C’était la semaine du 49.3. Pas un des journaux télévisés du 20H de France 2 ni de TF1 n’ont parlé du vote de censure le soir où il avait lieu. Je me suis assez exprimé sur le sujet pour ne pas y revenir encore ici. On retrouve facilement mon intervention et celles de mes camarades à la tribune et dans les débats. Ce moment fut un naufrage pour le gouvernement. Il n’a pas fini d’en payer le prix. En une semaine le Premier ministre a perdu 10 points d’intentions de vote au Havre. Et quant à nous, la satisfaction du travail bien fait et bien mené nous gonfle le cœur. Des milliers de messages d’encouragements et de remerciements nous ont formidablement stimulés. On se sentait portés.
Nous savons ce que nous sommes parvenus à faire à 17, conjointement avec les 11 députés communistes. Nous avons remporté au nom des milliers des nôtres, grévistes et manifestants, la victoire morale la plus totale contre un appareil et des moyens mediatico-étatiques cent fois, mille fois supérieurs. Je raconte ici le final de la bataille sur le texte de la loi organique. Il fut à la hauteur du reste.
Le bilan final est que La République en Marche n’aura pas trouvé cent voix dans l’Assemblée pour soutenir le texte « le plus important du quinquennat ». Une déroute complète. D’ici au prochain retour du texte dans notre hémicycle, il y aura eu les municipales et le bilan d’un mois de gestion du coronavirus. Le plantage ne fait que commencer.
Ayons bon espoir que sur le plan sanitaire les conséquences de cette épidémie soient au final aussi légères que possible. Mais ce ne sera pas le cas. Trois vagues désastreuses vont se superposer. L’une sanitaire et proprement liée au coronavirus. La suivante sera l’impact sur un système sanitaire public du double épisode de la crise du coronavirus et de la grippe saisonnière. Le système public a été mis en ruine par les politiques néolibérales des gouvernements. La troisième sera l’impact de la récession du commerce mondial sans lequel ce système économique ne peut fonctionner. La longueur des chaînes d’interdépendance entre les entreprises, la globalisation de la sphère financière, tout cela garantit la propagation du virus d’effondrement économique. En attendant et en pensant que le pire n’est pas toujours certain, observons le Liban en état de cessation de paiement, l’Italie triant à la porte des hôpitaux en fonction des chances de survie, et ainsi de suite. Plus près de nous la fête médiatique de l’anxiété, de la peur et du sensationnel bat son plein, 24 heures sur 24, en parfaite et habituelle irresponsabilité.
« Le Figaro » saluait même avec jubilation l’exploit du gouvernement d’avoir réussi à faire passer sous les radars le 49.3 dans le paquet des bavardages du Conseil des ministres sur le coronavirus.
Ici, il n’est pas question de se risquer à sous-estimer l’épidémie. Mais parfois on serre les dents et les poings devant le tapage. Surtout quand on le rapporte au nombre de morts dans tant d’autres secteurs et de tant d’autres causes qui indiffèrent les « experts » repus qui caquètent sur les plateaux de télé. Une pensée à cet instant pour les morts qui ne les intéressent pas : les morts au travail (600 par an), les morts de la rue (2000 par an), les morts de faim ou de froid, les morts des maladies professionnelles (1200 par an). Et ainsi de suite.
En revanche on peut d’ores et déjà relever que cette séquence met à nu les béances d’une action publique réduite pour l’essentiel à des éléments de communication. Surtout quand ils apparaissent aussi visiblement contradictoires. Cela doit sonner comme une alerte. Les régimes néolibéraux sont inaptes à traiter des crises sanitaires (plus ou moins) sérieuses. Les régimes néolibéraux sont donc incapables de faire face aux crises qui vont résulter du dérèglement climatique. À l’inverse, l’atout de la révolution citoyenne, de son gouvernement et de ses mesures de « salut commun », sera de faire apparaître la stabilité, la force et l’engagement de l’État et des citoyens comme meilleur rempart pour la sûreté collective. L’épisode en cours dans tous ses compartiments fonctionne comme une école de formation. Les hoquets du présent ne doivent pas le faire perdre de vue.
Ce jour, 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, je me suis demandé quel combat nous pourrions endosser dans ce domaine après tous ceux que nous avons intégrés à notre programme et à nos actions au fil de l’année.
Je me suis demandé ce que je devais relayer dans tout ce qui s’écrit à cette occasion. En lisant l’alerte de Marina Mesure j’ai pensé que le mieux serait de diffuser son message. « En cette journée internationale des droits des femmes, le syndicat mondial BWI mène une campagne pour la ratification par tous les États de la convention internationale #C190 de l’OIT pour mettre fin à la violence et au harcèlement dans le monde du travail ! Il est temps de passer de la parole aux actes : la France doit ratifier la convention 190 et s’engager pleinement dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans le monde du travail ! #powertowomen #ratifyC190 ».
Sur un de nos fils Telegram Magali Escot, syndicaliste CGT des Bouches-du-Rhône, précisait le contenu de cette Convention en réponse à mes questions sur le sujet. « Cela peut englober notamment la violence physique, la violence verbale, le harcèlement moral et le harcèlement collectif, le harcèlement sexuel, les menaces et la traque obsessionnelle. La Convention tient aussi compte du fait que, de nos jours, le travail ne s’effectue pas toujours sur un lieu de travail physique. Ainsi, elle englobe par exemple la violence et le harcèlement s’exerçant dans le cadre de communications liées au travail, y compris celles effectuées au moyen de technologies de l’information et de la communication. » Puis, elle m’a donné le lien d’une interview que je crois très utile et motivante. Il s’agit des propos de Shauna Olney, cheffe du Service des questions de genre, de l’égalité et de la diversité à l’Organisation internationale du Travail.
Ma contribution sur les réseaux sociaux à cette journée de lutte ce sera donc cette publication et l’engagement de commencer la bataille pour la ratification de cette Convention.
Quelle est l’importance de la Convention (n°190) et de la Recommandation (n°206) concernant l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail (2019) ?
Le processus qui est à l’origine de ces instruments a débuté en 2015 et, avec le récent tollé mondial contre la violence et le harcèlement, leur adoption ne pouvait être plus pertinente et opportune. La convention est solide et concrète.
Avec la recommandation qui l’accompagne, la convention n° 190 fournit un cadre d’action clair et offre la possibilité de bâtir un avenir du travail fondé sur la dignité et le respect, exempt de violence et de harcèlement.
Le droit de chacun à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement n’avait jusqu’ici jamais été aussi clairement exprimé dans un traité international, qui reconnaît également que de tels comportements peuvent constituer une violation des droits humains ou une atteinte à ces droits. Ces instruments – les premiers adoptés en ce deuxième siècle d’existence de l’OIT – réaffirment aussi le rôle normatif de l’Organisation, qui est déterminant. Ils sont la preuve tangible de la valeur et de la force immuables du dialogue social et du tripartisme, lesquels seront essentiels pour leur mise en œuvre au niveau national.
Quels types d’actes entrent dans la définition de « violence » et « harcèlement » ?
Les définitions varient, et les limites entre violence et harcèlement sont souvent floues. Ainsi, le « harcèlement » sexuel est souvent classé comme une forme de « violence » fondée sur le genre.
C’est pourquoi la Conférence a adopté une approche pragmatique en définissant la violence et le harcèlement comme « un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables », qui « ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique ». Cela peut englober notamment la violence physique, la violence verbale, le harcèlement moral et le harcèlement collectif, le harcèlement sexuel, les menaces et la traque obsessionnelle. La Convention tient aussi compte du fait que, de nos jours, le travail ne s’effectue pas toujours sur un lieu de travail physique ; ainsi, elle englobe par exemple la violence et le harcèlement s’exerçant dans le cadre de communications liées au travail, y compris celles effectuées au moyen de technologies de l’information et de la communication.
Qui sera protégé en vertu de la convention ?
Le fait que la Convention accorde une large place à l’inclusion est très important : ainsi, toute personne qui travaille est protégée, quel que soit son statut contractuel, et cela englobe les stagiaires, les bénévoles, les demandeurs d’emploi et les personnes exerçant les pouvoirs d’un employeur. Les dispositions de la Convention s’appliquent aux secteurs public et privé, à l’économie formelle et informelle, et aux zones urbaines et rurales. Certains groupes, de même que les personnes qui travaillent dans certains secteurs, exercent certaines professions ou sont assujetties à certaines modalités de travail, sont reconnus comme étant particulièrement exposés à la violence et au harcèlement : c’est notamment le cas des secteurs de la santé, du transport, de l’éducation et du travail domestique, et du travail de nuit ou dans des zones isolées. Ces secteurs particuliers seront déterminés par chaque pays, dans le cadre de consultations tripartites.
La Convention met particulièrement l’accent sur la violence et le harcèlement fondés sur le genre, et l’approche adoptée prend aussi en considération les tiers (clients, prestataires de service, patients), car ils peuvent être aussi bien victimes bien qu’auteurs.
Il faut souligner que la Convention traite aussi de l’impact de la violence domestique dans le monde du travail. C’est un moyen important de faire apparaître au grand jour la violence domestique et de faire évoluer les comportements. La recommandation énonce aussi des mesures concrètes, en particulier un congé pour les victimes, des modalités de travail flexibles et les activités de sensibilisation.
La Convention a-t-elle le pouvoir de faire évoluer les comportements ?
Faire évoluer les comportements n’est jamais facile, mais c’est indispensable si l’on veut éliminer la violence et le harcèlement du monde du travail. L’adoption d’instruments solides comme celui-ci permet de transmettre un message fort. Elle rend visible l’invisible et confirme l’ampleur et le caractère inacceptable de la violence et du harcèlement.
Nous devons nous attaquer aux causes sous-jacentes, y compris aux formes multiples et intersectionnelles de discrimination, aux stéréotypes de genre et aux rapports de pouvoir inégaux.
L’évaluation des risques sur le lieu de travail, telle qu’énoncée dans la Convention et décrite plus en détail dans la recommandation, peut aussi contribuer à faire évoluer les comportements, car elle doit tenir compte des facteurs d’aggravation des risques de violence et de harcèlement (par exemple, les normes de genre et les normes culturelles et sociales). La Convention et la recommandation préconisent aussi des mesures en faveur de la formation et de la sensibilisation.
Quand la Convention entrera-t-elle en vigueur ?
Comme pour la plupart des conventions de l’OIT, la convention n°190 entrera en vigueur 12 mois après que deux Etats membres l’auront ratifiée. Compte tenu du niveau élevé de soutien exprimé lors de son adoption, nous sommes convaincus qu’elle entrera en vigueur rapidement.
Toutefois, les effets de son adoption se feront sentir avant. Tous les Etats membres ont l’obligation de la porter à l’attention de leurs autorités nationales compétentes, ce qui permettra d’augmenter la visibilité des thèmes traités dans la convention, au niveau national mais aussi international. »
La fin de la première étape du parcours de la loi de réforme des retraites est aussi misérable que le début. Il n’y aura eu que 98 voix pour adopter le texte. Telle fut la conclusion du seul vote qui aura eu lieu à l’Assemblée nationale pour le texte « le plus important du quinquennat » selon les dires des dirigeants du régime Macroniste. Même pas cent robots dans l’hémicycle pour faire l’affiche de l’histoire ! Deux heures après un sondage faisait savoir que 58% des sondés auraient voté la censure. La seule victoire possible a été remportée : la victoire morale.
Car la déroute morale de la République en Marche est complète. Je ne parle pas seulement de l’impression terrible qu’aura laissé la méthode depuis l’origine. Ce texte bâclé présenté au Parlement en procédure accélérée, cette étude d’impact de mille pages pipeautées, les vingt-neuf ordonnances trouant le texte de décisions inconnues. Je ne parle pas non plus des heures passées en commission spéciale, puis en pleinière, montrant à quel point la majorité ne maîtrisait pas le contenu du texte et à quel point celui-ci était plein d’inconnues.
Je ne pense pas ici spécialement au 49.3, cette brutalisation inutile du débat. J’ai à l’esprit ces scènes dans l’hémicycle dont les députés marcheurs présent se sont faits les acteurs répétitifs. Les injures, le marquage sur le bord de nos bancs, les hurlements à chaque occasion, les interminables lectures de textes pour dénoncer « la perte de temps », l’obstruction et pour réclamer « le débat au fond » plutôt que de répondre, sur le fond précisément, à l’opposition. Sans oublier l’explosion de rage du rapporteur « nous sommes la République, vous n’êtes rien ».
Ce qui est frappant c’est le lendemain du 49.3. La majorité LREM est mal en point. Ses orateurs, la veille, se sont vautrés. Gilles Le Gendre, le président du groupe marcheur, était sec au point de renoncer à la moitié de son temps de parole, qui a pourtant déclenché des vagues de fous rire potaches. Stanislas Guerini, le chef du mouvement, hurla sans discontinuer y compris le micro coupé dans une ambiance de hurlements généralisés, donnant de l’hémicycle l’image d’une bouilloire en pleine évaporation. Le président de séance, Richard Ferrand lui-même, a conclu après le départ de Guerini : « ça fait du bien quand ça s’arrête ». Le Premier ministre, dépité et gêné, ne pouvait cacher sa honte. Avec de tels amis, en effet, pas besoin d’ennemis ! Comment ces gens sortiraient-ils d’une telle déroute ?
Dès le lendemain, la macronie se montra incapable de se reprendre et s’abandonna à une rage de mauvais perdants. Ses députés rejetèrent la demande de commission d’enquête sur l’étude d’impact que le PS présentait. Une balle dans le pied de plus pour les marcheurs. Car c’est à eux seuls que ce vote a nui, en laissant supposer qu’il y avait là quelque chose à cacher.
Mon souvenir marquant c’est cette scène d’un hémicycle peuplé de gens qui « font autre chose » : lecture, messagerie téléphonique, ordinateurs portables, en attendant que « ça se finisse ». Le ministre lit son courrier, la rapporteure en fait autant. Après chaque défense d’amendement de l’opposition, ni le ministre, ni la rapporteure, ne répondent quoi que ce ne soit ni sur le fond, ni sur la forme. Ils jettent un « défavorable » pour tout commentaire. Et le ronron reprend.
Depuis mon bureau, je voyais la scène à l’écran. Je consultais mes camarades. Depuis la réunion de groupe du mardi, Clémentine Autain et quelques autres députés m’alertaient sur le danger d’un engloutissement silencieux de la loi organique sur les retraites.
En réunion de groupe, on convint d’attendre de voir ce qui se passerait vraiment. En toute hypothèse faire durer les débats n’a qu’un intérêt pour nous : obliger la majorité à parler et à donner « des éclaircissements ». Chacune des interventions de marcheurs couplée à nos questions est une formation gratuite pour le spectateur de nos vidéos et de la chaine parlementaire. Je passais donc mon tour mercredi, pendant un bout d’après-midi, pour sentir l’ambiance. Nous étions en surnombre (presque 9, alors que la noria fonctionne à meilleur rendement à trois, deux qui se relaient pour parler, un en renfort pour les sorties d’hémicycle et les pauses de parole d’un des deux autres).
Jeudi, Clémentine me dit de venir voir et entendre sur place. L’ambiance est glauque. Elle alerte. Visiblement la majorité tente une nouvelle tactique. Sur l’écran on ne voit pas, on ne sent pas l’hémicycle. La caméra se concentre (et c’est bien ainsi) sur la personne qui parle. Elle annule les bruits de fond. Elle réduit au minimum les plans de coupe, car les mimiques des autres députés ou leurs attitudes pourraient fonctionner comme un commentaire sur ce qui se dit. Je suis donc aller sentir. Mathilde Panot, la vice-présidente, est là aussi. Les copains alertés reviennent. Certains sont bloqués en commission, d’autres sont en circonscription. On se concerte sur le fil « Telegram » du groupe. On conclut qu’il s’agit bien de la noyade qu’on craignait.
Le marquage a disparu, personne n’ouvre la bouche en face, les députés des oppositions parlent dans le vide. Il faut réagir. Ugo Bernalicis pique du verbe pour éveiller la salle. Rien n’y fait. Donc c’est une manœuvre. Mathilde Panot et moi sommes chargés de donner un coup d’éperon pour vérifier que les marcheurs restent sur la position de l’édredon. Encéphalogramme plat en face.
Nous nous concertons. Sont-ils seulement abattus par leur déroute de l’avant-veille ou bien est-ce un silence concerté ? Les sacrifices des grévistes et des manifestants méritent mieux que d’être engloutis dans le silence des brebis macronistes qui paissent leur smartphone. Nous refusons de faire tapisserie. Qu’ils restent entre eux, noyés dans notre mépris, foudroyés dans la nudité de leur nullité. Que le voile soit arraché et que la comédie soit visible.
On décide qu’on se lève et qu’on se barre, la seule chose à faire quand on est inclus de force dans un rôle qu’on refuse. Clémentine Autain est donc chargée du discours final du groupe. Puis on sort parler avec les communistes, et enfin avec les socialistes. En général ceux-là embrouillent tout et ne respectent aucun accord. Mais après quelques tergiversations, tout le monde rejoint le point de vue de la sortie immédiate.
C’est le meilleur cas de figure ; la droite ne peut nous suivre. Sa ligne est de se démarquer de la gauche de l’hémicycle. Elle va donc trouver un habile nouveau défi : que la majorité accepte un vote final dit « solennel », qui se fait le mardi en séance plénière. Finalement, les macronistes diront encore non. Sans doute parce que ce serait trop dangereux pour eux. On verrait trop les absents volontaires. Et les votes négatifs seraient possible de la part des quarante dissidents annoncés en coulisse. Du coup la droite aussi quitte la salle. Reste les macronistes et la RN madame Ménard. Elle accepte de servir à sauver les apparences d’un vote contradictoire.
Mais le résultat est là. Ridicule. Il y a 315 députés macronistes, plus 40 députés Modem et la ribambelle des UDI et autres « indépendants » qui votent dans tous les sens. De cette masse de près de 400 députés, il n’y en aura eu que 98 pour adopter la loi scélérate de réforme des retraites. C’est une déroute. Le lendemain, un député de plus quittait le groupe LREM. Et démissionnait de son mandat. Ce n’est qu’un début, après pourtant onze départs depuis janvier. Quant on pense que le départ de six mécontents de leur place sur la liste des européennes me valurent la une du « Monde », on mesure la protection dont LREM jouit du fait de ses riches protecteurs alors même que dans n’importe quel autre pays, une telle saignée serait considérée comme une crise de régime. En France le larbinage est une institution.
Les épidémies sont de vieilles compagnes de l’Histoire humaine. Elles ont toutes été le résultat de la mondialisation, c’est-à-dire du fait que, si loin que l’on remonte dans le temps, les êtres humains se sont toujours déplacés et ils ont donc transporté avec eux d’un endroit vers l’autre les microbes auxquels ils avaient eux-mêmes survécu. On connaît le terrible impact des maladies transportées par les conquistadors sur le monde des Indiens d’Amérique. Il explique aussi comment les populations nomades de tous les continents ont pu être exterminées par les sédentaires survivants des maladies qu’ils avaient contractées.
Car on estime que les premières grandes épidémies sont le résultat de la promiscuité avec les animaux domestiqués. Dans le Nouveau Monde, les virus transportés par les Espagnols venaient de la domestication du porc et des vaches. En général, on sait que sur 2500 virus capables de tuer l’homme 1400 viennent des animaux. Naturellement ce n’est pas de leur faute. De nos jours aussi les récentes épidémies ont toutes été liées au contact avec les bêtes. Il s’agit à présent de celles qui ont été chassées de leurs habitats naturels par l’extension de la présence humaine. On apprend une nouvelle fois que cela s’est produit en Chine du fait de chauves-souris venues s’installer en ville après la destruction de leurs gites par les implantations des êtres humains. Il est donc bien normal qu’au fil des siècles les épidémies soient surtout venues d’Asie puisque c’est là que se trouve à la fois le plus grand nombre d’êtres humains et le plus grand nombre d’animaux domestiqués.
Dans le passé on avait le temps de voir venir, on avait le temps d’entendre parler de l’avancée d’une épidémie. Des quarantaines étaient donc organisées dans les ports avant le débarquement des marchandises et des hommes. Ce qui est nouveau, ce n’est donc ni les épidémies, ni la mondialisation qui les propage, mais la nature de l’impact que cet événement provoque dans la société humaine de son époque. Les virus amenés par les Espagnols ont détruit la civilisation des Indiens d’Amérique du Sud plus sûrement que n’importe quel armement ou légende qui sont censées avoir favorisés leur conquête. On avait d’abord calculé que l’hécatombe avait concerné deux ou trois millions de personnes. On pense aujourd’hui qu’il s’agit de 100 millions d’Indiens. L’impact de cet événement s’observe dans les carottes glaciaires que l’on prélève au pôle Nord et où l’on voit pour cette époque une baisse notoire du carbone que l’air transportait depuis les millions de foyers que les humains entretenaient.
De nos jours, ce qui sera remarquable c’est que les chaînes d’interdépendance dans la production, qui se seraient autrefois rompues et réparées à échelle locale, seront rompues à échelle du monde parce que l’atelier général de notre époque est en Chine. Il faudra quelques semaines pour observer concrètement cette rupture et il en faudra de nombreuses autres pour rétablir les circuits antérieurs à l’épidémie. Le sol de la production est malgré tout réuni par des canaux très divers avec celui de la bulle financière mondiale et du système des valeurs fictives qui s’y trouvent. Le nuage des dettes innombrables des États et des particuliers peut percer à tout moment par quelque créancier des plus improbables, quelque part dans cette nébuleuse de valeurs plus ou moins fictives.
Avec cela, partout l’épidémie va rencontrer des exigences sanitaires et des systèmes de santé déjà largement mis sous tension par les politiques de réduction des dépenses dans les services publics. C’est donc une terrible force de dislocation qui va agir. Partout les pouvoirs politiques en place seront rendus responsables des innombrables dysfonctionnements et aberrations qui surgiront dans la gestion de la crise. Ils seront vécus comme autant de symptômes de l’inefficacité et l’illégitimité des pouvoirs jugés incapables de les juguler à moins qu’il ne soit purement et simplement accusés de les avoir provoqués. On ne sait combien de temps durera cet épisode. On ne sait pas s’il ne rencontrera pas, par-dessus le marché, un épisode de dévastation liée au changement climatique.
Nos sociétés sont donc promises à une rude mise à l’épreuve de la validité de leurs principes d’organisation, de la hiérarchie de leurs normes et des cultures collectives qui les animent. Dès lors, tout est possible : le meilleur comme le pire. Solidarités impérieuses ou violences du « chacun pour soi ». La logique de ce que nous observons dans le monde depuis que déferlent partout des révolutions citoyennes donne une idée du meilleur. C’est cette volonté d’auto-organisation et d’auto-contrôle dont sont saisies des masses humaines immenses. Elles ont résisté contre tous les types de pouvoirs et à toute la violence que ceux-ci sont capables de déchaîner contre les gens. Cet épisode pourrait venir à nous en France où se conjuguent le discrédit profond du pouvoir et des institutions politiques avec une mobilisation sociale motivée et argumentée comme celle qui vient de se dérouler à propos du droit à la retraite. Je ne me risquerais pas aujourd’hui à prévoir quoi que ce soit à ce sujet. Mais la pente est prise et je ne vois pas pourquoi elle s’inverserait.
Je ne peux finir ce petit coup d’œil sans une pensée tirée d’un peu d’Histoire. En 1720, le bateau « le grand Saint-Antoine » voulut accoster à Marseille. Après diverses péripéties manigancées par le capitaine, le maire de Marseille et des agents de sécurité sanitaire corrompus, le bateau put décharger ses passagers mais surtout ses marchandises alors même que plusieurs passagers étaient déjà morts du choléra à son bord. L’épidémie tua jusqu’à 60 % de la population marseillaise et s’étendit à toute la Provence. C’est à cet épisode que se réfère Le Hussard sur le toit de Jean Giono.
Son roman confronte un personnage central à la fréquentation de gens qui peuvent mourir à tout instant et ne s’en privent pas, dans une société totalement désorganisée. À lire ou à relire absolument. Non pour se faire peur mais pour méditer ce que veut dire vivre en compagnie de la mort et de la peur que répand une épidémie. Naturellement nous n’en sommes pas là. Mais le thème vaut d’être pensé pour regarder la peur dans les yeux avec le pouvoir d’en rire joyeusement. Peut-être est-ce la seule façon par là même de vaincre l’une et l’autre en les dominant par l’esprit. Le risque de la mort subite et imprévue fonctionne comme une allégorie de ce qu’est au fond une vie humaine. On mourra tous, un jour ou l’autre, tout soudain ou dans longtemps, très jeune ou très vieux et sans l’avoir choisi. Alors la mort, probable mais incertaine, fonctionne comme un écrin qui souligne la beauté de l’instant et fortifie le goût de le vivre. Aussitôt la dignité de l’être humain est rétablie. Sachant que tout peut s’interrompre à tout instant, on se réapproprie alors son existence d’une façon qui répond à ce défi en le dissolvant dans un carpe diem sans limite. La vie triomphe de la mort. Et l’esprit du virus qui pourtant le terrasse.
Vous êtes nombreux à me demander mon avis. Il est exact que j’ai été peu investi dans ces élections municipales compte tenu du temps que j’ai dû consacrer à ma tâche de Président de groupe parlementaire dans une bataille aussi fondamentale que celle de la réforme des retraites. Pour autant, je n’ai pas cessé un seul jour d’observer et de donner mes conseils à qui les demandait. Je crois utile de faire un point général à cet instant.
On devine ce qui se dessine. Le coronavirus va amplifier l’abstention prévisible pour les municipales. En pleine pagaille épidémique, on peut craindre un conservatisme spontané et une méfiance à l’égard du changement. Mais on peut penser aussi que les plus anciens se déplaçant moins par peur des contagions une certaine volatilité trouve son chemin. Et ainsi de suite. L’avenir est plus flou que jamais, la vue des possibles se dérobe. Tout est bavardage. Il faut donc regarder autrement. C’est-à-dire penser les municipales pas seulement du point de vue des résultats politiciens qui seront annoncés et disputés sur les plateaux de télé le soir des élections. Il faut le faire en considérant l’impact de long terme sur les représentations politiques des individus dans leur rapport à la société.
La tendance aujourd’hui est à s’obséder des premiers sans tenir compte des seconds. J’invite les Insoumis à se préoccuper d’abord de ce qui va changer dans les têtes autour d’eux. C’est le terreau pour la suite de notre enracinement. Car pour le reste nous sommes au sec. Ni la pluie ni la foudre ne nous tomberont dessus cette fois ci. Présents dans 550 communes dans les configurations les plus diverses, les Insoumis sont assurés d’être présents dans plus de deux cents communes pour la bataille de second tour. Partout les nôtres apprennent et se déploient. Nos thèmes, nos mots d’ordre, notre vocabulaire continuent d’imprégner en profondeur tous azimuts le discours politique. Je suis parfois surpris de retrouver nos mots dans des bouches inattendues. Mais c’est ainsi que l’on gagne les batailles de longue durée, celles qui reformatent les mentalités.
Nous avions besoin de cette étape. C’est aussi celle d’une reconstruction générale de notre mouvement. À cette occasion, des milliers de personnes se retrouvent dans l’action au coude à coude, affrontant les affres de l’invisibilisation, des usurpations les plus diverses. Mais aussi dans l’exaltation du contact avec le grand nombre, au porte-à-porte, dans les initiatives inventives les plus diverses comme nous en aurons déployées tant cette fois-ci encore. Au niveau national, depuis 2008, notre équipe n’a jamais cessé de gérer le temps long et de conduire le présent en y pensant. La fondation du PG puis la création et la gestion du mouvement Insoumis s’y sont alignés. Regardons tranquillement autour de nous. Un très grand changement va s’opérer. Je prévois qu’il sera pour l’essentiel favorable à l’objectif final.
J’aborde à présent les aspects les plus immédiats, ensuite ce qui est promis à entrer dans la longue durée.
D’abord l’adversaire au pouvoir. Les LREM se collent à la droite et au « centre ». Ils ne s’en décrocheront plus d’ici 2022. Comme l’a montré l’épisode du « séparatisme », cet ancrage va les déporter de plus en plus sur le terrain du RN Ils y seront déchiquetés. En toute hypothèse, les « marcheurs » sont déjà lourdement embourbés dans la détestation qui les entoure. Ils sont largement désorganisés par leur échec parlementaire sur la loi retraite. Ils sont aussi affaiblis par un état-major sans autorité qu’incarnent (si l’on peut dire) Gilles Legendre à l’Assemblée et Stanislas Guérini au Mouvement. Donc, à la sortie des municipales, LREM sera tétanisée et paralysée par les nouveaux départs de députés. Sans oublier l’accablement du désordre du pays qui vivra alors la phase aigüe du chaos économique et sanitaire liée au coronavirus.
La coupure du régime avec les classes moyennes instruites est proche du point de non-retour. L’épisode des femmes trainées dans les marches du métro aura bien complété le tableau utile pour construire un dégoût irréversible contre le régime dans des milieux qui lui souriaient naguère encore. C’est une situation insupportable pour la masse confuse que le macronisme a rassemblée. La Macronie n’est plus à la mode, elle est mal portée dans les milieux bien-pensants. Elle leur fait honte.
Dans ces conditions le gros de la troupe est incapable de résister aux chocs qui lui sont assénés. L’état-major de bric et de broc qui est censé commander est voué à se disperser après s’être entre-tué. Je note avec amusement les pudeurs des commentateurs qui ont sous le nez les violentes batailles de tweets entre dirigeants macronistes et se font un devoir de regarder ailleurs. Rien de comparable à l’acharnement qui fut déployé contre nous à propos des humeurs de quelques marginaux aigris. Privé de tête cohérente, privé de relais stable, privé de base enracinée socialement le macronisme n’est plus qu’un vernis. Sa fragilité est sans doute telle qu’il lui est impossible de se réformer et d’évoluer collectivement de façon cohérente. Dans ces conditions la fragilité est profondément incrustée dans la carcasse du régime et donc du système lui-même. Patience. Le hasard réalise toujours la nécessité. Tout cela ne peut échapper à son destin.
La déroute morale que nous avons infligée aux macronistes dans la bataille parlementaire sur les retraites n’est pas une anecdote momentanée. L’empreinte sera durable. L’heure de la débandade approche pour eux. Et comme cette fraction d’aventuriers est celle qui dirige l’État et qui l’a, pour une bonne partie, soumis à ses normes, la crise de la macronie sera celle du régime lui-même. Dans ce contexte il va de soi que bien des bras de fer locaux prennent une signification et une portée imprévue au début de ces élections. Je ne citerai que l’exemple de la municipale au Havre. Le Premier ministre candidat à la mairie plonge de 10 points dans les sondages après le dépôt du 49.3 sur la réforme des retraites. Son principal adversaire est un communiste, le député Jean-Paul Lecoq, soutenu par les gilets jaunes, les Insoumis et beaucoup de syndicalistes. La victoire d’une telle coalition serait davantage qu’une simple défaite locale pour l’attelage que forme cette liste. Elle est faite de « marcheurs », de membres des « républicains » et des autres composantes de la droite. Quoi que décide ensuite Macron, il est certain que la défaite municipale du Premier ministre serait aussi celle de son projet de réforme des retraites. On peut compter sur l’obstination du Président de la République pour aggraver encore plus profondément le discrédit qui entoure son action, après cela.
Le sentiment que le suffrage universel est vidé de son objet et de son pouvoir travaillera alors encore plus profondément les esprits. La voie n’en sera que plus largement ouverte à l’idée du changement général de la règle du jeu qu’exprime notre mot d’ordre de Constituante pour la sixième République.
Mais tout cela, ce n’est là encore que l’écume de choses. Voyons de plus haut. Ce qui est frappé à cette heure est plus profond. C’est la confiance dans une façon d’organiser les affaires humaines. La crise du coronavirus fait réfléchir en grand angle beaucoup de gens. La survenue de la crise économique et financière qui accompagne cet événement sanitaire alimente cette vision catastrophiste qui domine les opinions avec la prise de conscience de la crise climatique. Tous les mots qui viennent en avant seront nos points d’appui. Une nouvelle conscience politique est en train de se former, de manière certes floue et diffuse. Mais elle semble irréversible. La compréhension qu’il existe un intérêt général par-delà les intérêts particuliers, l’idée que les biens communs de l’humanité ne peuvent être saccagés par quelques-uns au nom des droits de la propriété privée, tout cela est autant d’eau à notre moulin.
De ce point de vue, la percée écologiste annoncée par les médias, qu’elle ait lieu ou non, est un formidable renfort pour le néo-collectivisme dont nous sommes la pointe avancée en politique. Ce n’est pas une difficulté pour nous. Il n’y a pas de concurrence réelle avec les forces politiques qui accaparent aujourd’hui le label de l’écologie politique. La contradiction que contient cet unanimisme consensuel de l’écologie actuelle laboure pourtant en profondeur pour les contradictions que nous allons y introduire. La ligne qu’incarne Yannick Jadot est un pur bienfait. Pro-business, proche du centre-droit, cette ligne désorganise le regroupement des bases sociales qui sans cela finiraient par se coaguler autour du macronisme. En même temps, elle contribue comme les autres tendances de l’écologie politique à ensemencer les esprits avec les principaux thèmes qui construisent une pente vers notre côté : bien commun, refus du productivisme, respectabilité de la radicalité écologique.
Les thèmes et les programmes que nos équipes ont instillés sur le terrain dans la construction des listes aux municipales nous offrent à présent une base de masse et un encadrement militant que nous n’avions ni au moment de l’élection présidentielle ni à celui des élections européennes. Pour moi, ces élections locales seront une étape décisive dans la construction de la force politique pérenne dont notre collectivisme a besoin au XXIe siècle pour notre pays. C’est cela qui sera surtout acquis. En plus bien sur des bonnes surprises qui ne manqueront pas de se produire au fil des deux tours des élections municipales. Joyeuses élections les amis !