Nous avons une date de ralliement général. Les gilets jaunes appellent à une manifestation aux Champs-Élysées le 16 mars prochain. Ce sera l’anniversaire du quatrième mois plein de l’insurrection. Et la fin du grand débat. Le même jour aura lieu la manif climat. « Fin du monde, fin du mois : mêmes coupables ». Nous serons donc tous dans la rue ce jour-là massivement, pacifiquement, mais dans une détermination totale. On espère la jonction des deux cortèges et sinon on se répartira pour le mieux. En toute hypothèse, la capitale connaîtra ainsi un jour de paroxysme de l’engagement politique sur des sujets qui exigent la fin du système économique dans lequel nous vivons.
Pour le reste, je ne commente pas les commentaires médiatiques sur la treizième journée de mobilisation des gilets jaunes. Cela serait répétitif. Il y a maintenant plus de trois mois que le parti médiatique affirme que « le mouvement s’essouffle » et il a repris son refrain sans vergogne. Et cela alors même que Le Figaro commence par parler d’une foule impressionnante sur les Champs-Élysées. Ce que prouvent toutes les photos. Mon analyse, c’est que les outils de riposte du régime, par contre, s’essoufflent. Ni les violences répressives, ni les violences judiciaires orchestrées par Nicolle Belloubet, ni la mobilisation forcenée de la hargne médiatique ne sont parvenues à rien.
Certes, la magistrature reste absolument sans état d’âme et applique à la chaîne les consignes de répression. Mais dans la police et même dans les rédactions, des voix s’élèvent contre la sale besogne qui est exigée des petits soldats du régime. Les plateaux de choniqueurs finissent eux même par craquer. Ainsi quand, sur CNnews, une potiche de plateau qui avait traité nos 7 millions d’électeurs « d’abrutis », traite de « lèpre » les gilets jaunes et que soudain son vis-à-vis excédé lui reproche sa radicalisation vers l’extrême droite. De l’impensable il y a dix semaines de cela !
Partout, dans chaque secteur, chacun va au bout de lui-même sous le regards des autres. Et s’il y a usure la plus marquante et la plus lourde de conséquence est celle du régime et de ses appareils. Trois mois de gilets jaunes ont fonctionné comme une école politique concrète de très grande ampleur. C’est pourquoi la minimisation du nombre des manifestants n’a aucune importance, ni les articles mensongers ni le dénigrement permanent dont nous faisons l’objet. Tout cela n’atteint et ne concerne qu’une toute petite fraction de la population déjà acquise à la dérive autoritaire du régime. Elle reste confite de peurs, de convenances, et d’intérêts matériels égoïstes ? Et alors ?
Par contre, plusieurs millions de personnes apprennent jour après jour tout ce que cela signifie. Cette école comble un vide qui avait duré près de vingt ans dans le très grand nombre. Des millions de gens ne sont plus les mêmes. Le système, ses figure de proue, les héros de la réussite financière encensés depuis les années 2000 sont dorénavant les noms propres de ce que l’immense majorité du pays déteste. Le processus de révolution citoyenne se nourrit des moyens que ses adversaires déploient contre lui.
Par contre, l’instrumentalisation grossière de la lutte contre l’antisémitisme pose un grave problème. Elle affaiblit en effet la lutte qu’il faut mener sans trêve contre le racisme dont l’antisémitisme est une forme spécifiquement grave au regard de l’Histoire. Il est temps donc ici de noter noir sur blanc : non le mouvement des gilets jaunes n’est pas antisémite. Il y a dans la population des manifestants la même proportion d’antisémites que dans le reste de la société. Non, la France insoumise ne comporte dans ses rangs aucun antisémite pour la raison simple qu’on ne peut être raciste et membre d’un mouvement dont toute la vision philosophique est basé sur l’égalité des êtres humains.
La manipulation politicienne du PS et des macronistes pour assigner la France insoumise à l’antisémitisme est dans la lignée générale de l’irresponsabilité de ces deux partis qui, pour faire de la récupération électorale, sont prêts à tout sans honneur et sans pudeur. Le Parti socialiste fait un mauvais calcul que son histoire devrait lui interdire de faire. Il y a déjà trop d’antisémites : inutile d’en inventer en croyant en tirer profit électoral. Quant aux macronistes, leur calcul est que puisque le grand débat n’a pas réussi à dissoudre le mouvement des gilets jaunes, la calomnie et la peur peuvent réussir à le marginaliser. Tout cela est irresponsable car cela ne convainc de rien d’autres que de ce que la lutte contre l’antisémitisme pourrait bien être le faux nez d’une opération de basse politique au service d’un clan. Cela au moment où plus que jamais il faut renforcer les digues, convaincre, alerter avec pédagogie et respect pour l’intelligence de ceux qui voient ce spectacle.
La situation en Europe, la percée des groupes d’ultra extrême droite en France sur la scène publique mettent à l’ordre du jour la nécessité d’une extrême vigilance dans le choix des moyens d’action pour combattre le mal. Le PS et les macronistes jouent avec le feu. Peut-être quelqu’un peut-il le leur dire.
Le 14 février, se discutait en séance à l’Assemblée nationale une convention fiscale entre la France et le Luxembourg. Un texte que le gouvernement aurait voulu faire passer en catimini et sans débat, selon la procédure dite de « l’examen simplifié ». Heureusement, plusieurs groupes de l’Assemblée ont demandé le débat en séance. Nous avons saisi l’occasion pour mettre à nu le contexte de dumping fiscal dans lequel intervient cette maigre convention. Le problème de l’évasion fiscale devrait en effet être une obsession gouvernementale. 80 milliards d’euros échappent chaque année à l’impôt soit par la fraude illégale, soit par des pratiques d’évasion, légales mais immorales à nos yeux. Le déficit public de la France est de 67 milliards d’euros. Si les voleurs du fisc étaient neutralisés, nous n’aurions pas de problème pour financer le budget de l’État et de la sécurité sociale. Le budget de la France serait excédentaire. La somme représente aussi une année et demi du budget de l’Assemblée nationale ou du service de la dette. Pour l’ensemble de l’Union européenne, c’est 1 000 milliards d’euros qui échappent aux États, soit la moitié de ce que la France produit de richesses en une année, six fois le budget de l’Union européenne ou 57 années de contribution française à celui-ci.
L’évasion fiscale est donc le phénomène majeur de notre époque. Il est central dans la spoliation des peuples qu’organise la finance à son profit. Et précisément, il se déploie au cœur de l’Europe à partir de pays comme le Luxembourg. En effet, le grand-duché est devenu dans les années 1990 une véritable plaque tournante de la finance occulte. On trouve au Luxembourg un siège d’entreprise pour six habitants, soit une proportion quatre fois plus importante qu’en France. Le duché est plus petit qu’un département français. Pourtant il héberge 3500 milliards d’euros d’actifs financiers c’est-à-dire 64 fois son produit intérieur brut. 143 banques y ont un siège ainsi que 900 filiales d’entreprises françaises. La plupart n’y sont que pour des raisons fiscales. Quand leur présence ne se résume pas à une boite-aux-lettres. Un journaliste avait un jour révélé qu’une seule adresse au Luxembourg hébergeait 1600 sièges d’entreprises. Cette délocalisation fiscale va-t-elle cesser avec la convention que la majorité macroniste a adopté ? Sûrement pas. Pire, elle ouvre de nouvelles possibilités de contournement. Son article 15 prévoit que les dirigeants d’entreprises qui reçoivent des rémunérations pour leur présence dans un conseil de direction ou d’administration situé au Luxembourg ne paieront plus d’impôt en France sur cet argent, même s’ils y habitent.
L’ampleur des pratiques agressives du Luxembourg a éclaté au grand jour en 2014 à l’occasion du scandale des « Luxleaks ». Grâce à des documents transmis par deux lanceurs d’alerte, Rapahaël Halet et Antoine Deltour, un consortium international de journaux a révélé 340 accords secrets passés entre le gouvernement du Luxembourg et des multinationales. L’administration fiscale de ce pays négociait dans le dos de ses voisins les taux d’impositions des multinationales de gré à gré, via des accords nommés « rescrits ». Facialement, le taux d’impôt sur les sociétés du Luxembourg est dans la moyenne européenne, à 29%. Mais on a découvert grâce aux « Luxleaks » que les entreprises concernées ne payaient en réalité que 2% d’impôt en moyenne. Toutes ont donc organisé le rapatriement au Luxembourg de leurs bénéfices réalisés dans les autres pays,. C’est le cas par exemple du géant de la malbouffe Mc Donald’s. Entre 2009 et 2013, cette entreprise a évité de payer 700 millions d’euros d’impôts à l’État français. Elle faisait en effet rapatrier tous ses bénéfices dans une filiales au Luxembourg qui comptait 13 salariés mais réalisait 3,7 milliards d’euros de bénéfices. Pour un taux d’imposition record de 0,7%. Pendant ce temps, la multinationale menait une lutte amère contre les employés de ses restaurants en France quand ils demandent un salaire minimum à treize euros de l’heure. Amazon, l’une des premières capitalisations boursières du monde, utilise le même montage grâce auquel elle ne paye aucun impôt sur les trois quarts de ses bénéfices. Pour les entreprises du numérique, le laisser faire est total. Il n’y a pas pour elles de définition de l’établissement stable. Elles sont libres de localiser leurs bénéfices à peu près n’importe où. La nouvelle convention fiscale avec le Luxembourg ne dit rien de ce problème. Ce n’est pas le seul silence du texte. L’arnaque des rescrits révélés par les « Luxleaks » est un vol de 50 milliards d’euros aux autres États. Mais le mot « rescrit » ne figure même pas dans la convention.
Jean-Claude Juncker est aujourd’hui président de la Commission européenne, depuis 2014. Auparavant il était le dirigeant du Luxembourg. Il en a été le Premier ministre entre 1995 et 2013 et aussi le ministre des finances entre 1989 et 2009. De 2005 à 2013, il a été président de l’Eurogroup, c’est-à-dire premier parmi les ministres des finances de la zone euro. Lorsque que le scandale des « Luxleaks » éclate, en 2014, il nie avoir eu connaissance, en tant que Premier ministre et ministre des finances des rescrits fiscaux signés par l’administration fiscale luxembourgeoise avec (au moins) 340 multinationales ! Évidemment, il ment. La même année, l’ancien responsable fiscalité d’Amazon affirmait dans une interview à un journal luxembourgeois avoir rencontré personnellement Juncker, alors Premier ministre, pour négocier l’établissement de l’entreprise dans le pays. En 2017, le Guardian révèle des câbles diplomatiques qui montrent que le Luxembourg a bloqué au niveau européen des dispositions anti-évasion pendant que Juncker était Premier ministre, notamment la règle de l’unanimité au sein du Conseil européen sur les questions fiscales.
Qu’un tel vol soit organisé au cœur même de l’Europe est rendu possible par les traités européens. L’harmonisation fiscale n’y est autorisée que si l’objectif poursuivi est l’amélioration de la concurrence. Il requière l’unanimité de tous les États membres pour toute initiative concernant la fiscalité directe. Cette règle signifie concrètement que nous nous mettons dans la main de pays fraudeurs comme le Luxembourg. Par ailleurs, il n’est pas possible de prendre des mesures de rétorsion efficace envers les paradis fiscaux. En effet, les traités interdisent toute limitation aux mouvements de capitaux entre les États membres, ce qui peut se comprendre, mais aussi avec les pays extérieurs de l’Union européenne. Les seules possibilités de restrictions introduites sont exceptionnelles et requièrent encore une fois l’unanimité. La sortie de ces traités est indispensable pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale. Il faut par exemple interdire aux banques françaises d’ouvrir des filiales dans les paradis fiscaux. Et utiliser des sanctions financières contre les États aux pratiques les plus immorales pour qu’ils en changent.
Cette semaine-là fut finalement tellement significative. J’y reviens parce que je ne cesse d’y penser comme je n’ai pu le faire quand j’avais le nez sur le guidon. Cette semaine-là, le régime a étalé au grand jour les penchants qui désormais le dominent. Une semaine balisée au deux bouts, lundi et samedi, par les abus de pouvoir. Lundi une perquisition d’intimidation à Médiapart, samedi une main arrachée. Après que Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, a fait son lamento ordinaire sur « la justice indépendante » dont chacun sait désormais ce qu’elle est, le pouvoir a du passer aux aveux. Il a du reconnaître qu’il avait déclenché la démarche contre Médiapart. Après quoi, dès le jeudi, on apprenait que la commissaire chargée de la sécurité du Premier ministre démissionnait pour « éviter toute polémique » en relation avec le fait que la conversation entre Benalla et Crase diffusée par Mediapart et recherchée par les perquisitionneurs aurait pu être enregistrée chez elle, et cela dans la mesure où son compagnon trafiquait avec Benalla des contrats avec un supposé maffieux russe… Tel est le destin des barbouzières : quand la lumière y parvient, on peine à croire au caractère crapauteux de ce que l’on voit. On doit donc surtout se pincer le nez.
Peut-être cette ambiance glauque a-t-elle convaincu de faire une diversion ? En tous cas, le même jour, il y eut une nouvelle perquisition politique abusive chez Manuel Bompard, numéro deux de la liste européenne des Insoumis et directeur des campagnes de notre Mouvement. Il s’agit d’une perquisition abusive dans la mesure où elle est sans objet. Pour justifier les perquisitions au mois d’octobre, la procureure avait argué de la nécessité de saisir « par surprise » des éléments de preuve à charge. Si l’on nous croit coupable c’est alors une belle naïveté de croire nous « surprendre » plus d’un an après la dénonciation des faits incriminés. Dans le cas de Bompard, c’est encore plus ridicule 4 mois après qu’il a déjà été entendu pendant 14 heures sur le dossier. Il s’agit donc d’une violence gratuite et bien sûr infamante commise sans aucun interêt pour l’établissement de la vérité.
Pourquoi l’avoir commise alors ? Deux raisons : créer une ambiance traumatisante de peur, rattraper les bêtises de la procédure initiale. En effet la liste des 17 perquisitionnés comporte de nombreux oublis qui entachent la rationalité de la démarche globale de ce jour-là. Cela ne souligne que davantage l’intention purement politique qui préside dans cette affaire. L’ambiance sur place le confirme. Car au fil de la perquisition, les policiers se sont autorisés des commentaires politiques provocateurs des plus inappropriés. Une façon d’être grossier pour faire peur politiquement dans un style qui était autrefois l’apanage des milices policières de l’Amérique latine :« Ici c’est mieux qu’au Venezuela » a lancé le policier à Bompard. Exactement les mots de la pique pourrie de madame Belloubet en séance des questions d’actualité répondant à Ugo Bernalicis pour vanter la « justice indépendante » sous Macron. « Paris n’est pas Caracas », avait-elle conclu avec la finesse qui la caractérise. Le policier engagé politiquement contre LFI avec les mots de son ministre de tutelle répète ses mots. Une signature en quelque sorte.
Chez Bompard le lâcher de bride était à son comble côté police : un d’entre eux n’hésite pas à lui demander pourquoi il a des tracts chez lui. L’autre, bien rigolard, répond à Bompard qu’il avait été géolocalisé grâce à une puce déposée sur lui au cours de ses quatorze heures d’audition qui lui avait déjà été infligées au cours de la razzia d’octobre. Sur 5 perquisiteurs pour Bompard trois sont « descendus de Paris », frais de mission et heures sup’ à la charge de l’État. Ils ont saisi quinze fichiers, dont deux spécialement grotesques : mon affiche de campagne présidentielle et ma profession de foi ! Cinq braves aussi pour Mediapart mais avec une arrivée vers onze heures du matin et un avertissement donné la veille. Il est vrai que les opérateurs savaient parfaitement qu’ils se feraient rejeter. Bompard, lui, a été tiré du lit à sept heures du matin sans être prévenu de rien. Les mêmes moyens pour fouiller une rédaction que pour fouiller un particulier. C’est donc qu’ils savaient qu’ils ne fouilleraient pas le média ! On en passe et non des moindres. Donc deux perquisitions abusives, une démission et une mise à pied au cœur de l’appareil de sécurité du pouvoir politique. En trois jours ! Bienvenu dans le « nouveau monde ».
Ces démonstrations de pouvoir sans limite se sont données à voir sans vergogne cette semaine-là. Car la même semaine, le président a trusté deux fois six heures toutes les chaînes d’info en continu. Sans réplique prévue. Depuis, Alexis Corbière a posé une question d’actualité sur le sujet : comment ce temps de parole sera-t-il décompté ? Et Manuel Bompard, montrant le précédent appliqué à Nicolas Sarkozy, demande si les déplacements de cette sorte seront inscrits aux comptes de campagne de « La République en Marche ». Ces séances-fleuves de monopolisation de la parole sont nouvelles en Europe. Chavez ne faisait ça qu’une fois par semaine et seulement cinq heures. L’équatorien Rafael Correa seulement trois heures. Aucun chef d’État européen ne fait cela et ne l’a jamais fait. Cette captation totale des canaux d’information fonctionne là encore comme un signal ostensible pour marquer une toute puissance sans riposte possible. Même ostentation de pouvoir le mardi quand les présidents de groupes ont été convoqués à L’Élysée. Le curieux de l’affaire est le suivant : personne ne connaissait le motif de l’invitation. Sans être bégueule ni trop imbu de soi, admettez que ce n’est pas une méthode avec trop d’entregent… Le lendemain Manu Bompard était perquisitionné.
Samedi, la violence de la répression déferlait. Elle est si disproportionnée, si ostensiblement terrorisante qu’elle a fini par émouvoir le Parlement européen et valoir à la France un vote de mise en garde comme il n’y en avait que pour le Venezuela jusque là ! Le lendemain, trois experts de l’ONU ont lancé l’alerte mondiale pour dénoncer la situation de violence de la répression en France.
Pourtant, dans le pays, la tendance allait à l’inverse. L’exaltation de certains dirigeants policiers est désormais sans aucun recul. Le secrétaire général de FO police, ce syndicat qui avait déjà organisé une manifestation devant le siège de la France Insoumise, s’est lâché contre le manifestant qui venait de perdre sa main arrachée par une grenade. «Bien fait pour sa gueule » a glapi le policier. Ni le ministre, ni la hiérarchie policière, ni les juges, ni les journalistes n’ont trouvé à redire à ce genre de déclaration. Pas plus qu’ils n’avaient eu à dire contre les déclarations de Ferry appelant la police et l’armée à faire usage de leurs armes contre les gilets jaunes. L’impunité de ce type de violences verbales est un encouragement adressé à ceux qui les profèrent. Elle contribue à favoriser le rassemblement du parti de la peur et de la haine de classe pour soutenir les abus de pouvoir sur lesquels reposent désormais la continuité du régime.
Pouvoir politique, police, justice, médias: les excès de chacune de ces branches de l’ordre dominant nourrissent ceux de leur voisin et les légitiment. C’est un symptôme marquant d’une dérive globale vers une forme autoritaire de l’État. Elle conduit un après l’autre tous les rouages clefs de l’État de droit à se mettre radicalement au service des seuls occupants du pouvoir politique. La dérive autoritaire se construit de cette façon jour après jour, sans se donner à voir comme un tout. Mais petit à petit, les violences policières, les violences de la justice, la monopolisation de la parole médiatique sont perçues par le grand nombre comme un tout. Une partie des milieux intellectuels d’abord hypnotisés par le jeune homme de l’Élysée est même ébranlé. Mais le pouvoir les tiens tous bien groupés autour de lui en radicalisant le conflit et en le faisant surcharger d’attributions négative : antisémitisme, sexisme, homophobie.
Le régime veut cette situation d’extrême tension pour fédérer toutes les peurs de la bonne société. Celle que décrit si bien le papier de Rimbert et Halimi dans Le Monde diplomatique intitulé « la luttes de classes en France ». On y lit comment les importants et leurs journalistes ont paniqué fin décembre devant la colère populaire. On y voit collationnés les propos de classe les plus crus qui jaillirent de leurs bouches affolées. Depuis lors, les bonnes consciences de « La République en Marche » continuent à pérorer. Mais leur bilan répressif est le plus violent que le pays ait connu depuis presque soixante-dix ans. LREM est le parti le plus violent qui ait exercé le pouvoir dans notre pays depuis lors. Il a longuement persécuté le peuple, procédé à 8000 gardes-à-vue sans objet, blessé 2000 personnes, éborgné, mutilé plus d’une vingtaine de personnes, et fait condamner à la chaîne 1796 personnes en préparant encore mille quatre cent comparutions. Rien n’égale leur suffisance et leur bonne conscience. Tel est le nouveau monde de la macronie. Celui d’une bonne société dominatrice et arrogante qui a peur du peuple, le hait et se tient prête à tout contre lui. Mais la honte de leurs actes retombe sur le pays tout entier.
Jeudi 14 février, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant « le recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques ». La France est évidemment particulièrement visée par ce texte ainsi que le montre la teneur des interventions dans le débat. Celle par exemple du député insoumis Younous Omarjee montre que tout fut dit sans fard au sujet de cette situation. Le même jour, une autre alerte est venue des Nations Unies. En effet, plusieurs experts du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme ont publié un communiqué dans lequel ils dénoncent des « restrictions graves aux droits des manifestants « gilets jaunes » ». Ils y déplorent notamment « des blessures graves causées par un usage disproportionné d’armes dites « non-létales » telles que les grenades et les lanceurs de balles de défense ou « flashballs » ». C’est désormais dans le monde entier que l’on s’inquiète de la dérive autoritaire du pouvoir macronien.
Le gouvernement français fait un usage ouvertement violent des forces de répression. On le voit bien au terrible bilan du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner : 2000 blessés, 18 éborgnés et 5 mains arrachées. Mais la répression est un tout. Aux violences policières s’ajoute désormais encore la violence judiciaire. Celle-ci résulte d’un instrumentalisation politique de la justice, ne serait-ce que par la façon avec laquelle elle se combine à l’ambiance de violences physiques et politiques que le mouvement gilets jaunes subit. Cette conjonction est voulue et ordonnée au plus haut niveau. Et là aussi, il faut bien nommer la responsable. Elle est ministre de la Justice et s’appelle Nicole Belloubet. Elle n’a cessé d’appeler à une ferme répression, totale sévérité et autre coups de fouet verbaux.
Mais elle écrit aussi. Le 22 novembre 2018, elle a adressé aux tribunaux une circulaire sur le traitement à réserver aux gilets jaunes. Les magistrats du parquet, sous son autorité hiérarchique y sont invités à autoriser les policiers à contrôler et fouiller tout individu dans les manifestations, de façon à multiplier les interpellations, souvent pour des motifs aussi fallacieux que la possession sur soi de sérum physiologique, ou de masques de piscine destinés à se protéger des gaz lacrymogènes. Drôle de conception de la justice qui consiste à ramasser le plus de gilets jaunes possible. Conception reprise par le Premier ministre qui, devant l’Assemblée nationale a présenté avec fierté les chiffres de sa répression : 8000 gardes-à-vue, 1796 condamnations et 316 mandats de dépôt. Comme si l’objectif de la justice n’était plus d’être juste mais simplement de condamner le plus possible.
Dans sa circulaire, Nicole Belloubet recommande aux magistrats l’utilisation de délits larges et mal définis. Ainsi, on a noté un grand nombre d’inculpation de gilets jaunes au motif du délit de « participation à un groupement en vue de la préparation de violences et de destructions ». Ce qui, dans une interprétation large peut conduire à condamner toute personne présente lors d’une manifestation où il y a eu des troubles. Cette technique a été éprouvée par le système judiciaire dans la répression de mouvements écologistes. La circulaire Belloubet fait d’ailleurs référence à celle qu’elle avait édité sur le cas de l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Des centaines de peines complémentaires d’interdiction de manifester ont aussi été prononcées. Entre sa création, en 1995 et octobre 2018, cette peine n’avait été prononcée que 33 fois. L’utilisation massives de peines visant à faire condamner des gens sans se soucier particulièrement des faits ou de la proportionnalité de la réponse a fait dire au syndicat des avocats de France qu’il se pratique en ce moment à l’égard des gilets jaunes « un droit d’exception ».
Justice d’exception, donc, rendue dans des conditions exceptionnelles. L’afflux de prévenus est tel que beaucoup de tribunaux ont mis en place des audiences réservées pour les gilets jaunes. Au détriment, bien sûr des autres affaires. À Bordeaux, on accuse déjà trois mois de délais supplémentaires pour les affaires de droit commun. C’est le résultat d’une obsession pour la comparution immédiate en ce qui concerne les gilets jaunes. À Paris, depuis le début du mouvement, on a doublé le nombre d’audiences en comparution immédiates depuis le début du mouvement. Et alors qu’en temps normal, on ne juge pas plus de 15 personnes dans une audience de comparutions immédiates, le seuil a été relevé à 19 personnes. Résultat : on juge à la chaîne, toute la journée et toute la nuit jusqu’au petit matin six heures. Ces conditions sont évidemment bien loin de ce que l’on attendrait d’une justice qui respecte le principe de procès équitable, les droits de la défense et la dignité des personnes. À un condamné qui s’insurgeait « je n’ai même pas eu d’avocat » le juge réplique : « qu’est ce que cela aurait changé ? ». Tout est dit.
À l’appui de cette description, on peut citer les cas connus de Christophe Dettinger ou d’Éric Drouet, hommes sans antécédents judiciaires contre lesquels ont été requises de lourdes peines. Mais il y a aussi tous ceux qui restent dans l’anonymat et sur lesquels s’abat cette violence. Par exemple cet ouvrier breton, dont le cas est raconté par Le Monde Diplomatique. Il a été interpellé le 8 décembre sur un parking loin de la manifestation parisienne qu’il n’atteindra jamais. Son crime : avoir, dans le coffre de sa voiture du matériel de protection. Deux jours plus tard, il est condamné à 6 mois de prison avec sursis. Traumatisé par cette expérience de garde-à-vue puis d’humiliation judiciaire, il renonce à faire appel. Voilà pour quel genre de brutalités le gouvernement instrumentalise la justice contre le peuple. On notera pour finir une particularité qu’il faudra bien vite documenter plus que nous ne le pouvons à cette heure. Ce sont les condamnations « assorties » à la peine principale. La mode est à l’interdiction des droits civiques des condamnés. Ils sont ainsi privés du droit de réplique politique que la démocratie leur donne.