Au moment où je commence ces lignes, je ne peux oublier ce que disaient les Verts quand je protestais contre le statut de travailleurs détachés. Drapés dans les grands principes, d’éminents porte-paroles m’accusèrent de xénophobie et d’autres tares pires encore que je répugne à rappeler. Depuis, le statut des travailleurs détachés n’est plus soutenu avec le même enthousiasme. Mais l’évolution des Verts en Europe prend une pente souvent stupéfiante. On connaissait le modèle forgé par les Verts allemands. Ils gouvernent actuellement trois Landers dans des coalitions avec la CDU/CSU : le Schleswig-Holstein, le Bade-Wurtemberg et le Hesse. Le parti Vert allemand est le fer de lance d’une ligne de comptabilité avec le néolibéralisme. La ligne Jadot en est l’écho en France.
Cet alignement est compatible avec les versions les plus autoritaires qui a ses défenseurs partout en Europe. Mais c’est la première fois que l’on voit cette ligne accéder à un gouvernement national. Un évènement et un symbole. Car l’année 2020 commence en Europe par la formation d’une coalition de gouvernement en Autriche entre les Verts et le parti conservateur (OVP) de Sebastian Kurz. Cette alliance ancre le parti vert autrichien très à droite. Il fait tomber une digue. En effet, le précédent partenaire de coalition de Kurz était le parti d’extrême-droite FPÖ, créé après la seconde guerre mondiale par des nazis. En tant que chancelier et dirigeant de la droite autrichienne il a fait faire à sa famille idéologique le même chemin que Orban en Hongrie. Lors de la précédente mandature, il a notamment mis en place un système de préférence nationale, réduit les droits des demandeurs d’asile et multiplié les expulsions. Sur le plan social, il est aussi l’inventeur de la journée de 12 heures de travail et de la semaine de 60 heures.
Ce serait du passé ? Voyons donc le contenu de l’accord de gouvernement signé par les Verts autrichiens. Sur le plan des droits humains, il est désastreux. Il prévoit de nouvelles mesures de stigmatisation des musulmans. Les Verts ont aussi cédé sur le projet de Sebastian Kurz d’instaurer une détention préventive pour les demandeurs d’asile, qui pourront donc être enfermé sans même être suspectés d’avoir commis un crime ou un délit – et encore moins en ayant été jugés. Le programme de gouvernement comporte aussi de nouvelles réductions des aides sociales pour les étrangers.
On pensait que la défense des libertés publiques et une forme d’anti-autoritarisme étaient contenus dans l’ADN politique des verts européens. On découvre que ça n’est plus le cas. C’est une chose. La priorité écologique est-elle mieux traitée ? Les Verts autrichiens se vantent d’avoir obtenu le portefeuille du ministère de l’environnement, l’objectif de neutralité carbone d’ici 2040 et un déploiement ambitieux d’énergies renouvelables. Mais le cadre économique et financier auquel ils ont souscrit en même temps interdit de prendre aux sérieux ces engagements. Car l’OVP reste l’un des partis les plus libéral économiquement du continent.
Ainsi, sur le plan budgétaire, l’accord prévoit qu’il ne peut jamais y avoir de déficit « quelles que soient les conditions conjoncturelles ». Quant aux excédents ils devront être utilisés pour réduire la dette publique et la faire passer en dessous de 60% du PIB, exigé par les traités européens. Impossible, dans ce cadre, de faire le plan d’investissements publics pour l’isolation thermique des logements ou le développement des transports en commun indispensable pour respecter l’objectif de neutralité carbone. Impossible également d’envisager le moindre soutien de l’Etat pour développer la filière des énergies renouvelables.
D’autant plus qu’en même temps, les cadeaux pour les actionnaires et les riches vont pleuvoir : baisse de l’impôt sur les sociétés, baisse de l’impôt sur le revenu et baisse de la taxe sur les revenus du capital. C’est ça la priorité budgétaire du gouvernement autrichien, et pas l’écologie. Le texte programmatique signé par les Verts autrichiens compte en fait sur une financiarisation accrue pour réaliser la conversion écologique de l’économie. La règlementation des produits financiers va être allégée lorsqu’ils contiennent des investissements dans les énergies renouvelables. C’est très dangereux cela met les investissements dans les énergies renouvelables à la merci du prochain krach financier.
Au final, c’est bien la vision de l’écologie libérale qui triomphe en Autriche. Elle compte sur le marché pour transformer la société dans un sens compatible avec l’intérêt général humain. Elle se fourvoie sur la trajectoire du capitalisme financiarisé de notre époque. Son intérêt est divergent avec l’intérêt général. Ses exigences de rentabilité à très court terme sont strictement incompatibles avec la baisse des émissions de gaz à effet de serre, la sortie du libre-échange, le passage à une agriculture biologique, etc. Et les niveaux d’inégalités qu’il créé ne permettent pas la cohésion nécessaire des sociétés pour affronter les conséquences du réchauffement climatique. La seule écologie qui vaille est l’écologie populaire appuyée sur l’anticapitalisme et les politiques sociales d’entraide. Je ne conclurai pas sans rappeler comment la morale politique a pris un étrange chemin en Europe. Dans les années 2000 déjà les Autrichiens de droite avaient choisi de faire un gouvernement commun avec l’extrême droite. Ce fut un tollé. Aujourd’hui n’importe qui peut s’allier avec n’importe qui sans problème dans la « goche » officielle.