Cet article a été publié par Danielle Simonnet sur son blog Médiapart
Le tandem Hidalgo-Missika conteste juridiquement notre droit de nommer “Paris en commun”, nos listes citoyennes pour les prochaines municipales. Bien qu’au pouvoir depuis 2001, ils veulent nommer leurs listes “Paris en commun dès demain”. Derrière ce duel, 2 orientations s’opposent. Pour les uns, il faut dépasser le clivage public-privé, pour nous, les communs sont à émanciper des intérêts privés.
C’est une grande question qui commence par le petit bout de la lorgnette. Il y a quelques semaines la maire de Paris a lancé sa machine de guerre en vue de se succéder à elle-même : un storytelling écolo libéral totalement creux et 100% Macron-compatible qui vise à vampiriser le concept de “commun”. De notre côté quelques mois plus tôt, nous avions créé, avec un groupe de citoyens et de militants qui m’entourait déjà pour la préparation des conseils municipaux, une plateforme d’échange et d’élaboration politique : “Paris en commun” (à la fois en référence aux communs mais aussi au programme de la France insoumise “L’avenir en commun »). Et depuis trois mois, “Paris en commun” vit sa vie, s’organise, auditionne, participe aux luttes sur le terrain, se retrouve chaque samedi avec les Gilets Jaunes !
Cela n’a pas plu à Anne Hidalgo qui avait apparemment demandé à un de ses collaborateurs de déposer plus tôt en 2018 la marque “Paris en commun Dès demain” (“Dès demain” étant la plateforme lancée par le PS en mai 2017 !), et nous menace maintenant de procès. Cette petite histoire n’a qu’un seul intérêt : elle pose la question des communs, essentielle pour notre temps et notre ville, comme pour l’ensemble des villes et métropoles. Car au delà de la polémique qui conduit Anne Hidalgo à faire appel à des poids lourds du barreau pour plaider une banale affaire d’INPI et tenter de nous interdire d’utiliser ce slogan, il y a bien deux orientations politiques qui s’opposent et s’opposeront dans la campagne municipale derrière ce duel des Paris en commun.
Lors d’un échange au Conseil de Paris sur la “Data-city”, Jean Louis Missika, compositeur et chef d’orchestre macroniste de la musique municipale d’Anne Hidalgo, le reconnaissait : nous avons une opposition idéologique frontale. “L’économie des communs, ça consiste à pouvoir faire travailler ensemble des acteurs publics, des start-ups et des acteurs privés. Votre hostilité radicale à tout ce qui est privé vous empêche de pouvoir comprendre ce qu’est un commun urbain […] C’est un concept fondamental pour dépasser un certain nombre de tensions, de clivages, de désaccords, pour essayer de construire une gestion partagée, une gouvernance partagée de sujets qui sont des sujets essentiels dont certains relèvent de la taille de la planète, d’autres sont beaucoup plus locaux.”
Après l’écologie qui aura servi tout au long du cycle Delanoë-Hidalgo à couvrir dans la plus pure tradition du greenwashing les pires méfaits libéraux de la politique municipale (bétonisation, gentrification, marchandisation), les “communs” à la mode Hidalgo sont appelés à jouer le rôle de nouveau vernis idéologique pour la continuation de la guerre à la nature et aux classes populaires de notre ville. Le laissez-faire économique n’a plus autant la côte, la spatialisation du capitalisme est devenue trop évidente sur nos territoires, l’ubérisation et le big data font peur et à juste titre, mais si on met tout ça dans “les communs” même Jeff Bezos peut faire dans l’ESS ! C’est d’ailleurs grosso modo l’idée d’Hidalgo.
Après nous avoir vendu des JO sobres qui le seront autant que McDo et Coca sont bons pour la santé et le climat, après la pub numérique éco-responsable qui carbure à l’électro-nucléaire 24/7 et flique nos cerveaux, après l’arbre de l’éco quartier qui cache la forêt des pires tours, après le saupoudrage de végétalisation et d’agriculture urbaine sur une ville dont les moindres recoins non construits sont bétonnés et leurs arbres abattus avec la bénédiction de la mairie, après l’acceptation de tous les grands projets inutiles et imposés de la métropole comme EuropaCity, dont ils tentent de masquer le caractère anti-écolo par un autre projet « Happy Vallee » qui en est le faux-nez, et qui consiste à faire de l’agriculture (aux métaux lourds !) sur les talus de l’autoroute A1, etc. après tant d’horreurs commises au nom de l’écologie, il était temps de changer de disque. Leurs communs c’est la face B du greenwashing, la nouvelle chanson d’Anne Hidalgo pour être accueillante aux “creative workers” (ou « classe créative »), aux banquiers exilés du Brexit, aux GAFAM et à tout l’argent du monde, tout en pleurant sur la misère du monde, l’effondrement de la biodiversité et la crise climatique.
Il faut le dire clairement, cette conception de “l’économie des communs urbains pour une gouvernance partagée” est une arnaque intellectuelle libérale, un nouveau vernis pour mieux imposer la mainmise des intérêts privés sur la ville. Quand on parle de “communs”, pour nous, il s’agit de désigner les biens comme l’eau, l’air, l’énergie, la biodiversité, mais aussi l’ensemble des services publics essentiels qui doivent être la propriété collective de toutes et tous, répondant à un intérêt général social et écologique ainsi que les supports et contenus de la connaissance et de la création avec la question d’Internet et de sa neutralité ou de son contrôle. Il ne s’agit pas de garantir l’accès libre et non faussé à ces ressources mais au contraire de les protéger et de les émanciper des intérêts privés prédateurs pour le bénéfice de quelques uns.
L’eau ainsi, est un bien commun, dont il faut préserver la ressource limitée et garantir l’accès qui est vital. C’est pour cette raison que Paris a municipalisé l’eau lors de précédentes mandatures et que nous défendons la gratuité de ses premiers m3 indispensables à la vie, financée par le renchérissement de ses mésusages. La petite ceinture parisienne, ne devrait pas être accessible aux entrepreneurs, mais être respectée comme lieu de gratuité et de biodiversité, quand le tandem Hidalgo et Missika voudrait y permettre l’installation de commerces, de restaurants ou boîtes de nuit. La communauté humaine parisienne doit aussi laisser sa place aux autres formes de vie animale et végétale qui ont créé là un écosystème unique et fragile dans notre ville. Dans leur logique sans limite de privatisation des communs, l’exécutif municipal a même tenté de vendre la Seine, en tentant d’y faire bâtir des ponts privés pour centres commerciaux ! Heureusement, le Conseil d’Etat les en a empêchés, préservant ainsi ce patrimoine mondial de l’Unesco, ce puits naturel à carbone, cet espace de respiration, de biodiversité, de ventilation et de rafraîchissement au coeur de la ville dense. C’est de fait toute la politique urbaniste de l’exécutif municipal qui est à remettre en cause : aucune vision politique ne se dégage, mise à part la vente au privé du foncier parisien sous couvert d’opération “réinventer Paris”. Pour remplir les caisses vidées par l’austérité imposée par les gouvernements successifs, on laisse la mainmise sur Paris aux gros lobbys et grosses fortunes tels Unibail, LVMH, Mulliez, Pinault, Arnault and co.
L’antagonisme public-privé, n’en déplaise au tandem Missika-Hidalgo, a bien en réalité toute sa pertinence dans la réflexion sur les communs : une gestion collective, publique et/ou citoyenne, avant tout centrée sur l’intérêt général et préservée des intérêts privés, de toute forme d’accaparement et de privatisation de la ressource, est la seule qui permette une bonne gestion du commun. C’est pour cette raison que nous sommes attachés aux services publics, biens communs par excellence, gérés en régie directe, ou par le biais d’associations, de structures de l’économie sociale et solidaire coopérative, parfois même par des collectifs d’habitant-e-s (comme pour les jardins partagés ou les crèches parentales) et non sous délégation de service public, marché ou contrat de concession. Il s’agit d’économiser le coût de la recherche du bénéfice lucratif inhérent à toute gestion privée, toute rente pour le seul profit de quelques uns. A cela, l’équipe municipale nous rétorque à chaque fois qu’au nom de l’austérité, les délégations au privé seraient nécessaires et qu’il faudrait retrouver de nouvelles recettes. C’est ainsi que des pans entiers de politiques publiques sont cédées aux intérêts privés pour in fine revenir plus chers aux citoyens, et que l’espace public se voit envahie par les transports en free floating, la pub omniprésente, et les concessions en tout genre démultipliées…
Le débat autour de la DataCity est également des plus éclairants. Sous couvert du slogan de la “ville intelligente”, à la pointe des innovations de nouveaux services urbains pour une meilleure qualité de vie, faut-il laisser la propriété intellectuelle des solutions élaborées grâce aux données municipales faire l’objet d’accaparement de la propriété intellectuelle par le privé ? Surtout quand de gros partenaires privés rappliquent ? La protection des données y compris quand elles sont collectives et anonymisées se pose, afin de ne pas les voir dévoyées dans des finalités de marketing, de société de la surveillance généralisée pour un consumérisme effréné aliénant. La réflexion sur la data au service des citoyens doit être engagée pour éclairer la décision citoyenne, permettre l’émergence de nouvelles innovations urbaines créées grâce aux données de la ville, restant partagées et libres, en tant que nouveaux communs urbains.
Ce n’est pas aux big data ni aux intelligences artificielles ni aux algorithmes d’être décisionnaires de la gestion d’un quartier ou d’une ville.
D’ailleurs, et les citoyens dans tout ça ? Quel rôle ont-ils, quelle place leur est accordée dans les conceptions des “communs” ? Actuellement, ils sont invités à participer à la compétition des projets du budget participatif limité à 5% du budget d’investissement, pour arbitrer sur le superficiel, tandis que les élu-e-s, eux décident sans de l’essentiel. Les concertations au mieux se déroulent en bout de course sur les détails. La seule votation engagée fut sur le plan climat, d’ores et déjà adopté en conseil de Paris. Elle n’a pas empêché la Ville de signer un mécénat avec Total, le plus gros pollueur, pour financer les travaux du théâtre du Châtelet quelques mois plus tard… La votation est toujours refusée sur les projets contestés. Mais les élu-e-s eux-même décident-ils réellement ? Quand nous défendons plus de démocratie, et notamment la reconnaissance d’une démocratie de bas vers le haut et non toujours ficelée du haut vers le bas sur les thématiques choisies non dérangeantes, on nous répond “gouvernance”. Leur gouvernance constitue un mot valise qui promet l’efficacité indexée sur un coût financier, une gestion comptable permettant aux lobbys et aux experts de se substituer au gouvernement des élu-e-s, en cantonnant ces derniers au simple rôle d’arbitre et en instrumentalisant la concertation démocratique pour mieux décider sans le peuple. Il faut au contraire en revenir à la responsabilité du politique et construire un réel contrôle citoyen des communs. Qui dit biens communs, doit penser gestion en commun, impliquant réellement les citoyennes et les citoyens : dans le pilotage des services publics, par des votations sur les grands projets, en accordant les moyens des contre expertises citoyennes, en encourageant l’auto-organisation et en assumant la démocratie d’interpellation.
Quand les biens communs sont vus par l’équipe de Missika-Hidalgo comme des ressources à valoriser, marchandiser et exploiter, mais «en commun», prétendument pour tous et par tous dans l’idéal théorique libéral, nous pensons au contraire qu’il faut les libérer de ces logiques pour construire de nouveaux droits dans les usages partagés de la ville, conformes à l’intérêt général majeur qu’est celui de la préservation de notre écosystème. Leur conception des communs n’est qu’un libéralisme pur avec le mythe de la concurrence libre et non faussée repeinte en vert. C’est un hold-up intellectuel et moral. Une sorte de droit à la ville capitaliste quand il est urgent au contraire de construire un droit à la ville écosocialiste.