Les images des rassemblements « Justice pour Adama Traoré » ce mardi sont impressionnantes de calme et de détermination tranquille. La colère est froide. Elle est maitrisée d’une façon spectaculaire. Les provocateurs de l’extrême droite et de la préfecture de police en sont pour leur honte. La foule a aussi crié « Liberté Égalité Fraternité » et chanté la Marseillaise. Les fachos restent collés à leur réalité : des haineux hostiles au destin commun que le peuple veut se donner malgré les racistes.
Je crois que cette détermination est un écho direct de l’encouragement venu de la révolte citoyenne aux États-Unis. C’est un signal de première importance. Les gros sabots de madame Le Pen nous avaient alertés. Pour qu’elle se risque à dire que mon texte sur les États-Unis serait un appel à l’émeute en France c’est que les forces politique se disposent pour un affrontement avec une extrême rapidité. Pourquoi ? C’est qu’en France s’impose une réalité dont tout le monde connait l’importance. Toute une population ne peut plus respirer. Surtout cette jeunesse humiliée par les contrôles incessants, l’injustice permanente et les violences policières impunies avec ostentation. Et il y a aussi toute cette population dans tous les quartiers où les comportements de l’autorité écœurent et alarment.
Nous sommes très nombreux à savoir que le mépris venu d’en haut se mue toujours en remontée de dégoût. Mais il en est qui souhaitent le débordement. Surement pas les milliers de personnes pacifiques rassemblées dans les grandes villes du pays ce mardi soir. Mais toute la caste à la ramasse depuis les gilets jaunes semble compter là-dessus pour se refaire une santé électorale.
LREM, d’abord. Ses pratiques sectaires à l’Assemblée nationale où cette organisation s’est déjà déchirée en trois morceaux rayonnent dans tous les compartiments de la vie du pays. LREM a renoncé à la jeunesse réelle du pays. Son préfet de police à Paris se prend pour un garde chiourme au lieu d’assumer le rôle de pacificateur qui revient normalement au chef des gardiens de la paix que devrait être une police républicaine. Il jette volontairement de l’huile sur le feu. Ses déclarations aveuglées raisonnent comme autant de grossières incitations à la réplique. Les tirs de lacrymo et le nassage des rassemblements de mardi n’étaient pas destinés a « maintenir l’ordre » mais à provoquer le désordre dont les mouches médiatiques pourraient se régaler ensuite.
Comme le gouvernement, le Front national salive. Ses milices « identitaires » sont déjà en patrouille dans les rues comme à Lyon ou Lille prêtes à la castagne et aux agressions sous tous les prétextes. Comme aux USA, tous ceux-là comptent sur une majorité de la peur. Loin de chercher à résoudre les causes de la tension, ils vont l’alimenter sans cesse sur le mode qu’affectionne Trump. Peu leur importe pour eux de quel coût le pays paiera leur plan de communication. Peu leur importe la profondeur de la blessure qui déchire la jeunesse face aux abus de toutes sortes que le pouvoir cautionne. Et tout cela dans un contexte où le chômage enfonce dans le néant social près de cinq millions de personnes désormais tenaillées d’angoisse. Au moment où arrivent sept cent mille jeunes supplémentaires sur le marché du travail dès septembre prochain. Et ainsi de suite. Attention, attention aux apprentis sorciers du duo infernal Macron Le Pen !
La vague de la crise sociale arrive. Ce sera la plus ample que notre pays aura connu dans son histoire récente. En un mois, 840 000 chômeurs supplémentaires. Un million de plus en trois mois. Jamais la catégorie qui comptabilise les chômeurs qui ne travaillent plus du tout n’avait passé la barre des 4 millions de personnes. Ils sont désormais près de 4,6 millions. Et le pire reste à venir. L’industrie va être très durement touchée par les plans sociaux. Le Covid a bon dos. Les grandes firmes en profitent. Elles mettent en œuvre leurs plans les plus bornés d’avant crise. Pour sortir en tête du déconfinement et de la reprise des ventes qu’elles espèrent, la course à la « profitabilité » est repartie plus fort, plus vite, plus profondément. La globalisation financière fait la police. Politique absurde qui compte sur l’échec des autres en rendant du même coup la demande insolvable. Dans les 10 années qui ont suivi la crise de 2008, la France avait déjà perdu le cinquième de ses emplois industriels ! Cette fois-ci s’annonce pire.
Renault ouvre le jeu de massacre. Ses difficultés datent d’avant le coronavirus et le confinement. La marque française subissait déjà les contrecoups des attaques judiciaires japonaises contre Carlos Ghosn et surtout contre l’alliance entre Renault et Nissan. Évidemment, le confinement forcé de la moitié de l’humanité a largement empiré la situation. L’économie du pétrole et de la mobilité s’est soudainement bloquée. Les cours du baril en ont subi la première conséquence. L’industrie automobile est logiquement victime à son tour. En France, les ventes de voiture ont baissé de 70% en mars puis de 90% en avril. Les concessionnaires ont 400 000 automobiles invendues sur les bras.
Face à cette situation, la direction de Renault et le gouvernement appliquent des stratégies à courte vue. L’entreprise d’abord veut avant tout rétablir un retour sur investissement attrayant pour ses actionnaires. Sa priorité est financière, pas industrielle. Ce qui la conduit à chercher à couper les coûts de production à court terme. Sans imagination, une gestion archaïque : fermer des sites industriels, délocaliser, tailler dans les effectifs. Le plan présenté par la direction vise une économie de 2 milliards d’euros. Mauvaise pioche. Les managers ne font même pas l’effort de masquer leurs forfaits. Car ces deux milliards c’est exactement la somme que Renault a versé à ses actionnaires sur les années 2018 et 2019. L’entreprise n’en serait pas là sans cette dépense somptuaire.
Pour trouver ces deux milliards, Renault va supprimer 4600 emplois en France et réduire l’activité de plusieurs sites. L’usine de Choisy-le-Roi, qui reconditionne des boites de vitesse et des moteurs serait définitivement supprimée. L’Usine de Maubeuge, considérée jusqu’à une période récente comme la plus productive du groupe en Europe cesserait de produire des utilitaires électriques après 2023. L’usine de Flins n’assemblerait plus Zoé, la voiture électrique la plus vendue en France. Les Fonderies de Bretagne et l’usine de Dieppe sont aussi concernées. On le voit, il n’y a aucune logique industrielle dans ce bricolage. Alors que le gouvernement et la direction de l’entreprise n’ont que les mots « voiture électrique » à la bouche, ils condamnent à mort plusieurs sites où se concentrent pourtant les outils et les savoir-faire pour produire ces modèles.
Du côté du gouvernement, l’argent public est distribué massivement sans objectif pour le pays ni garanties sociales. Du côté de la demande, il réactive la prime à la casse. Elle augmente de 33%. Son unique but est d’aider les constructeurs à écouler leurs stocks. Or, parmi ces stocks, 96% des voitures sont des modèles thermiques à essence ou diesel. C’est donc essentiellement une prime pour continuer le modèle productiviste, polluant et condamné de la bagnole à l’ancienne. Côté offre, après avoir financé le chômage partiel, l’État s’apprête à signer une garantie à Renault pour un prêt de 5 milliards d’euros. Il n’y attache aucune demande de garanties sociales. Bruno Le Maire refuse d’imposer quoi que ce soit, au nom de la main invisible du marché. « Nous voulons laisser la possibilité à Renault d’adapter son outil de production » a-t-il déclaré.
Le « plan de sauvetage » de l’automobile de Macron serait risible s’il n’était si coûteux humainement et socialement. Il n’est pas construit selon une logique à long-terme, celle de la planification et de l’intérêt général. L’État est actionnaire de Renault à 15%. Il a les moyens d’imposer une stratégie ambitieuse et cohérente avec la bifurcation écologique. Faut-il laisser nos constructeurs se précipiter maintenant dans la conversion du parc des voitures essence et diesel et voitures électriques à batteries à lithium ? Nous n’avons aucune réserve de lithium en France. Il faut le faire venir de très loin et son extraction se fait à un coût écologique et social très élevé. Par ailleurs, la Chine a commencé à investir dans cette technologie il y a dix ans. Aujourd’hui, il vaudrait mieux préparer le prochain saut technologique, plus écolo : les piles à hydrogène ou d’autres batteries. La France peut être à la pointe pour les dix prochaines années plutôt que d’être à la traine.
Cela ne pourra se faire que dans un cadre où l’État reprend un rôle industriel et trace un horizon. Ce cadre, c’est celui de la planification écologique. Au contraire de la logique financière appliquée sans aucun recul, il impose de conserver les emplois. Les qualifications ouvrières, les collectifs de travail sont la principale richesse pour faire la grande bifurcation écologique. Nous en priver toujours plus est suicidaire. C’est pourquoi dans le cas de Renault, l’intérêt général est du côté des syndicats et des salariés qui défendent leur emploi et leur outil de travail.
Hourra ! Le peuple des États-Unis est en ébullition. Eh ! Vous ! Ceux qui avez trouvé la révolution citoyenne au Soudan trop exotique pour vous concerner, la révolution citoyenne à Beyrouth et à Alger trop arabes, celle du Chili trop latino, celle de Hong-Kong trop asiatique pour vous représenter ! Vous qui ne savez pas qu’il existe des synchronies discrètes mais avérées entre l’Argentine ou le Chili et la France, entre les Caraïbes et l’Île-de-France, entre Dakar et Paris, voyez ! voyez ! L’ère du peuple joue de la grosse caisse à Washington et la révolution citoyenne est dans les rues de New York. La gilet-jaunisation est entrée au cœur de l’Empire. Voici que surgissent des millions de chômeurs, des abandonnés privés de tout accès aux réseaux collectifs sans lesquels la vie est impossible, humiliés à longueur d’année par des flics racistes, manipulés par des politiciens sans conscience. Ils forment désormais un volcan qui vient de faire sa première éruption. Et ce n’est que le début d’une histoire qui va durer.
Non, les USA ne sont pas le roc qu’ils donnent à voir. Remontent en moi les souvenirs. Ma génération a pu voir les USA quitter leur ambassade à Saïgon dans une totale débandade, jeter à la mer hélicoptères et avions par-dessus bord de leurs navires de guerre parce que leurs collaborateurs locaux avaient tout envahi. Nous avons vu les USA qui avaient promis de « ramener le Vietnam à l’âge de la pierre » selon l’expression de l’abject général Westmorland, les USA vaincus à plate couture par l’inflexible patriotisme du petit peuple et de ses bodoïs, gazés, napalmisés, massacrés en masse et en détail. Le peuple américain peut tout lui aussi.
Bon d’accord, je ne retiens pas ce rire moqueur qui me vient. C’est celui d’un « Frenchie surrender », putois notoire et ses French fries. Car c’est ainsi que nous avons été caricaturés aux USA depuis notre refus de participer à leur lamentable deuxième guerre du Golfe. L’état d’esprit anti-français se déchaina alors jusqu’à l’absurde : vider des bouteilles de vin dans les égouts et vouloir rebaptiser les frites, de « French fries » en je ne sais quoi. Oui la rigolade : voir la Maison blanche s’éteindre pour devenir invisible pendant que le président Trump se cache à la cave ! « Salut Trump tu as le bonjour de Cuba, de Venezuela, de Salvador Allende, de Patrice Lumumba, et même du Che » ! Sans oublier Edgard Snowden, Julian Assange et les torturés de Guantanamo, les asphyxiés du waterboarding, le supplice de la baignoire, qui ne serait pas une torture puisque l’actuelle cheffe de la CIA la pratiquait elle-même il y a peu ! À son tour : à la cave ! Le persécuteur des peuples dans le noir ! Ce n’est pas cher payé pour l’instant.
Retenez ceci comme un avis d’observateur de longue date : tout ce qui advient aux USA arrive ensuite chez nous dans la décennie qui suit. Parfois plus vite. Qu’il s’agisse des modes, de la politique ou de faits sociaux. Le fin tissu qui nous unit n’est pas seulement économique, militaire ou ce que l’on voudra. Il est continuellement alimenté par les séries télévisées, le cinéma, les matrices narratives, les images de référence. Que cela plaise ou non, qu’on soit d’accord ou pas, il s’agit d’un effet de système profondément ancré. On peut ne pas s’être rendu compte que toutes les social-démocraties européennes répétaient soudainement les mantras clintonistes, ne pas avoir vu Sarkozy répéter en boucle à Rome et à Ryad les absurdités du « choc des civilisations » et ne pas savoir que l’autrice qui écrivait les discours, Emmanuelle Mignon les recopiait directement de Samuel Huntington, ne pas avoir vu le sommet du quai d’Orsay virer néo-conservateur. Mais quand les émeutes urbaines ont éclaté en France, quand on a vu Halloween et Black Friday occuper des millions d’esprits superficiels qui voudraient vivre comme dans une série US ? Non : rien ? Peut-être même qu’il en est encore pour ne pas savoir que Cédric Chouviat est mort d’un geste de policier comme celui commis contre Georges Floyd et que personne n’a été ni suspendu ni inculpé de quoi que ce soit. Et Adama Traoré et… et… Zineb Redouane, vieille dame abattue à sa fenêtre et qui est morte parait-il non de la grenade qu’elle a reçue dans la figure au quatrième étage à Marseille mais d’un arrêt du cœur imprévisible sur la table d’opération !… Peut-être d’autres n’ont-ils pas remarqué que les éborgnements de manifestants ne sont pas des bavures mais un fait désormais universel.
Au fond, peu importe. Aucune alerte, aucune mise en garde n’aura jamais rien produit dans notre pays à part des heures de prêchi-prêcha haineux contre toute forme d’opposition et de dénigrement personnalisé contre les fortes têtes pourchassées sans répit les Jérôme Rodriguez, Taha Bouhafs, Drouet, Dufresne, Wamen et ainsi de suite et pour finir avec Camélia Jordana. Je ne sais comment dire combien cela me désole. Car la suite est écrite. Et ceux qui me lisent savent la lire.
Aux USA, le fil des révolutions citoyennes est resté net : fermentation politique longue depuis Occupy et les Anonymous, évènement fortuit (la mort de Georges Floyd), union sans parti ni représentant, revendication égalitaire (« la vie des Noirs compte »), mobilisation universaliste, non communautaire pour la première fois depuis longtemps, mot d’ordre polysémique fédérateur (« je ne peux plus respirer »). Oui mais voilà : il s’agit des USA et de la première saison de l’après Covid-19. Elle ouvre la crise sociale monstrueuse qui va déferler. Les USA déjà désemparés, inondés de dollars de planche à billets, sans projet collectif, labourés par les socs contraires du petit peuple social et du petit peuple facho. Les USA paralysés par la gélatine du parti démocrate qui a eu la peau de Sanders pour ce néant qu’est Joe Biden. Les USA où les latinos seront dans une poignée d’années la plus importante minorité devant les afro-américains et les beaux blancs protestants. Les USA où le catholicisme sera bientôt la première religion chrétienne du pays modifiant ainsi la matrice spirituelle d’un pays où la religion est sur chaque billet de banque avec la formule « in God we trust ». Les USA et leur dollar bidon, leur État fédéral bringuebalant. Bref, les USA chancelant vont faire vaciller le monde. Trump voudrait interdire les anti-Fas, pendant que des miliciens d’extrême-droite en armes défilent dans les rues. Ils contrôlent ici ou là et les passants, comme nos identitaires dans le métro de Lyon et dans des bus à Lille pendant que les castors pyromanes pérorent loin de toute réalité « faire barrage ! faire barrage ! ».
Les événements nord-américains sont décisifs. Ils nous obligent à faire un point réaliste. Si l’extrême droite « suprémaciste » l’emporte aux USA, ce sera bien autre chose que ce qu’elle a déjà fait en Pologne, Hongrie, Autriche, au Brésil, en Inde ou aux Philippines. Si les nôtres se donnent une expression politique capable d’être majoritaire, tout devient possible dans la civilisation humaine. Ayez grand soin de vous monsieur Bernie Sanders ! L’Histoire ne ferme jamais boutique.
Pour certains, le monde d’après c’est pire qu’avant et ça commence tout de suite. Ainsi, en pleine crise sanitaire, l’entreprise américaine General Electric se prépare à trahir une nouvelle fois ses engagements pris devant ses salariés français et le gouvernement de notre pays. Elle a débuté ces dernières semaines des opérations de délocalisations qui annoncent son intention de fermer le site de Belfort. La construction de pièces aéronautiques sont transférées en Hongrie. Les activités de réparation de retors, pour lesquelles l’usine de Belfort est la meilleure du monde, sont délocalisées en Arabie saoudite. Et d’après les syndicats et les élus locaux, la multinationale prépare aussi le transfert de l’assemblage des turbines aux États-Unis. Il s’agit bien un dépeçage en règle du site industriel de Belfort à peine six mois après avoir signé un accord, le 21 octobre 2019, où elle s’engageait à la pérennité de cette usine.
Comble du cynisme, General Electric prend prétexte des conséquences de la pandémie de coronavirus. Selon ses dirigeants, c’est l’absentéisme des ouvriers et la diminution temporaire de l’activité qui les pousseraient à ces décisions. On peine à la croire. Le Territoire de Belfort est l’un des départements les plus touché par l’épidémie, rapporté au nombre d’habitants. Si les ouvriers sont moins allés travailler, c’est avant tout pour respecter des consignes de santé publique, ou parce qu’ils étaient malades eux-mêmes. Mais depuis leurs bureaux aux États-Unis, les chefs de GE préfère les faire passer pour des feignants.
En fait, c’est l’occasion pour la multinationale de finir le travail qu’elle avait commencé l’an dernier. En 2019, elle avait prévu un grand plan social dont l’application serait revenue à condamner la production industrielle à Belfort. Ce plan était déjà la violation de ses engagements de 2015. General Electric avait alors racheté l’entreprise française, Alstom. Le ministre de l’économie de cette époque, Emmanuel Macron, avait donné sa bénédiction. Les deux avaient alors promis la création de 1000 emplois en France en 3 ans, et l’installation du centre européen des turbines à gaz à Belfort. Mais quatre ans plus tard, le plan de GE comprenait prêt de 800 suppressions de postes et le centre européen avait été installé en Suisse.
Les salariés s’étaient mis en grève pour refuser cette condamnation à mort. Deux grandes manifestations auxquelles j’ai participé à Belfort les 22 juin et 19 octobre 2019 ont montré la mobilisation, non seulement des ouvriers mais de la ville et du département tout entier. Des élus de toutes tendances se trouvaient dans les cortèges. Face à ce front uni, General Electric avait fini par faire quelques maigres concessions, sous le patronage du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. L’entreprise américaine s’engageait à réduire à 307 le nombre de départs dans son plan social. Ce qui permettait, selon les syndicats, de conserver une usine viable.
Désormais, la mise à mort de l’Alstom de Belfort est sur la table. General Electric est en train de pratiquer une stratégie de la terre brûlée. La crise économique déclenchée par le krach sanitaire lui a donné le prétexte pour imposer à tous ses sous-traitants de Franche-Comté et Bourgogne une baisse de prix de 20%. Le but est de tuer le tissu industriel de cette région afin d’empêcher un éventuel concurrent de le mobiliser lorsqu’elle sera partie. Il s’agit quand même d’un réseau de 270 entreprises, chacune avec leurs ouvriers qualifiés, leurs savoirs techniques accumulés. Comme le dit le responsable local de la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) : « personne ne sait de toutes les façons faire avec 20 points de marge en moins. Cela ressemble à de l’abattage pur et dur ».
Le choc déclenché par la pandémie a fait réaliser, parait-il, à Emmanuel Macron l’intérêt de la souveraineté industrielle. La main sur le cœur, il a promis : « le jour d’après ne ressemblera pas au monde d’avant. Nous devrons rebâtir notre souveraineté ». C’est le moment de joindre les actes à la parole. General Electric nous a menti. Encore une fois. Nous ne pouvons pas laisser une multinationale, pour des raisons financières, détruire le tissu industriel de toute une région. Nous avons besoin de l’Alstom pour produire les turbines qui nous aiderons à réaliser la transition énergétique. Nous en avons besoin pour notre indépendance puisque cette entreprise produit aussi certains composants dans notre porte-avion. J’adjure Emmanuel Macron et Bruno Le Maire de ne pas laisser General Electric nous dépecer encore une fois.
Avant de s’entretuer pour le deuxième tour des municipales, les chevaux légers des partis de la gauche traditionnelle ont privilégié les appels unitaires. Pour l’essentiel, ils regroupent les anciennes factions de la gauche gouvernementale et unissent des groupes et personnalités qui en sont issues. Elles se constituent en vue de formuler un « projet commun » et disent vouloir un candidat commun comme « seul moyen d’éviter la menace d’un nouveau duel Macron Le Pen en 2022 ». Elles comptent pour cela sur une addition des électorats sauf celui des insoumis. Elles espèrent aussi l’apparition d’un « leadership naturel » comme dit Éric Piolle, le maire de Grenoble qui a déclaré assumer ce rôle.
À coup d’un appel unitaire ou deux par semaine, les occasions de s’unir ne manquent pas. C’est bien leur droit. Mais pourquoi les rubricards exagèrent-ils parfois comme ils l’ont fait a propos de l’appel dit « des 150 » en rajoutant ou bien des personnalités ou bien des partis qui ne signent pourtant pas ? Pourquoi oubliaient-ils de demander pourquoi les absents se refusaient ou bien pourquoi ils signaient un appel et pas l’autre ? Ni pourquoi et comment des macronistes de la semaine dernière ou des sarkozystes d’il y a dix ans peuvent se sentir aussi à l’aise au milieu de révolutionnaires affirmés comme Olivier Faure ? Comme on ne peut pas soupçonner ces rubricards d’être de parti-pris, ni eux-mêmes militants, il nous reste hélas la pire des causes : la flemme. Recopier le titre, sélectionner les signataires aguichants. Mais la chefferie de la rédaction pourrait trouver ça trop fade. Elle pourrait commander un travail à faire réellement.
Du coup, pour que le plat ne soit pas insipide il faut le pimenter. Chacun de ces messieurs-dames les indolents n’oublie donc jamais de donner le frisson d’excitation qui animera le dîner en ville : souligner notre « absence », « bande à part » et ainsi de suite. Certains vont même jusqu’au point de m’attribuer aussi les refus de signer comme le fait un de ces journaux sur la foi d’un témoin… anonyme bien sûr. Mais il faut dire que la pige pour celui-là était bien payée comme il en fit l’aveu. « Sauf-LFI » ayant fait déjà à deux reprises des offres de « front populaire » puis de « fédération populaire », comment expliquer que les divers groupes d’unitaires pourtant divisés s’accordent à ne jamais en mentionner l’existence ni donner un avis sur le sujet ? Toute la comédie de l’unité est dans cette amnésie de commande.
Pourtant, les factions unitaires concurrentes ont chacune leurs charmes. Et il reste en moi quelque chose des émotions venues du monde où je les ai connus autrefois. Quelle joie pour moi de les voir se mobiliser avec toute cette énergie pour une stratégie du « Rouge-Rose-Vert » que j’ai défendue il y a quand même déjà 25 ans avec Julien Dray, Marie Noëlle Lienemann et « la gauche socialiste » au PS. Et qui a rendu possible la victoire de Lionel Jospin en 1997. Évidemment à l’époque, leurs parrains politiques et parfois eux-mêmes votaient contre cette unité, à pleine urnes bourrées. À cause d’eux on a perdu un quart de siècle, une génération… Mais ça reste un plaisir rare de les voir réciter mes textes, ceux de Julien et Marie-No avec la mine de gens qui viennent de découvrir le fil à couper le beurre…Mais même si tardive, cette revanche intellectuelle m’amuse. Rendez-vous dans une génération pour les entendre vanter la 6ème République, le référendum révocatoire et la planification écologique.
Pour l’heure, les feuilles mortes se sont accumulées, brûlées par le soleil du déconfinement. Tous ces appels sont morts pas seulement d’indifférence mais surtout d’inconstance. Leurs propres signataires les ont oubliés à peine signés. Et puis le deuxième tour des municipales a imposé ses compétitions. On cherchera en vain un seul de ces grands unitaires critiquant les divisions que provoquent leurs proches amis. Les socialistes tuent tout ce qu’ils peuvent autour d’eux et les Verts en font autant. Tous sont merveilleusement d’accord cependant dès qu’il s’agit d’expulser une liste ou une candidature insoumise. Parfois cela échoue. On peut compter sur la presse pour invisibiliser les nôtres. Ce qui nous convient parfaitement, avouons-le.
Mais la saison des appels aussi aura été fructueuse sans bouger beaucoup. Il aura suffi d’attendre pour voir les meilleurs éléments comprendre dans quelles assemblées de pavés autobloquant ils avaient été aspirés. D’aucuns ont donc ouvert la discussion avec les insoumis. Car beaucoup ne voulaient d’abord pas croire que toutes ces coteries avaient bien une cible essentielle. Tous ou presque se vantaient de vivre sans nous. « Sauf LFI » était le refrain. Et l’objectif. Rien ne pouvait mieux nous convenir. Les rubricards appartenant intellectuellement aux mêmes couches géologiques que bien des signataires d’appel unitaire, le monde réel de l’après 2017 leur échappe tout autant. Au point d’inventer des communiqués signés par tous « sauf LFI », même quand il n’y avait pas de communiqué. Ce fut notre dessert.
Mais le mieux fut le dernier à paraitre, « l’appel des 150 ». Monté sur le mode du coup de force par surprise contre les autres groupements unitaires, il avait réussi à saturer la scène médiatique selon la loi bien connue d’après laquelle la valise éclate pour une chaussette de trop. Cependant, le moindre connaisseur voyait bien comment cette initiative ne réunissait qu’un secteur étroit de la population unitaire possible. L’absence des autres aurait dû alerter. Voir des communistes signer sans leur secrétaire général ni les unitaires de leur parti aurait dû intriguer. Nenni ! Volens nolens, Fabien Roussel se trouva montré en photo entre Faure et Bayou. Les rubricards comme je l’ai dit s’en tinrent à l’essentiel dès la première ligne : « sauf LFI ». Un délice.
Évidemment l’affaire tourna court, comme d’habitude, avant de se révéler être une bombe à fragmentation interne. Elle accentua gravement les divisions entre unitaires du dedans et ceux restés dehors. Car les unitaires resté dehors n’ont pas aimé se faire assimiler à un texte sans contenu ni arête dont le seul résultat serait « sauf LFI ». Ceux-là sont en vérité sur la même longueur d’ondes que nous : pas de leçon du passé réellement tirée sans clarté totale sur les objectifs et les questions qui ont fâché. Avec cette aile des unitaires notre divergence n’est pas décisive. Elle se résume facilement : nous n’y croyons pas/ils veulent essayer.
Quant aux autres, contentons-nous de dire l’essentiel : nous ne sommes pas sur la même ligne du tout. Mais surtout, disons que ça ne sert à rien de faire semblant. Car, rappelons-le, une campagne électorale n’est pas un congrès de synthèse. Elle consiste à convaincre des personnes d’aller voter et de le faire avec nous. Or, les unités de façade, les auberges espagnoles coutumières ne convainquent personne et désespèrent tout le monde, de tous les côtés à la fois. Car le grand nombre n’est plus disponible pour les vieux tours de passe-passe dont une partie des signataires ont été partie prenante dans un passé récent. Prenons un exemple. Najat Vallaud-Belkacem, signataire de l’appel des 150. C’est sans aucun doute une femme brillante. Mais elle a été porte-parole des gouvernements Hollande et une ministre de l’Éducation assez controversée. Un mot de bilan et de regrets de sa part n’aurait pas été de trop avant de reprendre un tour de manège. Elle n’en fit rien et personne ne lui demanda rien. Carole Delga, signataire avancée pour l’unité fait capoter l’union à Toulouse et s’affiche avec Moudenc. Et ainsi de suite.
En résumé : pour nous, la clarté mobilise davantage qu’elle ne clive. Or la méthode de bien des « unitaires » est à l’inverse : c’est celle où le moins disant a forcément le dernier mot. En effet sa présence est le symbole de la diversité de l’attelage. Donc par crainte de son départ, ces unitaires lui donneront toujours raison. Comme le système des primaires, ce type de physique ramène toujours la bille là où les forces s’annulent. La seule dynamique que cela créé est celle de l’effondrement. C’est une machine à fabriquer des « trous noirs », comme dans l’univers, dont aucune énergie ne parvient jamais à ressortir. Il faut donc s’en tenir éloigné et résister à l’attraction qu’elle exerce sur les éléments les plus volatils.
Heureusement, il y a aussi des points d’appui sérieux. Vous vous souvenez ? C’était en plein confinement une tribune intitulée « Plus jamais ça » signée par vingtaine de syndicats et ONG. La France Insoumise, le NPA et Génération·s avaient immédiatement répondu favorablement. Nous avons organisé quatre « manifs en ligne » sous le timbre « Plus jamais ça » qui furent, les quatre, des succès notoires. Pour les Insoumis, l’existence de ce cadre d’action réalise à sa façon la « fédération populaire » qui est au centre de sa stratégie pour mobiliser la société en rompant les cloisonnements entre syndicats, partis et associations. L’organisation des « marées populaires » avaient été en 2018 une forme confirmant la valeur de cette démarche.
À nos yeux, « Plus jamais ça » prend le problème par le bon bout. D’abord en posant correctement le sujet. Le problème central, deux ans avant l’élection présidentielle qui affole, ce n’est pas « la gauche » c’est le gouvernement libéral, sa politique, sa répression. Le devoir est donc d’accompagner les mouvements de la société, de les fortifier de les aider à vaincre ou du moins à desserrer l’étau. C’est pourquoi il faut débarrasser ce travail des intrigues et manœuvres liées au calendrier électoral.
Une réunion à l’invitation de l’appel des 18 de « Plus jamais ça » s’est tenue ce 20 mai. LFI y était représentée par Éric Coquerel, Mathilde Panot et moi-même. Nous y avons confirmé notre engagement à soutenir l’initiative aussi longtemps qu’elle proposera des actions revendicatives fédératrices. Nous avons proposé pour cela une liste de dix points d’initiatives concrètes pour cela pour commencer la discussion. Nous avons rappelé que seule l’action pourrait nous fédérer. Serait contre-productive toute implication dans une discussion électorale ou création de cadre politique commun sur le seul but du rassemblement pour le rassemblement. En effet nous croyons que le cadre de l’appel « Plus jamais ça » peut jouer un rôle très favorable pour permettre l’action commune sur des points précis. Ainsi serait favorisée la remobilisation populaire sans laquelle tout est vain. De son côté, le comité « Plus jamais ça » a publié un plan de sortie de crise. Nous l’approuvons. Nous ne le faisons pas pour de raisons diplomatiques. Ni par culte du rassemblement. Nous le faisons parce que nous sommes d’accord avec le contenu. Nous sommes d’accord parce que nous y retrouvons les points que nous avons défendus dans « L’Avenir en commun », dans notre travail parlementaire et dans nos dix propositions. Ça c’est le bon chemin droit et stable sur lequel on peut avancer sans avoir à recompter ses doigts après une poignée de main.