Les 21 et 22 janvier, les députées insoumises Mathilde Panot et Danièle Obono sont parties nous représenter auprès des autorités et des peuples du Rojava. Elles y ont porté le message de l’indéfectible soutien de la « France insoumise » pour les forces des kurdes de Syrie qui contrôlent cette région depuis 2012. Les combattantes et combattants kurdes du Rojava ont combattu militairement de façon décisive notre ennemi qu’est l’islamisme politique armé de Daech et du front « al Nosra ». En 2014-2015, ils ont infligé à Daech l’une de ses premières défaites militaires d’importance en leur reprenant la ville de Kobané. Lors de la prise de Raqqua en 2017, la plus grande ville contrôlée par Daech, ce sont encore les Kurdes qui fournirent le plus gros des troupes au sol plongées dans le combat physique.
La date du voyage n’était pas choisie au hasard. Cela fait un an que le dictateur Erdogan a déclenché son offensive contre les Kurdes dans le canton d’Afrin dans le Rojava. Il l’a fait la main dans la main avec le front « al Nosra », une organisation islamiste armée dont Fabius avait dit qu’elle faisait du « bon boulot » face à Assad. En effet, le 20 janvier 2018, la Turquie a démarré une opération militaire pour envahir cette région frontalière. L’opération fait plusieurs milliers de morts du côté des forces kurdes et provoque l’exil de centaines de milliers de civils. Elle a montré les divergences d’intérêts évidentes entre la France et le régime islamiste en place en Turquie, puisque ce dernier affaiblit notre principal allié dans la lutte contre nos ennemis dans la région. Mais en cette occasion, ni la France, ni les États-Unis n’auront fait quoi que ce soit pour aider les kurdes d’Afrin. Il est vrai que la Turquie est membre de l’OTAN et cela suffit pour que tous les atlantistes d’Europe ferment les yeux sur n’importe quoi.
À cette occasion, la répression en Turquie contre l’opposition démocratique, et particulièrement contre les Kurdes, s’est encore amplifiée. Notre allié, le parti HDP, qui signifie « Parti Démocratique des Peuples » est le plus touché. On estime à 26 000 le nombre de ses militants emprisonnés à la fin de l’année 2018. Parmi ceux-ci, on trouve deux anciens co-présidents du parti et neufs députés. La nouvelle co-présidente, élue par le congrès, a été arrêtée le lendemain de son élection. Nous avons eu récemment l’occasion de défendre l’une de ces prisonnières, Leyla Güven. Elle avait été arrêtée le 31 janvier 2018 parce qu’elle protestait contre l’invasion d’Afrin. Depuis, elle a été élue députée en juin dernier ce qui n’a pas empêché Erdogan de la maintenir en prison. Le 7 novembre dernier, pour demander la libération des prisonniers politiques, elle a débuté une grève de la fin. Après plus de deux mois, elle est tombée dans le coma et a perdu l’usage de la vue. Le 22 janvier, 226 prisonniers politiques ont commencé à leur tour une grève de la faim pour la soutenir. Le 24 janvier enfin, sous la pression internationale, elle était libérée quoique maintenue sous accusation et procédure judiciaire.
Sur place, nos amis Danielle Simonnet et Jean-Christophe Sellin, présents pour une manifestation internationale de soutien aux grévistes de la faim, l’ont rencontrée dès sa sortie de prison. Nous avons multiplié les interventions, aux côtés des kurdes dans les manifestations, par lettre à Le Drian, déclaration en Commission des Affaires étrangères, présence aux rassemblements de soutien et sur place : nous n’avons jamais ménagé notre soutien. Corinne Morel-Darleux, sur place déjà, Sellin, Simonet, Coquerel, Leïla Chaïbi ou Manon Aubry et bien d’autres ont assumé un soutien constant et de longue date. Et si le Rojava nous intéresse, c’est parce qu’il s’y mène une expérience politique inédite. Le PYD, parti de l’Union démocratique, y a instauré un régime s’appuyant sur la démocratie directe au niveau communal. Les minorités y sont respectées. Le féminisme est affiché puisque chaque échelon de gouvernement est partagé par un homme et une femme. Par ailleurs, les Kurdes du Rojava rejettent toute assignation identitaire, religieuse ou ethnique. Leur approche est citoyenne. À l’autoritarisme, ils opposent la souveraineté populaire ; au tri ethno-confessionnel, le pluralisme ; à la dépendance aux réseaux clientélistes, des services publics de qualité et un modèle de société solidaire face à la corruption généralisée. Le peuple kurde, au-delà de son droit à l’autodétermination, est quasiment le seul à proposer une solution politique susceptible de construire une paix durable dans la région.
C’est pourquoi nous pensons qu’il faudrait apporter un soutien clair aux Kurdes, demander qu’ils intègrent les négociations internationales sur la Syrie et leur offrir protection. Tout cela nécessiterait de rompre avec la dictature islamiste de Erdogan. Un pas que le gouvernement français ou l’Union européenne ne sont apparemment pas prêts à franchir. Le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) continue de figurer sur la liste officielle des organisations terroristes. Quant à l’Union européenne, elle a versé 3 milliards d’euros à la Turquie pour avoir le droit de renvoyer les réfugiés syriens dont elle ne veut pas. Profitant de toutes les ambiguïtés de l’Union européenne et de son rôle de gardien des frontières de l’exil syrien, Erdogan étend l’emprise d’une dictature sans contrepoids dans le silence bienveillant de ses alliés de l’OTAN. Cela se paiera un jour ou l’autre loin de ses frontières. Tous ceux qui se frottent les mains aujourd’hui pensant avoir là un chien de garde à leur main auront l’occasion de constater l’ampleur des dégâts que leur politique aura causé.