Aux quatre coins du monde s’allument des incendies sociaux qui se conjuguent pour signifier quelque chose qui dépasse chaque cas vu séparément. Une nouvelle saison de l’Histoire semble être en train de se lever. L’étudier est une tâche ardente pour nombre d’entre nous qui travaillons à finir de formaliser « la théorie de l’Ère du peuple et de la Révolution citoyenne ». Jusqu’à ce jour, la valeur descriptive et prédictrice de cette théorie a semblé fonctionner sans démenti. Quelques notes ici à ce sujet.
Entre la situation de Hong Kong et celle de Santiago du Chili, il ne faut pas regarder d’abord le déclencheur mais plutôt les mots d’ordre et les formes d’action communes. Ce qui est commun, c’est le refus de décisions cruciales prises sans recours possible alors que les gens ont la conviction qu’il s’agit d’une question vitale pour eux. Autrement dit, ce qui est commun c’est la revendication de démocratie réelle. La caractéristique politique de ces révolutions, c’est qu’elles sont citoyennes, autrement dit que le moyen d’action et la finalité sont les mêmes : la souveraineté de chacun dans l’action et comme objectif.
Si l’on s’approche davantage de l’action, on découvre une seconde caractéristique de ce moment de la civilisation humaine que nous appelons « l’ère du peuple ». Dans notre définition du « peuple », il s’agit de tous ceux qui doivent accéder aux réseaux collectifs (ex : l’eau, l’électricité,) pour produire et reproduire leur existence matérielle. Il va de soi que la forme sociale de ces réseaux, privés ou publics, et les conditions d’accès à ceux-ci (par exemple leur tarif, ou l’éloignement entre eux) sont alors socialement déterminants. Évidemment, à la racine de l’accès à tous ces réseaux, il y a la capacité de se déplacer pour les atteindre. La mobilité est donc un enjeu essentiel dans une société où la spécialisation des espaces et la concentration des services est consubstantielle au modèle dominant de rentabilité et à celui de l’accumulation capitaliste. Partant de là, on vérifie que l’accès à ces réseaux aura été le déclencheur des événements en France, en Équateur et au Mexique avec le prix du carburant, au Chili avec le prix du billet de métro comme 30 ans auparavant au Venezuela avec le prix du ticket de bus, au Liban avec le prix de l’accès aux réseaux de communication.
Bien sûr, ce n’est pas le seul déclencheur des actions de souveraineté populaire. On notera cependant qu’au-delà des formes particulières, on trouvera dans chaque cas des situations très directement et parfois très étroitement urbaines. Mais une fois ce point posé, on voit mieux comment s’enclenchent ensuite d’autres phénomènes communs. Partout, les revendications connaissent un processus commun d’élargissement de leur champ. La question sociale et la question démocratique transvasent. Les revendications sociales deviennent vite des revendications de démocratie : qui décide et pourquoi ? Il s’agit de sujets décisifs pour la vie quotidienne qui est la seule réalité que les gens pensent connaître assez bien pour avoir un avis bien informé sur le sujet. Ce n’est pas un détail. Car dans des dizaines d’autres sujets, comme l’économie en général, par exemple, les gens se disent qu’ils n’y comprennent rien et/ou que le thème est réservé aux spécialistes.
De même, quand la revendication de démocratie s’est installée, elle devient bien vite une revendication sociale : décider tous oui, mais pour donner les mêmes garanties à chacun d’accès aux services essentiels. Ainsi, les luttes contre les systèmes politiques tyranniques ne le sont que rarement en raison de leur être mais plutôt en raison de leur fonctionnement : la corruption, le népotisme et ainsi de suite qui sont la négation de ce droit égal pour tous. Dans les moments de rupture comme ceux qui se vivent en ce moment dans ces pays, la société semblent mise en cause dans ses fondements mêmes alors que l’action peut être ponctuelle ou limitée dans le temps de ses séquences. On voit alors se dessiner des limites et des contre points qui restent masqués le reste du temps.
Le libéralisme propose un projet de société abstrait fait de promesse de réussite individuelle dont le moment concret est pourtant une compétition sans fin et sans garantie entre chacun et tous. La révolution citoyenne repose sur un moment concret lié aux besoins communs et à l’accès à un bien commun. Le libéralisme est incapable de réaliser une projection des individus vers un horizon commun. La révolution citoyenne dans ses modes d’action semble le mettre en main de chacun. Le libéralisme ne produit pas de perception d’une vie en commun. Le déroulement de la révolution citoyenne donne le sentiment qu’elle est en cours de réalisation.
C’est pourquoi les process de révolution citoyenne sont lourdement basé sur le fonctionnement des réseaux sociaux qui rendent perceptible une interaction de large ampleur. Elle sert d’ailleurs aussi de motivation à ceux qui s’y impliquent. J’en ai eu confirmation par la conférence sur l’étude « Jaunes vifs » des chercheurs sociologues Magali Della Sudda, Loïc Bonin et Yann Le Lan. Elle avait été organisée jeudi dernier par Loïc Prudhomme, député de Gironde, à l’Assemblée nationale. Ces chercheurs se sont intéressés au fonctionnement en réseau des ronds-points occupés par les gilets jaunes. Ils ont constaté un fonctionnement par « grappes » de plusieurs ronds-points d’un même secteur qui se coordonnaient pour mener les mêmes actions à partir d’une communication horizontale en réseau. Elle était méthodiquement organisée. C’est au point que parmi les occupants des ronds-points, certains ont spécifiquement pris en charge la fonction de lien des lieux entre eux. Et ceci tout simplement parce que leur métier les conduisait à circuler entre eux.
C’est notamment le rôle déterminant joué par les chauffeurs routiers extrêmement présents. D’habitude isolés dans leur cabine de conduite, ils ont eu là un rôle hyper collectif. Ce sont eux qui connectaient les différents nœuds du réseau entre eux en début de mouvement. Pendant toute la période où la vie était organisée pour permettre une occupation continue des ronds-points (le temps des cabanes), les « grappes » étaient caractérisées avant tout par une circulation très rapide de l’information en recourant à l’usage des réseaux sociaux.
Ces fonctionnements sont caractéristiques des moments de révolutions citoyennes. Ils ont été observés en Egypte, en Tunisie et cette fois-ci encore au Liban et au Chili. Le réseau tient lieu souvent d’Agora citoyenne ou s’échangent et se décident les actions avec ou sans débat d’ailleurs. Parfois, des assemblées citoyennes prennent le relai et deviennent alors l’organe de base du processus. Mais la phase des réseaux sociaux est celle qui réussit le plus haut niveau d’intégration des participants. En effet, le plus grand nombre en a déjà une expérience personnelle et sait comment s’y exprimer, ce qui est rarement le cas d’une prise de parole réelle devant un public. Et puis le quasi-anonymat de l’échange rassure.
Une dernière caractéristique commune dans cette liste résumée : la violence des pouvoirs. Ainsi, dorénavant, les libéraux ont une réaction extrêmement violente contre les manifestants. Toute les formes de l’abus de pouvoir et de déchaînement de forces qui étaient hier l’apanage de la droite musclée et de l’extrême-droite ont cours sous toutes les latitudes.
Des familles qui doivent s’éclairer à la bougie ou à la lampe torche, ne peuvent pas manger chaud ou grelotent de froid chez elles : c’est le magnifique résultat atteint par le gouvernement Macron. Dans un rapport sorti mardi 8 octobre, le Médiateur national de l’énergie sonne l’alerte sur la progression de la précarité extrême. Les coupures d’électricité ont augmenté au premier semestre 2019 de 18% par rapport à la même période l’an dernier. Quant aux coupures de gaz, elles ont augmenté de 10%. Les sollicitations de familles en détresse auprès du Médiateur, pour qu’il les aide à demander un échéancier ou des annulations de dettes auprès de leurs fournisseurs ont du coup doublé. En 2018, déjà, il y a eu des coupures dans 572 000 foyers. Cette année, ce chiffre était atteint dès le mois de septembre.
Depuis que le gaz et l’électricité sont devenus des marchandises comme les autres, soumises à la concurrence, leurs prix ne font qu’augmenter. Jusqu’en 2004, il n’y avait qu’une entreprise publique en situation de monopole, EDF-GDF. Aujourd’hui, GDF a été privatisée et s’appelle Engie, et il y a sur le marché 22 fournisseurs d’énergie. Le bienfait pour le consommateur ? Depuis, les tarifs ont augmenté de 50% pour le gaz et de 49% pour l’électricité. Et les pratiques des entreprises sur les impayés se sont durcies. Pour des actionnaires, des retards de paiements sur des factures ne sont qu’un problème comptable.
C’est pourtant un problème d’intérêt général. La précarité énergétique est par exemple une énorme question de santé publique. Le phénomène est massif puisque 15% des ménages déclarent avoir froid chez eux. Or, des études montrent les graves conséquences sur la santé d’un logement mal chauffé. Selon l’OFCE, le risque d’être en mauvaise santé augmente de 50% dans ce cas. La Fondation Abbé Pierre a mené une étude auprès de familles en précarité énergétique. Il en ressort que 48% des adultes souffrent de migraines chroniques et 41% d’anxiété et de dépression. Chez les enfants, 84% sont affectés d’angines chroniques et un tiers de sifflements respiratoires. Ces maladies sont des maladies de la pauvreté. Leurs causes sont sociales. Macron est responsable. Les puissants sont coupables.
Il faut bien comprendre ceci : l’accès au réseau d’énergie est un droit fondamental. Personne ne peut mener une vie digne sans y avoir accès. C’est pourquoi nous défendons le retour à une service public de l’énergie. Pour ça, évidemment, cela implique de désobéir aux traités européens. Le fonctionnement en réseau de ces biens rend mécaniquement le monopole public plus efficace que la concurrence privée. En effet, la gestion complexe de flux entrants et sortants du réseau en permanence exige une grande coordination qui est plus difficile s’il y a plusieurs producteurs et plusieurs vendeurs. Les réseaux ont par ailleurs cette caractéristique que leur efficacité augmente avec leur nombre de nœuds. Par ailleurs, comme pour l’eau, les premières quantités de gaz et d’électricité indispensable à la vie doivent être gratuites. Le service public peut parvenir à cette gratuité puisqu’il ne dépense pas d’argent ni pour rémunérer des actionnaires, ni pour faire de la publicité.
La lutte contre la précarité énergétique nécessite aussi un plan de rénovation des bâtiments existants. C’est ici que la lutte contre les fins du mois ingérables et contre la fin du monde en vue se rejoignent. Car les passoires thermiques empêchent les gens de chauffer correctement leur logement mais contribuent bien aux émissions de gaz à effet de serre. Là aussi, le mécanisme du marché ne fonctionne pas. Aujourd’hui, il manque 8 milliards d’euros par an pour financer un plan de rénovation thermique des logements en cohérence avec les engagements internationaux de la France. Et dans ce domaine aussi la politique de Macron favorise une écologie des nantis ! Voici le mécanisme qui permet cette mauvaise action. Alors que les organismes HLM financent un quart des investissements publics de rénovation thermique, il coupe leurs budgets de 1,5 milliards d’euros. Et 40% de l’argent dépensé par l’État l’est sous forme d’un crédit d’impôt. Il faut donc avancer les sommes soit en moyenne 35 000 euros d’après la fédération française du bâtiment. L’écologie populaire que nous proposons c’est au contraire des subventions directes de l’Etat pour financer intégralement les travaux nécessaires dans les logements populaires.
On se souvient du pataquès médiatique orchestré à partir d’un mot – « barbare » – volé dans une conversation et mis en scène hors contexte. Il s’agissait des méthodes de la répression des manifestations contre le changement climatique ou celles des gilets jaunes. Castaner l’éborgneur avait même honteusement utilisé cette énième campagne médiatique pour m’accuser d’avoir traité de « barbares » les malheureux policiers assassinés à la préfecture de police. Depuis lors, chacun a pu voir combien j’avais eu tort… La répression de la manifestation bon enfant des pompiers a prouvé que l’usage des forces de police était proportionné et respectueux de la dignité des personnes dévouées aux autres comme le sont des pompiers ? Un pompier en pleurs (et pas à cause des lacrymos) disait devant l’Assemblée nationale : « je ne les aurais jamais cru capables de ça ». Maintenant il le sait. Un pompier éborgné comme un gilet jaune en a donné la preuve.
Des milliers de gens le savent après des milliers d’autres. Et avant la prochaine manif où des milliers d’autres vont l’apprendre ou le comprendre à leur tour. Jour après jour le consentement à l’autorité recule dans le pays du fait des pratiques de ceux qui sont censé l’incarner. Dans tous les métiers des gens font valoir leur opposition aux conditions dans lesquelles s’exerce leur profession. On l’a vu récemment encore à la SNCF. Mais tout le monde voit bien que ce n’est pas le cas dans la police. Au contraire, le syndicalisme d’extrême droite semble s’acharner à faire taire la moindre critique à l’intérieur de la profession comme dans la cité et jusqu’aux parlementaires comme ce fut le cas avec la manifestation au siège des insoumis après la campagne de presse sur mes mots volés. Alors, l’esprit public est miné de l’intérieur par un délitement qui semble sans fin. En voici encore un exemple des plus cruels.
Dimanche 13 octobre a eu lieu à Villiers-le-Bel un rassemblement en mémoire du jeune Ibrahima B. Ibrahima, originaire de la ville de Sarcelles dans le Val d’Oise, 22 ans, est mort le 6 octobre dans un accident de moto dans le cadre d’un « contrôle de police ». Les manifestants étaient accompagnés par le député Éric Coquerel au nom des Insoumis, seul mouvement politique représenté au Parlement à avoir fait le déplacement. On excusera les absents. En vérité, ils ne devaient pas croire possible ce qui s’est passé. Car dès le début la volonté des responsables de la Police et du Parquet semble avoir été, surtout et avant tout, de cacher les circonstances exactes de la mort d’Ibrahima à sa famille, ses proches et l’opinion publique.
Voyez plutôt. Le soir du décès du jeune homme, la préfecture de police du Val d’Oise publie un communiqué sur l’accident. On y lit une histoire qui s’avèrera être un tissu de mensonges officiels. Un véhicule de police ainsi que plusieurs fonctionnaires étaient installés sur le bord de la route pour effectuer des contrôles. Un motard serait arrivé à une vitesse élevée. Les policiers auraient fait signe pour qu’il ralentisse mais au lieu de ça, le conducteur aurait dévié sur le trottoir et foncé dans un poteau. Malgré les premiers soins prodigués par les policiers présents, il meurt quelques heures plus tard. Responsabilité de la police : zéro. Version officielle : le motard s’est jeté de lui-même sur le poteau pour éviter un contrôle.
Une fois de plus le sentiment d’impunité aura aggravé la faute initiale. Car cette version est rapidement contredite par des témoins de la scène, que ce soient des habitants des immeubles alentour ou un conducteur au volant de sa voiture derrière le jeune Ibrahima. Eux racontent qu’en entendant la moto arriver, les policiers auraient bloqué la route avec leur fourgon. C’est en essayant d’éviter la collision avec le véhicule de police qu’il aurait dévié vers le poteau. Évidemment, ça change tout. Dans cette version, les policiers auraient soupçonné le jeune homme de délit de fuite avant même d’avoir essayé de l’arrêter. Ce préjugé les aurait conduits à mettre en place un dangereux barrage routier provoquant la mort du conducteur de la moto.
Un autre élément tend à montrer une volonté de dénaturer la vérité au détriment de la justice due aux proches de la victime. Le communiqué de la préfecture le soir de la mort d’Ibrahima affirmait que celui-ci conduisait une « moto volée ». Or, c’était un mensonge pur et simple. L’homme était le propriétaire de son véhicule. La preuve en a été apportée depuis par sa famille. Pourquoi cette volonté de salir la réputation d’un mort ? Brouiller l’attention du public ? Ibrahima était titulaire d’un diplôme de technicien bac+2. Il gérait sa vie comme un honnête garçon bien pourvu pour son avenir. Ce n’était pas un voleur de mobylette. D’aucuns ont voulu le faire croire pour atténuer la violence de leurs actes. La lenteur du procureur à lancer les enquêtes est un autre signe. Entre le dimanche et le jeudi, il n’a pas ouvert d’information judiciaire, malgré les demandes répétées de la famille. Le jeudi 10 octobre, il a enfin annoncé le faire mais au dimanche 13 au soir, il n’y avait toujours pas de juge d’instruction nommé. Une nonchalance qui n’est pas neutre. Ce qui signifie concrètement que la famille et son avocat n’ont pas accès aux pièces du dossier : rapport d’autopsie, bandes de la vidéo-surveillance etc.
Cette histoire a peut-être l’air d’un fait divers mais elle ne l’est pas. Il y a mort d’homme. Le droit à la sûreté, garanti par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, exige que les citoyens n’aient pas peur de mourir du fait de l’action de la police, qu’ils s’appellent Steve, Zineb ou Ibrahima. Nous en sommes pourtant là. Quand cela arrive, le devoir de l’État républicain est de traiter avec respect et dignité les proches des victimes qui demandent la vérité. Les enfants des quartiers populaires, comme les jeunes ou les gilets jaunes, ne doivent pas être traité comme des ennemis par la police et la justice républicaines. C’est pourtant ce qui se passe ici encore. Alors à Villiers-le-Bel, à Sarcelles et dans de nombreuses villes, le lien de confiance est rompu parce que les habitants sont traités en ennemis par ces institutions. Ils sont des citoyens français. Ils sont le peuple souverain et ceux qui incarnent les institutions ne doivent pas croire qu’ils le sont à leur place. « Il avait le droit de participer à la construction de la France » disait au rassemblement, dimanche, le grand-frère d’Ibrahima. Quels mots plus dignes et beaux pouvaient-on prononcer ? Ceux qui sont responsables de sa mort devraient les méditer.
Les Français sont d’un tempérament moqueur et insolent. Ils ont donc adoré voir police et médias se vautrer dans l’affaire de l’arrestation du faux Xavier Dupont de Ligonnès. Parce qu’il s’agit des deux autorités les plus imbues d’elles-mêmes dans le moment : les médias et la police. Deux professions qui ne cessent d’encenser leur propre professionnalisme et les droits exorbitant qu’ils se sentent autorisés à s’attribuer à longueur de temps d’antenne, entouré des louanges sans nuance du corps des importants qui les craignent et les encensent sans trêve. À l’Assemblée nationale, pour un oui pour un non, nous voilà tous debout pour les applaudir et malheur à qui reste assis ou n’applaudit pas assez vigoureusement.
Mais après cet épisode ridicule, comme d’habitude il n’y aura pas de responsable, pas de sanction, pas de réflexion. Au contraire, il est probable que nous serons encore longuement appelés à applaudir malgré le ridicule d’un corps capable de se laisser infiltrer dans son service dédié par un de ceux qu’il est censé démasquer dans la société. On va encore nous chanter « le professionnalisme » de ceux capables de rater l’arrestation de quelqu’un à une frontière avant de le faire capturer par d’autres à l’étranger et de s’en congratuler sans aucune précaution. Le chuintement bruyant des langues médiatiques qui leur léchait les bottes s’entend encore. Pourquoi pas ? Ne nous a-t-on pas fait admirer une doctrine d’emploi des « forces de l’ordre » capable d’éborgner 24 personnes, de déchirer 5 mains et de provoquer la mort de 2 personnes comme si ce n’était pas autant de tragiques échecs ?
Dans tous les cas que je viens d’évoquer, ce qui est en cause selon moi, c’est-à-dire l’organisation générale de la police, ses doctrines d’emploi et sa discipline idéologique républicaine. Il va de soi que les répondeurs automatiques de la corporation transformeront tout cela en une « idéologie anti flic ». Pourtant, il existe aussi des policiers que cette situation révulse. Ils n’hésitent pas à nous le dire dès qu’ils sont loin des médias qui balancent et des oreilles de certains de leurs collègues. Il existe encore une chance donc d’interroger les consciences et de provoquer des remises en cause individuelles et collectives. Car ces fonctionnaires aiment leur métier et veulent réussir leur tâche. « Maintenir l’ordre » est une tâche d’abord technique dont les moyens sont toujours subordonnés aux principes qui en justifient l’usage.
L’épisode Dupont de Ligonnès confirme la nécessité d’une révision générale de l’organisation policière dans notre pays. Il s’agira à la fois de réviser les doctrines d’emploi, les armements et équipements, la formation et l’éducation permanente de ce corps. Évidemment il faudra interroger la pertinence de la fusion de la gendarmerie et de la police. De même que doit pouvoir être mise en débat la place d’une garde républicaine largement basée sur la conscription comme le propose « L’Avenir en commun ».
Mais l’épisode interroge aussi le rôle des médias. Bien sûr, il est strictement interdit de faire quelque critique que ce soit. Le corporatisme qui les anime est un multiple de tout ce que l’on connaît de pire dans notre pays dans ce domaine. Leur décadence voyeuriste et vibrionnesque bat sans cesse de nouveaux records. Tout est dit. Laissons cela. Une fois de plus l’opinion aura perçu ce qui se passe et il est inutile d’y ajouter quoi que ce soit. Ce qui peut être souligné, par contre, c’est l’aveu qu’ils ont dû faire dans la circonstance au moment de présenter des excuses. L’AFP, Le Monde, Le Figaro, Libération, BFMTV ou encore Ouest-France se sont abrités sous l’argument risible du « souci de transparence » qui sert de prétexte à n’importe quelle auto-amnistie. Et pour cela ils ont produit un récit sur les raisons pour lesquelles ils ont diffusé le bobard de cette arrestation. Chaque fois la même méthode, le même manifeste de l’irresponsabilité : « ce n’est pas moi, c’est l’autre »
Chaque fois le même aveu : il s’agit d’une collaboration directe avec des fonctionnaires de police ou de justice trahissant leur devoir de confidentialité sur les informations dont ils disposent. Certains ont même révélé l’identité et l’ampleur de ce réseau de bavards en incriminant des sources judiciaires. « Nous avons contacté cinq sources judiciaires françaises, à différentes strates de hiérarchie et autant centrales que régionales. On ne parle pas ici de cinq personnes assises dans un même bureau », a précisé le patron de l’AFP avec un certain mépris pour les gens de bureau, lui qui ne quitte jamais le sien. « Nous avons multiplié les angles de recherche et de confirmation, c’était à un très haut niveau de vérification » a précisé un autre médiacrate de moindre plumage pour donner des marques de sérieux de son travail. Il s’agit là d’« informations » invérifiables. Mais elles contiennent une accusation très grave : magistrats et policiers auraient voulu instrumentaliser les médias en leur transmettant de fausses informations. À moins qu’ils soient incompétents. Ce n’est pas impossible.
Mais les justifications fournies par les médias sont, elles, pleines de leçons. Première leçon : quel genre d’informateurs « à tous les niveaux » ont pu confirmer une information aussi totalement erronée ? Ou bien ils n’existent pas et les médias les citent pour se donner de l’importance, soit il s’agit de manipulateurs qui avaient quelque chose à gagner dans l’opération. Deuxième leçon, si l’information est véridique, il existe donc un réseau de collusion de cette presse à tous les étages de la hiérarchie policière et judiciaire où se nichent des bavards décidément très actifs. Car on apprend aussi que ce n’est pas là une situation exceptionnelle qui serait occasionnée seulement par ce cas particulier extraordinaire. Tout au contraire. « Nous avons été alertés par une de nos sources habituelles qui a fait état d’une avancée importante dans cette affaire », a indiqué à l’AFP M. Albouy du « Parisien »
C’est donc un fait « habituel ». Et ici on découvre que c’est cette « source » qui prend elle-même l’initiative du contact… Un vaste champ de questionnement s’ouvre. Pourquoi cette « source » agit-elle de cette façon si zélée ? Son empressement à prendre soi-même contact est-il gratuit ? Et apparemment ce n’est pas un cas isolé. En lisant « Match », on apprend mieux : « de son côté, l’AFP avait confirmé peu après l’information en se basant au total sur quatre sources policières françaises différentes, avec lesquelles les journalistes ont l’habitude de travailler en confiance. » Quatre sources « habituelles » différentes et un « travail habituel » commun « en confiance ». Ben voyons ! La radio d’État, France Info, a battu des records dans l’aveuglement et la diffusion de fausse nouvelle. Pour se dédouaner, elle fait du zèle dans le style arrogant qui est le sien : « Nous le regrettons vivement et serons à l’avenir encore plus vigilants afin de préserver la qualité de l’information sur nos différents supports et la confiance de nos auditeurs et internautes», a tweeté son directeur Vincent Giret. « Encore plus vigilant » ! Ça ne doit pas être trop difficile. Mais au passage, ce genre d’excuses fonctionne surtout comme une auto-promotion de plus. Après quoi lui aussi a reporté la responsabilité de la situation sur les policiers qui bavardent « habituellement ». Il a en effet déclaré que la radio avait rapporté l’arrestation « sur la foi de plusieurs sources sûres et concordantes au sein de la police et des autorités françaises ».
Naturellement, cela ne changera rien aux habitudes pour l’avenir et le circuit des connivences « police/ justice/ média » continuera de fonctionner. Ce qui n’est pas sans poser problème. Bien sûr, les médias n’ayant aucun contre-pouvoir n’exerceront aucune auto-critique ni changement de méthodes. La police étant directement mise en cause par ces mêmes médias s’inscrira vite aux abonnés absents de « l’attente de l’enquête de l’IGPN » avant le traditionnel « classement sans suite ». Mais, pour la Justice, l’affaire est plus rude à encaisser. La profession est moins désinvolte avec la loi. Le parquet de Nantes aura mis près d’une semaine à réagir mais il l’a fait en ouvrant une enquête sur cette fuite de presse qui ridiculise son travail. C’est donc que de telles enquêtes sont possibles. Si c’est le cas, pourquoi nos plaintes pour les mêmes délits de fuites ne sont-elles jamais suivi d’effet ? Ne rêvons pas. Tout cela n’aura aucune suite. Tous ces gens ont trop d’intérêts de toutes sortes en commun. Tout le monde se tient par la barbichette : pas d’infos venant de la justice pas de buzz médiatique, et pas de buzz médiatique pas de bons points pour l’avancement interne.
En face de ces complicités, quand elle se forment, n’existent aucun contre-pouvoir. La couverture offerte par Nicole Belloubet refusant toute enquête au sujet des fuites dont nous avons eu à souffrir, a donné un signal d’impunité totale dévastateur. C’est la négation de l’État républicain. En tous cas il est impossible de dire si de l’argent est en jeu dans ces échanges de bons procédés parce que personne ne l’a jamais prouvé. Seule Nicole Belloubet a évoqué le thème à propos des magistrats en déclarant que nous aurions mis en cause leur intégrité. Comme ce n’était évidemment pas le cas, nous sommes restés assez perplexes. Pourquoi disait-elle cela ? Des amis magistrats s’en sont inquiété et ils ont attiré mon attention sur ces propos que je n’avais pas vus pour ma part. Mais cela en dit long sur le malaise général qui règne à ce sujet. De nombreux magistrats ne supportent plus cette médiatisation permanente des affaires qui se traitent. Ils ne supportent pas non plus les compétitions auxquelles cela donne lieu. Car c’est maintenant systématique. Le secret de l’instruction est continuellement violé. Et aucune plainte sur le sujet ne donne lieu ensuite à la moindre enquête. Personne n’arrive à croire que ce soit le fait d’un pur goût de « l’information » qui prévaudrait. Mais qui bave autant et aussi impudemment ? Police ? Justice ? Si l’on suit les déclarations des journalistes sur ce dernier épisode on voit qu’ils désignent à chaque fois la police comme responsable de leurs informations de façon « habituelle ». Doit-on les croire pour autant ?
En tous cas, le viol de la loi et des droits des personnes concernées n’a pas l’air de perturber tous les maillons de cette chaîne de l’abus de pouvoir. Pourtant, la dangerosité de leurs basses besognes devrait interroger. Par exemple, quand on lit dans la presse des commentaires sur le procès-verbal d’audition de la veuve de l’assassin de la Préfecture de police à Paris. On est là sur des dossiers très chauds qui mettent en cause des réseaux de gens très violents et très pervers, tout à fait capable d’infiltrer un service de police et donc capables aussi d’utiliser à leur profit des informations issues de ce type d’audition. Souhaitons que la veuve de l’assassin n’ait rien dit qui les dérange. En tous cas elle sait que ses déclarations se sont retrouvées dans la presse. Cela ne doit pas beaucoup stimuler sa coopération. Bravo les journalistes ! Là encore il n’y aura aucune enquête, ni aucune suite après une aussi incroyable mise en danger d’autrui. Encore un exemple qui montre la nécessité d’une remise à plat des fonctionnements. Ici il s’agira de se donner les moyens de faire respecter la loi et la sécurité de tous en réprimant les bavardages gratuits ou intéressés. La tâche sera ample pour rétablir l’ordre et la loi dans les rangs des fonctionnaires qui devraient en être les premiers défenseurs.
Aux étages intermédiaires des médias, juste au-dessus des petites mains en stages ou en CDD, les rubricards subissent d’interminables sur-place de carrière, méprisés par l’étage du dessus et par le voisin d’à côté qui guette le passage du même ascenseur. L’effondrement intellectuel est la règle au profit d’un journalisme de provocation pompe à clic destiné à se faire bien voir des chefferies. On sait de quel prix nous le payons. Mais nous ne sommes pas les seuls. Rencontrer un journaliste, participer à un plateau c’est le plus souvent s’exposer à des commentaires fielleux des traquenards ou des rixes destructrices. Ce genre de numéro a ses fondamentaux : les provocations corporatives ou les provocations de contrepied. Certes personne ou presque ne regarde ni ne lit. Les audimats et les chiffres de vente en témoignent. Car tout le monde sait à quoi s’en tenir. Mais alors pour les soutiers de l’info, plus que jamais, seul compte le buzz qu’il leur est possible de déclencher pour les faire remarquer.
De Paris vers les régions ruisselle alors une médiocrité sans borne. Sophia Chikirou présente un film sur « le Lawfare et le cas Mélenchon » ? Le rubricard du « Monde » n’aura qu’une question à poser publiquement après la projection : pourquoi n’a-t-on pas invité Pauline Graulle, la consoeur rubricarde de Médiapart ? Provocation corpo. Son papier quant à lui sera une simple reprise des éléments de langage de LREM. Provocation de contrepied. Quant à savoir de quoi traite le film, qui y parle et quels arguments y sont présentés ce ne sera pas son sujet.
Autre exemple. Je vais à Belfort, comme en juin dernier, participer à la marche pour défendre le site de l’usine Alstom. Je commets l’erreur d’accepter une interview à la radio gouvernementale France Bleu. Son intervieweur se place aussitôt au niveau de la presse parisienne : « est-ce que la CGT ne menace pas de tout faire échouer en refusant de signer l’accord proposé par l’entreprise ? », « cette manifestation samedi n’est-ce pas un dernier baroud d’honneur ». Avant de me demander si j’ai fait quelque chose pour ce dossier sur un ton qui laisse comprendre le contraire alors même que le midi de ce même jour la FI participait à la conférence de presse transpartisane sur le sujet à l’Assemblée nationale. Et, pour conclure, la radio d’État régionale diffuse un son de deux membres du FN présentés comme ouvriers du site qui disent ne pas vouloir que je sois présent à la manifestation. Évidemment, il s’agissait d’une incitation à provoquer des incidents sur le mode de la diffusion du mot volé « barbare » au niveau national. Il n’en fut rien. Radio France Bleu ne parvient pas à mobiliser ses amis du Front National. Sur place, je fus applaudi et remercié par tous ceux qui me reconnaissaient dans la rue. Copinage corpo et larbinage des patrons, les deux mamelles du journalisme de provocation, ratent souvent leurs objectifs.
Comment s’étonner que cela se finisse dans des opérations aussi lamentables que le scoop de l’arrestation du faux Dupont de Ligonnès ? Ou dans le naufrage de l’audimat de France 2 pour l’habituelle « émission politique » rebaptisée tous les ans. Douce aux puissants du moment et destructrice pour les autres, la séquence coule. Deux heures de plateau, des millions de dépenses, des dizaines de gens mobilisés pour une audience inférieure à celle de ma chaine YouTube et de ma page Facebook pour mon discours sur l’immigration. Et un nombre de 18/34 ans touchés moins grand que ma plus mauvaise audience de « Revue de la semaine ». Ce sont là des indicateurs dont la signification dépasse le moment. Plus personne ne croit dans tout ce système, ses connivences, ses manipulations et son culte du « journaliste vedette » prêt à tout pour garder ses 30 000 euros de salaire mensuel.
Le ruissèlement de la médiocrité et de l’infamie semble lui aussi imparable. Voyons encore un exemple. Edwy Plenel a établi qu’une personnalité publique n’avait pas droit a une vie privée. Il est donc possible à n’importe quel journaliste de cette école d’en inventer une au sujet de qui leur chante dès lors qu’il affirme « révéler » quelque chose de cette vie privée. Même si ce sont de purs mensonges. Inutile de porter plainte, les juges suivent la doctrine Plenel. On verra s’ils seront aussi fiers à bras le jour où il s’agira d’un juge ou d’un journaliste dont un politique mettra en cause la vie privée pour expliquer ses choix.
Pourtant, on comprend que cela pourrait avoir du sens. Par exemple quand la journaliste compagne de Yannick Jadot a fait son coming out sur lequel Edwy Plenel n’a jamais rien eu à dire, il y avait déjà des semaines qu’elle pourfendait à longueur d’antenne « la France insoumise » pendant la campagne électorale. D’autres cas pourraient se déduire de la doctrine Plenel si l’on découvrait des liens entre des journalistes de diverses rédactions dont les arguments et lignes politiques seraient par ailleurs les mêmes. Mais ce n’est pas le pire. Tout cela reste confiné au petit monde médiatico-judiciaire et policier parisien. Mais le ruissellement sur les médias monopolistes en Région donne des résultats encore plus écœurants que dans le petit royaume de l’euphémisme parisien.
Ainsi dans l’est de la France, quand est attribué à une militante de telle région une liaison avec moi pour aggraver son cas au moment de sa condamnation dans le cadre de la répression des gilets jaunes. En effet, dès qu’il s’agit de femmes, la mysoginie corporative des journalistes n’est pas moindre que dans le reste de la société. On a même connu des cas montrant qu’elle peut en épouser les formes les plus vulgaires. Dans ce cas précis, le « journaliste » avait inventé par surcroit que j’aurais offert à l’intéressée… un appartement. Tout est absolument inventé. On imagine les rires gras et les plaisanteries dans la rédaction au moment de la diffusion de cette « info » !
Mais l’énormité n’arrête pas ce type de rubricard voyou. Il sait qu’il restera impuni. Car il est naturellement impossible de se défendre dans un tel cas. Justice, police, médias sont une seule et même chapelle unie par les liens de la consanguinité sociale locale. Faire des procès ? C’est ruineux et sans espoir. Au contraire, cela sera une occasion de plus de se voir encore salis dans une colonne ou l’autre. Ainsi quand il est dit que l’une ou l’autre d’entre nous est « soupçonné de détournement de fond public » alors qu’aucun d’entre nous n’est mis en examen sur quoi que ce soit.
L’affaire Dupont de Ligonnès n’est pas un bug. C’est une remontée de l’égoût qu’est le système de manipulation commune et d’impunité mutuellement garantie entre trois secteurs clefs de la vie démocratique d’un pays. Pour moi, plus rien ne peut tirer un tel système du néant où il plonge du fait des mécanismes qui le mettent en mouvement. Rien, sinon l’effet purificateur d’une révolution citoyenne comme il s’en déclenche partout dans le monde et qui réorganise de fond en comble les mécanismes du pouvoir dans la société. Une révolution citoyenne qui ôte pouvoir des mains des castes pour le rendre à la société tout entière et aux citoyens.