J’ai maudit l’indifférence qui a entouré le débat à l’Assemblée sur le projet de loi santé. Car la semaine dernière était examiné dans l’hémicycle un projet de loi sur la santé. De notre côté, nous avons fait pour le mieux. Pour les Insoumis, le travail parlementaire était écrasant. Après la semaine folle sur la loi Pacte bouclée a six heures du matin le samedi, il a fallu embrayer avec cette loi non-stop jusqu’au vendredi suivant trois heures du matin… Sans la détermination totale de Caroline Fiat, disons qu’on aurait craqué en route. La noria était décidément faible car tout le monde devait rattraper les retards en circonscription et dans ses divers engagements à l’Assemblée (groupes d’étude, commission d’enquête, rapport et ainsi de suite). La tranchée fut donc tenue dans une salle qui sans Caroline aurait beaucoup ressemblé à un congrès de médecins et de mandarins libéraux.
Chacun connaît l’importance du sujet. Chacun sait que les problèmes sont nombreux dans le secteur. Les conditions de travail dans les hôpitaux sont terribles et deviennent aussi parfois dangereuses pour les patients du fait des restrictions de toutes sortes que subit l’hôpital public. Macron y a lui-même ajouté sa contribution avec des coupes de 960 millions d’euros en 2018 puis de 610 millions d’euros en 2019. Un nombre croissant de personne est empêché d’accéder aux soins à la fois pour des raisons financières et d’absence de médecins dans certaines zones. Et on parle de 20% de la population qui se prive de soins faute de moyens. La logique de la réforme de Macron est à l’image de sa philosophie générale. Elle fait reculer l’État et compte sur le marché pour organiser efficacement l’offre de santé. Un postulat idéologique juteux.
Dans l’hôpital, le projet de loi prévoit la suppression du concours national de recrutement pour les médecins. Ils seront désormais recrutés sur contrat, comme dans n’importe quelle entreprise privée. Les députés de la majorité ont voté une habilitation pour agir par ordonnances sur l’organisation du travail médical à l’hôpital. À la lecture de cette habilitation, il ne fait nul doute qu’il s’agit de permettre aux médecins d’exercer dans les conditions d’un cabinet libéral à l’hôpital public. C’est bien une privatisation des hôpitaux. Les médecins pourront utiliser les installations publiques, financées par les cotisations sociales de tous les travailleurs, pour pratiquer un exercice privé de la médecine. Ils pourront notamment appliquer des dépassements d’honoraires comme le fait la médecine de ville. Ils ont explosé ces dernières années. 45% des spécialistes les pratiquent, contribuant à alimenter le renoncement aux soins d’une part de plus en plus grande des Français pour des raisons financières. En généralisant ces dépassements à l’hôpital, le projet de loi Buzyn créé une médecine à deux vitesses à l’intérieur même du service public. Si vous avez les moyens de payer des dépassements d’honoraires, vous attendrez moins longtemps votre consultation à l’hôpital.
Le projet de loi aborde par ailleurs la question de la carte hospitalière. Là encore, l’Assemblée s’est contentée de voter une habilitation pour le gouvernement à légiférer par ordonnances. C’est donc dans le bureau du ministère qu’on décidera des fermetures de services. Le projet de loi prévoit la création d’un nouveau statut, celui « d’hôpital de proximité ». Ces hôpitaux ne pourront comporter ni de maternité, ni de chirurgie. En conséquence, il est à prévoir qu’un certain nombre de services d’urgence vont encore être fermés. Déjà, la moitié des maternités ont disparu depuis 20 ans. Le nombre de naissances, lui, n’a pas diminué. Il a même légèrement augmenté, de 4%. Le nombre de visite aux urgences, lui, a augmenté de 100%. Comme dans le même temps, on ne cessait de demander à l’hôpital public des économies, le privé a peu à peu pris la place. Depuis 1996, 60 services d’urgences publics ont fermé mais 138 privés ont été créés. Le gouvernement aggrave cette double logique : la désertification des services publics et la privatisation de la santé.
Le projet de loi poursuit cette entreprise de marchandisation en dérèglementant l’usage des données de santé. La France dispose, grâce à son système d’assurance maladie unique et centralisée, d’une des plus grande base de données de santé du monde. L’étude de ces données accumulées présentent un intérêt scientifique et médical réel. Grâce à elles, on peut repérer la récurrence de maladies dans certaines populations et en tirer des conclusions sanitaires. Par exemple, la nocivité du Médiator a été repérée en utilisant cette méthode. Mais le gouvernement va plus loin en facilitant l’accès d’entreprises privés à ces données. Plusieurs dérives sont à craindre. Les assurances privées pourraient utiliser ces données pour mieux connaître les risques auxquels sont exposés leurs clients. Pour l’instant, elles n’ont pas le droit en France de lier leur tarification à l’état de santé des assurés. Mais on imagine que ce sera pour elles la prochaine étape logique. Les laboratoires pharmaceutiques peuvent aussi utiliser ces données afin de repérer les maladies les plus rentables et concentrer leurs efforts de recherche.
La direction générale prise par le macronisme : la santé c’est évidemment plus de marché, moins de services publics. Rompant avec une tradition française populaire datant de la Libération, il a décidé que la santé redevenait une marchandise comme une autre. Le désastre est imminent.