Le Covid et le chaos – À présent, il est établi que personne ne comprend plus rien aux consignes. Blanquer aura réussi ce tour de force de créer une pagaille et un trouble indescriptible dans la vie de millions de gens qui aiment leurs gosses et de milliers d’enseignants qui aiment leur métier et leurs élèves. Les uns et les autres savent que c’est un Shadock qui dirige l’Éducation nationale à moins que ce soit le fils secret du père Ubu.
Il ne fait aucun doute que pan par pan de population, métier après métier, la confiance s’effondre et le consentement à l’autorité avec. Les gens veulent bien être discipliné mais ils ne savent plus ni comment ni pourquoi. Le passage en télé de Jean Castex le dimanche avant la reprise des cours était tout à fait anxiogène lui aussi, et l’on se pinçait pour savoir si c’est bien à la France qu’il parlait ou à un débarquement récent de Martiens qui ne pourraient pas se rendre compte de ce qu’il disait.
Je préfère mettre de l’humour à ma description qui sans cela pourrait être trop déprimante. Je me résume donc. Je crois que le pays va turbuler, pris entre tsunami de faillites et de chômage, Covid en roulette russe, terrorisme sporadique, et bazar climatique. Il va falloir des doses de plus en plus violentes de matraquage audio-visuel pour faire tenir tout le monde en laisse. Mais notre peuple est imprévisible.
Après l’affreuse séquence liée au meurtre de Samuel Paty il y a eu les trois assassinats dans la cathédrale de Nice. Je me suis exprimé sur ce drame en ouverture de mon discours à l’Assemblée nationale contre la confiance demandée par le Premier ministre Jean Castex. « Je veux en tout premier lieu exprimer au nom de tous les insoumis de France nos condoléances affligées et horrifiées aux familles des victimes. Mais aussi, et je veux le souligner, notre totale solidarité avec les catholiques de France, menacés dans la pratique de leur foi. » ai-je dit, avant de préciser : « Il est significatif qu’en France, après la liberté de savoir, ce soit la liberté du culte qui soit attaquée car je voudrais rappeler que la laïcité en France est l’héritière d’une bataille implacable pour la liberté du culte ».
Comme la phrase a surpris, j’en donne la référence historique. Les guerres de religions ont opposé en France comme dans toute l’Europe les catholiques et les protestants. Avant cela, les juifs furent persécutés de toutes les façons possibles sans que cela ne provoque d’émotion particulière. Aucun pays n’a trouvé le moyen de concilier les croyances qui partageait sa population. Cela parce que le pouvoir monarchique ou princier prétendait tirer sa légitimité de Dieu lui-même. Cela ne pouvait coïncider avec le doute sur sa nature ou les rites à lui rendre.
Après bien des tentatives de régler cela par des massacres, chacun trouva son point d’équilibre armé dans une règle simple : « les sujets ont la religion de leur prince » (ejus regio cujus religio). Dans les États allemands, l’ajustement se fit par le déménagement des uns et des autres dans la principauté correspondant à sa foi. En Espagne par le massacre méthodique des noyaux de réformés. Mais en France tout échoua. Le meurtre de masse commencé avec la Saint-Barthelemy (1572) même imité dans bien des villes ne résolut rien. L’Édit de Nantes signé par le roi Henri IV permit une pause. Il s’en fallu de peu qu’il ne soit pas roi puisqu’il était d’abord protestant avant de se convertir (« Paris vaut bien une messe »). Comme avant lui le roi Henri III, il le paya de sa vie sous le couteau d’un fanatique.
Mais la trêve fut assez vite rompue par le roi Louis XIII et la reconquête des « places de sûreté » concédées aux protestants comme La Rochelle. Pour autant, ni lui ni Richelieu ne songèrent à abolir l’Édit de Nantes. C’est le roi louis XIV qui l’a fait. Il s’est alors lancé dans une croisade ouverte contre les protestants dont l’épisode le plus douloureux est sans doute la conversion forcée des protestants cévenols. On voit toujours la statue équestre du roi à Montpelier tournée vers les Cévennes, monument à la gloire de cette abominable croisade. Pour autant ceux-ci ne cédèrent point. Les femmes cévenoles arrêtées et « emmurées » à Aix sont le symbole de cette résistance acharnée. Elles ne furent graciées qu’en fin de vie et par pitié.
Si la lutte était aussi implacable c’est parce que le roi de France prétendait l’être par « la grâce de Dieu ». Comme le sont tous les pouvoirs sans légitimité populaire. Francisco Franco aussi, se disait « caudillo de España pour la gracia de Dios » sur chaque pièce de monnaie. La revendication de la liberté du culte ne pouvait se résoudre dans le cadre de la référence religieuse dogmatique de la religion dominante.
De cette contradiction absolue est née le concept de liberté de conscience comme droit fondamental de la personne humaine. Cette idée est absolument spécifique. Elle ne se confond pas totalement avec l’idée du « libre arbitre » reconnue par certaines religions. En effet cette dernière ne concerne que la capacité de choisir entre le bien et le mal. Mais elle ne dit pas comment reconnaitre l’un et l’autre autrement qu’en se référant à la loi religieuse. Oui mais laquelle ? L’affaire tourne en rond. Les philosophes des lumières puis la révolution de 1789 ont opté que la liberté de conscience était la seule source de la légitimité des croyances au sens large du terme et la loi est la seule borne du bien et du mal dans l’ordre civil. En ce sens, la liberté du culte est à la racine de la lutte pour la liberté de conscience et de la victoire de cette idée.
Des questions se sont posées à propos de notre ligne de l’unité nationale face au terrorisme islamique. En effet, maints font remarquer qu’elle a reçu pour réponse dix jours de diffamation par les ministres de Macron sur le thème lunaire de « l’islamo-gauchisme ». Certes, il ne fait pas de doute selon nos informations que cette charge a été une manifestation de « l’esprit de finesse » de Macron en personne. Mais ceux qui ont douté l’ont fait sur un malentendu.
Il ne s’agit pas « d’union nationale » au sens que ce mot prend dans la sphère politique traditionnelle. L’unité dont nous parlons et celle dont nous nous réclamons n’est pas celle de la sphère des partis politiques. Il s’agit de l’unité du peuple. Celle que nombre ont déjà chanté des dizaines de fois sur le thème du slogan latino « el pueblo unido jamas sera vencido ». Le peuple ! Celui pour qui l’appartenance religieuse peut être le pire des poisons de division et donc d’impuissance. Le peuple qui serait occupé à la lutte des dogmes religieux n’a plus d’énergie pour la lutte de classe contre l’oligarchie et la finance. L’unité dont il est question, c’est celle qui refuse aux terroristes la victoire de leurs objectifs essentiels que sont la peur dans nos rangs et la division dans le peuple. Dans le même registre, dans un passé récent nous parlions « d’unité d’action » face à l’épidémie du Covid.
Mais évidemment la leçon du comportement des macronistes doit être retenue. Le deuil national n’était pas encore fini et déjà ils tiraient à vue sans limite d’outrances ni précaution de style. Cela nous montre, si quelques-uns en auraient souhaité, qu’aucun compromis d’aucune sorte n’est possible avec ces gens. Tous nous avons vu aussi comment le macronisme est devenu une variante de la droite. Comme je l’écrivais ici même, cela les a conduits à intégrer le problème sans fin de la droite qu’est sa compétition avec l’extrême droite. Et, à partir de là, Macron a choisi de suivre les conseils de Sarkozy, c’est-à-dire d’épouser le vocabulaire de ceux avec qui il est en compétition d’influence. C’est au point que nombre de ceux qui ont voté Macron au deuxième tour « pour faire barrage » à Le Pen se demandent à présent où est la différence entre lui et le Pen. Aucune ligne rouge n’existe en effet pour les macronistes. Quand bien même il est particulièrement stupide pour eux de diviser l’opinion dans un tel moment. Car c’est eux qui portent la responsabilité de la situation et des échecs qu’elle contient notamment dans le cas de l’assassinat de Samuel Paty.
Cependant, il ne faut pas s’alarmer plus que de mesure pour ce qui concerne le rapport de force. De notre côté, passé les premiers moments de sidération, si nous ne cédons pas un pouce de terrain et si nous ne commettons pas d’erreurs, nous restons une zone de regroupement et de résistance morale reconnue. Le déferlement nous a valu d’être appuyés (en mode privé) pour cela même par des gens qui ne sont pas insoumis et même qui peuvent aussi ne guère nous apprécier. Car l’espace de la morale et de la fraternité humaine n’est pas effacé par les jets de boue. Sans doute parce que ceux-ci sont lancés par des gens eux-mêmes détestés et méprisés, comme le sont les macronistes du genre Castaner ou Blanquer.
Au total, les jours en cours sont un épisode conduisant qu’on le veuille ou non à une bipolarisation de la société. Dans ce contexte, qu’il alimente de façon irresponsable, le macronisme est la clef de voûte la plus friable qui soit. Son verbe est inaudible puisqu’il est mieux porté et mieux assumé par l’extrême-droite. Son autorité est vouée au déclin à mesure que le plan de confinement incohérent est mis en cause sur le terrain par les maires, les personnels de santé, les commerçants, les salariés. Cette insoumission générale larvée touchera ensuite tous les secteurs. Le dangereux chaos que sème le président, s’il met en danger le pays, l’atteint aussi lui le premier. Car la macronie n’existe pas en dehors d’Emmanuel Macron. Ce n’est pas notre cas.
Pour l’instant, les diverses fractions de l’extrême droite instrumentalisent bien la dérive de la parole présidentielle. Et c’est elle qui tire les marrons du feu. Surtout au moment de passer à l’étape suivante qui s’annonce à présent. Car n’oublions pas que le plan de conquête et les objectifs de pouvoir de l’extrême droite n’ont jamais cessé d’être ceux que l’on a connu dans l’histoire. Il ne s’agit pas d’une démarche politique traditionnelle. Mais d’une violence.
Dans ce cadre, la quinzaine écoulée semble avoir les traits d’un moment de bascule de l’esprit public. Les chocs psychologiques à répétition nous ont martelés. Leur accompagnement médiatico-politique a collé sur les esprits des mots pour nommer les choses qui ont bien incrusté les esprits. À mes yeux, c’est un effondrement moral des « élites » politico médiatique du pays. Du coup, je comprends la jouissance de toute la fachosphère visible sur tous les plateaux de télé et dans maints périodiques. Leur triomphe est quasi-total. Des mots et des réponses qui n’appartenaient il y a dix ans qu’à des poignées d’extrémistes folkloriques sont passés dans le vocabulaire courant de l’officialité. N’importe quel mensonge comme ceux de Schiappa ou Blanquer, n’importe quelle imposture comme celle d’un Valls, et pour finir n’importe quoi est possible à condition de cotiser au catéchisme ambiant. Sans démenti, sans argument, sans question.
Les esprits cultivés s’affligeront comme moi, je suppose. Quel incroyable recul dans la « beauferie » générale que cette nouvelle hégémonie ! Le beuglement remplace l’argument. Le ciblage remplace l’interpellation. La France des hauts parleurs fait honte. Il faut en tirer les leçons. En commençant par discerner la pente que les mots vont prendre à la prochaine étape. Je parle ici de la dynamique des idées.
Car celle -ci existe, de façon autonome, depuis toujours. Les idées ne sont pas le seul reflet inerte des conditions matérielles qui prévalent dans la société comme le répétaient d’aucuns à l’envie. Une chose en entraine une autre, dit l’adage populaire. Sur le plan matériel la « France insoumise » est le cobaye à chaque étape de la bataille. C’est habile. Car cela garanti la certitude voir tous ses concurrents de la gauche traditionnelle ne souffler mot tout en se frottant les mains dans l’espoir que notre discrédit leur profite. Alors pour l’adversaire, le percement de la digue est simplifié.
Nous accuser « d’islamo gauchisme », même si c’est une aberration, même si on ne comprend pas ce que cela veut dire, installe pourtant le mot sur un trône. Il devient légitime de l’employer. Personne ne dira qu’il vient directement des tracts de de l’extrême droite. Mais alors, tous ceux qui l’utiliseront ne pourront plus alors se distinguer les uns les autres que par de nouvelles surenchères dans les accusations. De nouvelles transgressions. Ainsi quand « Marianne » reprend à son compte l’accusation de « Valeurs actuelles » qui fait de nous des « islamos collabos ». Après avoir publié un livre contre moi pour me reprocher de ne pas faire la politique qui convient à la fraction « bleue brun », que faire de plus ? La réponse : une surenchère grotesque. C’est cette « une » montrant Marianne décapitée et un titre sonnant comme un appel à représailles. C’est du niveau de Jean-Marie Le Pen montrant ses adversaires en têtes coupées à l’ouverture d’un de ses meetings dans le passé.
Telle est la dynamique d’une position conquise dans la bataille des mots. Après LFI, et puisque la digue était rompue, et puisque c’était désormais sans risque, la vague est passée sur les autres, l’un après l’autre : PCF, LDH, UNEF et ainsi de suite. Le scénario de cet épandage reste le même après chaque épisode. De ligne de crète en ligne de crète. La prochaine étape a été annoncée il y a dix jours par les propos de Marion Maréchal-Le Pen. Selon elle ce n’était pas la laïcité qui serait en cause mais la chrétienté française. Et Zemmour a embrayé : « la République n’est pas en cause, c’est la France ». « Une France à la fois chrétienne et irrévérencieuse. La France des croisés et de l’assiette au beurre ». Les « croisés » ! Ni plus ni moins. Déjà un groupuscule d’extrême droite a manifesté de nuit pour « décapiter la République ». Ils ne s’arrêteront pas là comme le prouve toute l’expérience de l’histoire.
La polarisation du champ politique est loin d’être achevée, c’est certain. Mais elle se construit sous les coups de marteaux conjugués du covid, du terrorisme islamique et de l’agitation des parleurs d’extrême droite. Épisodiquement, les dégâts du changement climatique percent le blindage informatif. Angoisse à tous les étages. Voilà le véritable adversaire : la sidération, la peur, l’absence de toute perspectives d’un futur différent.
Dès lors, le moment nous commande de nous avancer drapeau et musique en tête. Il s’agit d’entrainer à rebrousse pente le peuple. Il s’agit de rendre possible la concorde sans laquelle on ne peut vivre ensemble. Car ce qui est en cause c’est quand même l’unité du pays. J’espère avoir fait comprendre qu’elle ne peut être autre chose que l’unité de son peuple. Les apprentis sorciers du moment vont finir par le disloquer si on les laisse faire sans contre-offensive.
Les lignes qui suivent sont parue en tribune libre dans le JDD du 31 octobre 2020
Nous vivons donc désormais dans un pays où on ne vend plus de livres autrement que par le truchement de la plateforme d’une multinationale. Le président en personne avait bien dit : « faites-vous livrer ». C’était déjà une indication assez claire de la façon dont cet homme voit le futur de nos sociétés. Bien sûr, personne n’osera dire que c’est un symbole inouï de voir couper l’accès aux livres en France. Le Covid vous dis-je ! Et le reste de ce qui vient de se dérouler devant nous est tout aussi glaçant. Mais c’est le Covid, vous dis-je !
Ainsi jeudi 29 octobre, le Premier ministre demandait au parlement un vote de confiance. Il s’agissait d’approuver le nouveau plan de confinement du pays. Il n’était pas question de l’amender, ou de le discuter de quelque façon que ce soit. Le parlement n’a jamais été un lieu de décision en macronie. Oui ou non. Point final. Mais voilà une nouveauté : même le conseil des ministres a été écarté de la décision. C’est ce qu’a reconnu le porte-parole du gouvernement : la décision de confiner tout le pays a été prise en « Conseil de défense ». Personne ne prête plus attention au fonctionnement des institutions ? Doit-on dire là : « c’est un détail ». J’ai souligné cette anomalie dans mon discours devant l’Assemblée nationale contre le Premier ministre. J’y reviens avec l’espoir que l’alarme soit entendue par ceux qui se disent « attachés aux institutions de la Cinquième République » et n’en défendent pourtant même pas le fonctionnement. Plus que jamais, je crois être dans le vrai en proposant qu’on en finisse avec un régime constitutionnel capable de telles dérives ! Car il faut bien savoir à quoi s’en tenir sur ce « Conseil de défense », pour pouvoir apprécier de quel « détail » il est question.
Le Conseil de défense est une instance créée par une ordonnance de 1959 pour les décisions de stratégie militaire. Son fonctionnement est resté très limité pendant longtemps. Les présidents Mitterrand et Chirac ne réussissaient ce conseil qu’une à deux fois par an. Sarkozy et Hollande un peu plus. Mais depuis le début de son mandat Macron réunit le conseil de défense…. toutes les semaines. La semaine du 26 octobre, il l’a convoqué trois fois. Il l’a fait 40 fois depuis le début de l’année 2020. Il l’a utilisé lors des attentats terroristes. On peut le comprendre même si cela se discute aussi. Désormais c’est pour prendre toutes ses décisions relatives à l’épidémie !
Mais du militaire au sanitaire il y a davantage qu’une rime. Nous ne sommes pas en guerre contre la Covid 19. Le virus n’a pas de stratégie. C’est de politique sanitaire dont il s’agit. Et lorsqu’il s’agit de parler d’écologie comme en juillet dernier, pourquoi le Conseil de défense ? Pourquoi choisir un cénacle aussi restreint ? De fait, il s’agit d’un conseil des ministres bis. Le Conseil du mercredi assume les transmissions officielles comme celles des textes à présenter devant le parlement. Mais le Conseil de défense devient une sorte de conseil opérationnel. Pourquoi cela ? Certes on peut imaginer une réunion distincte du conseil des ministres officiel. J’ai connu ça sous Lionel Jospin. Il réunissait les ministres une fois tous les quinze jours en dehors de la présence du Président. On y parlait politique. On n’y décidait rien qui n’ait à voir avec le déroulement normal des institutions. Toutes les semaines, les présidents se réunissent aussi avec les dirigeants de leurs majorité parlementaire. Je suppose que c’est pour les mêmes raisons. Alors pourquoi ce Conseil de défense ?
Il a des raisons de plaire à ce Président. D’abord, la composition du conseil est à sa discrétion. Traditionnellement, se trouvent autour de la table le chef d’état-major des armées, le secrétaire général de la Défense et de la sécurité nationale, le ministre de la défense, le Premier ministre, les responsables du renseignement, le ministre de l’Intérieur. Mais Macron peut ajouter ou retirer qui il veut. Tout est à guise. Le rêve pour la volonté de toute puissance typique de la monarchie présidentielle macroniste.
Un observateur attentif notera une autre qualité séduisante du conseil de défense pour Macron. C’est son caractère secret. Il n’y a pas de compte rendu de ses réunions. Et tout ce qui s’y dit est couvert par le secret-défense. Donc les participants s’exposent à des poursuites pénales s’ils révèlent tout ou partie des discussions ou des propos tenus par Macron. C’est cela sans doute au fond, la réelle raison de ces conseils de défense à répétition. Un moyen pour Macron de se couvrir. Et une manifestation de la décadence paranoïaque du monarque comme en attestent les confidences des couloirs de l’Assemblée nationale. Il ne fait plus confiance à sa propre équipe gouvernementale.
Bien sûr, pour notre démocratie, c’est assez grave. Cette semaine, ce fut un paroxysme. Le plus frappant est que cela n’ait pas été relevé. Désormais les débordements du pouvoir solitaire ne choquent plus ? C’est le stade suprême de la Cinquième République. Le monarque décide tout seul, dans le secret, sans en informer même son Conseil des ministres. La veille, le Premier ministre reconnaissait devant les responsables de l’opposition qu’il ignorait ce que le président allait dire. La veille ! Quand la décision du monarque présidentiel est enfin prise, il l’annonce dans une allocution diffusée sur toutes les télévisions du pays. Lesdites décisions portent pourtant sur le confinement de toutes nos libertés fondamentales. Le Conseil de défense l’a décidé : exécution immédiate. J’avais donc bien raison de me moquer du Premier ministre le jour de son investiture. Il ne « détermine » ni ne « dirige la politique de la nation » comme le prévoit pourtant l’article 20 de la Constitution. Le Conseil de défense le fait à sa place.
Cette méthode met en danger une société avancée. En démocratie, la délibération n’est pas un signe de faiblesse, ou un embêtement. C’est une garantie pour prendre la meilleure décision possible. Et la condition nécessaire pour créer du consentement à l’ordre. Le régime macroniste ne le permet plus.
Mardi dernier, j’ai présenté en conférence de presse à l’Assemblée nationale une proposition de loi sur l’organisation de la prochaine élection présidentielle. Je parlais au nom du groupe parlementaire insoumis. Il s’agit de créer une procédure d’investiture populaire pour les candidats aux élections présidentielles. Aujourd’hui, il n’existe qu’une possibilité pour pouvoir être candidat à l’élection présidentielle : il faut être parrainé par 500 élus. Ma proposition ne prévoit pas de la supprimer. Mais à côté, elle ouvre une autre possibilité : celle d’être parrainé, non pas seulement par des élus, mais par 150 000 citoyens.
Le lendemain, on apprenait le re-confinement général du pays. Le surlendemain, le pays était de touché par un nouvel assassinat d’un terroriste islamiste dans une église à Nice. L’actualité était ailleurs. Il faut s’y habituer désormais. Nous serons en permanence submergés par le flot émotif médiatique. C’est bien pourquoi nous croyons aux vertus d’une campagne longue qui enracine l’adhésion a un programme. Car de cette façon nous réduirons l’impact du sensationnel de dernière minute et l’impact des boules puantes désormais habituelles. Il ne faut donc pas perdre de vue les conditions dans lesquelles aura lieu le grand rendez-vous décisif devant nous. Car il va être déterminant pour le pays compte tenu de ce que nous vivons. C’est la dernière station avant le désert.
Par ailleurs, il y avait au moins une raison cette semaine-là de discuter des modalités d’organisation de la prochaine présidentielle en ce moment. C’est le débat sur le report des élections départementales et régionales qui a commencé avec la création de la Commission Debré. Il est désormais quasiment certain.
Deux hypothèses coexistent. La première est celle d’un report de ces élections après l’élection présidentielle. La seconde envisage d’organiser ces élections d’ici le mois de juin 2021. Mais dans ce dernier cas, la campagne régionale et la campagne présidentielle se chevaucheront. Car l’ouverture des comptes de campagne pour la présidentielle se fera le 1er avril 2021. Dès lors, quand on parle du report des élections départementales et régionales, on commence aussi à parler de l’organisation des présidentielles. L’occasion est bonne d’y introduire une idée neuve.
Je souhaite alors que cette discussion ait lieu et qu’elle aille jusqu’au bout. Nous avons un grand problème démocratique en France. Élection après élection, le peuple se détourne des urnes. Par résignation ou par colère, il refuse de plus en plus de participer. Je l’avais dit lors du second tour des élections municipales : pour les insoumis, l’abstention n’est pas un sujet annexe. La participation du peuple à ses institutions est toujours le sujet central dans notre conception de la souveraineté en République. Si la grève civique atteignait aussi l’élection présidentielle, ce serait un désastre moral. Le pouvoir suivant le paierait cher. Les signes d’une telle possibilité existent. On le voit dans les enquêtes d’opinion sur le sujet.
Dès lors, il faut réfléchir à tout ce qui permet une implication populaire plus grande dans les élections. L’investiture populaire, c’est-à-dire la possibilité pour les citoyens de choisir eux même, par leur nombre, les candidats à l’élection centrale de la vie du pays, y contribue. Car pour l’instant le système des 500 signatures donne beaucoup de pouvoir aux seuls partis politiques très installés, qui contrôlent beaucoup de collectivités et influencent directement les décisions sur les subventions des petites communes.
Le nombre 150 000 n’a pas été choisi au hasard. En fait, toute ma proposition de loi transpose un rapport de Lionel Jospin. Celui-ci s’était vu confié en 2012 la présidence d’une commission chargée de faire des propositions pour la rénovation de la vie démocratique. Dans cette commission, il y avait des magistrats, des professeurs de droit comme Dominique Rousseau, et des politiques comme l’actuelle ministre de la culture Roselyne Bachelot.
Je pense donc que cette proposition pourrait être largement reprise et partagée. Elle ne pose aucun problème particulier de mise en œuvre. Elle nécessite une simple loi organique. Il n’y a donc pas à franchir l’obstacle de la révision constitutionnelle. Ma proposition de loi est co-signée par tous les députés insoumis. Elle est représentative de la façon dont nous nous représentons la prochaine élection présidentielle. Elle devra être un moment de profonde mobilisation populaire pour ses causes communes.
Le gouvernement a obtenu du Parlement la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. Quand il a été présenté la première fois, les députés insoumis se sont prononcés contre. Cet état d’urgence donnait en même temps licence au gouvernement pour prendre plus de quarante ordonnances d’un coup. Vu que nous étions « en guerre » et de ce fait avions besoin absolument d’une « union nationale », nous avions été encouragés à ne pas trop regarder leur contenu. Évidemment, nous avons fait l’inverse. Nous avons regardé de près et voté contre. Le groupe des députés insoumis a édité un livret détaillé de décryptage de ces ordonnances, accessible à tous sur le site internet de la France insoumise.
La prolongation de l’état d’urgence sanitaire prolonge le temps de brutalisation de la démocratie. Car ces ordonnances ont un contenu violemment anti-social. Elles permettent aux employeurs d’imposer la prise de congés payés ou de RTT pendant le confinement. Pour le quart des salariés qui se rend tous les jours sur son lieu de travail, confinement ou pas, ces textes permettent la semaine de 60 heures et la suppression du repos dominical.
Et ces ordonnances ont aussi confiné la démocratie dans l’entreprise. Du 23 novembre au 6 décembre 2020, des élections syndicales devaient avoir lieu dans les très petites entreprises, de moins de 11 salariés. Elles sont repoussées à l’année suivante. Ce ne sont pas de « petites » élections. Elles permettent de déterminer le poids de chaque organisation syndicale au niveau des branches, de désigner des conseillers aux prudhommes et dans les commissions paritaires régionales interprofessionnelles. C’est donc la représentation de 2,5 millions de salariés qui se joue.
Le processus électoral avait d’ailleurs déjà commencé puisque le ministère du Travail invitait à déposer les candidatures à partir du 2 mars 2020. Tout a donc été annulé. On aurait compris que cela soit suspendu pendant le confinement. Mais on parle d’une élection qui doit avoir lieu en novembre qui vient. Par ailleurs, toutes les élections dans les entreprises de plus de 11 salariés pour les instances représentatives du personnel sont aussi suspendues jusqu’à 3 mois après la fin de l’état d’urgence. Qui est désormais lui-même prolongé.
Ces informations sont pratiquement passées sous les radars de la bonne société. Peut-être parce que le milieu médiatique et politique ordinaire méprise généralement l’action syndicale. Ils ont bien tort. Les milliers de femmes et d’hommes qui donnent de leur temps et de leur carrière pour représenter leurs collègues constituent l’élite salariée du pays. Leur vigilance et leur capacité à mobiliser est plus importante que jamais dans la période d’alerte sanitaire où nous allons entrer. Sinon, qui pour déclencher l’alarme quand la reprise dans certaines entreprises menacera de faire repartir l’épidémie faute de masques, de protections, de gel ? Et qui pour organiser collectivement les salariés afin qu’ils aient leur mot à dire sur les conditions de la production ?
Chacun comprend que l’ensemble de la société a intérêt à ce que des normes de prudence soient appliquées dans les entreprises à partir du 11 mai. Les insoumis proposent que sur tous les lieux de travail, des réunions de collectifs de sûreté sanitaire aient lieu pour contrôler les conditions sanitaires de production. Déconfiner la démocratie dans l’entreprise est une nécessité de la mobilisation sanitaire.
Dans les discussions au parlement, il a beaucoup été question du déficit de l’État. Mais comme le gouvernement n’a pas présenté de projet de Loi de Finances rectificatif pour la Sécurité sociale, comme cela aurait été pourtant logique, on a moins parlé de la situation financière de la Sécurité sociale. Pourtant, il est évident que la situation sollicite beaucoup d’engagements de ce côté-là aussi. Heureusement, la pandémie nous a frappé avant que les libéraux n’aient fini le travail de détricotage de la Sécu. Il suffit de voit la situation des classes populaires qui n’ont pas les moyens de se payer une assurance santé privée aux États-Unis pour avoir une idée de ce qu’est une société sans sécurité sociale. Du côté des dépenses, le gouvernement a indiqué que les dépenses de santé de la Nation allaient augmenter de 8 milliards d’euros cette année. Évidemment, il faudrait beaucoup plus pour rattraper les plans d’austérité appliqués stupidement ces dernières années à l’hôpital public. Buzyn et Macron sont à eux seuls responsables de 12 milliards d’euros retirés à la santé publique.
Mais il y a aussi moins de recettes pour la Sécu dans la période. C’est normal : elle fonctionne comme un « amortisseur automatique » en cas de crise économique. Elle garantit un revenu a ceux qui ne peuvent plus travailler. Et elle permet des allègements de trésorerie non négligeables. En effet, les entreprises sont exonérées de cotisations sociales sur les indemnités de chômage partiel. Cela coûte 2,5 milliards d’euros par mois d’après l’estimation de l’administration. À cela, il faut ajouter le report de trois mois du paiement des cotisations encore dues, rendu possible sur simple déclaration pour la plupart des entreprises. Des annulations pures et simples pour les cafés et restaurants ont été annoncées pour un montant de 750 millions d’euros. Mis bout à bout, cela fait pas mal de cotisations en moins. À l’échéance du 15 mars, pendant le confinement les caisses de la Sécu ont perçu 60% des cotisation dues. Puis 66% à l’échéance du 5 avril et 50% à celle du 15 avril. Le déficit de recettes va être aggravé par l’absence de cotisations décidée par le gouvernement sur les primes pour les soignants, pour les fonctionnaires exposés et la prime facultative dans le secteur privé.
Logiquement, la baisse des recettes et l’augmentation des dépenses sont compensées par de la dette. Au mois d’avril, la Sécurité sociale a augmenté son plafond d’emprunt de 40 à 70 milliards d’euros. Au total, la dette des organismes de sécurité sociale devrait atteindre entre 150 et 180 milliards d’euros à la fin de l’année 2020. Le chiffre parait énorme. Mais en réalité, elle reste à un niveau relativement faible. Ces montants représentent entre 6% et 7,5% du PIB. Sur un total de dette publique qui atteindra 115% du PIB. Et cela alors que le budget de la Sécurité sociale est plus important que celui de l’État. Il n’y a pas à avoir peur de dettes de ce montant-là. D’autant plus que c’est le rôle de la Sécurité sociale que d’entrer en déficit en temps de crise. Ses ressources dépendent de l’emploi. Plus il y a de chômeurs, plus il y a de dépenses pour la Sécu et moins il y a de recettes. Et inversement.
Cependant, l’expérience de la crise de 2008 conduit à être prudent. Le déficit de la Sécurité sociale s’était fortement creusé en 2009-2010. Par la suite, les gouvernements de Sarkozy, Hollande et Macron ont imposé des cures d’austérité continues à la sécu pour payer le coût de l’impact de la période de crise. Combien de temps cette fois ci allons-nous avoir la charge de « payer la crise » ? On a vu que la réduction des lits d’hôpitaux ne s’est jamais interrompue. Combien de « réformes » destructrices de l’assurance chômage et des retraites va-t-il falloir subir sous prétexte de solder les comptes de la pandémie ? C’est la raison pour laquelle j’ai proposé cette fois de prendre les devants et mis sur la table une solution rationnelle et opérationnelle d’annulation de la dette, via sa transformation en « dette perpétuelle » par la BCE. Pour cela, la dette de la Sécu devrait être d’abord transférée à celle de l’État. Cela ne change rien dans les comptes de la Commission européenne qui globalise de toute façon. Mais cela aère les comptes et signale qui devra assurer la responsabilité. Pour la Sécurité sociale aussi, l’avenir ne peut pas être consacré au remboursement de la dette.