Les conclusions de l’interminable palabre européenne sont consternants. Elles paraissent si absurdes ! On est donc en droit de se demander quelles sont les motivations réelles des pays qui ont imposé la prolongation de l’absurde politique de l’euro fort. Cette politique n’a-t-elle pas déjà asphyxié les économies européennes avant la crise actuelle ? N’ont-elles pas conduit à une domination de plus en plus impérieuse et de moins en moins discrète de l’Allemagne ? Il est certain que ce qui vient de se décider non seulement n’enrayera pas la catastrophe qui s’annonce mais que cela va l’amplifier.
Pour ma part, j’ai cessé de croire aux sentiments bienveillants du gouvernement allemand. J’ai vu comment la réunification a été financée sur le dos de tous les partenaires du gouvernement allemand entraîné dans une course à la hausse des taux d’intérêt suffocante. À cette occasion déjà, ce gouvernement a renforcé sa puissance sur le dos ses partenaires. Il est certain à présent que les pays comme l’Allemagne et les différents États bourgades de son hinterland à l’est comptent ressortir plus forts du moment, en reléguant davantage encore le poids de la France, de l’Italie et de l’Espagne qui sont respectivement les seconde, troisième et quatrième puissance économique du vieux continent.
Les airs patelins de Madame Merkel et les mines de sages modérés des faces de pierres qui les entourent ne doivent pas faire oublier que la volonté de puissance est intrinsèquement liée à la nature de l’État-nation. L’Allemagne une nouvelle fois ne pense qu’à elle, c’est-à-dire à ce qu’elle peut tirer des autres. On comprend que je laisse éclater là mon amertume. Sous la houlette de la dame, il a été convenu de consacrer 540 milliards d’euros pour « relancer et accompagner les difficultés présentes ». Les euro-bêlants habituels dansent de joie et se congratulent. Qui fera remarquer que ces 540 milliards ne sont pas de l’argent frais mais des garanties d’emprunt, des reports de paiement et ainsi de suite ? Qui dira que ces 540 milliards représentent à peine le quart de la somme totale qui a déjà été donnée par la banque centrale européenne dans les deux années passées pour contrecarrer une légère récession crainte en Europe. On ne parlait pourtant alors que d’une croissance négative potentielle d’un point du PIB européen ! À présent il est question d’un recul de sept à neuf points ! Au minimum. Et « l’injection massive de liquidités européennes » se limite donc au quart de cette somme. 540 milliards seulement. Juste un peu plus que les 400 milliards du plan de relance de Juncker décidé après sa dernière élection pour relancer là encore l’économie à une époque de trop faible croissance.
Autrement dit, ces 540 milliards ne veulent strictement rien dire. Sinon qu’il est refusé aux peuples de l’Europe les moyens de sortir de l’impasse. Tout cela pour satisfaire l’étroite mentalité boutiquière des Allemands et des Hollandais, leurs rentes, leurs retraites par capitalisation. Sans oublier la protection de leur monstrueuse masse d’excédents commerciaux. Elles ont pourtant été réunies contre les règles européennes sans que jamais la Commission n’ait dit un mot à leur sujet. Pourtant, cette pratique est interdite par les mêmes traités appliqués avec férocité à tous les autres pays à propos de leur déficit. Ça suffit ! C’est assez ! L’Europe allemande c’est la fin de toute Europe possible.
Pendant ce temps, les Anglais ont pris une décision pourtant absolument hérétique au pays des dogmes libéraux. La banque d’Angleterre prêtera directement au gouvernement anglais pour ses dépenses ! Exactement comme nous ne cessons de le proposer depuis tantôt vingt ans. Comme je le faisais au moment où je refusais de voter au Sénat le statut de la Banque centrale européenne parce qu’elle l’interdisait. Les États-Unis d’Amérique ont fait mieux. Comme tout le monde le sait, les USA se financent entièrement et exclusivement par la mise en circulation de dollars dans le monde sans aucune contrepartie matérielle dans la production intérieure des États-Unis d’Amérique. Mais de là à la décision prise, il y a un saut dans le vide considérable qui a été fait. Incroyable ! Au paradis du capitalisme, c’est un organisme étatique, la banque centrale qui se porte dorénavant garante de toutes les dettes du pays qu’elles soient publiques ou privées ! Personne ne pourra faire plus faire faillite aux États-Unis ! L’oncle Sam a rayé du tableau ce qui était jusque-là la prétendue raison d’être du capitalisme : la prise de risque. Le risque est aboli aux USA.
Ainsi, les deux pays de l’axe qui a construit le capitalisme des années folles du libéralisme, les pays de Reagan et Thatcher ont rayé d’un trait de plume les tables de la loi qu’ils avaient imposées au monde. S’ils l’ont fait c’est par pragmatisme, pour éviter l’effondrement de leur économie. Car cette économie ne fonctionne pas sur les revenus du capital productif de valeurs matérielles. Aux États-Unis, la part de l’agriculture dans la richesse du pays est d’à peine 2%. La part de l’industrie manufacturière à peine 15 %. Tout le reste, ce sont les services qui font le résultat. Les services ce sont pour l’essentiel les activités de la finance : assurances, commerce et ainsi de suite. Tout cela est directement et étroitement connecté à la bulle financière et à l’économie globalisée. Or, l’OMC prévoit une rétractation du commerce international entre 13 et 30%. Bien plus que la situation de l’année 2008, autant qu’en en 1945 ! Il suffit de voir qui a entendu le signal donné par la banque centrale des USA pour comprendre qui avait peur et a toujours son angoisse. La bourse est repartie à la hausse. Inouï ! Si quelque chose peut prouver la dégénérescence du système, sa folie, c’est bien ce bond haussier des valeurs boursières. Car il faut voir de qui on parle : des compagnies d’aviation qui se valorisent de plus de 10% au moment où plus un avion ou presque ne vole, des croisiéristes au moment où plus personne n’embarque et de compagnies de placements financiers rassurées par le fait que plus personne ne fera faillite !
Les jours qui viennent de passer sont ceux d’un bouleversement radical de l’ordre financier mondial. Dans cette circonstance, les opérations de sauvetage ressemblent comme deux gouttes d’eau à des opérations de préparation de la prochaine hiérarchie des puissances mondiales. Autrement dit, ceux qui organisent leur sauvetage ne se soucient pas de la noyade des autres. Dans ce contexte, l’Union européenne est pire qu’un étouffoir. C’est un échafaud. Celui de tous les rêves de paix et d’égalité entre les nations qui la composent, de la volonté d’entraide et de solidarité qui anime toutes les consciences qui ont soutenu ce projet dans l’Histoire au point de refuser de voir sa dérive. Jusqu’au point que voici. Mais pour autant, les forces aveugles de la propagande gouvernementale continuent leur sale besogne : « enfin un accord en Europe », « un vigoureux plan de relance ». Et bien sûr madame Lagarde : « ce n’est pas le temps de parler de l’effacement de la dette ».
Notre proposition est donc arrivée jusqu’à elle. Annuler la dette, c’est-à-dire mettre en œuvre la technique simple qui consiste à faire racheter les dettes des États par la Banque centrale européenne et à les convertir en dette perpétuelle à taux négatif pour faire fondre le stock en 30 ans tout en redonnant une capacité d’emprunt massif aux États. Quelqu’un a mieux à proposer ? Sinon c’est le retour assuré du vieux catéchisme de la « rigueur pour rembourser les dettes » qui va redevenir le programme commun des gouvernements sous domination allemande. Sinon le projet du monde d’après pour les cent prochaines années, pour les cinq générations suivantes ce sera : « remboursez les dettes du vingtième siècle »