Après les scènes sur les Champs-Elysées, des dizaines d’arrestations ont été opérées parmi les gilets jaunes. Les condamnations en comparution immédiate sont tombées comme de la grêle. Leur sévérité étonne maints observateurs. D’autant qu’il est désormais établi que les personnes interpellées n’ont aucun antécédent ni engagement politique. Ceux-là n’ont pas suivi le lent processus de judiciarisation de la vie publique et de la criminalisation de l’action revendicative. Celle-ci est la norme depuis des mois contre les syndicalistes et les militants écologistes. Avec les perquisitions au domicile des militants insoumis, la sphère politique a été entrainée dans le cyclone judiciaires qui dévaste les côtes de la démocratie.
Ici, je veux montrer ce qu’il en est dans le domaine des militants écologistes de terrain. La technique est simple. Les peines sont lourdes. Tout cela fonctionne à plein régime dans le cas emblématique de la lutte contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaire à Bure qu’on appelle Cigéo. Ainsi, le 13 novembre, le tribunal de Bar-le-Duc a condamné à 3 mois de prison ferme un jeune homme de 22 ans pour « outrage » sur un policier. D’autres militants dont le jugement était prononcé le même jour ont écopé d’amendes ou de prison avec sursis. Ils étaient eux aussi accusés d’outrage ou d’injures envers des policiers. Bien sûr, ces faits sont difficiles à prouver. Ils ne servent en vérité que de prétexte à la mise en œuvre de la répression que l’État exerce à travers son appareil judiciaire. « La lutte contre la poubelle nucléaire de Bure doit être brisée à n’importe quel prix », expliquent des sources fiables qui préfèrent rester anonymes.
Le lendemain, le 14 novembre, la cour de cassation examinait le pourvoi de cinq militants contre leur mise sous contrôle judiciaire. Cette procédure, décidée par le procureur, n’a pour objectif exclusif que de les empêcher de participer à la lutte. Ils sont par exemple interdits de se rencontrer physiquement entre eux ou de rencontrer des militants engagés contre le projet de Bure. Une partie d’entre eux est aussi interdit de territoire dans tout le département de la Meuse. Des mesures totalement exceptionnelles et disproportionnées contre des militants écologistes. L’un d’entre eux, l’écrivain Gaspard d’Allens, a même été jugé lors d’une audience le 17 octobre dernier, hors de sa présence. En effet, personne n’avait pensé à le prévenir.
Cet été, la répression macroniste avait même franchi un cap digne des régimes autoritaires en s’attaquant à un avocat. À la suite de la manifestation du 16 juin 2018 à Bure, il avait été procédé à une vague d’interpellation d’opposants et de perquisitions de leurs domiciles. 10 personnes furent arrêtées dont l’avocat Étienne Ambroselli qui défend plusieurs militants anti-Cigéo. Son domicile, qui est aussi son cabinet, avait été perquisitionné. Son ordinateur et son téléphone professionnels saisis. Cette arrestation de maître Ambroselli s’apparente à une intimidation à l’encontre de ceux qui veulent faire valoir les droits des militants anti-Cigéo. D’autant plus que l’avocat est sorti de garde à vue sans mise en examen ni contrôle judiciaire, ce qui signifie qu’aucune charge n’a pu être retenue contre lui. La saisie de son matériel professionnel est une violation du secret des correspondances entre l’avocat et ses clients. Le syndicat des avocats de France (SAF) dénonce « de très graves violations des droits de la défense et du secret professionnel ». Le conseil national des barreaux et la ligue des droits de l’homme se sont exprimés dans des termes similaires.
Comment ne pas être stupéfait d’apprendre que le procureur, pour se faciliter la tâche, a bel et bien prévu à l’avance une audience tous les 4 mois spécifique pour Bure ? Cela avant même de savoir si les gens commettront des délits.
L’idée d’un acharnement judiciaire contre ceux qui luttent contre les grands projets inutiles n’est même pas secrète. Elle a été détaillée dans une circulaire du ministère de la Justice de 2016 s’adressant aux magistrats du siège, sous sa tutelle. Dans ce texte, appliqué avec zèle à Bure, le ministère de la justice demande que la plus grande sévérité soit toujours appliquée aux militants. Il recommande le déferrement immédiat devant un tribunal des interpellés après la garde-à-vue, sans délai. Il conseille des interpellations systématiques pour les délits d’outrage. Il demande au procureur d’utiliser le délit « d’association de malfaiteur » contre des manifestants.
Ce dernier point est significatif du niveau de répression atteint. Le délit d’association de malfaiteur a été créé à la fin du 19ème siècle pour lutter contre les groupes anarchistes. Puis il a été réactivé au début des années 2000 contre le terrorisme. Ce sont donc des éléments importés de la lutte anti-terroriste qui sont utilisés contre un mouvement social. Dans ce cadre juridique, pas besoin de faits pour inculper. Il suffit de soupçonner que plusieurs personnes se réunissent et discutent dans le but de commettre d’autres délits. C’est ainsi qu’on a pu arrêter à Bure les animateurs du site internet, ou l’équipe qui donnait des conseils juridiques aux manifestants. Le parquet va ici jusqu’à s’appuyer sur des écoutes téléphoniques recueillies par une cellule spécialement montée pour s’occuper des militants de Bure.
On reconnaît ici la technique qui consiste à retourner des outils de la lutte anti-terroriste contre des militants et des opposants. Et à chaque étape, l’aggravation des dispositions prévues par des textes prévus pour des terroristes s’est appliquée caricaturalement à des militants. À Bure, l’État macroniste est à la pointe dans la criminalisation de l’opposition
La réforme de la justice portée par la ministre Belloubet va encore aggraver cette répression. Elle renforce considérablement les pouvoirs du procureur en lui permettant le recours à des mesures attentatoires aux libertés dans le cadre d’une « enquête préliminaire ». C’est-à-dire une enquête menée par un magistrat qui n’est pas indépendant du pouvoir et pendant laquelle la défense n’a pratiquement aucun droit. Avec la loi Belloubet, le procureur pourra recourir de manière illimitée aux écoutes téléphoniques, à l’interception des communications électroniques et à la géolocalisation. Il lui suffira d’obtenir l’autorisation a posteriori du juge des droits et des libertés. Ce juge est réputé pour ne jamais s’opposer à un procureur. À tel point que dans le milieu judiciaire on l’appelle le « juge tampon ».
Par ailleurs, cette loi prévoit aussi d’élargir la possibilité de perquisitionner dans le cadre d’une enquête préliminaire sans l’assentiment de la personne concernée. La méthode qui me fut appliquée en dehors de tout cadre, au contraire de monsieur Benala dont le procureur avait respectueusement sollicité l’autorisation de perquisitionner, puis passa à pertes et profits la disparition d’un coffre chez le barbouze. Cette loi permet aussi au procureur d’ordonner l’interpellation d’une personne à son domicile. La majorité la République en marche a refusé les amendements qui demandaient de permettre la présence d’un avocat lors de tels actes. Évidemment, en pensant à de noirs criminels terroristes et en faisant semblant d’ignorer que tout cela sera appliqué contre des militants. Comme lorsque de justesse il fut empéché dans l’hémicycle que l’on puisse déposer des balises GPS sous les véhicules visés par de telles procédures. Car ils en sont là, les fameux modernisateurs de la vie et des mœurs politiques en France. C’est cela, la macronie.