Triste. Rien n’y fait. En 2018, les investissements mondiaux placés dans les énergies carbonées ont augmenté. Aucune alerte, aucun des messages de mise en garde n’aura fonctionné. Le capitalisme reste un mode de production intrinsèquement irresponsable. Sur les 1900 milliards de dollars investis l’an dernier dans le secteur énergétique, en majeure partie par le secteur privé, les deux-tiers concernaient des énergies émettrices de gaz à effet de serre. Mais les entreprises et les banques privées ne sont pas les seules responsables de ce piteux résultat.
La Banque centrale européenne a aussi contribué ces dernières années à financer l’accélération du réchauffement climatique. Deux ONG, l’institut Veblen et Positive Money se sont penchées sur les titres d’entreprises que la BCE a racheté dans le cadre de sa politique dite « d’assouplissement quantitatif ». Le banquier central a mis en place cette méthode en juin 2015, pour sortir la zone euro de la récession et lui éviter la déflation.
Il s’agissait de racheter des dettes d’États et d’entreprises privées pour injecter de la monnaie dans l’économie. Jusqu’à décembre 2018, date de fin de ce programme, la BCE a ainsi mis en circulation 2600 milliards d’euros, plus que le PIB de la France. Sur cette somme, une petite partie, 178 milliards d’euros a financé des dettes d’entreprises privées. 63% des titres de dettes privées ainsi rachetés finançaient des secteurs polluants comme le charbon, le pétrole ou l’automobile.
Cette façon de créer en quantité importante de la monnaie pour relancer la machine économique était déjà une rupture avec l’ordolibéralisme fanatique pratiqué par cette institution. On la doit au banquier central Mario Draghi, un féroce dans son genre. Mais il a dû trancher entre les scenarii. Il a donc dû l’imposer, notamment à la puissante banque centrale allemande, hostile à ce genre de politique. Cependant, il a dû donner des garanties en matière de libéralisme, de respect de la sacro-sainte concurrence et de l’autonomie des marchés financiers.
Ainsi, il fut décidé que le programme de rachat de dettes privées par la BCE respecterait scrupuleusement la répartition sur le marché financier entre les différents secteurs économiques. C’est pourquoi la banque centrale a racheté autant de titres à l’industrie automobile que celle-ci pèse réellement sur le marché des échanges d’obligations en Europe. Le résultat était connu d’avance : l’industrie automobile allemande, dominante dans la zone euro a profité plein pot des largesses monétaires de la BCE. Pour les ordolibéraux, l’essentiel était conservé : une institution publique n’avait pas dérangé la main invisible du marché. En même temps les Allemands se faisaient grassement arroser. Tout était en ordre donc.
Et tant pis si cela conduit au stupide résultat suivant : pendant que l’Union européenne et ses États proclament des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’une de ses principales institutions, la Banque centrale européenne, finance massivement les producteurs de ces émissions.
Cet exemple montre pourquoi nous voulons en finir avec le dogme de l’ordolibéralisme en matières financière et monétaire. Le mandat fixé à la banque centrale européenne lui impose de limiter l’inflation à « un peu moins de 2% ». Elle n’a qu’un autre objectif additionnel qui est la stabilité des marchés financiers qu’elle interprète comme un commandement à intervenir le moins possible. L’inflation faible profite avant tout aux rentiers. C’est un but important pour garantir le niveau des retraites par capitalisation des allemands. Mais pour des pays, comme ceux du sud de l’Europe, qui ont besoin d’investissements, c’est un garrot.
La BCE n’est par ailleurs censée se soucier ni du bien-être social des peuples, notamment du taux d’emploi, ni de la catastrophe écologique et de la nécessaire bifurcation de nos façons de produire, d’échanger et de consommer. Il n’y a pas d’objectifs d’intérêt général dans son mandat. Et d’ailleurs, c’est corrélé à son mode de fonctionnement. Les traités européens imposent « l’indépendance » du banquier central. C’est-à-dire, en vérité, son indépendance vis-à-vis des pouvoirs élus, des gouvernements, des parlements et donc finalement de la souveraineté populaire. On comprend donc que ses décisions ne soient pas dictées par l’intérêt général puisqu’elles se situent hors du champ démocratique.
Il faut donc bien sortir des traités pour changer cette situation. La France insoumise demande la fin de l’indépendance de la banque centrale et la modification de son mandat. Sans cela, toute politique d’investissements écologiques est illusoire. La « banque pour le climat » réclamée par Nathalie Loiseau et Macron est une illusion. Dans le cadre actuel, une telle institution ne pourrait pas se financer auprès de la Banque centrale européenne sans respecter des règles de concurrence qui l’empêcherait de fait de remplir sa mission. Si elle se finance auprès de marchés financiers, elle devra respecter des objectifs de rentabilité impossibles. La transition écologique passe donc par la définanciarisation de l’économie dont la réforme profonde de la banque centrale est un pilier.