Le début de notre campagne présidentielle se déroule aussi bien qu’on pouvait le vouloir. La salve adverse initiale s’est écroulée sans trop de bruit. Tout a fait flop : « ce n’est pas le bon moment », « ce n’est pas légitime », « le compteur de signatures est truqué » (un journaliste de Marianne essayant pour le prouver de glisser deux fausses signatures) et ainsi de suite. Ce piano mécanique du dénigrement a joué ses notes sans intéresser personne ni entraver quoi que ce soit dans notre plan de marche. Depuis, le journal d’extrême droite Valeurs actuelles a repris sa campagne commencée avec la marche du 10 novembre. Nous serions des « islamo-gauchistes » ou des « islamos-collabos ». Cette fois-ci de nouveau la Une et dix pages « d’enquête ».
Le mot et la campagne reviennent ainsi clairement à leur origine dans les groupuscules d’extrême- droite. Dans un passé récent, le journal Marianne s’est aussi installé sans complexe dans cette ligne éditoriale à mon sujet. Marianne a donc encore diffusé quatre pages de morceaux choisis bleus-brun dans les coulis du petit plaisantin qui fait des fausses signatures (de soutien à ma candidature). De son côté « Charlie » s’est ressaisi. Il a dénoncé le soutien honteux que les bleus-bruns lui distillaient traitreusement sur les plateaux de télé. Les caricatures de moi en barbu islamiste ont donc disparu de ce journal et c’est tant mieux.
Mais cette ligne de la dénonciation de l’islamo-gauchisme empruntée littéralement aux sectes d’extrême droite a depuis lors été appliquée à tout ce qui tient tête au pouvoir. Puisque personne ne se solidarisait des Insoumis, la haine s’est répandue de tous côtés. Ainsi quand Blanquer, ministre de l’Éducation nationale la reprend à son compte pour attaquer des travaux de recherches universitaires ou des présidents d’université. Ainsi quand Anne Hidalgo l’attribue à EELV et à nous, peu avant d’approuver la loi sécurité globale et notamment son article 24 contre la liberté de la presse. Ces convergences permettent de mieux comprendre le mécanisme politique qui est en jeu et sa portée espérée. Il s’agit d’organiser une nouvelle latéralisation du champ politique. À l’heure où la stratégie « faire barrage à l’extrême droite » en votant pour n’importe qui d’autre ne fonctionne plus du fait de l’attitude du macronisme, il faut changer le menu. Pour que Macronistes, PS, et la droite d’EELV se retrouvent au deuxième tour, il leur faut un commun dénominateur, plus fort que les divergences écologiques et sociales. La haine des musulmans et la logorrhée pseudo-laïque et républicaine en tiennent lieu à présent.
D’abord il s’agit d’une opération concertée. Non au sens d’un complot. Il s’agit en fait d’un effet de système lié à la pression de l’extrême droite sur les esprits. La fameuse lepénisation des esprits est désormais acquise sous la forme du zemourisme de salon. Certains milieux y évoluent avec la familiarité d’un « chez soi ». Cela fonctionne alors comme un marqueur d’appartenance à la « bonne société » politiquement correcte. Il n’empêche : la haine des musulmans en général qui s’abrite derrière l’attribution de l’étiquette « islamo gauchiste » et ses variantes, repose d’abord sur la phobie personnelle de ceux qui la manient. Il s’agit en fait d’un racisme « mondain » c’est-à-dire acceptable entre gens de bonne compagnie. Ce racisme se cache derrière des expressions qui se veulent plus conceptuelles que les grossières injures racistes traditionnelles.
Deuxièmement, avec « islamo-gauchiste », il s’agit d’une filiation directe avec l’état d’esprit de ceux qui dénonçaient autrefois de « judéo-bolchevisme ». L’assignation d’un concept religieux à une position politique est la forme qui permet de lier en un affect unique deux pulsions primales : une détestation politique de principe (l’extrême droite hait la gauche qui le lui rend bien) avec une pulsion de haine de ce qui est différent (les musulmans aujourd’hui comme les juifs hier). Le flou du concept est censé englober plus facilement. Qu’est-ce qu’un « islamo-gauchiste » ? Un islamiste de gauche ? Une gauche qui penserait prendre appui sur la religion musulmane ? De tels alliages ne résistent pas à cinq minutes d’examen rationnel. C’est pourquoi il est juste de parler à ce sujet de phobie, c’est-à-dire d’une pulsion irrationnelle qui fait perdre son contrôle intellectuel à ceux qui en sont atteints. Par exemple la personne qui est allée tirer sur des croyants musulmans à la sortie de la mosquée à Bayonne. Crise de démence sénile (cela fut évoqué) ou pas, il est certain que l’irrationalité de l’acte s’est construite autour d’une phobie bien précise : celle des musulmans.
Troisièmement : comme il est impossible de montrer un cas concret « d’islamo gauchisme », l’attribution de l’étiquettes se fait pas itération : « marabout, bout de ficelle, selle de cheval ». Pour cela le calomniateur colle des segments, pratique un montage : on montre la manif du 10 novembre sans citer ni ses motifs ni les appelants, ni les références innombrables à la laïcité ni la marseillaise finale mais en exhibant un manipulateur qui crie « Allah Akbar ». Cas isolé parmi des dizaines de milliers de personnes. Les nervis de la ligue de défense juive appelés à la rescousse par le CRIF étaient beaucoup plus nombreux pour traiter de « putes à bougnoules » les femmes députés insoumises venues participer à la marche en hommage à Mireille Knoll. Il va de soi que nous n’avons pas confondu ces tristes personnages avec le sens politique de la marche.
A côté du collage/montage de scènes, il y a aussi l’art d’installer un paysage de fausses « questions-qui-se-posent ». Exemples. « Certains vous attribuent une tendance islamo-gauchiste que leur répondez-vous ? ». Ou bien : « Avez-vous l’intention d’abroger la loi sur la burqa ? ». Évidemment, les plus malins n’attendent que des justifications et des négations qui en réalité fonctionnent comme autant de justifications, preuves qu’il n’y a « pas de fumée sans feu » et ainsi de suite. Ce genre de procédé d’enfermement culmine avec l’accusation « d’ambiguïté ». Impossible à répondre puisque l’accusation ne repose sur aucun fait énoncé. Il n’est pas étonnant que ce soit une spécialité d’Olivier Faure, patron du PS et sans doute l’un des socialistes les plus ambigu sur la gauche puisqu’il a souhaité participer à la majorité macroniste après avoir fait le serre-file à l’Assemblée nationale de la loi El Khomri. Sur cette base, avec cette méthode un large éventail d’injonctions tordues se présente. Exemple : « les Verts doivent clarifier leur position à l’égard de la République » a asséné Anne Hidalgo. Doit-on lui demander qu’elle-même clarifie sa position sur la pédophilie si on en croit ses alliés EELV au conseil de Paris ? Par exemple.
J’ai pris le temps d’analyser ce moment de la lutte de l’extrême droite et des petites mains manipulatrices qui lui servent de poissons-pilotes dans les rangs de la gauche sous couvert de laïcité et même de République. En effet je sais que ce sera le principal produit dans l’égout que préparent d’aucuns contre notre famille en vue des présidentielles. Après la période « Venezuela » à toutes les sauces, une nouvelle histoire pourrie est en train de s’écrire. Aux USA et en Grande Bretagne, ce fut le pilonnage sans fin sur le thème de l’antisémitismes contre Sanders et Corbin. Ici, en France, la variante locale est « l’islamo-gauchisme » et ses produits dérivés. Autour de nous, j’y vois le retour de la maladie sénile de la gauche qui a déjà donné Doriot et Déat dans le passé : une phobie ethniciste doublée d’un délire de grands mots sur la civilisation et la barbarie justifiant les pires errements et violences.
Récapitulons : l’accusation d’islamo gauchisme et ses variantes (« collabos, ambiguïté », etc.) ne sont pas des analyses mais des attributions infamantes sans preuve. Elles sont produites à l’extrême droite et relayées par leurs agents conscients ou non. Ils sont toujours animé par un racisme conscient ou non mais très prégnant. C’est donc toujours, et sans exception, un acte de militantisme politique. L’emballage « laïque » ou « républicain » est un prétexte pour masquer le caractère raciste de l’imputation. La dérive de ceux qui s’engagent sur la pente ou l’on emprunte à l’extrême droite ses mots est connue. Elle finit dans le « déatisme ».
C’est notre famille qui paie le plus lourd tribu aux meurtres du djihadisme politique comme on l’a vu en Algérie et en Tunisie. La preuve ce sont les collusions répétées de nos accusateurs avec les religieux partout où ils en ont l’occasion et quand ils exercent des responsabilités comme c’est le cas d’Anne Hidalgo et de quelques autres du même acabit.
Tout ceux-là produisent et attisent des braises de guerre de religion, mortelles non seulement pour le combat social qu’elles fracturent mais pour le pays lui-même qu’elles déchirent. C’est pourquoi la réplique ne doit pas être la multiplication des justifications contre ce message adverse mais la lutte implacable contre ceux qui l’émettent. Il s’agit de mettre à jour ce qu’ils sont, d’où ils parlent et pourquoi ils le font. Évidemment, il faudra discerner dans chaque cas la nature de l’intérêt à l’œuvre. À un bout on trouvera que d’aucun sont justes des nigauds qui répètent ce qu’ils ont entendu comme ils le feraient de n’importe quel ragot. À l’autre bout on trouvera des racistes à peine masqués et des agents ouverts ou cachés de l’extrême droite. Le zemmourisme est une maladie qui doit redevenir honteuse.