Cette semaine-là fut finalement tellement significative. J’y reviens parce que je ne cesse d’y penser comme je n’ai pu le faire quand j’avais le nez sur le guidon. Cette semaine-là, le régime a étalé au grand jour les penchants qui désormais le dominent. Une semaine balisée au deux bouts, lundi et samedi, par les abus de pouvoir. Lundi une perquisition d’intimidation à Médiapart, samedi une main arrachée. Après que Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, a fait son lamento ordinaire sur « la justice indépendante » dont chacun sait désormais ce qu’elle est, le pouvoir a du passer aux aveux. Il a du reconnaître qu’il avait déclenché la démarche contre Médiapart. Après quoi, dès le jeudi, on apprenait que la commissaire chargée de la sécurité du Premier ministre démissionnait pour « éviter toute polémique » en relation avec le fait que la conversation entre Benalla et Crase diffusée par Mediapart et recherchée par les perquisitionneurs aurait pu être enregistrée chez elle, et cela dans la mesure où son compagnon trafiquait avec Benalla des contrats avec un supposé maffieux russe… Tel est le destin des barbouzières : quand la lumière y parvient, on peine à croire au caractère crapauteux de ce que l’on voit. On doit donc surtout se pincer le nez.
Peut-être cette ambiance glauque a-t-elle convaincu de faire une diversion ? En tous cas, le même jour, il y eut une nouvelle perquisition politique abusive chez Manuel Bompard, numéro deux de la liste européenne des Insoumis et directeur des campagnes de notre Mouvement. Il s’agit d’une perquisition abusive dans la mesure où elle est sans objet. Pour justifier les perquisitions au mois d’octobre, la procureure avait argué de la nécessité de saisir « par surprise » des éléments de preuve à charge. Si l’on nous croit coupable c’est alors une belle naïveté de croire nous « surprendre » plus d’un an après la dénonciation des faits incriminés. Dans le cas de Bompard, c’est encore plus ridicule 4 mois après qu’il a déjà été entendu pendant 14 heures sur le dossier. Il s’agit donc d’une violence gratuite et bien sûr infamante commise sans aucun interêt pour l’établissement de la vérité.
Pourquoi l’avoir commise alors ? Deux raisons : créer une ambiance traumatisante de peur, rattraper les bêtises de la procédure initiale. En effet la liste des 17 perquisitionnés comporte de nombreux oublis qui entachent la rationalité de la démarche globale de ce jour-là. Cela ne souligne que davantage l’intention purement politique qui préside dans cette affaire. L’ambiance sur place le confirme. Car au fil de la perquisition, les policiers se sont autorisés des commentaires politiques provocateurs des plus inappropriés. Une façon d’être grossier pour faire peur politiquement dans un style qui était autrefois l’apanage des milices policières de l’Amérique latine :« Ici c’est mieux qu’au Venezuela » a lancé le policier à Bompard. Exactement les mots de la pique pourrie de madame Belloubet en séance des questions d’actualité répondant à Ugo Bernalicis pour vanter la « justice indépendante » sous Macron. « Paris n’est pas Caracas », avait-elle conclu avec la finesse qui la caractérise. Le policier engagé politiquement contre LFI avec les mots de son ministre de tutelle répète ses mots. Une signature en quelque sorte.
Chez Bompard le lâcher de bride était à son comble côté police : un d’entre eux n’hésite pas à lui demander pourquoi il a des tracts chez lui. L’autre, bien rigolard, répond à Bompard qu’il avait été géolocalisé grâce à une puce déposée sur lui au cours de ses quatorze heures d’audition qui lui avait déjà été infligées au cours de la razzia d’octobre. Sur 5 perquisiteurs pour Bompard trois sont « descendus de Paris », frais de mission et heures sup’ à la charge de l’État. Ils ont saisi quinze fichiers, dont deux spécialement grotesques : mon affiche de campagne présidentielle et ma profession de foi ! Cinq braves aussi pour Mediapart mais avec une arrivée vers onze heures du matin et un avertissement donné la veille. Il est vrai que les opérateurs savaient parfaitement qu’ils se feraient rejeter. Bompard, lui, a été tiré du lit à sept heures du matin sans être prévenu de rien. Les mêmes moyens pour fouiller une rédaction que pour fouiller un particulier. C’est donc qu’ils savaient qu’ils ne fouilleraient pas le média ! On en passe et non des moindres. Donc deux perquisitions abusives, une démission et une mise à pied au cœur de l’appareil de sécurité du pouvoir politique. En trois jours ! Bienvenu dans le « nouveau monde ».
Ces démonstrations de pouvoir sans limite se sont données à voir sans vergogne cette semaine-là. Car la même semaine, le président a trusté deux fois six heures toutes les chaînes d’info en continu. Sans réplique prévue. Depuis, Alexis Corbière a posé une question d’actualité sur le sujet : comment ce temps de parole sera-t-il décompté ? Et Manuel Bompard, montrant le précédent appliqué à Nicolas Sarkozy, demande si les déplacements de cette sorte seront inscrits aux comptes de campagne de « La République en Marche ». Ces séances-fleuves de monopolisation de la parole sont nouvelles en Europe. Chavez ne faisait ça qu’une fois par semaine et seulement cinq heures. L’équatorien Rafael Correa seulement trois heures. Aucun chef d’État européen ne fait cela et ne l’a jamais fait. Cette captation totale des canaux d’information fonctionne là encore comme un signal ostensible pour marquer une toute puissance sans riposte possible. Même ostentation de pouvoir le mardi quand les présidents de groupes ont été convoqués à L’Élysée. Le curieux de l’affaire est le suivant : personne ne connaissait le motif de l’invitation. Sans être bégueule ni trop imbu de soi, admettez que ce n’est pas une méthode avec trop d’entregent… Le lendemain Manu Bompard était perquisitionné.
Samedi, la violence de la répression déferlait. Elle est si disproportionnée, si ostensiblement terrorisante qu’elle a fini par émouvoir le Parlement européen et valoir à la France un vote de mise en garde comme il n’y en avait que pour le Venezuela jusque là ! Le lendemain, trois experts de l’ONU ont lancé l’alerte mondiale pour dénoncer la situation de violence de la répression en France.
Pourtant, dans le pays, la tendance allait à l’inverse. L’exaltation de certains dirigeants policiers est désormais sans aucun recul. Le secrétaire général de FO police, ce syndicat qui avait déjà organisé une manifestation devant le siège de la France Insoumise, s’est lâché contre le manifestant qui venait de perdre sa main arrachée par une grenade. «Bien fait pour sa gueule » a glapi le policier. Ni le ministre, ni la hiérarchie policière, ni les juges, ni les journalistes n’ont trouvé à redire à ce genre de déclaration. Pas plus qu’ils n’avaient eu à dire contre les déclarations de Ferry appelant la police et l’armée à faire usage de leurs armes contre les gilets jaunes. L’impunité de ce type de violences verbales est un encouragement adressé à ceux qui les profèrent. Elle contribue à favoriser le rassemblement du parti de la peur et de la haine de classe pour soutenir les abus de pouvoir sur lesquels reposent désormais la continuité du régime.
Pouvoir politique, police, justice, médias: les excès de chacune de ces branches de l’ordre dominant nourrissent ceux de leur voisin et les légitiment. C’est un symptôme marquant d’une dérive globale vers une forme autoritaire de l’État. Elle conduit un après l’autre tous les rouages clefs de l’État de droit à se mettre radicalement au service des seuls occupants du pouvoir politique. La dérive autoritaire se construit de cette façon jour après jour, sans se donner à voir comme un tout. Mais petit à petit, les violences policières, les violences de la justice, la monopolisation de la parole médiatique sont perçues par le grand nombre comme un tout. Une partie des milieux intellectuels d’abord hypnotisés par le jeune homme de l’Élysée est même ébranlé. Mais le pouvoir les tiens tous bien groupés autour de lui en radicalisant le conflit et en le faisant surcharger d’attributions négative : antisémitisme, sexisme, homophobie.
Le régime veut cette situation d’extrême tension pour fédérer toutes les peurs de la bonne société. Celle que décrit si bien le papier de Rimbert et Halimi dans Le Monde diplomatique intitulé « la luttes de classes en France ». On y lit comment les importants et leurs journalistes ont paniqué fin décembre devant la colère populaire. On y voit collationnés les propos de classe les plus crus qui jaillirent de leurs bouches affolées. Depuis lors, les bonnes consciences de « La République en Marche » continuent à pérorer. Mais leur bilan répressif est le plus violent que le pays ait connu depuis presque soixante-dix ans. LREM est le parti le plus violent qui ait exercé le pouvoir dans notre pays depuis lors. Il a longuement persécuté le peuple, procédé à 8000 gardes-à-vue sans objet, blessé 2000 personnes, éborgné, mutilé plus d’une vingtaine de personnes, et fait condamner à la chaîne 1796 personnes en préparant encore mille quatre cent comparutions. Rien n’égale leur suffisance et leur bonne conscience. Tel est le nouveau monde de la macronie. Celui d’une bonne société dominatrice et arrogante qui a peur du peuple, le hait et se tient prête à tout contre lui. Mais la honte de leurs actes retombe sur le pays tout entier.
Jeudi 14 février, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant « le recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques ». La France est évidemment particulièrement visée par ce texte ainsi que le montre la teneur des interventions dans le débat. Celle par exemple du député insoumis Younous Omarjee montre que tout fut dit sans fard au sujet de cette situation. Le même jour, une autre alerte est venue des Nations Unies. En effet, plusieurs experts du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme ont publié un communiqué dans lequel ils dénoncent des « restrictions graves aux droits des manifestants « gilets jaunes » ». Ils y déplorent notamment « des blessures graves causées par un usage disproportionné d’armes dites « non-létales » telles que les grenades et les lanceurs de balles de défense ou « flashballs » ». C’est désormais dans le monde entier que l’on s’inquiète de la dérive autoritaire du pouvoir macronien.