Cette tribune a été publiée dans le Journal du Dimanche (JDD) le lundi 30 mars 2020.
Donc, nous sommes confinés encore quinze jours. Comme la moitié de l’humanité. Comme partout où les dirigeants ont trop attendu pour lancer la riposte à l’épidémie. Soit. Nous serons disciplinés. Nous resterons confinés le temps qu’il faudra pour notre bien et celui des autres.
Toutes et tous logés à la même enseigne? Certes non. Car nous sommes confinés dans nos inégalités aussi. Oui, pour les quatre millions de personnes mal logées, pour le million croupissant dans un habitat indigne, pour leurs enfants, le confinement à domicile est aussi un long tourment.
Il faudra tester massivement la population
Il se mue un drame pour ceux et surtout celles qui vivent des violences intrafamiliales. Et pour les autres? Le confinement n’est pas une situation naturelle pour les êtres humains. Beaucoup de leurs comportements spontanés fondamentaux y sont brutalisés. D’ailleurs, d’habitude, le confinement forcé ça s’appelle la prison. Le confinement sans horizon de sortie est insupportable. Alors quand en sortirons-nous? Quelles conditions devront être réunies pour cela? Nous avons le droit de le savoir. Ceux qui ont été incapables de prévoir l’entrée dans la crise seront-ils capables d’en organiser la sortie? C’est une anticipation vitale. Le pouvoir doit s’y préparer tout de suite.
Que faut-il faire pour éviter une rechute générale? Y penser, c’est tirer la leçon du passé récent. Il faudra tester massivement la population. Combien de tests nécessaires? Combien de masques? Où sont leurs lieux de production? Il faudra confiner les malades séparément. Quelles sont les capacités d’hébergement disponibles? Il faudra subir la deuxième vague de contamination et de détresse sanitaire. Combien de gens à hospitaliser? Combien de personnels hospitaliers pour s’occuper d’eux? Combien de respirateurs, de bouteilles d’oxygène médical?
La Chine et Cuba vont-ils s’occuper du monde entier pendant que nous, puissance économique mondiale, serions empêchés?
Faire ces prévisions, coordonner ces productions, réquisitionner les entreprises nécessaires, organiser les livraisons, c’est ce que nous appelons la planification sanitaire. Ce qu’il aurait fallu faire dès le début. Et ce n’est toujours pas fait alors que partout le matériel et les médicaments manquent. Tout cela est trop compliqué à mettre en œuvre? Tout seuls dans un bureau au sommet de l’État, c’est impossible en effet. Mais c’est accessible si l’on en appelle à ceux qui savent comment faire et où le faire : les professionnels de tous les secteurs des productions concernées.
Du côté des salariés, ils sont prêts dès demain matin à faire le maximum si on le leur demande. S’il vous plait, gouvernants, dépêchez-vous! Il y a urgence. Pas seulement pour nous dans ce pays. Les millions d’amis et de parents au Maghreb, l’Afrique subsaharienne et le monde francophone doivent pouvoir compter sur nous s’ils nous appellent à l’aide. Nous leur devons tant! La Chine et Cuba vont-ils s’occuper du monde entier pendant que nous, puissance économique mondiale, serions empêchés? De toute façon, tant qu’il restera un foyer de contamination dans un pays en contact avec nous, tout le monde francophone sera menacé.
Dépêchez-vous gouvernants, si vous en êtes capables ou bien laissez-nous faire
Il nous faudra aussi faire cette planification sanitaire à l’échelle européenne, faute de quoi l’épidémie reviendra comme un boomerang d’un Etat à un autre dans une Europe si interdépendante et pourtant si désunie depuis le début de la crise. Dépêchez-vous gouvernants, si vous en êtes capables ou bien laissez-nous faire. Vos méthodes ont déjà coûté à ce pays plusieurs fois tout ce que vous avez craint de perdre avec l’application de notre programme «L’avenir en Commun».
Et vous avez mis la démocratie dans un tel état! Après l’état d’urgence anti-terroriste entré dans le droit ordinaire, voici l’état d’urgence sanitaire qui vous permet de remettre en cause une nouvelle fois le code du travail et certaines libertés constitutionnelles. Et vos dirigeants ont déjà annoncé qu’ils comptaient passer tout cela à nouveau dans le droit ordinaire! À lire le contenu de vos ordonnances, on se demande si vous préparez la sortie du confinement ou un nouveau choc néolibéral, en profitant de la désorganisation qui règne. Vous aussi vous anticipez le monde d’après, dès maintenant. Il sera pire que celui d’avant. Encore le marché partout, la concurrence libre et non faussée, les mesures amicales pour vos amis les riches, et votre Europe qui fédère les égoïsmes les plus bornés.
Un gouvernement de salut commun est urgent
Après le confinement et le débordement des hôpitaux, aurons-nous droit aux mêmes recettes à l’heure des catastrophes liées au changement climatique? Mais pour tous les autres, le mot d’ordre c’est «plus jamais ça»! Un gouvernement de salut commun est urgent. Mais il ne faut pas attendre demain. «Le monde d’après» doit commencer dès maintenant. Sur d’autres bases, avec d’autres principes, d’autre moyens.
Alors, penser le déconfinement, c’est penser. Ignorer la question, c’est rester sidérés par la catastrophe présente et celles qui viendront ensuite. Car le réchauffement climatique nous effleure pour l’instant. Il va bientôt nous sauter à la gorge. Pour y faire face, on ne pourra pas acheter tous nos moyens de survie sur le marché international comme dans le monde d’avant. Il va falloir relocaliser, vite et bien. Comprendre que la souveraineté sanitaire, c’est comme la souveraineté alimentaire : juste une question de survie, juste le meilleur moyen pour être libre d’aider les autres peuples moins bien préparés ; juste le moyen de pouvoir être citoyen, c’est-à-dire de pouvoir décider pour nous-mêmes sans être esclaves du bon vouloir des livraisons des autres.
Les signataires
- Le groupe LFI à l’Assemblée nationale :
Jean-Luc Mélenchon, Clémentine Autain, Mathilde Panot, Ugo Bernalicis, Eric Coquerel, Alexis Corbière, Caroline Fiat, Bastien Lachaud, Michel Larive, Danièle Obono, Loïc Prud’homme, Adrien Quatennens, Jean-Hugues Ratenon, Muriel Ressiguier, Sabine Rubin, François Ruffin, Bénédicte Taurine
- La délégation insoumise au Parlement européen :
Manuel Bompard, Manon Aubry, Leila Chaibi, Emmanuel Maurel, Younous Omarjee, Anne-Sophie Pelletier
- Les sénateurs :
Marie-Noëlle Lienemann, Pierre Yves Colombat