Cette interview a été publiée dans le journal La Provence le 18 septembre 2020.
Est-ce bien raisonnable d’organiser une rentrée sociale dans la rue en ce moment ?
La question sociale doit se donner à voir. Le confinement de l’urgence sociale serait malsain. Surtout quand je vois dans les élites européennes une forme d’indifférence à l’aspect humain de l’impact social du Covid. Je reproche à Macron d’abaisser les capacités de solidarité du pays en subventionnant les grands groupes qui licencient.
Les gens font preuve de courage quand ils se mobilisent. Ils affrontent les peurs du lendemain, du Covid et l’ambiance répressive dans les entreprises.
Est-ce vraiment le cas?
Les modifications du code de travail et les ordonnances prises dans le cadre du plan de relance ont réduit les libertés syndicales et accru la vulnérabilité des salariés. La mobilisation est un signal de vitalité.
On parle plus aujourd’hui de séparatisme ou de 5G que de l’emploi ou du social…
C’est pourtant une question croissante parce que nous allons avoir un ou deux millions de chômeurs de plus dans les prochains mois. La discipline sanitaire du pays ne pourra se faire sans cohésion sociale. À cela s’ajoute l’accélération brutale du dérèglement climatique, les crises de l’eau, les tempêtes, pour lesquelles le pays n’est pas préparé. Les conditions de l’action politique changent complétement. Les gens ressentent un désir d’entraide sur les causes communes face aux dangers. J’ai fait mien ce souci. Une certaine forme de conflictualité, quand elle n’est pas justifiée par le besoin de s’en sortir ensemble, n’est plus admise.
Cela met de côté les débats actuels sur le séparatisme?
Quel contre sens ! Pour l’extrême-droite et Macron c’est : « tout est la faute des musulmans ». C’est absurde. Ils craignent les solidarités sociales du peuple alors ils injectent sans arrêt le venin de la division. Macron, avec son « séparatisme », pose de manière démagogique un acte d’une gravité extrême. La loi n’a pas à montrer du doigt une partie de la population. Il fabrique une division inutile et dangereuse.
Son virage sur la crise du Covid où il veut moins contraindre les Français parait apaisant…
Que veut-il dire ? Il faut de l’efficacité, c’est tout. Les gens voient les mensonges, les gesticulations, les postures. Il lui restera sur les bras le fait qu’ils ont commencé par dire qu’il n’y avait pas besoin de masques ni de tests. Avant de changer d’avis et de créer un trouble énorme. Ils n’ont tiré aucune leçon de la crise de mars. Ils n’ont pas prévu la baisse de la réserve sanitaire. Ni rien pour les très nombreux décrocheurs scolaires. C’est grave la désocialisation d’une partie de la jeunesse.
Le plan de relance ne marque-t-il pas une volonté de bien faire socialement?
Beaucoup de vent ! Car sur les 100 milliards, 30 ont été dévorés par la période précédente. Les 40 milliards de l’Europe en coûteront 60 à la France pour payer sa part du plan global. Au fond, Macron est un idéologue obstiné. Il croit que l’argent finit par ruisseler du haut vers le bas. Et il se sert du choc actuel pour déréguler encore plus. Le système néolibéral atteint sa limite : il est incapable de faire face à la situation de détresse globale de nos sociétés
On parle d’un changement de modèle de société…
On le voit avec les propositions de la conférence citoyenne sur le climat. À 90 % ce sont les nôtres. Mais quand elle demande un moratoire sur la 5G macron nous traite d’Amish. Un mépris, significatif de la manière d’être de Macron, dans la com et la caricature. Il veut être le chef de la droite. Du coup, il hérite de ses problèmes, dont l’extrême droite. Il fait donc de la surenchère.
N’est-ce pas une occasion pour une gauche unie de gagner ?
Gagner, c’est possible. La dispersion peut nuire gravement. Mais l’union n’est pas un programme. La confusion et les arrangements ne nous ferons pas gagner. Il faut construire des majorités d’adhésions, pas des coalitions de refus. On ne pourrait pas gouverner ensuite. Comment on tranche sur les questions de fond comme l’Europe, la planification écologique, la 6e République?
Le Printemps marseillais est un exemple d’union victorieuse. Peut-on imaginer un Printemps français ?
J’ai dit, pour pousser au débat, que je me sentais une vocation de candidat commun. Mais, on me réplique que la planification est du verticalisme rouge vert. Qu’on doit accepter les traités européens. Je mets sur la table le programme L’Avenir en commun qui a déjà recueilli sept millions de voix. Aussitôt EELV et le PS m’accusent de vouloir l’imposer. Pourquoi ces caricatures ? C’est le programme qui fera les votes. Être contre les autres n’est pas suffisant.
La question écologique sera-t-elle centrale en 2022 ?
Elle sera indissociable de la question sociale. Voyez la petite dispute sur les sapins. On fait comme s’ils étaient plantés tout seuls, alors qu’il y a une filière économique. On ne peut faire peur à tous ses salariés sans proposer d’alternative. La bifurcation écologique de l’appareil productif est impossible sans investissement. Mais le capitalisme financier joue tout sur le court terme. Il faut l’affronter et juguler son pouvoir. Sur ce point il y a beaucoup de déni à EELV.
La sécurité va également porter la présidentielle…
Nous demandons de comptes. Ça fait 30 ans qu’il pleut des lois sur le sujet : 32 sur la délinquance, 16 sur le terrorisme, 21 sur l’immigration. 100 000 personnes attachées aux tâches de « maintien de l’ordre » : et pourtant, un sentiment d’insécurité croissant et une croissance de la grande delinquance. Pourquoi? Nous proposons une refonte de la police, de la cave au grenier.
Quels outils apportez-vous?
Une formule d’action : prévention, répression, réparation. De la formation et une force populaire de sécurité civile. La répression doit être efficace pour déconstruire les structures de la délinquance et du crime. Aujourd’hui ça coûte cher et ca ne marche pas.
Le terme « ensauvagement » vous fait-il bondir ?
Le mot prête à confusion : le contraire de sauvage c’est domestique. Il n’est pas question de domestiquer la population, mais de l’éduquer, de lui apprendre à s’émanciper de sa violence spontanée là où il y en a. Le mot est stupide, mal choisi, et destiné à stigmatiser une partie de la population.
Peut-on imaginer la présidentielle de 2022 sans vous ?
Contrairement à une idée erronée, je décide lentement et je consulte beaucoup. De toute façon il faut prendre une décision sans tarder, du fait que la vie avec le Covid risque de réduire les moyens de rencontres des campagnes électorales. Je vois bien qu’il y aura au moins un candidat vert, peut-être avec le PS. Les communistes parlent d’avoir une candidature. Cela me renforce dans l’idée que le programme le plus convaincant gagnerait. On a fait de grands progrès. Nos mots, tels que «6e République» ou «planification écologique» sont dans le vocabulaire courant. On peut y arriver.
Lionel Jospin dit que vous devrez arbitrer entre votre intelligence et votre tempérament. La perquisition au siège de LFI et votre tempérament vous ont coûté …
C’est vrai. L’abus de pouvoir a atteint son but. C’est devenu un sketch, une construction médiatique de A à Z quand, pendant des mois, une émission me met dans son générique. Macron est un rude adversaire. Il faut réagir politiquement et reconstruire ce qui a pu être abîmé. Je le fais du mieux que je peux.
Charlie Hebdo vous place en couverture dans son dernier numéro entre Edwy Plenel et Tarik Ramadan et titre « Plutôt Charlie ou Kouachi? ». Comment l’avez-vous pris?
Qu’ai-je à voir avec Tarik Ramadan ou les intégristes religieux ? Ce Charlie là, ce n’est plus celui de mes amis Charb ou Cabu. Là on est dans les méthodes d’amalgame de l’extrême-droite. Avant on m’attaquait sur Cuba et le Vénézuela. Et encore avant j’étais un laïcard bouffeur de curé. Je suis triste de voir comment ces gens sont en train d’évoluer. Je déplore que Marianne et Charlie soient devenus les bagagistes de Valeurs Actuelles. Je les aimais bien. Maintenant ils favorisent une manière de traiter la question du regard raciste qui encourage les débordements. Ils facilitent l’escalade zemouriste.
Charlie Hebdo est un journal satirique, ce n’est pas le cas de Valeurs Actuelles…
Et alors ? La satire est neutre politiquement ? Il pourrait m’insulter mais moi je n’aurai pas droit d’argumenter ?
Ça vous plait aussi, de vous battre…
Pas dans la boue. L’islamophobie est aussi nocif que l’antisémitisme. Pour le reste j’ai fait la preuve qu’on pouvait être sur une ligne radicale et être élu. Être pour une révolution citoyenne et rassembler des millions de votes. J’essaie de corriger mes défauts et d’approfondir mes qualités. Comme tout le monde.