À présent nous vivons dans l’onde de choc du 49.3 déposé pour faire sortir le texte de la loi ordinaire sur les retraites du bourbier de l’Assemblée nationale où les députés LREM se ridiculisaient par leur ignorance du contenu du texte et leur exaspération personnelle contre les oppositions. Les prochains jours nous dirons où nous en sommes. Mais il devient évident que la séquence politique intègre dorénavant pleinement le scrutin municipal. Par exemple, si Edouard Phillipe est battu au Havre on peut espérer que le texte de la réforme des retraites sera retiré en même temps que le gouvernement changera.
Depuis le dépôt du 49.3, le gouvernement multiplie à nouveau les effets de propagande pour atténuer la violence du choc qu’il a imposé à l’opinion démocratique du pays. Hélas, ses bobards sont trop amplement relayés. De fait, une des choses les plus lamentables que nous ayons dû affronter ces temps derniers c’est la façon avec laquelle sont répandus sans vérification les éléments de langage du régime. Ce n’est pas un complot mais un manque total de professionnalisme parmi les colporteurs d’informations. Personne ne vérifie rien. On a connu les « 700 000 sous-amendements » de LFI qui n’existaient pas mais que « Le Parisien » et quelques autres ont colporté sans vergogne. Mais là, les porte-plumes du régime savaient que c’était une invention. Je dois admettre que cela modifie mon appréciation sur l’usage du mot « désinformation » que je désapprouvais jusque-là. Il supposait une volonté active de faire croire sciemment à des mensonges délibérés. Je n’y croyais pas. Pour moi il s’agissait la plupart du temps de l’expression d’un parti-pris idéologique. Mais dans le cas de ces « 700 000 sous amendements » il y avait bien la volonté délibérée de faire croire des choses qui n’existaient pas. Car l’auteure, Jannick Halimi, et la direction de la rédaction du « Parisien » savaient parfaitement bien à quoi s’en tenir.
La vague actuelle des arguments du régime est colportée avec le même zèle. Pour autant, je ne crois pas que ce soit de la « désinformation » qui supposerait un choix actif. Je pense qu’il s’agit plus simplement de paresse combinée à de l’ignorance. Je parle ici par exemple de l’antienne sur « l’abus d’amendements », cette ritournelle des commentateurs. Non seulement il y en a eu moins que sur d’autres textes dans le passé mais en réalité leur nombre doit être divisé par 17 concernant ceux déposés par les Insoumis. En effet, au contraire de la commission spéciale, les amendements identiques ne sont défendus qu’une seule fois dans la séance pleinière de l’hémicycle. Et une seule réponse au ministre et au rapporteur est possible. Il suffit de suivre la séance une heure et on le sait. Même ça, ce fut trop. Quant à l’abus de temps de parole il suffit de consulter les statistiques des séances de l’Assemblée pour savoir à quoi s’en tenir vraiment. Mais ça aussi c’était encore trop de travail. Je reprends donc à mon compte les calculs faits par l’euro député Insoumis Manuel Bompard.
L’examen du texte a déjà duré trop longtemps ?
Voyons cela. Le 49.3 intervient après un débat de 117 heures réparti sur 13 jours. C’est très loin d’être un record, loin d’être excessif. C’est moins que les 157 heures qui avait été consacrées à la réforme des retraites de 2003 dont l’examen avait duré 19 jours. C’est bien moins que les 20 jours qui avaient été nécessaires pour l’examen de la loi sur la presse de 1984 (167 heures de débat). C’est inférieur encore aux 142 heures passées sur l’examen de la loi de 2014 sur l’assurance maladie, aux 121 heures de débat sur le projet de loi relatif au secteur de l’énergie de 2006 et à peu près équivalent au temps nécessaire pour discuter de la loi Macron de 2015 (111 heures de débat). Bref, c’est une durée tout à fait raisonnable pour un texte qui se propose de révolutionner tout le système de retraites de plusieurs millions de salariés. Un enjeu qui porte sur un montant de 300 milliards à peu près équivalent au budget de l’État. Un projet qui va impacter l’ensemble des Français pendant en moyenne un quart de leur durée totale de vie.
La parole était confisquée par la France insoumise ?
Nous aurions monopolisé la parole. Après mes deux premières minutes d’intervention en pleinière, j’en fus accusé. Je fus même traité « d’apprenti dictateur ». Voyons les faits réels. Les débats auront donc duré 117 heures. Sur ces 117 heures, les députés de la France insoumise auront parlé, selon les comptages officiels, pendant une durée totale de 15 heures et 54 minutes. Cela représente environ 13% du temps de parole total. Les députés communistes auront parlé pratiquement le même temps (15h07) tandis que les députés de la droite se seront exprimés pendant 12h15. On est bien loin de la confiscation du débat par les insoumis.
Le nombre d’amendements était insurmontable ?
Au moment de la prise de parole du Premier ministre, les députés en avaient examiné 6181, soit presque 20% du total. Mais il faut noter que l’examen du premier article a pris un temps considérable, en raison de la volonté délibérée du président de l’Assemblée Nationale, Richard Ferrand. En effet celui-ci a décidé de faire annuler 1184 amendements pourtant déposés dans les règles. Pour empêcher cette manœuvre, les députés communistes ont pratiqué l’utilisation de sous-amendements suivis par les autres oppositions. Nous avons obtenu gain de cause puisque Richard Ferrand a été contraint de renoncer. Dès lors, c’est exactement une semaine de débat qui a été perdue de sa faute. Depuis, la discussion avançait à une vitesse raisonnable et rien n’empêchait l’examen du texte d’aller à son terme quitte à enjamber les municipales.
Le 49.3, c’était l’objectif des insoumis ?
Autre registre d’arguments gouvernementaux : le 49.3 serait le résultat du plan et de la volonté délibérée des Insoumis. Leur projet serait de « faire tomber le gouvernement dans le piège » de la brutalité. C’est l’argument du « ils l’ont bien cherché » dont je ne rappellerai pas dans quels cas lamentables il est souvent utilisé. Rendre la victime responsable de son malheur est la meilleure façon de blanchir les coupables. Personne ne se risque à se demander où serait notre intérêt à l’interruption du débat quand il est clair au contraire pourtant que plus le débat durait plus il était visible que c’était bien là le plus puissant moyen de conscientisation dont nous disposons. J’ai lu que ce serait l’occasion pour nous de « dénoncer la brutalité du gouvernement ». Qui peut croire que nous avons besoin du 49.3 pour le faire ? Nous n’avons pas cessé un jour de le faire !
La réforme des retraites est adoptée ?
On en est loin ! En effet, le 49.3 ne peut être utilisé qu’une seule fois par session parlementaire. Et a une seule des deux lois déposées sur le thème. La loi ordinaire ira donc au Sénat. Là-bas, aucun 49.3 n’est possible. Des lors, même si les motions de censure déposées à l’Assemblée nationale ne recueillent pas une majorité, il faudra ensuite que le texte soit voté au Sénat puis à nouveau par l’Assemblée Nationale si le Sénat l’a modifié. Et c’est ce qu’il fera. La bataille parlementaire va donc se poursuivre. Pour être remportée, elle devra trouver le renfort d’une nouvelle mobilisation populaire d’ampleur qui rend visible l’opposition majoritaire du peuple à cette réforme. Mais elle pourra aussi s’appuyer sur le verdict des élections municipales. Et il s’annonce comme une défaite inédite pour le parti au pouvoir. Si c’est le cas au Havre, on peut dire que la motion de censure électorale sera claire.
Bien sûr en voyant les députés LREM s’énerver et nous provoquer dans l’hémicycle on comprenait qu’ils voulaient une ambiance pour préparer les esprits. Mais on voyait aussi que le désaccord existait dans leurs rangs. Certains nous faisaient des confidences sur le sujet. On décida de continuer notre travail sans forcer. On a donc adapté notre comportement. Pas de répliques, pas de montée en conflits. On a vu cependant que la fraction dure de LREM était prête à aller loin. Le marquage dont nous avons fait l’objet dans l’hémicycle et la montée de la grossièreté de ces trois derniers jours étaient suffocants. Et on trouvait dans les médias des déclarations inquiétantes. Le point faible des marcheurs est qu’ils lisent des éléments de langage. Souvent deux ou trois d’entre eux débitent au mot près les mêmes formules. Loin d’être des habitudes de militants, puisqu’ils ne le sont pas et n’ont souvent aucune culture politique, ces éléments une fois repérés permettent de deviner ce qui se trame. Ici les indices étaient d’abord dans cet article du Monde en date du 26 février. « “L’idée est de dépasser le record d’heures passées dans l’Hémicycle avant de constater l’impossibilité d’adopter le texte sans 49.3”, explique l’un de ses collègues. »
Puis ce fut un mot pour mot dans la déclaration du président du groupe LREM, Legendre, le 27 février à France Inter : « “En début de semaine prochaine, nous battrons le record de durée d’un débat parlementaire pendant la Ve République. Jamais nous n’aurons siégé autant. À l’heure où nous nous parlons deux articles ont été voté. Il en reste 63″, a-t-il indiqué. »
Autant de grossiers mensonges, c’est certain, mais c’est leur répétition qui nous alertait. Vers 13 heures le samedi ce fut le président du groupe Modem qui invitait le gouvernement à « prendre ses responsabilités ». À 17h30 Edouard Philippe arrivait à l’Assemblée. Le 49.3 était déposé. Mais on ne réalisa pas de suite le clou de la situation.
Dès dimanche j’ai publié une note rapide pour alerter. Le gouvernement invoque l’article 49.3 sur un texte que les parlementaires n’ont jamais eu à disposition. En effet, ce n’est pas le même texte que celui dont il a interrompu la lecture par son coup de force. 181 amendements le modifient. Il demande donc à l’Assemblée nationale d’adopter sans vote un texte que les députés n’ont jamais vu. Un parlementaire qui se respecte ne devrait pas accepter un tel procédé.
Non content de ce bras d’honneur à la représentation nationale, le régime l’utilise de surcroît pour nourrir sa propagande. L’intégration d’amendements à son texte serait la preuve de son ouverture, de son écoute et de sa disponibilité au débat. Les modifications apporteraient « des amélioration substantielles » pour « prendre en compte la pénibilité, lisser les transitions, ou améliorer l’emploi des séniors ». Prendre le Parlement pour son paillasson devient alors un « acte d’apaisement ». C’est la novlangue habituelle qui accompagne l’autoritarisme du pouvoir Macroniste.
Car, bien sûr, il n’y a aucune amélioration. Au contraire, les éléments ajoutés à la loi auraient provoqué de notre part de vifs débats dans l’hémicycle s’ils avaient été là depuis le début. Commençons par dissiper la fable selon laquelle le pouvoir aurait pris en compte des amendements des députés de l’opposition. « De tous les groupes sauf de la France insoumise » précise Laurent Pietraszewski dans « Les Echos ». Les méchants sont désignés mais la ficelle est un peu grosse. Surtout que dans le détail, les concessions faites aux groupes parlementaires n’en sont pas. Les UDI voient retenus des amendements qui demandent la rédaction de rapports sur l’emploi des séniors ou la possibilité d’ouvrir la réversion aux couples pacsés. Ça ne mange pas pain. En vérité, près des deux tiers des amendements ajoutés proviennent du gouvernement ou des rapporteurs. Et la moitié de ceux qui restent viennent de la majorité.
Aucune ouverture donc. Aucune avancée non plus, on s’en doute. Sur la pénibilité, le gouvernement promeut un système cynique. Il ne garantit un départ plus tôt que pour les salariés exposés pendant leur carrière à des facteurs de pénibilité, y compris ceux qu’il a supprimé en 2017. À la place, il propose une visite médicale obligatoire à 55 ans. Il faudra alors qu’une incapacité de plus de 10% soit constatée et son lien avec l’exposition à des facteurs de pénibilité au travail prouvée pour avoir le droit de partir en retraite… 5 ans plus tard ! Le droit à la retraite à 60 ans, mais seulement quand le corps est déjà cassé. Il va sans dire que cette non prise en compte de la pénibilité ne nous convient pas. Si nous avions pu en débattre en séance, nous aurions au contraire défendu une prise en compte de la pénibilité grâce à des critères définis par les organisations syndicales et ouvrant automatiquement des droits.
Voyons maintenant en quoi consiste « l’amélioration du texte » sur l’emploi des séniors. Là encore, il ne s’agit en aucun cas d’une avancée. Le nouveau texte que le gouvernement va faire passer sans vote étend le dispositif « retraite progressive » aux fonctionnaires. De quoi s’agit-il ? Il s’agit de salariés qui continuent de travailler à temps partiel après avoir atteint l’âge de la retraite et touchent en même temps une petite partie de leur pension. Les salariés qui le font, est-ce par plaisir ? Non, évidemment par nécessité : s’ils s’arrêtaient complètement, leur pension moyenne serait inférieure au seuil de pauvreté. Pour les employeurs, c’est une aubaine : cela leur permet de transformer les vieux en main d’œuvre pas chère, précaire, subventionnée par la sécurité sociale. Un tiers est payé moins de 500 euros par mois et la moitié moins de 1000 euros. Étendre cela aux fonctionnaires n’est en rien un progrès. C’est plutôt la preuve que la réforme va considérablement faire baisser leurs pensions, au point qu’ils seront obligés de rester au travail pour survivre.
Il y a aussi 7 ordonnances qui sont transformées en articles de loi rédigés. Pourquoi le faire maintenant que les députés ne peuvent plus examiner le détail ? Et pourquoi seulement 7 sur les 29 ? On ne le sait pas. Le pouvoir n’a pas besoin de se justifier. L’ordonnance sur les fonctionnaires de la « catégorie active » qui pouvaient partir plus tôt en retraite a par exemple été détaillée. Les personnels soignants qui bénéficiaient de cela vont le perdre et voir leur âge légal de départ décalé à 62 ans. En revanche, d’autres ordonnances ont été « enrichies » et devraient alerter certaines professions. Ainsi, les conditions de licenciement des danseurs et danseuses de l’Opéra font maintenant partie du champ d’une ordonnance. De même que les cotisations des notaires.
En définitive, le gouvernement ajoute à l’autoritarisme des stratagèmes grossiers et déloyaux. Son but est, dans le fracas provoqué par son acte inouï, de passer inaperçu certaines dispositions. Les insoumis ne tombent pas dans le panneau. Le régime doit comprendre que, quoi qu’il fasse, il trouvera toujours en face de lui une opposition inépuisable.