TCHÉTCHÈNE – Je regrette d’avoir utilisé le mot « communauté » à propos des Tchétchènes. Dans le contexte de malveillance et de harcèlement auquel je suis soumis, cette expression a pu être utilisée pour faire croire que j’attribuerais à tous les Tchétchènes l’horreur du comportement individuel de quelques-uns. Le ministre de l’Intérieur s’y est abaissé. Ce n’est pas le cas évidemment. Le mot « communauté » est certes employé cent fois par jour en médias pour attribuer des sentiments ou des opinions à des groupes professionnels sans que cela ne soulève de protestations. Mais dans le contexte, il n’était pas approprié. Au demeurant, sur le sujet, il n’a rien à voir avec ma façon de voir. Je crois, à la suite des fondateurs de l’Humanisme et du courant des Lumières, et en accord aussi avec les principes religieux du libre-arbitre, que les êtres humains sont créateurs de leur propre devenir. Aucune communauté culturelle ni religieuse n’exempte de la liberté de conscience dont chacun dispose pour apprécier sa responsabilité individuelle dans les actes qu’il pose.
Puissent ces mots conduire les politiciens et commentateurs à regretter les abus de langage infamants auxquels ils se sont eux-mêmes livrés contre les insoumis. Peuvent-ils ignorer que, dans le contexte d’exaltation qu’ils créent, ils nous placent une cible dans le dos en nous accusant sans pause ni trêve des pires absurdités ? Pour ma part, avec mes amis, nous avons respecté la trêve des polémiques pendant le deuil national. Nous avons plaidé le devoir d’unité de tout le peuple face à l’épreuve. Et pour cela, nous avons toujours protesté contre toute tentative de stigmatisation des musulmans. L’humanisme en politique existe. Je l’assume jusqu’au point de savoir quand la vigilance sur mes mots n’a pas été suffisante. Je prie donc les Tchétchènes d’accepter de m’en excuser.
Pour le reste, je mets en garde ceux qui s’abandonnent aux surenchères stigmatisantes. La mise en cause des rayons alimentaires, si ridicule qu’elle soit, ouvre une brèche écœurante et l’on peut même voir un éditorialiste réclamer désormais le confinement des produits casher comme halal à des boutiques spécialisées. Un jour les musulmans, le lendemain les juifs. Un jour les insoumis, le lendemain tous les autres partis à tour de rôle. L’offensive idéologique brune a toujours procédé de même sous toutes les latitudes. Ceux qui croient pouvoir se cacher seront rattrapés. C’est donc tout de suite qu’il faut résister. L’expérience doit éclairer notre devoir de courage et d’unité.
Je suis frappé en effet de voir comment toute la scène médiatico-politique a été emportée par l’extrême droite en quelques jours. Une chronique savoureuse de Télérama présente un compte rendu sur une seule émission qui est révélatrice d’une ambiance générale. Il se dit beaucoup n’importe quoi et les passe-plats « journalistes » sont au mieux inertes et au pire en rajoutent. Entre Xavier Bertrand, qui propose de mettre la laïcité dans la Constitution alors qu’elle est déjà à l’article 1 de celle-ci, et ce journaliste-potiche affirmant qu’il « n’a pas vu beaucoup de musulmans place de la République » et se retrouve comme un idiot quand on lui demande comment il fait pour reconnaître un musulman, le dérapage est général.
Jusqu’à ce moment lunaire où sur une chaîne d’information en continu, des élus d’extrême droite et des chroniqueurs antimusulmans patentés commentaient en direct les discours de la Sorbonne. La France insoumise a été un bouc émissaire de confort pour toutes sortes de personnages et de clans aux motivations les plus diverses. À partir de « l’accusation » d’avoir participé a une « manifestation islamiste » le 10 novembre de l’année passée, sans retenue et sans aucune rectification ni question sur quelque plateau que ce soit, le système « bout de ficelle/selle de cheval » a permis d’arriver jusqu’au point où j’ai été accusé d’être personnellement complice du crime de Conflans.
L’invocation de cette manifestation du 10 novembre fonctionne comme un repère politique très précis. C’est à partir de là que « Valeurs actuelles » avait fait une «une » nous présentant en photo avec le titre « islamo collabo » qui est devenu ensuite le refrain d’un arc médiatique très large jusque dans la bonne société médiatique. Si cette manifestation était vraiment un problème alors pourquoi les autres appelants ne sont-ils jamais interpellés ? Francis Chouat, député valsiste et Meyer Habib, député d’extrême droite, hurlent « collabo » quand je prends la parole à l’Assemblée nationale le jour des discours de deuil national. Mais ils se lèvent pour applaudir à juste titre le député communiste André Chassaigne qui a pourtant lui aussi signé l’appel à cette manifestation. Il en va de même pour la CGT, la FSU, Attac, Jadot, et combien d’autres qui en ont fait de même. Le reste des mises en cause est du même acabit. Mais l’ambiance est si violente que personne ne résiste.
Le problème à mes yeux n’est pas l’injustice infamante du procédé, ni même la douleur de devoir constater la lâcheté de certains donneurs de leçons qui ont ensuite enfourché le cheval du mot « communauté tchétchène » pour se dispenser de quelque solidarité que ce soit. Ce qui doit inquiéter, c’est la situation qui est créée par ce genre de procédé. Évidemment, il donne le point aux terroristes qui réussissent à obtenir une division majeure dans le champ politique. Un acte de pure barbarie obtient alors un double résultat politique : dans la sphère politique et dans la société. Mais surtout, cela donne un rôle dirigeant à l’extrême droite dès lors que sa vision du monde et ses concepts politiques deviennent ceux de l’officialité politico-médiatique.
Cette pente est celle d’une guerre généralisée de chacun contre tous. Ce que j’ai appris de mon engagement dans divers pays me fait savoir que ce genre de pente peut vite passer hors de tout contrôle et que, pour en réparer les dégâts ensuite, la société paie d’une interminable convalescence et de bien des rechutes. Cette déchirure, quand elle se produit, nourrit des flots de rancœurs et de haines croisées dans la population. Alors l’unité d’action sociale en est empêchée. Sans parler de ce que devient la façon de vivre en société. C’est le but de toute l’opération. Dans mon esprit, donc, la ligne de l’unité du peuple est le premier barrage à opposer. Il sera temps ensuite de voir comment redéployer dans la question sociale qui pendant ce temps ravage le pays. Car cette riposte-là unifiera le pays.
Je ne lâcherai pas le sujet. L’eau est le grand défi de l’Humanité pour le siècle à venir. Le dérèglement du climat est aussi un dérèglement du cycle de l’eau duquel dépendent toutes les activités des sociétés humaines. Pourtant, l’eau tient une place très secondaire dans le débat politique ordinaire. C’est pourquoi je m’efforce, dès que j’en ai l’occasion, d’en montrer les enjeux. Ces dernières semaines je suis allé voir le Doubs à sec, puis dans le marais poitevin participer à une manifestation contre un système d’irrigation irresponsable inventé par l’agriculture productiviste. Ces visites sont racontées dans deux « vlogs » disponibles sur ma chaîne YouTube. Je crois que les images, leur puissance évocatrice peuvent éveiller les consciences. J’ai donc continué la série des déplacements sur ce thème, vendredi 23 dans le Morvan.
Ici, je voudrais évoquer le sujet de la financiarisation de l’eau. En effet, l’eau devient rare dans plusieurs endroits du globe. Dès lors, le capitalisme financier et boursicoteur est alléché. Il y voit naturellement une source de profit et de spéculation. Nous avions déjà constaté cela en Australie lorsque des incendies avaient ravagé ce pays à l’automne 2019. L’eau manquait alors pour lutter contre leur propagation. La raison ? En Australie, n’importe quel acteur privé peut acquérir des quotas d’utilisation de l’eau douce disponible. Or, peu avant les incendies, une quantité importante d’eau disponible avait été acquise par un fonds de pension canadien. Il comptait l’utiliser pour irriguer des champs d’amandiers destinés à payer des retraites par capitalisation. Et pour cette raison, l’eau manquait en Australie.
La Californie aussi s’est dotée du même système de quotas depuis 2014. Et donc, elle a créé un marché de l’eau comme réponse aux pénuries de plus en plus répétées qu’elle subit. Évidemment, le propre d’un tel marché est la volatilité des prix. Quand l’eau vient à manquer, son prix augmente. Chacun se rend bien compte de la dangerosité d’une telle invention. Mais la Californie vient de passer un nouveau stade. Deux bourses américaines viennent d’autoriser des produits dérivés sur l’eau. C’est-à-dire la spéculation sur l’eau. Les boursicoteurs pouvant acheter plusieurs mois à l’avance de litres d’eau et les revendre plusieurs fois avant qu’une goutte de cette eau ne soit effectivement utilisée.
Ce type de financiarisation d’un bien commun naturel s’est déjà produit. L’agriculture dominante fonctionne sur ce modèle. Nous pouvons en voir les résultats. Le volume de produits dérivés échangés sur les marchés a été multiplié par 16 depuis 2000. Et seulement 2% des échanges sur les marchés financiers agricoles correspondent à des livraisons réelles de récoltes. La plupart sont achetées et revendues plusieurs fois avant même d’être semées. Cette configuration renforce les possibilités de flambée de prix. En 2007-2008, une bulle spéculative avait fait s’envoler le cours du blé de 164% en quelques semaines, provoquant des émeutes de la faim dans de nombreux pays.
Les deux tiers de la population mondiale vont subir des pénuries régulières d’eau potable dans la décennie à venir. La perturbation écologique du cycle de l’eau est certaine. Elle n’est pas évitable même si nous pouvons encore stopper des pratiques qui l’aggravent. Surtout, nous avons à décider collectivement comment nous allons gérer l’eau à l’avenir. Par les méthodes du capitalisme financier ou celle du collectif ? L’eau transformée en produit financier, ce n’est pas une dystopie lointaine. C’est en train de se produire en ce moment. La création de produits dérivés aux États-Unis en est un signe. L’OPA de Véolia sur Suez chez nous, un autre. Cette voie sera une catastrophe. Elle signifie que le fric serait le seul moyen de repartir l’eau douce entre les différents usages. Les insoumis proposent de reconnaître que l’eau est un bien commun. Elle ne doit pas pouvoir être appropriée. Puisque nous voulons décider collectivement de son usage, alors son régime doit être la propriété collective.
Le 24 octobre, le Chili fêtera le 50ème anniversaire de la victoire démocratique de Salvador Allende. Le lendemain, son peuple est convoqué aux urnes pour un référendum historique sur la convocation d’une assemblée constituante. Le Chili fait partie de ces pays entrés en révolution citoyenne à l’automne 2019. Je suis lié politiquement au peuple chilien depuis longtemps par ma participation modeste à la lutte contre la dictature. J’ai parmi mes camarades et amis de nombreux Chiliens issus de cette histoire commune. J’ai donc suivi avec enthousiasme et fraternité le retour magnifique du peuple du Chili sur la scène de sa propre histoire. Mais un intérêt intellectuel supplémentaire s’est ajouté. Celui d’étudier les évènements chiliens pour nourrir de connaissances la théorie de la Révolution citoyenne.
Le mouvement populaire là-bas a débuté le 18 octobre 2019. Son facteur déclencheur est typique de l’ère du peuple. D’abord par son apparence totalement anodine. En l’occurrence, il s’agissait d’une augmentation du prix du ticket de métro à Santiago. Il était bien sûr totalement imprévisible qu’une telle mesure déclenche le mouvement révolutionnaire le plus important pour ce pays depuis un demi-siècle. Il vient en écho du motif de déclenchement de la révolution au Venezuela à la fin des années 1990. Cette mesure vient bien sûr après une longue série de décisions de type néolibérales qui avaient martelé les esprits et agit comme le dernier grain de sable qui fait basculer d’un coup la colère populaire en énergie mobilisatrice.
La deuxième raison pour laquelle j’avais trouvé le début de cette révolution remarquable est l’objet même de l’évènement fortuit. Il s’agit d’une entrave mise à l’accès au réseau de transport. Or, dans l’ère du peuple, nous décrivons comment le peuple devient l’acteur de l’histoire. Je lui donne une définition matérielle : l’ensemble de ceux qui, au-delà de leur diversité, dépendent absolument des réseaux du collectif pour produire et reproduire leur existence matérielle. L’accès à l’eau, à la nourriture, à l’énergie, à la santé, au savoir sont tous conditionnés par l’accès à des réseaux. Et la capacité de se transporter n’est pas le moindre quand l’accès au réseau en est la condition. En France, c’est déjà un obstacle financier à la mobilité qui avait donné les gilets jaunes. Et en Équateur le mouvement de révolte contre le pouvoir actuel.
Les manifestations chiliennes débutées à l’automne 2019 sont donc pleinement inscrites dans le cycle mondial caractéristique des révolutions citoyennes. On y a repéré sa phase instituante durant laquelle le peuple prend conscience de son existence politique pour la première fois. Ses enjeux sont alors la visibilité et l’unité. D’où la présence dans les cortèges de symboles unifiants comme le drapeau national, avec le drapeau indien Mapuche en plus au Chili. Ils ont supplanté totalement les drapeaux se rapportant à des partis politiques ou des syndicats. On voyait aussi au Chili, en cette période, les masques « anonymous », devenus des symboles mondiaux de contestation du néolibéralisme. La révolution chilienne aura aussi vécu sa phase constituante avec sa revendication dégagiste à l’égard des milieux politiciens et d’argent.
Mais désormais, le référendum du 25 octobre ouvre une nouvelle étape. La plus décisive qui soit politiquement : la tenue d’une constituante. Le vote est issu d’un accord signé par tous les partis politiques en novembre 2019. Il avait été obtenu par la pression populaire. Car, après le ticket de métro, les Chiliens se sont intéressés à l’ensemble du système économique qu’ils subissent. Le capitalisme chilien est l’un des plus durs du monde. Les retraites, la santé, l’eau, les principales ressources naturelles sont privatisées. Toutes les revendications construites dans la lutte, autour de la propriété collective des biens communs et de la sécurité sociale collective se sont cristallisées dans la demande de changer la Constitution. Il faut dire que l’actuelle a été adoptée sous la dictature militaire de Pinochet et sous l’influence des « Chicago boys », ces évangélistes du libéralisme.
Deux questions sont posées au peuple chilien par voie référendaire. D’abord, sur l’opportunité de changer la Constitution. Puis sur celle de le faire par une nouvelle assemblée, constituante, spécialement élue pour cela. Il va de soi que tous les acteurs de la révolution plaident pour le « oui » dans les deux cas. Les sondages indiquent qu’ils sont largement majoritaires. Si cela se confirme, des élections seront convoquées pour le 11 avril. Puis, l’assemblée constituante se réunira pour 12 mois avant de soumettre la nouvelle Constitution à un nouveau référendum. C’est une page excitante de son histoire qu’ouvre le peuple chilien. À chaque étape, il faudra observer et apprendre. Car bientôt viendra le tour de notre peuple de se redéfinir dans un processus constituant.