La mode dans quelques cénacles parisiens est de renvoyer dos à dos LREM et LFI à propos du blocage de la loi retraite à l’Assemblée nationale. En gros : les uns ont tort de sortir le 49/3 les autres « l’ont bien cherché ». Ce nouveau refrain de presse succède aux mensonges de la semaine dernière sur les 700 000 sous-amendements que nous aurions déposés. Une invention pure et simple. Elle a disparu provisoirement des écrans sans que les propagateurs du mensonge se soient excusés auprès de leurs lecteurs. Sans doute parce qu’ils pensent que cela peut encore servir.
Vu de plus près la situation n’a rien d’anormal. Le rythme n’est pas si lent que le disent nos adversaires. Mais leur rêve serait que l’opposition cesse de s’opposer. Nouveauté : les députés de la majorité répètent en boucle les mêmes refrains et pour mieux dire les mêmes pleurnicheries contre les oppositions. Ce qui prend du temps pour rien… Paradoxe, on finirait par pouvoir les accuser eux d’obstruction !
Ces heures dans l’ambiance hors sol de l’hémicycle de l’Assemblée nationale ont une étrange texture. Comme il s’agit d’enchainer les tours de paroles, on attend son tour en observant les autres. Les marcheurs sont déchainés. Pour un oui pour un non ils se mettent tous à hurler. On entend distinctement les injures. Pourtant il y a là un concentré de la bonne société sure de soi et satisfaite d’elle-même. Le vernis des bonnes manières a éclaté. C’est que l’obligation où ils se trouvent d’être là des heures durant sans être autorisés à intervenir les place sous une pression intérieure terrible. La vapeur sort en sifflet.
On a compris qu’ils vont dégainer le 49.3 dans la semaine qui vient. Ils préfèrent cette sortie qui les débarrasse pensent-ils. L’échec de leurs deux plans de diversion dans la semaine avec l’épisode « laïcité » et Mont Blanc ne les a pas guéris. Ils pensent toujours qu’ils vont se tirer d’affaire par de la communication de diversion. Comme si des millions de gens pouvaient oublier qu’il s’agit du sort de dix ou vingt années de leurs vies !
Si leur soucis c’était bien « le débaaaat » comme ils s’en gargarisent à tous propos selon les consignes qui leur ont été données, ils auraient pu agir autrement. Par exemple en décidant de lever la limite de temps qu’ils ont fixé. Car de c’est de cette limite que tout est parti. D’une certaine manière peut-être serions nous enfermés à notre tour dans une durée ingérable par notre petit effectif.
En réalité il est bien possible qu’ils aient combiné cette issue depuis le début. Car les marcheurs avaient la possibilité d’imposer un « temps programmé ». Cette disposition du règlement de l’assemblée fixe un temps total au débat. Mais pour qu’elle puisse être possible il fallait le décider en temps et en heure, dans le délai prévu. Mais Macron a pensé passer en force. Il a sous-estimé la capacité de résistance des oppositions comme il a sous- estimé celle des salariés avant cela.
Nous avons vu l’ambiance tourner à la préparation des esprits pour le 49.3 quand a commencé la rumeur du dépôt de 700 000 sous-amendements. Elle a été inventée par un membre de la majorité de l’aveu même du journaliste de CNews qui l’a mise en circulation. Elle a aussitôt été reprise dans la version imprimée du journal « Le Parisien », cela sous la plume de Jannick Halimi une des figures les plus brillantes de la presse parisienne où elle est beaucoup imitée. Cette personne affiche un style journalistique nouveau : la « création d’information » qui lui paraisse piquante. C’est la deuxième fois que nous surprenons ce grand esprit dans cet exercice : inventer une information parce qu’elle lui parait vendeuse.
Il va de soi que nous ne sommes pas les seuls à bénéficier de son talent créateur. La précédente fois elle avait recopié des citations de Éric Coquerel et Clémentine Autain a propos de Macron en les attribuant à la critique de Maduro (« Vénézuélaaaaa ») pour inventer et commenter une « nuance » avec moi. Une demi page de journal sur ce bobard ! Quatre lignes de rectification trois jours après. Aucune sanction, aucun regret. Dès lors, pourquoi se gêner ? Pourquoi 700 000 ? Pourquoi pas un million ?
Le plus écœurant est leur façon d’attribuer « l’aveu » à Clémentine Autain. Une invention pure et simple. Il faudra je ne sais combien de démentis et de démonstrations pour que l’info disparaisse. Sans un mot d’excuse ni un rectificatif. Tel est le journalisme de « création de l’information ». Ce bobard ressortira évidemment dès que le 49.3 sera décidé. Car tel est le but de l’opération.
Pour le quotidien et la journaliste macronistes, il est important de préparer le terrain psychologique pour justifier le coup de force qu’est un 49.3. La seconde partie de la manœuvre pourra se déclencher. « S’il y a 49.3 c’est de la faute de l’opposition ». On peut compter sur le chenil macroniste pour aboyer le message en cadence. « Vous l’avez bien cherché » en quelque sorte.
Cette brutalité de type « grenade de désencerclement » dans l’hémicycle est aussi un détournement de procédure. Car le 49.3 est un instrument qui a une autre vocation. C’est le moyen pour un gouvernement de mettre sa majorité au pied du mur quand celle-ci conteste un texte gouvernemental en l’amendant. Alors la loi est considérée comme adoptée si la majorité s’interdit d’aller jusqu’à adopter une motion de censure.
La cohérence est la suivante dans ce cas : comme la majorité peut défaire ou transformer le contenu d’une loi puisqu’elle est la majorité, le gouvernement engage sa responsabilité sur le texte. Le 49.3 n’est donc pas fait pour bloquer le droit d’amendement de la minorité mais pour contraindre celui de la majorité. Une fois de plus on voit comment la pratique de la monarchie présidentielle par Emmanuel Macron en aggrave les traits les plus autoritaires. Mais qui en doute a l’étape actuelle ?
Bernie Sanders gagne très haut la main la primaire du Nevada. Je fais mienne la conclusion qu’il en tire. Je veux dire que je crois comme lui que l’unité sociale autour des revendications de la vie de tous est la base de l’unité d’une Nation libre :
«Cette campagne a pour but de nous faire comprendre que si l’on ne se laisse pas diviser en fonction de la couleur de notre peau, de l’endroit où l’on est né, de notre religion, de notre orientation sexuelle, que si nous nous unissons pour les ouvriers et la classe moyenne, la justice, la compassion (…), nous battrons Trump et nous transformerons ce pays pour créer un gouvernement et une économie qui fonctionnent pour tous».
La bonne société de la première puissance mondiale est vent debout. En effet, si Sanders l’emporte, le cours de l’Histoire actuel peut changer de direction. Le monde pourrait alors appartenir à ceux qui le peuplent plutôt qu’à la minorité cupide qui se l’est approprié. Faisons nôtre aussi la leçon de courage et de constance de nos amis aux USA. Ne lâchons rien de nos objectifs et de notre radicalité concrète. C’est elle qui convainc aux USA les milliers de braves gens excédés par l’arrogance des sociaux ultra-libéraux et multi-millionnaires à la sauce Clinton et compagnie.
Ces gens-là commencèrent leur sale besogne de dissolution de la social-démocratie dans le blairisme puis dans ses succédanés européens, les Papandréou, Gerhard Schröder et, avant eux tous en France, dès 1983, François Hollande. Tous détruisirent non seulement leur propre parti mais surtout cette part de la conscience populaire qui se référait à leur parti et qu’ils infectèrent et disqualifièrent méthodiquement. Le cycle de l’Histoire est en train de s’inverser. C’est cela que signifient les victoires de Sanders. La question sociale est de retour dans le monde. Sa coïncidence avec celle de la destruction des biens communs fournit un cadre idéologique global en complète rupture avec les références des 20 dernières années. C’est ce que la cause de la révolution citoyenne doit capter.
Le salon de l’agriculture se tient à Paris du 22 février au 1er mars. Je ne souscris pas au modèle productiviste qui y est majoritairement présenté, même si je sais que des paysans bio s’y rendent aussi. Les représentants de l’agriculture chimique vont profiter de cette occasion pour refuser bruyamment toute réduction des pesticides. Pourquoi se gêneraient-ils : ça marche. À Noël, Macron et son gouvernement ont tranché pour des zones tampons de protection des habitations de l’épandage des pesticides. On peine a croire que ce ne soit pas un gag ! Il s’agit d’une zone de…. trois mètres. Et cette semaine, Macron a confirmé qu’il avait tout simplement renoncé à l’interdiction du glyphosate quoique cancérigène : « pas tenable », selon lui. On se souvient des numéros des députés LREM avec des trémolos dans la voix quand ils nous chantaient les mérites de leur politique « sans précédent » sur le sujet. Mais le salon pourrait aussi être l’occasion de parler de la condition sociale des paysans. Et de le faire sans les habituelles pleurnicheries surjouées qui se moquent de la détresse réelle de centaines de milliers de paysans !
Car leur exemple revient souvent dans la bouche des défenseurs de la réforme des retraites. D’après la propagande, les agriculteurs en seraient les grands gagnants – comme les femmes. Le minimum de retraite à 1000 euros par mois est censé leur profiter à plein. Il est vrai que la retraite actuelle des paysans est inférieure de 150 euros au seuil de pauvreté. Mais disons d’abord que ça ne devrait pas être le cas. Le minimum de pension à 85% du smic pour une carrière complète a été voté dans la loi en 2003. Mais jamais appliqué.
En vérité, bien peu de paysans verront la couleur de ces 1000 euros. Tous ceux qui ont des carrières hachées ne l’auront pas. C’est le cas de nombreux agriculteurs qui doivent s’interrompre après des accidents du travail, ou simplement l’usure du corps. Les conjoints sont aussi exclus de ce nouveau droit. La confédération paysanne a calculé que ces deux barrières excluaient de fait 40% du monde agricole qui continueront à toucher des pensions de retraite en dessous du seuil de pauvreté.
Mais surtout, le 11 février dernier, Macron a dit clairement que les retraités actuels de l’agriculture ne bénéficieront d’aucune revalorisation de leurs retraites de misère : « il ne faut pas se leurrer, on ne pourra pas aller à 1000 euros pour tous ». Évidemment, tous ceux qui, comme nous, s’intéressent de prêt à cette réforme avaient déjà bien compris ce point. Mais les paysans ont bien été enfumés. Car Macron a été bien aidé par le syndicat représentant la branche productiviste de l’agriculture française, la FNSEA. Celui-ci a commencé par dire haut et fort son soutien au système de retraite par points.
Il a donc largement pu relayer l’intox. C’est moins le cas depuis que Macron lui-même a vendu le pot aux roses. Les 1,3 millions de retraités agricoles commencent à comprendre que le régime leur a menti. D’autant plus que la FNSEA est affaiblie depuis les révélations sur les salaires mirobolants de ses dirigeants. Le directeur général gagne 13 000 euros par mois. C’est-à-dire plus qu’un ministre mais surtout tellement plus que la moyenne des paysans. 20% des chefs d’exploitation déclarent un revenu nul ou négatif pour leur entreprise. Tous les deux jours, l’un d’entre eux se suicide de pauvreté.
Les petites retraites des paysans sont avant tout dues à ces très faibles revenus pendant leur vie active. Et là encore, Macron porte sa part de responsabilité. Il continue dans la voie d’un libéralisme dogmatique appliqué à l’agriculture. La crise sociale dans l’agriculture est par exemple due au libre-échange. La multiplication des accords d’ouverture des frontières aux denrées alimentaires sans prendre en considération la façon dont ils ont été produits sur le plan social ou environnemental introduit une concurrence déloyale. Une concurrence accentuée par le CETA. Macron l’a accepté sans ciller. Depuis, les canadiens peuvent importer en Europe des produits agricoles sur lesquels ils ont utilisés 42 pesticides que nous interdisons.
Le revenu des agriculteurs est aussi tiré à la baisse par la financiarisation de leur activité. Le prix auquel un paysan vend finalement sa récolte correspond à des échanges spéculatifs dans la bulle financière. Depuis les années 2000, les échanges sur le marché des dérivés financiers agricoles a été multiplié par 16. Au final, dans les bourses mondiales, seuls 2% des échanges de titres agricoles correspondent à un mouvement réel d’une récolte quelque part dans le monde. La conséquence est une grande instabilité des cours agricoles, et la baisse des revenus paysans.
Pour restaurer un revenu digne pour les agriculteurs, il faut définanciariser. Nous pouvons le faire par l’intervention de l’État. C’est ce que les insoumis avaient proposé à l’Assemblée nationale lors de l’examen de la loi sur l’agriculture et l’alimentation : des prix planchers décidés soit par la négociation, soit par l’Ètat. Ainsi, les revenus des agriculteurs ne seraient plus déterminés par les marchés financiers et les multinationales de la grande distribution. Macron a balayé tout ça et voté une loi inutile.
La clé c’est le retour de l’État. C’est grâce à son implication et à sa capacité à planifier et réguler que la France est devenue autosuffisante pour son alimentation. C’est aussi par lui que nous pourrons passer à un autre modèle agricole, respectueux de la santé des hommes, des animaux et des sols. On ne fera pas cette révolution en maltraitant les paysans. Et surtout pas, en leur mentant par-dessus le marché, comme le fait Emmanuel Macron.