Quelle semaine glauque que celle-ci ! On a commencé avec un « débat » sur l’immigration. Ni proposition ni vote et un gouvernement parlant comme s’il venait de réaliser quelle absurde situation il venait de créer en donnant à madame Le Pen les bâtons pour qu’elle le batte. Humiliation du Parlement convoqué pour cette séance de mauvaise campagne électorale du gouvernement.
Cela survenait trois jours après quatre meurtres sauvages à la préfecture de police. Une journée noire révélant une humiliante incurie dans l’organisation d’un service névralgique de la police. Le pays consterné passait d’une sidération à l’autre.
Puis, comme un coup de tonnerre, vint la nouvelle du rejet de la candidate française à la Commission européenne par le vote des parlementaires à Strasbourg. Vu de loin cela n’a guère de sens. Vu d’Europe c’est un tremblement de terre politique de plus dans la maison déjà tellement ébranlée. Et une humiliation sans précédent pour la France et son président. Cela au moment même où commence une présidence allemande de la Commission. J’y viens dans un chapitre de ce post.
Pendant ce temps se déroulaient d’autres soubresauts internationaux spectaculaires dans lesquels la France est effacée du tableau. Le feu vert donné par Trump a permis l’invasion de la Syrie par les Turcs qui veulent y assassiner les Kurdes et leurs combattants. Un évènement auquel le président français a mis un temps fou à réagir, comme s’il existait une étrange résignation.
Mais l’évènement, c’est aussi la persistance de la mobilisation de masse en Algérie en dépit des arrestations en chaîne et de l’entrée dans une stratégie de répression violente des manifestants sur le « modèle français » ! Avant cela avait été expulsée une députée française sans aucune réaction officielle de la France au moins pour regretter la situation. À Hong Kong, les gouvernants chinois imitent les lois et les méthodes Macron et ils s’en réclament publiquement. De quoi à l’air la France ?
En Équateur, le gouvernement a carrément fait tirer sur le peuple après avoir même changé le siège de la capitale du pays. Là encore, le plus frappant restera l’intensité de la mobilisation populaire et sa diffusion sur le territoire. La France, qui a reconnu le putschiste Guaido au Venezuela avec le succès que l’on sait, n’a pas un mot pour un pays qui doit pourtant son nom à un Français.
L’autre aspect notoire est le silence du parti médiatique sur l’Algérie et l’Equateur. Le Monde, comme d’habitude, se distingue en consacrant deux pages au Venezuela pendant que le reste de l’Amérique latine des meurtres et des répressions ne retient pas son auguste attention de feuille de propagande.
En France, le poids des conflits de substitution et de diversion comme celui sur l’immigration continuent d’écraser la scène publique et sociale. Les stratégies de luttes éclatées, confuses et démoralisante des formations de la vieille gauche politique et syndicale engloutissent les efforts qui se maintiennent. Tandis que les peuples bougent de toute part, la vieille nation politique s’enfonce dans le ressac des énergies qui l’ont tiré d’affaire autrefois : l’activité populaire.
Le gouvernement a présenté son projet de budget pour l’année 2020. Il est revenu à la charge avec la propagande du budget 2019 et du budget 2018. Darmanin a déclaré que le projet de loi de finances qu’il présentait cette année était le « budget du pouvoir d’achat ». L’an dernier, nous avions eu le « budget des baisses d’impôts » et en 2017, le gouvernement avait même publié un « livret du pouvoir d’achat » pour faire la publicité de son projet. Mais un mensonge, même répété plusieurs fois, ne devient pas une vérité. Et les trois années 2018, 2019 et 2020 auront surtout été une incroyable fête pour les riches et la finance. Sur ces trois années, au total, la suppression de l’ISF leur aura rapporté 10 milliards d’euros. L’instauration de la flat-tax 5 milliards d’euros et la baisse de l’impôt sur les sociétés 15,5 milliards d’euros. 30 milliards d’euros, c’est donc ce que nous a coûté Macron depuis son élection.
L’an prochain, il va continuer de détruire les moyens de l’État en coupant davantage encore dans les recettes. Bien sûr, ses porte-paroles vantent les baisses d’impôts comme si c’était autant de mesure de redistribution pour monsieur et madame tout le monde. Ce n’est pas le cas. C’est même l’inverse. Il va être question de la suppression de la taxe d’habitation pour les 20% les plus riches. Et comme cet impôt est calculé sur la base de la valeur locative des habitations, les propriétaires d’hôtels particuliers dans le 16ème arrondissement de Paris en seront les plus grands gagnants puisqu’ils sont censé payer le plus aujourd’hui. Ensuite, le budget affaiblit l’impot sur le revenu, le seul impôt progressif donc le seul impôt juste. Il s’agit d’une baisse de 5 milliards d’euros. Bien sûr, quelques classes moyennes profiteront d’une petite baisse de leurs impôts. Mais aussi des célibataires gagnant jusqu’à 6700 euros par mois. Et les 57% de Français les plus pauvres qui ne sont pas inclus dans l’impôt sur le revenu n’y verront que du feu. Ceux-là auraient par contre bénéficié d’une baisse de la TVA sur les produits de première nécessité. Mais rien de ce côté là. Enfin, le gouvernement a aussi décidé de baisser l’impôt sur les sociétés des grosses entreprises réalisant un chiffre d’affaire supérieur à 250 millions d’euros de 33 à 31%.
Le chemin déjà bien engagé de l’injustice fiscale continue donc. La conséquence reste la même : le rabougrissent des dépenses et donc des services publics. Darmanin se vante d’une coupe de 40 milliards d’euros dans les dépenses de l’État depuis 2017. Victimes d’un véritable acharnement, les APL vont encore baisser : une coupe de 1,2 milliards d’euros est prévue. Elle conduira même 600 000 foyers à perdre totalement leurs droits à cette aide. Les autres prestations sociales restent gelées et donc leur pouvoir d’achat baissera à hauteur de l’inflation. Absurdité de la logique austéritaire, ce budget continue de supprimer des postes de contrôleurs des impôts. Ce sont pourtant des fonctionnaires très rentables puisqu’une partie de leur métier consiste à récupérer les milliards volés par les fraudeurs du fisc.
Cette logique est aussi appliquée au ministère de la Transition écologique. Il subira l’an prochain 1073 suppressions de postes et même 5000 d’ici la fin du quinquennat. Cette saignée sans interruption depuis le début du mandat pour les agents de l’État qui s’occupent de l’écologie est très inquiétante. Elle organise la fuite vers le privé des qualifications indispensables à la réalisation de la planification écologique. Dans le secteur privé, elles ne seront jamais utilisées à bon escient mais nous en avons besoin dans l’État, au service de l’intérêt général. Le reste du bilan écologique du budget est à l’avenant. Les niches fiscales qui récompensent la pollution ne sont toujours pas supprimées. C’est pourtant une source d’économies de 11 milliards d’euros. Les compagnies aériennes continueront donc à ne pas payer d’impôts sur le kérosène qu’elles utilisent.
Il y aurait pourtant moyen de faire autrement. La fiscalité redistributive et sur le capital pourrait être augmentée et l’évasion fiscale combattue. Nous devons mettre l’État et ses investissements au service de la conversion de nos modes de production, de consommation et d’échange. Mais plus encore, nous pourrions emprunter pour le faire. En effet, la France a la possibilité incroyable en ce moment de s’endetter à des taux négatifs : au 23 septembre, ils étaient de -0,21% pour des obligations de 10 ans. Cela signifie que les banques sont prêtes à nous donner de l’argent pour nous prêter. Refuser d’emprunter dans ces conditions et rester sur le dogme de la réduction de la dette publique est donc une décision stupide sur le plan financier. La solution raisonnable en adéquation avec l’époque est bien celle proposée par les insoumis : un vrai plan d’investissements, 100 milliards d’euros, portés par l’État et servant à rénover les logements, passer à 100% d’énergie renouvelable ou mettre les camions sur des trains. Bref il s’agit d’avoir des objectifs politiques et pas seulement des logiques comptables à courte vue. Car ce qui n’est pas fait à présent ne sera plus jamais fait à temps s’agissant de la transition écologique.
Cela a commencé le dimanche 6 octobre. Un communiqué de la Maison Blanche annonçait le retrait des troupes américaines du Rojava syrien suite à une conversation téléphonique entre Trump et Erdogan. Vingt-quatre heures plus tard, le même Trump déclarait finalement le contraire. Mais dans le même temps, les militaires états-uniens quittaient bel et bien les villes de Ras-al-Aïn et Tal Abyad, à la frontière entre la Turquie et la Syrie. Erdogan ne cachait pas ses intentions d’invasion de la région syrienne contrôlée par les kurdes. Et finalement, lorsque le dictateur turc a déclenché son offensive mercredi 9 octobre, les États-Unis ne l’ont pas empêchée.
Il s’agit là d’un abandon et d’une trahison. Les combattants kurdes ont été l’élite de la lutte contre le terrorisme islamiste de Daech. En 2014-2015, l’héroïque bataille qu’ils ont mené pendant des mois à Kobané fut la première défaite importante de notre ennemi. En 2017, lors de la prise de Raqqa, où Daech avait installé sa « capitale », ce sont les Kurdes qui formaient le gros des troupes au sol pour les en expulser. Les Kurdes ont payé le prix fort pour combattre un ennemi qui frappait la France directement sur son sol. Ces derniers mois, les États-Unis, qui se présentaient encore comme leur allié, leur avaient demandé de quitter des postes stratégiques à la frontières avec la Turquie. C’était avant de les trahir.
Les insoumis ont tout de suite réagi dans le sens du soutien et de la solidarité envers les combattants kurdes. Lundi et mercredi, les communiqués du groupe parlementaire insoumis et les miens avaient pour objectif d’alerter l’opinion publique afin de mettre la pression à Macron pour qu’il demande la réunion du conseil de sécurité de l’ONU. Il lui aura fallu deux jours pour le faire. Mercredi, la présidente de la commission des Affaires étrangères, Marielle de Sarnez, a pris l’initiative d’un communiqué commun de la commission dans ce sens, que j’ai approuvé. Je crois en effet qu’il faut réunir l’arc des forces politiques le plus large possible. Il s’agit ici de la crédibilité de la France et de la stabilité en Syrie à laquelle nous avons intérêt.
Bien sûr, les insoumis sont particulièrement liés aux Kurdes du Rojava. Les 21 et 22 janvier derniers, deux députées de notre groupe, Mathilde Panot et Danièle Obono, étaient allées au Rojava en Syrie, auprès de dirigeants politiques kurdes. Le modèle politique développé par le PYD, le parti de l’union démocratique dans cette région est selon nous remarquable. Il repose sur la démocratie directe à l’échelon communal. Il respecte les minorités et affiche un féminisme militant. Par ailleurs, les Kurdes du Rojava rejettent toute assignation identitaire, religieuse ou ethnique. Leur approche est citoyenne. À l’autoritarisme, ils opposent la souveraineté populaire ; au tri ethno-confessionnel, le pluralisme ; à la dépendance aux réseaux clientélistes, des services publics de qualité et un modèle de société solidaire face à la corruption généralisée. Le peuple kurde, au-delà de son droit à l’autodétermination, est ainsi quasiment le seul à proposer une solution politique susceptible de construire une paix durable dans la région.
À l’inverse, Erdogan et la Turquie représentent les vieilles solutions de l’obscurantisme religieux et de l’autoritarisme autocratique. C’est-à-dire précisément celles qui suscitent des conflits plutôt que de les résoudre. C’est aussi cela qui se joue dans la survie des Kurdes : la possibilité d’une solution politique viable pour la région. Pour toutes ces raisons, notre présence dans l’OTAN, aux côtés des bourreaux des kurdes et de ceux qui les abandonnent n’est plus tenable. Notre participation à cette alliance militaire nous conduit à être avec ceux qui font progresser l’islamisme au Moyen-Orient plutôt qu’avec ceux qui le font reculer. Ce n’est ni conforme à nos principes, ni à notre intérêt.
On peut dire que la séquence vient de prouver le pouvoir de nuisance du Parlement européen. Il peut retoquer les propositions de Commissaires. Ça n’ajoute rien à ce qu’il est, puisqu’il reste interdit de proposition de loi, interdit de délibérer sur le social et le marché unique et ainsi de suite. Mais on peut dire que, du moins, il peut empêcher des gens déclarés immoraux par lui d’accéder à des responsabilités européennes. Certes, il n’a rien prouvé de semblable, par exemple, quand Juncker a été élu puis réélu. Mais fi du passé. Malheureusement, on ne pourra pas dire que ce qui vient de se passer soit autre chose qu’une démonstration de l’état de dislocation politique de l’Europe des puissants qui viennent de se faire quelques beaux croche-pieds. En cela, ce qui vient de se passer est un indice de crise globale.
Au point de départ, on trouve la bataille énergique de Manon Aubry et de ses amis du groupe la GUE contre la nomination de commissaires peu acceptables. La délégation de la France Insoumise a voté contre la désignation de Sylvie Goulard, parce qu’elle ne partage ni sa vision du marché commun qu’elle souhaite construire, ni l’Europe de la défense rattachée à l’OTAN pour laquelle elle ambitionnait d’œuvrer. Elle a aussi voté contre car ses liens avec le think-tank Berggruen rendaient plus que floue sa capacité d’indépendance et d’impartialité. Pendant son mandat de députée européenne, Sylvie Goulard s’est faite rémunérer 12 000€ par mois par le think-tank du milliardaire américain Berggruen pour organiser des réunions, gérer un agenda et rédiger des comptes-rendus de rencontres. Dans le même temps, elle bâclait son travail législatif en signant les amendements que lui envoyaient les lobbies bancaires. Pour se défendre, Sylvie Goulard dit n’avoir transgressé aucune règle.
Nous attendons d’un Commissaire européen suffisamment de conscience éthique pour reconnaître que la rémunération exorbitante par des intérêts privés n’est pas compatibles avec les exigences des citoyens envers leurs dirigeants. Nous nous battrons pour que ces exigences soient ancrées dans des règles européennes encadrant les rémunérations externes des députés. Leur application sans concession doit être garantie par la mise en place d’une autorité indépendante de contrôle des conflits d’intérêts au sein des institutions. Les insoumis étaient donc dans leur rôle. Mais, très rapidement, ils se sont vus entourés soudainement de soutiens imprévus venant du groupe de droite, d’une partie des socialistes et même des Verts qui parlaient pourtant juste avant de soutenir la nouvelle Commission. Ces brusques revirements étaient certes bienvenus mais ils attestaient d’un grand règlement de compte en cours. En voici une explication possible.
Les amis de Macron avaient aidé à faire rejeter la candidature de la Commissaire roumaine socialiste, puis du Commissaire hongrois de droite orbaniste. Or les gouvernementaux français étaient censés être liés par l’accord global conclu quand la nouvelle présidente de la Commission avait été désignée. C’était un tout. Ils n’ont pas tenu parole. Le boomerang leur est revenu dans la figure. Il faut se rappeler que la proposition initiale des Allemands était d’élire président de la Commission Manfred Weber, le président du groupe de droite PPE. Macron l’a récusé comme Allemand de droite. Avant de devoir céder et de devoir accepter une autre candidature, Allemande encore et de droite : Ursula Van der Layen. On peut imaginer que Manfred Weber, redevenu président de son groupe, n’a pas été malheureux de renvoyer la monnaie de sa pièce à Macron en faisant voter tout son groupe pour retoquer la candidate du président français.
Et de même les socialistes qui ont perdu dans le vote pour leur Commissaire roumaine se sont fait un bonheur pour la moitié d’entre eux de ne tenir aucun compte des consignes de vote données par leur groupe et de renvoyer aux gouvernementaux français leur vote hostile. Pour finir, ce qui a commencé comme une opération de nettoyage éthique s’est prolongé dans une opération de revanche politique anti-macroniste teintée d’un poil d’anti-France traditionnel en Europe. Vu de haut, la France est humiliée. Si cette Commission survit, la position du Commissaire français, quel qu’il soit, sera faible.
Pourquoi la Commission pourrait-elle ne pas survivre a cet épisode ? Voyons la chaîne des évènements. L’actuelle nouvelle présidente de la Commission n’a été élue qu’avec neuf voix d’avance parmi lesquelles quelques unes de la droite extrème. Elle est donc faible. Elle s’est fait retoquer trois propositions de Commissaires au total. Elle est donc affaiblie. Il lui faut faire une nouvelle proposition de trois Commissaires. Le gouvernement français est très fâché. Il peut décider que l’accord est un tout. Et il peut donc exiger que la Commission soit présentée en paquet complet par la présidente devant le Parlement. Un paquet dans la composition prévue dans l’accord initial. Le Hongrois et la Roumaine seraient donc remis en place et la Française, Sylivie Goulard, de même. Chaque groupe politique serait alors mis au pied du mur : confirmer l’accord ou faire tomber la Commission et sa présidente Ursula Von der layen. Mais si cela ne se fait pas, on sait que c’est le Français qui devra manger son chapeau et soumettre un autre nom avant de se faire infliger une nouvelle tournée d’enquêtes et d’auditions. Dans tous les cas, la France vient de prendre un rude coup et elle se prépare à se rattraper de piteuse manière.
Mais tout cela doit être replacé dans son contexte global de crises politiques en chaîne d’un bout à l’autre de l’Europe où les gouvernements nationaux sont souvent en impasse comme en Espagne, en Italie et tant d’autres, sans oublier l’Angleterre sans majorité au Parlement qui inflige de surcroit un Brexit chaotique à l’Europe. Autant de signes d’une crise globale dont aucun des dirigeants n’a l’air de prendre en compte le caractère continental. Et bien sûr, personne n’accepte ni ne propose d’en remettre en cause les racines dans les politiques néo libérales qui détruisent les sociétés.
Dans la campagne présidentielle de 2017, j’avais tenu meeting à Lyon pour aborder le thème des nouvelles frontières de l’Humanité : la mer, l’espace, la toile internet. Ces thèmes entrent à présent assez bien dans le débat public. La toile y est de plain-pied sous la forme des batailles contre la toute-puissance des GAFAM. La mer est devenue un thème récurrent de nombreux champs d’expression politique ou scientifique publics en relation avec le changement climatique et la lutte contre la plastification des océans. Mais l’espace reste encore le grand méconnu de la politique. De mon côté, je n’ai pas cessé de m’intéresser à l’exploration et aux activités spatiales. L’exploration spatiale a d’ores et déjà amené sur terre beaucoup de bienfaits. Elle a contribué à des avancées majeures dans les domaines de l’imagerie médicale ou des matériaux. Elle a également permis le développement des ordinateurs modernes et de nouveaux services comme la téléphonie mobile, les prévisions météorologiques ou le guidage GPS.
Et la politique là-dedans ? Elle existe. Elle se manifeste sous la forme de traités internationaux dont le contenu exprimait une pensée formidable : l’humanité est un tout et l’univers ne doit appartenir à personne en particulier. L’occupation de l’espace par l’humanité a donc longtemps été encadré par des règles écrites dans un traité international. Il s’agit du traité de l’espace de 1967. Il établit les principes de l’exploration spatiale. Le premier d’entre eux est la liberté d’accès des États. L’espace est un lieu sans frontières. N’importe quel État, du moment qu’il a les capacités technologiques, y a les mêmes droits que tous les autres. Ensuite, le traité pose le principe que tout ce qui est dans l’espace, les ressources naturelles, les astres sont Res nullius. Cela signifie qu’elles n’appartiennent à personne. Le traité interdit pour un État ou une entité privée de s’arroger une ressource stellaire. Enfin, il fait de l’espace une zone démilitarisée en interdisant le déploiement d’armes nucléaires ou d’armes de destruction massives en orbite et proscrivant tout usage des corps célestes à des fins militaires.
Aujourd’hui, ces principes qui font de tout ce qui se trouve au-delà de notre atmosphère un bien commun sont mis à mal. Évidemment, l’appât du gain fait son œuvre. Cela signifie que les États-Unis sont ici encore en embuscade comme chaque fois qu’il s’agit de faire de l’argent à n’importe quel prix. En 2015, le congrès américain rompt unilatéralement une première fois le traité de 1967 en votant le Space Act. Dans cette loi, ils autorisent leurs entreprises privées à explorer, extraire et vendre les ressources spatiales. C’est un viol du principe de Res nullius que je viens d’évoquer. Ils sont suivis un an plus tard par… le Luxembourg. Le Grand-duché croupion s’est doté d’une nouvelle règlementation en 2016 pour autoriser les entreprises minières installées sur son territoire à exploiter des ressources spatiales. Rien de moins. De paradis fiscal, ce petit État, sans aucune capacité technologique propre, se rêve désormais en paradis spatial. Aussitôt, des compagnies malsaines se sont intéressées à une localisation de leurs activités dans ce paradis fiscal qui promet de garantir leurs rapines spatiales.
Ce n’est pas tout. En plus de la commercialisation de l’espace, les États-Unis et d’autres grandes puissances engagent aussi sa militarisation. Depuis une décennie, on assiste à une véritable course aux armements dans l’espace. Le 27 mars 2019, l’Inde a fait la démonstration de sa capacité à abattre un satellite dans l’orbite basse avec un missile tiré depuis la terre. Trois autres États en sont capables : la Chine, la Russie et les États-Unis. Mais cette technique reste assez dangereuse pour la puissance qui l’utilise. Les débris qu’elle provoque peuvent endommager son propre matériel. Depuis quelques années, on remarque aussi la présence de petits objets hostiles autour des installations spatiales indispensables à l’armée comme les satellites de télécommunications ou de cartographie. Les dirigeants de l’armée française ont déclaré en 2016 que les États-Unis, la Chine et la Russie disposaient de telles capacités.
La réponse de la France à cette évolution inquiétante fut la création par Macron d’un commandement de l’espace. Pour l’instant rattaché à l’armée de l’air, cette structure transitoire doit aboutir à terme sur un État-major de l’espace de plein droit. Il est bien clair que face à l’armement des autres puissances, nous devons être capables de nous défendre et donc à la hauteur en termes technologiques. Cependant, cela ne signifie pas que nous devons encourager cette évolution et pousser à la militarisation de l’espace. Or, cette nouvelle organisation porte en elle une fuite en avant. Pour l’instant en violation des traités antérieurs, l’espace est un lieu utilisé pour appuyer les batailles sur terre. En organisant publiquement la présence française dans cette dimension, nous acceptons que l’espace devienne un champ de bataille à part entière.
La France est une puissance spatiale. C’est le deuxième budget par habitant du monde pour la recherche et l’exploration spatiale. La fusée Ariane est le lanceur de satellite le plus fiable du monde et nous possédons sur notre sol la base de Kourou. Nous devons, au contraire de ce que fait Macron, mettre cette puissance au service d’une politique qui défend les principes qui font de l’espace un bien commun. En ce moment à l’ONU, des négociations ont lieu pour réécrire le traité sur l’espace. Nous devons y défendre les principes de non appropriation des ressources spatiales et de démilitarisation. Nous avons bien d’autres choses à faire là-haut. Des projets qui nécessitent au contraire de la coopération internationale : dépollution de notre orbite ou travailler à un vol habité interplanétaire.
Ce qui est certain, c’est que la suite de l’aventure de l’humanité dans l’espace est en train de s’écrire. Il n’est pas question d’être naïfs et de tenir une position destinée à être dépassée par les évènements et les autres protagonistes. La France est une puissance et son devoir est de se déployer dans toutes les directions de l’épopée humaine. Mais c’est à nous d’être le porteur de la mémoire de l’Histoire quand il s’agissait d’occuper le territoire terrestre. La conquête militaire et le saccage des ressources naturelles et culturelles ont donné des fruits trop vénéneux pour qu’on oublie les causes qui les ont produits. Il faut être capables de penser l’humanité comme un acteur de l’Histoire et comme un projet qui, pour se construire concrètement, a besoin d’horizons communs désirables. Il en va ainsi avec les batailles écologistes. Il en va ainsi avec la conquête de l’espace.