je me souviens de David Pujadas interpellant le syndicaliste Xavier Mathieu au cours du JT de France 2 : « est-ce que vous regrettez ces violences, ces ordinateurs jetés à terre au cours d’une manifestation ? Le regrettez-vous ? ». Rien d’autre n’intéressait le journaliste à ce moment. Xavier Mathieu finit par lui répondre « Non, Monsieur, je ne le regrette pas. Voyez-vous, nous risquons de perdre nos emplois, alors je comprends cette colère »
Est-ce du complotisme que de dénoncer les manœuvres anti-démocratiques des partisans du statu quo économique et social ? Chacun se souvient de la phrase de Jean Claude Junker actuel président de la Commission Européenne et ex-organisateur de l’évasion fiscale vers son pays le Luxembourg : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».
Les manœuvres évoquées plus haut sont les tentatives de réponse de l’oligarchie au problème insoluble qu’elle rencontre : dans un système démocratique, en principe, un homme = une voix, comment alors imposer un pouvoir qui ne profite qu’à une infime minorité ? Judiciariser, c’est-à-dire instrumentaliser la justice pour tirer parti de toutes les ressources du droit, sortir les enjeux fondamentaux du débat démocratique, imposer des débats piégés comme ceux sur les déficits et la dette, le poids des « charges » et des impôts, le mauvais fonctionnement des services publics provoqué délibérément par les politiques menées, asseoir son pouvoir dans la presse par la prise de contrôle des grands médias par des groupes financiers, jouer sur la peur, créer des boucs émissaires, les migrants les étrangers, les musulmans… et si cela ne suffit pas, ne pas respecter le résultat des votes populaires, ou dernier recours, utiliser l’extrême droite.
Dans cette situation, la gauche radicale a un rôle historique à jouer : construire un mouvement puissant capable de déjouer ces manœuvres, les dénoncer, expliquer sans relâche que d’autres choix politiques sont possibles, rétablir une « démocratie libre et non faussée ». En France aujourd’hui cela ne peut se faire qu’avec la France Insoumise.
2 « L’Italie, laboratoire du désastre européen », Le Media, 22 octobre
1 Encore ce matin 24 octobre Léa Salamé interpellait Eric Coquerel dans ces termes.