Dans une tribune au Parisien – Aujourd’hui en France, plusieurs avocats plaident pour la mise en place de procédures spécifiques concernant toute action judiciaire envers une personnalité politique, comme c’est le cas pour d’autres professions réglementées.
Mes Gilles-Jean Portejoie, ancien bâtonnier de Clermont-Ferrand ; Jean-Louis Keita, ancien bâtonnier d’Aix-en-Provence ; Hubert Delarue, ancien bâtonnier d’Amiens ; Pierre Blazy et Pierre-Charles Ranouil, respectivement avocats aux barreaux de Bordeaux et Paris
« Les récentes perquisitions opérées au domicile de Jean-Luc Mélenchon et dans les locaux de la France Insoumise, dans le cadre d’une enquête préliminaire et sous le contrôle du parquet, doivent avoir pour vertu de permettre l’émergence d’un débat juridique pragmatique, rationnel et utile sur le dispositif législatif actuel et son caractère inadapté lorsque les mis en cause sont des personnalités politiques.
Les opérations dernièrement menées sur ordre du parquet et à grands renforts policiers ont de nouveau mis en évidence tant les dysfonctionnements du cadre procédural activé que les soupçons l’entourant inévitablement.
Il apparaît ainsi contestable de soumettre un dirigeant politique ou un élu à une procédure permettant des investigations coercitives à l’initiative et sous le contrôle quasi exclusif du parquet, dont le statut est depuis longtemps au centre des débats et l’indépendance pointée du doigt, et sans interaction possible de la part du mis en cause.
Si le Conseil constitutionnel n’a pas remis en question, au regard du principe d’indépendance de l’autorité judiciaire, la formulation adoptée par la loi organique relative au statut de la magistrature selon laquelle « les magistrats du parquet sont placés […] sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la justice », il n’en est pas de même pour la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui conteste l’indépendance et l’impartialité du parquet en ce qu’il est subordonné au garde des Sceaux. Ce statut mal défini alimente tous les fantasmes, et notamment le fait que le parquet serait aux ordres du pouvoir politique, fantasmes légitimement exacerbés lorsque les mis en cause sont des politiques. Afin de pallier toute suspicion liée à cette ambiguïté, il conviendrait de prévoir dans le cadre législatif que toute mise en cause d’un politique donnera systématiquement lieu à une ouverture d’information encadrée par un magistrat instructeur, afin de renforcer les garanties procédurales de la défense et l’expression du principe du contradictoire.
Les perquisitions diligentées sur ordre du parquet n’apparaissent plus adaptées lorsqu’elles concernent des élus, a fortiori d’opposition, et ce, nonobstant l’aval du juge des libertés et de la détention qui n’a, matériellement et humainement, pas les moyens d’assurer un contrôle effectif lors de son intervention. Dans la configuration actuelle, il est illusoire de prétendre assurer aux politiques mis en cause les garanties d’impartialité nécessaires au bon fonctionnement de l’appareil judiciaire. L’information judiciaire, avec toutes les garanties accordées au mis en examen ou témoin assisté, paraît être la solution qui s’impose.
Il conviendrait aussi d’instaurer une procédure spécifique en matière de perquisitions, à l’instar des cadres posés pour certaines professions réglementées (avocats, journalistes, notaires ou magistrats), qui ont accès à des informations sensibles méritant de particulières précautions.
Il serait ainsi opportun d’imposer en cas de perquisitions visant un politique l’information des présidents d’assemblées, locales ou nationales selon le statut de la personnalité visée, pour leur permettre de désigner un représentant aux fins d’assister aux opérations et de s’assurer de la stricte circonscription des recherches effectuées et des saisies opérées aux éléments utiles à la manifestation de la vérité, puisqu’il est indéniable que sont accessibles, au sein des locaux dédiés ou domiciles des politiques, des informations sensibles et sans lien avec les investigations conduites, avec un évident danger de divulgation.
Il n’est aucunement question de créer un régime d’exception pour les politiques, qui demeurent des justiciables parmi les autres, mais de tenir compte de la spécificité de leurs responsabilités pour limiter les possibilités d’abus et assurer transparence et garanties procédurales lors d’opérations par définition génératrices de soupçons et d’opacité, comme le démontre l’actualité récente. »