Ce samedi fonctionna comme une caricature de ce que peut être une bataille de propagande. Sans foi ni loi, les chaînes d’info en continu se polarisèrent sur 200 mètres des Champs-Elysées pour retransmettre en direct, avec commentaires angoissés, le scénario écrit et imaginé par l’immense stratège Christophe Castaner.
À moins que ce soit encore la petite équipe spécialisée dans cet exercice depuis les succès de Valls dans ce domaine.
Dès le matin donc, aux premières heures, les Champs restèrent bien ouverts afin d’être bien certain de pouvoir y trouver les manifestants dont le spectacle avait besoin. Puis les gardes mobiles sont arrivés et le ballet des allers et venues des deux premières lignes ont pu durer toute la journée pour rendre possible les images traumatisantes et les commentaires dissuasifs. Je ne perdrai pas un instant à raconter la rigolade des vieux militants assistant à cette comédie de boulevard. Des esprits taquins auraient pu s’étonner d’une telle inefficacité du dispositif et de l’usage de la force pendant plus de huit heures. Des esprits curieux se seraient demandé pourquoi il n’y avait là ni CRS ni policiers mais les gardes mobiles, c’est-à-dire l’armée. Des esprits mutins s’ébahiraient de voir comment les éléments incontrôlés sont sagement restés concentrés sur l’usage des palissades de chantier en préservant soigneusement tous les symbole du fric ostentatoire qui pourtant pullulent sur cette avenue ! Bref, le show a fonctionné.
Mais personne n’y a cru, hélas pour Castaner et les petits malins qui lui tenaient la main pour ce grand revival de « la République contre les séditieux ». Au contraire, des milliers de gens sur les barrages en région, les millions de gens qui passaient le nez devant leur écran et retrouvaient au fil des heures le même prises de vue, les mêmes gros plans sur les flammes de baraques de chantier, comprenaient bien qu’on les prenaient pour des imbéciles (des « abrutis » dirait le dessinateurs du Monde, l’illustre contre-populaire Gorce). Pour autant que ce soit aux Champs ou en région, le nombre et la détermination y était. Et si chaque regroupement comportait sa dose de militants politiques de tous horizons, il y avait surtout des gens dont c’était la première expérience d’action de ce type et même la première fois tout court pour quoi que ce soit de public et de politique. Les grands chefs et les commentateurs ont traité tout ça à l’ancienne, sur les mêmes grosses ficelles usées et rabâchées mille fois contre nous et d’autres : « le mouvement s’essouffle », « les gens réprouvent la violence qui se déchaîne », « L’extrême droite (parfois l’extrême gauche) est responsable des violences et a récupéré le mouvement ». Insuccès garanti, je l’ai dit. Mais cela ne tient pas a la contreperfomance individuelle des acteurs de cette comédie. Leur échec est dans ce que sont les caractéristiques du moment politique.
Tout ce qui se passe est hors norme. C’est pourquoi la réplique manipulatoire traditionnelle est complètement décalée par rapport au niveau de conscience populaire. C’est donc pour nous un important succès car des millions de gens ont été une fois de plus instruits en masse des stratégies médiatico-politiques du régime macroniste. L’identification du parti médiatique se fait à échelle de masse. Le mépris et le dégoût qui vont avec de même.
L’autre succès est naturellement le niveau de mobilisation et l’élévation du niveau de conscience qui s’est exprimé partout dans les mots d’ordre et les propos tenus face caméra ou dans les meetings improvisés. Les commentateurs n’attachent pas d’importance au fait que le mot d’ordre « Macron démission » soit un refrain partout. C’est pourtant un slogan qui est très rare dans l’histoire des mouvements sociaux du pays. À vrai dire, je ne crois pas qu’il ait de précédent. Même Hollande y échappa. Rien ne décrit mieux l’isolement du pouvoir actuel et sa perte de légitimité que ce slogan omniprésent.
Deux autres signaux ont été visibles cette même fin de semaine. D’abord le succès de la manifestation contre les violences sexiste et sexuelles. J’ai participé à la marche parisienne comme je l’avais mentionné en posant ma question d’actualité au gouvernement. J’ai constaté un cortège extrêmement nombreux et dense. Très intergénérationnel, très bienveillant, très structuré autour de slogans et pancartes très cadrés tout au long du cortège. Alors que la semaine avait été vouée médiatiquement aux gilets jaunes, c’est donc un éclatant succès pour les organisations qui l’ont construit. Mais c’est aussi un signal que lance la société tout entière si l’on tient compte de diversité et du nombre des participant·e·s. Un signal de mobilisation qui recoupe les autres messages de la période. Ce moment est celui d’une montée en puissance de la conscience politique collective sur toutes les questions qui concernent la dignité des personnes et l’exigence d’égalité. D’une façon générale, personne ne faisait d’opposition entre les deux actions de la journée. À quelques exceptions près bien sûr. Mais elles ne comptent pas politiquement. Pour finir l’image qui reste pour moi ce sera celle de cet accueil du cortège féministe par une double rangée de gilets jaunes l’applaudissant (vidéo ci-dessous).
Au demeurant, notre famille doit travailler sans relâche à la convergence populaire qui est la clef du contexte pour reprendre l’initiative face aux libéraux. Le fond de l’air est très politique. Je prends comme preuve de cela le succès du meeting tenu à Blénod-lès-Pont-à-Mousson que nous avons animé avec Caroline Fiat et Céline Leger jeudi soir avant la marche des métallos CGT de la vallée de la Fench, qui tombait la veille du samedi de mobilisation générale. Je suis assez connaisseur du pays où je voyage depuis tant d’années et de la saison politique pour savoir que, quelle que soit l’affiche, 800 personnes réunies de cette façon c’est un évènement qui signifie davantage que l’attraction pour ceux qui vont s’exprimer. Autrement dit ce n’est ni Caroline, ni Céline, ni moi qui faisons la force de ce rassemblement, c’est le contexte. Et c’est ce que prouve chaque semaine le succès des réunions politiques que tiennent nos amis partout dans le pays.
C’est donc tout un que ce faisceau d’indications. La fragilité de l’assise du pouvoir éclate au yeux où que l’on regarde. Parfois même on voit des plans et des intentions là où il s’agit seulement d’incurie et d’amateurisme. Ainsi, quand la Garde des Sceaux décide de proposer par surprise un amendement pour donner le pouvoir par ordonnance au gouvernement de réécrire la très décisive et fondamentale ordonnance de 1945 sur le statut des mineurs. Pourtant le Sénat a déjà délibéré, pourtant la commission de l’Assemblée ne l’a pas reçu, pourtant le débat est commencé sur le texte devant les députés. Pourtant toutes les opposition ont fait front pour refuser le procédé qui est un sommet de mépris pour le Parlement. Il s’agit d’un texte fondamental pour tous ceux qui ont à connaître du sujet de la justice applicable aux mineurs. Comment un sujet pareil peut-il être traité de cette façon ? Peu importe à la Garde des Sceaux, personnage certes politiquement inepte, capable de rester trois jours sans ouvrir la bouche au banc du gouvernement pendant l’affaire Benala et capable de dire sans blêmir de honte qu’elle ne savait rien des cent policiers et des 17 perquisitions contre la France insoumise. À présent je crois que c’est peut-être vrai et que, dans le même rôle de marionnette sans consistance préposée au basses besognes, elle s’est fait imposer une révolution du droit dans ce domaine sans autre rôle que de transmettre le texte de l’amendement. Ce n’est qu’un exemple, mais comme il est parlant !
Ces façons de faire, cet amateurisme, cette incompréhension du fonctionnement de la démocratie parlementaire, cette grossièreté des procédés, tout cela est l’image de la composition sociale et politique du pouvoir actuel arrivé « par effraction » selon le mot du vainqueur. Des technocrates arrogants et méprisants gouvernent en considérant que tout ce qui n’est pas dans leur circuit est une perte de temps. Au motif d’une efficacité déduite des chaînes de commandement brutales des entreprises, ces gens pensent qu’on gouverne 65 millions de personnes d’un pays tumultueux comme une start-up. La collision avec le mur des faits et réalités politiques est garantie. Seul la date est inconnue. Ce pourrait être samedi prochain. Ou bien avant. Ou bien peu après. Le mélange des circonstances et des colères rend tout inflammable. L’arrogance de ceux qui commandent le rend explosif.
Après les scènes sur les Champs-Elysées, des dizaines d’arrestations ont été opérées parmi les gilets jaunes. Les condamnations en comparution immédiate sont tombées comme de la grêle. Leur sévérité étonne maints observateurs. D’autant qu’il est désormais établi que les personnes interpellées n’ont aucun antécédent ni engagement politique. Ceux-là n’ont pas suivi le lent processus de judiciarisation de la vie publique et de la criminalisation de l’action revendicative. Celle-ci est la norme depuis des mois contre les syndicalistes et les militants écologistes. Avec les perquisitions au domicile des militants insoumis, la sphère politique a été entrainée dans le cyclone judiciaires qui dévaste les côtes de la démocratie.
Ici, je veux montrer ce qu’il en est dans le domaine des militants écologistes de terrain. La technique est simple. Les peines sont lourdes. Tout cela fonctionne à plein régime dans le cas emblématique de la lutte contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaire à Bure qu’on appelle Cigéo. Ainsi, le 13 novembre, le tribunal de Bar-le-Duc a condamné à 3 mois de prison ferme un jeune homme de 22 ans pour « outrage » sur un policier. D’autres militants dont le jugement était prononcé le même jour ont écopé d’amendes ou de prison avec sursis. Ils étaient eux aussi accusés d’outrage ou d’injures envers des policiers. Bien sûr, ces faits sont difficiles à prouver. Ils ne servent en vérité que de prétexte à la mise en œuvre de la répression que l’État exerce à travers son appareil judiciaire. « La lutte contre la poubelle nucléaire de Bure doit être brisée à n’importe quel prix », expliquent des sources fiables qui préfèrent rester anonymes.
Le lendemain, le 14 novembre, la cour de cassation examinait le pourvoi de cinq militants contre leur mise sous contrôle judiciaire. Cette procédure, décidée par le procureur, n’a pour objectif exclusif que de les empêcher de participer à la lutte. Ils sont par exemple interdits de se rencontrer physiquement entre eux ou de rencontrer des militants engagés contre le projet de Bure. Une partie d’entre eux est aussi interdit de territoire dans tout le département de la Meuse. Des mesures totalement exceptionnelles et disproportionnées contre des militants écologistes. L’un d’entre eux, l’écrivain Gaspard d’Allens, a même été jugé lors d’une audience le 17 octobre dernier, hors de sa présence. En effet, personne n’avait pensé à le prévenir.
Cet été, la répression macroniste avait même franchi un cap digne des régimes autoritaires en s’attaquant à un avocat. À la suite de la manifestation du 16 juin 2018 à Bure, il avait été procédé à une vague d’interpellation d’opposants et de perquisitions de leurs domiciles. 10 personnes furent arrêtées dont l’avocat Étienne Ambroselli qui défend plusieurs militants anti-Cigéo. Son domicile, qui est aussi son cabinet, avait été perquisitionné. Son ordinateur et son téléphone professionnels saisis. Cette arrestation de maître Ambroselli s’apparente à une intimidation à l’encontre de ceux qui veulent faire valoir les droits des militants anti-Cigéo. D’autant plus que l’avocat est sorti de garde à vue sans mise en examen ni contrôle judiciaire, ce qui signifie qu’aucune charge n’a pu être retenue contre lui. La saisie de son matériel professionnel est une violation du secret des correspondances entre l’avocat et ses clients. Le syndicat des avocats de France (SAF) dénonce « de très graves violations des droits de la défense et du secret professionnel ». Le conseil national des barreaux et la ligue des droits de l’homme se sont exprimés dans des termes similaires.
Comment ne pas être stupéfait d’apprendre que le procureur, pour se faciliter la tâche, a bel et bien prévu à l’avance une audience tous les 4 mois spécifique pour Bure ? Cela avant même de savoir si les gens commettront des délits.
L’idée d’un acharnement judiciaire contre ceux qui luttent contre les grands projets inutiles n’est même pas secrète. Elle a été détaillée dans une circulaire du ministère de la Justice de 2016 s’adressant aux magistrats du siège, sous sa tutelle. Dans ce texte, appliqué avec zèle à Bure, le ministère de la justice demande que la plus grande sévérité soit toujours appliquée aux militants. Il recommande le déferrement immédiat devant un tribunal des interpellés après la garde-à-vue, sans délai. Il conseille des interpellations systématiques pour les délits d’outrage. Il demande au procureur d’utiliser le délit « d’association de malfaiteur » contre des manifestants.
Ce dernier point est significatif du niveau de répression atteint. Le délit d’association de malfaiteur a été créé à la fin du 19ème siècle pour lutter contre les groupes anarchistes. Puis il a été réactivé au début des années 2000 contre le terrorisme. Ce sont donc des éléments importés de la lutte anti-terroriste qui sont utilisés contre un mouvement social. Dans ce cadre juridique, pas besoin de faits pour inculper. Il suffit de soupçonner que plusieurs personnes se réunissent et discutent dans le but de commettre d’autres délits. C’est ainsi qu’on a pu arrêter à Bure les animateurs du site internet, ou l’équipe qui donnait des conseils juridiques aux manifestants. Le parquet va ici jusqu’à s’appuyer sur des écoutes téléphoniques recueillies par une cellule spécialement montée pour s’occuper des militants de Bure.
On reconnaît ici la technique qui consiste à retourner des outils de la lutte anti-terroriste contre des militants et des opposants. Et à chaque étape, l’aggravation des dispositions prévues par des textes prévus pour des terroristes s’est appliquée caricaturalement à des militants. À Bure, l’État macroniste est à la pointe dans la criminalisation de l’opposition
La réforme de la justice portée par la ministre Belloubet va encore aggraver cette répression. Elle renforce considérablement les pouvoirs du procureur en lui permettant le recours à des mesures attentatoires aux libertés dans le cadre d’une « enquête préliminaire ». C’est-à-dire une enquête menée par un magistrat qui n’est pas indépendant du pouvoir et pendant laquelle la défense n’a pratiquement aucun droit. Avec la loi Belloubet, le procureur pourra recourir de manière illimitée aux écoutes téléphoniques, à l’interception des communications électroniques et à la géolocalisation. Il lui suffira d’obtenir l’autorisation a posteriori du juge des droits et des libertés. Ce juge est réputé pour ne jamais s’opposer à un procureur. À tel point que dans le milieu judiciaire on l’appelle le « juge tampon ».
Par ailleurs, cette loi prévoit aussi d’élargir la possibilité de perquisitionner dans le cadre d’une enquête préliminaire sans l’assentiment de la personne concernée. La méthode qui me fut appliquée en dehors de tout cadre, au contraire de monsieur Benala dont le procureur avait respectueusement sollicité l’autorisation de perquisitionner, puis passa à pertes et profits la disparition d’un coffre chez le barbouze. Cette loi permet aussi au procureur d’ordonner l’interpellation d’une personne à son domicile. La majorité la République en marche a refusé les amendements qui demandaient de permettre la présence d’un avocat lors de tels actes. Évidemment, en pensant à de noirs criminels terroristes et en faisant semblant d’ignorer que tout cela sera appliqué contre des militants. Comme lorsque de justesse il fut empéché dans l’hémicycle que l’on puisse déposer des balises GPS sous les véhicules visés par de telles procédures. Car ils en sont là, les fameux modernisateurs de la vie et des mœurs politiques en France. C’est cela, la macronie.
Ce mardi-là aux docks de la Villette, une activité assez particulière de « La France insoumise » a franchi un seuil en public et dans une ambiance conviviale. Il s’agit de son canal télévisuel sur Internet, nommé « Canal Fi ». Celui-ci est en développement depuis son lancement le lundi 23 avril 2017. Une soirée modeste pour un franchissement modeste. Déjà ce canal avait commencé par émettre sans tambour ni trompette de 7 heures du matin à 20 heures le soir jusqu’en septembre. Puis ce furent 24 heures sur 24 à partir de là. Trois temps de forme de programmation ont jalonné ce parcours.
Au départ il s’agissait d’organiser la diffusion des production vidéographées du mouvement. Canal Fi est alors un lecteur de vidéos qui propose des contenus de la France insoumise jusqu’ici éparpillés entre les réseaux sociaux et chaînes YouTube des membres du mouvement : extraits de discours à l’Assemblée, meetings, pastilles humoristiques, tutoriels militants, happenings politiques, émissions… Évidemment, ces contenus continuent d’être accessibles directement. Mais ils sont bien mis en valeur par une diffusion en continu sur le site du mouvement via Canal Fi.
Depuis son très discret lancement, Canal Fi a reçu plus de 700 000 visites de près de 200 000 utilisateurs uniques. Ce sont des chiffres extrêmement modestes. Mais, compte tenu du caractère expérimental de la formule, ils prouvent l’existence d’un intérêt dans la mesure où aucune publicité n’a été faite pour le canal. De plus, celui-ci n’est pas accessible sur une plateforme distincte. Cette première phase expérimentale a permis l’accumulation d’un savoir-faire. Mais il a aussi soulevé de nombreuses questions techniques et de programmation qui peuvent trouver aujourd’hui une réponse concrète.
Dans la nouvelle phase, le concept s’est étendu aux productions libres de droits que le mouvement utilisait lui-même en interne pour la formation de ses militants ou pour animer des réunions. Dès ce moment-là, « Canal Fi » n’a pas voulu prétendre faire du « journalisme » c’est-à-dire être un média d’information « objectif et indépendant ». Le contraire. Le Canal Fi ne se cache pas d’être absolument partisan et directement lié au Mouvement « La France insoumise ». Un lien non seulement idéologique, mais aussi pour la stratégie générale et la tactique particulière. Le tout dans les limites de ce qui est possible en la matière car un 100 % alignement n’est guère réalisable. Ce choix éditorial nous rapproche du rôle tenu par « l’Humanité » en tant qu’organe central du PCF. Rien à voir avec tel ou tel média actuellement existant qui participe à l’animation de la large mouvance culturelle dans laquelle nous nous inscrivons nous même idéologiquement. Nous ne sommes donc en concurrence avec personne dans cette famille.
Pour autant, être le média télévisuel de « la France Insoumise » n’est pas un défi simple à relever non plus car le mouvement est construit sur une assise idéologique et organisationnelle souple et large. La nouvelle phase de la vie de Canal Fi entre plus avant dans ce défi. Car elle comporte une partie de programmes à la commande (sur le modèle des séries), composée de documentaires et films de référence, libres d’utilisation. Et il ouvre aussi ses « colonnes » à des blogueurs indépendants (et qui le restent). C’est une direction de travail : prendre partout autour de nous ce qui correspond à notre famille « culturelle » sans être forcément dans le registre strictement politique immédiat. Mais bien sûr, sans que cela soit en contradiction avec la ligne générale du mouvement. Cette coopération est donc sans danger d’incohérence du discours diffusé par Canal Fi. Sur le plan technique, ces emprunts sont mutuellement profitables. En effet, les programmations marchent par liens dans le cas de productions extérieures. Dans ces conditions, toute vue passant par Canal Fi est aussi comptabilisée sur chaque chaîne d’où provient l’image. Ce point modifie de fond en comble les anciennes relations entre médias autrefois fondées sur la compétition et la substitution de public.
Au total, la mise en place d’un canal télévisuel directement lié au mouvement des Insoumis s’inscrit dans la bataille culturelle menée par notre mouvement. Le Canal Fi est une « ressource ». Il participe à l’objectif de faire émerger un récit alternatif, de peser sur la hiérarchie de l’information, de donner la parole aux « invisibles » et de diffuser des informations et arguments politiques sous l’angle de nos centres d’intérêts, à l’écart du filtre de classe et de caste des médias mainstream.
Mais la démarche de Canal Fi se veut également inclusive et collaborative. Chacun, du simple citoyen au vidéaste le plus aguerri, peut proposer ses vidéos à la diffusion. La gestion de cette offre est un défi pour une structure ultra légère comme la nôtre. Elle est donc actuellement en travail. L’idée est de permettre qu’elle soit prise en main par un comité-citoyen bénévole qui décerne le permis de diffuser sur notre chaîne. Mais l’option inclusive ne s’arrête pas là. Le but est de construire un réseau de référents locaux producteurs de reportages ou de liaison directe sur évènement. On devine ce que cela pourra offrir comme possibilité au Mouvement pour faire connaître et apprendre sur ce qui se passe sur le terrain. Le projet suppose une construction. Il ne se décrète pas. Mais le pari de départ consiste dans le fait qu’on suppose une culture de la production d’image désormais bien répandue dans la population. On envisage de surcroît de constituer des studios locaux en structure ultra légère là où cela se peut.
Au total, l’étape actuelle comporte plusieurs nouveautés par rapport à l’étape précédente et je viens d’en mentionner l’essentiel. Surtout, Canal Fi devient autonome grâce à un site internet dédié et son diffuseur (« Player ») entièrement mis au point par nous-mêmes. Cela nous permet toujours de diffuser en continu comme une chaîne TV. Mais dorénavant nous pouvons aussi insérer des directs inopinés.
J’achève en disant que bien évidemment, une fois stabilisé, Canal Fi, se dotera de moyens de financement propres. Ce financement sera basé dans un premier temps sur le don pour permettre à la plateforme d’acheter les droits de diffusion de certains programmes et d’envisager le développement d’émissions originales. Évidemment, une page dédiée permettra aux donateurs et personnes intéressées de connaître les budgets et affectations financières décidées pour le bon fonctionnement de Canal Fi. Là encore nous avancerons par étape en tâchant d’assurer la stabilité de chaque franchissement.
Bref, les personnes qui se seront intéressées à la lecture de cet article de présentation comprennent qu’il s’agit d’une démarche très graduelle, très modeste, qui voudrait construire quelque chose de très différent, une ressource informative et pédagogique aussi inclusive que possible dans le cadre d’un engagement ouvert avec la France insoumise. Mais il s’agit aussi d’un projet très ambitieux du point de vue de notre histoire en cours de construction. J’ai pris le temps de rédiger ces lignes car je compte m’impliquer dans ce travail à la place singulière qui est la mienne dans le Mouvement et dans ses objectifs de développement. Canal Fi demande de la compréhension, de l’exigence mais aussi de la bienveillance. Puissent mes lignes y contribuer.
Jour après jour, dans une ambiance crépusculaire, Marseille s’enfonce dans la forme la plus violente des crises du logement, celle où l’incurie et la cupidité ont fait naître un monde où les bâtiments s’effondrent ou menacent de mort les habitants qui les occupent.
Sur le terrain, les équipes d’insoumis font du mieux qu’ils peuvent pour se rendre utiles. Ma permanence, les écrivains publics, tout est mobilisé car c’est là que viennent nombre de personnes dont on découvre qu’elles sont purement et simplement livrés à elles-mêmes. Car au moment où on penserait que les moyens d’accueil, d’écoute, d’entraide et de secours seraient en fonctionnement à plein régime, la situation est au contraire aussi incertaine qu’aux premières heures de la catastrophe rue d’Aubagne. Pourtant, plus de mille personnes sont déplacées de leurs domiciles à mesure que les arrêtés de péril tombent.
En responsabilité, je n’entre pas davantage dans le récit pour cette fois, compte tenu des circonstances particulièrement tendues qui prévalent sur place. J’ai surtout le souci de respecter la primauté de parole qui revient à ceux qui représentent l’action citoyenne dans les secteurs de la ville qui sont concernés. Mais je crois que le moment exige aussi des grilles de lecture politique sur le fond. Je propose donc un coup d’œil pour analyser et comprendre.
Depuis le début des années 2000, le logement est pleinement entré dans l’économie financière. Un tribut de plus en plus lourd est prélevé sur ce secteur sans qu’il ne corresponde à aucune valeur d’usage réelle. Depuis 1996, les prix de l’immobilier ont augmenté 5 fois plus vite que le pouvoir d’achat des ménages. À Paris, ils ont même explosé de 350%. Tout cela au prix d’un endettement des ménages qui a doublé depuis 2000. Le logement a été transformé en produit financier spéculatif.
Dans cette optique, il est normal que le logement social dérange. En effet, il sort du marché privé de l’immobilier une fraction importante de la population. Il propose de subvenir au besoin en logement en dehors des mécanismes capitalistes. Du point de vue des libéraux, les 4,5 millions de HLM en France sont des actifs qui dorment, qui ne sont pas valorisés. C’est pourquoi ils portent une vision dite « résiduelle » du logement social. Cela signifie que ces logements ne devraient être réservés qu’aux plus pauvres. L’objectif étant que de plus en plus de personnes dépendent du marché pour se loger. C’est ce mécanisme qui est à l’œuvre quand on découvre dans des quartiers pauvres autant de loyers incroyablement élevés. Eliminés de l’accès au logement social par pénurie ou par les exigences trop élevées des bailleurs, des masses de gens doivent accepter n’importe quelle location, à n’importe quel prix pour ne pas être sans toit. Cette réalité ne tombe pas du ciel. Une fois de plus l’Union européenne joue son rôle négatif habituel. Voyez cela.
Alors que les politiques du logement sont censées être une compétence exclusive des États membres, la Commission a trouvé le moyen d’attaquer les systèmes de logements sociaux des États. La manœuvre a commencé en 2005. Cette année-là, la Commission européenne signale aux Pays-Bas que les subventions qu’ils versent aux organismes de logements sociaux sont contraires au droit de la concurrence. En effet, 34% de la population néerlandaise est alors logée en logement social. Trop pour la Commission européenne qui y voit une distorsion de concurrence avec le marché immobilier privé. Les Pays-Bas seront finalement contraints de changer leur législation pour réserver l’entrée en logement social aux seuls plus pauvres. La Suède a subi les mêmes reproches. Depuis, elle ne subventionne plus du tout les logements sociaux communaux. La France n’a pas été sanctionnée par la Commission européenne. Mais pour cela elle a dû, de son initiative, restreindre l’accès aux HLM en 2009.
Macron approfondit cette œuvre en France en passant en force, une fois de plus. Le logement social en prend pour son grade. Le but est bien de créer un marché du logement spécialisé pour les pauvres. Dans son premier budget, il a coupé sec dans les budgets des offices HLM : 1,5 milliards d’euros en moins chaque année. Puis est venue la loi ELAN. L’évènement est passé sous les radars médiatiques comme tout sujet qui comporte une dimension technique et de la complexité. Pourtant, c’est une bombe que cette loi. Elle a fixé à 40 000 le nombre de logements sociaux qui devront être vendus par an. C’est-à-dire un rythme de vente cinq fois supérieur à celui atteint actuellement. Ces logements pourront être vendus à la découpe à leurs occupants ou en bloc à des investisseurs privés. Certes, il y aura d’honnêtes « investisseurs ». Mais on comprend qu’il y en aura d’autres qui ne le seront guère. Là encore, l’exemple marseillais est parlant. Des appartements achetés à vil prix en copropriétés dégradées sont ensuite loués à prix forts tout en étant purement et simplement abandonné quant à l’entretien. La loi ELAN va donc avoir pour effet de transformer une partie des logements sociaux en logements insalubres. Évidemment, l’effet de ces mesures va être d’accroître la pénurie de logements sociaux.
Précisons encore un point qui éclaire le mécanisme d’expulsion du logement social que cette loi prévoit. En effet la loi ELAN prévoit aussi un « examen » de la situation des locataires HLM tous les trois ans afin de les faire partir s’ils sont considérés comme « trop riches » pour vivre là. Mais d’ores et déjà, deux millions de personnes sont sur liste d’attente pour obtenir une HLM. Lorsqu’il y aura moins de logements sociaux pour les loger, les demandeurs ou les expulsés devront trouver une autre solution. Et celle-ci, ils la trouveront probablement dans les marchands de sommeil, qui ne demandent pas les mêmes dépôts de garantie, les mêmes revenus et conditions d’emploi pour louer des logements.
Par ailleurs, la loi ELAN va accroître la « ségrégation spatiale ». Cette spécialisation sociale de l’espace s’est d’abord faite par le haut : les riches se sont enfermés dans des ghettos desquels ils ont refusé, avec constance et contre la loi, l’installation de logements pour d’autres catégories du peuple. Elle va désormais continuer par le bas : en créant des quartiers de logements sociaux réservés à la plus grande pauvreté. Au total, des situations extrêmes s’observent dorénavant non seulement à Marseille mais dans d’autres villes au fur et à mesure des sinistres qui s’y déroulent. Mais aucune ne surgit par malchance ou mauvais sort. Tout est en continuité d’un ensemble de faits qui rendent tout cela possible et même inéluctable. En entrant dans le secteur de la financiarisation le logement est devenu une marchandise rare comme le capitalisme en a besoin pour créer à la fois un marché et un moyen d’accumulation rapide.
111 commentaires
Aissani
On oublie toujours les chômeurs, les SDF, le manque d’emploi en province, le manque de bus et de trains.
Ludivine B
Informe-toi, l’ami, à bonne source ! la CGT prépare depuis plusieurs semaines une manifestation nationale à Paris le samedi 1er décembre qui s’adresse aux 6 millions de privés d’emploi et au plus de 11 millions de travailleurs précaires.
Chat
Bon nombre d’aspirations des gilets jaunes coïncident avec le programme que nous soutenons depuis des années. On mesure ici les dégâts causés par la caste médiatique qui a su étouffer la quasi totalité des propositions de la FI en cantonnant nos représentants à des questions destinées à faire le lit du FN puis du RN. Or, dans la grande majorité, les gens regardent la télé sans aller chercher plus loin. L’impact est colossal. Les débats pipés, les pièges, la désinformation ont laminé toute chance que notre programme soit connu des masses. Les revendications des gilets jaunes qui viennent de crever les écrans me rassurent sur le fait que notre programme correspond bien aux attentes de gens qui sont loin d’être une minorité. Nos résultats décevants sont bien le fait d’un sabotage médiatique.
Daniel J
Hélas, trois fois hélas et davantage ! Une fois de plus nos bonnes intentions,nos bonnes propositions, notre bonne volonté, se heurtent au fameux « plafond de verre » médiatique et institutionnel que les classes dominantes et dirigeantes ont construit pour préserver leur pouvoir de toute contestation et d’une révolution. Comme toujours, leur habileté consiste à opposer les dominés les uns aux autres et, à force de batailles perdues, à les décourager de vouloir changer l’état des choses. Quel idiot a dit que nous avions, en France, la droite la plus bête du monde ?