Il fait un froid polaire ces jours-ci. Les températures sont -4 à -4,5°C sous les normales de saison. Comble, RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, nous invite à réduire notre consommation d’électricité. Du fait de la baisse des températures, la production sera suffisante mais la marge de sécurité serait réduite. Aussitôt, les fervents partisans du nucléaire s’activent. Ils fustigent l’éolien. La baisse de vent qui accompagne cette vague de froid ralentit la production d’origine éolienne. Voilà donc un coupable tout trouvé ! Or, 70% de la production électrique en France est toujours d’origine nucléaire. Quand les loups ont une indigestion, le mouton est responsable. L’argument est faible. Mais on en comprend la visée : il n’y aurait pas assez de centrales et il faudrait en construire de nouvelles comme le souhaite le gouvernement et le lobby du nucléaire.
Ca n’empêche pas de réfléchir ! Il faut donc creuser un peu. Deux autres facteurs expliquent plus censément les difficultés du réseau électrique. Tout d’abord, ce qu’il faut appeler le « défaut d’efficacité énergétique ». Pourquoi la consommation augmente-t-elle lorsqu’il fait froid ? Car les Français ont froid dans leur logement. Pour réduire la tension sur le réseau d’approvisionnement, il faudrait donc résoudre le problème à la racine. Le Haut Conseil pour le Climat a tiré la sonnette d’alarme en novembre dernier. La France a les logements les moins performants énergétiquement en Europe. Mécaniquement, la consommation augmente quand le froid arrive. La précarité énergétique concerne 6,7 millions de Français. Or, le rythme actuel de rénovation est insuffisant. Il faudrait le multiplier par 5 après 2022 et par dix d’ici à 2030 pour atteindre les objectifs de mise en sécurité énergétique!
Un autre élément de réponse est à portée de main depuis novembre dernier. La pandémie de Covid-19 a retardé le planning de maintenance des réacteurs nucléaires. Les travaux sont normalement faits avant l’hiver en prévision des froids à venir, pour anticiper les hausses de consommation liées au chauffage. Mais outre la maintenance classique, le parc est vieillissant et les incidents se multiplient. Un quart des réacteurs ont déjà dépassé 40 ans, soit la durée initiale de fonctionnement. Ainsi, il suffit de lire la presse pour apprendre que « 13 réacteurs ne produiront pas d’électricité en février, contre deux à quatre les années précédentes. » Mécaniquement, l’électricité disponible est moindre. Et la situation tendue. À cause de l’importance trop grande du nucléaire et de ses problèmes. Et non l’inverse.
Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. Les mystificateurs du nucléaire ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel. Le nucléaire représente 70% de la production d’électricité… mais 60% de l’énergie finale consommée en France provient des énergies fossiles ! Il faut donc sortir des deux modèles à la fois. Notre ambition est celle du 100% énergies renouvelables en 2050. Une étude récente confirme que cela est tout à fait réaliste sans mettre en péril la sécurité d’approvisionnement. Les principes de sobriété et d’efficacité énergétique sont également clés pour y parvenir.
Pour cela, il faut une fois pour toute briser le dogme. Une petite musique a été instillée. Le nucléaire serait la technologie incontournable des « écologistes » réalistes et pragmatiques. Il serait la solution miracle. Mieux, le totem du progrès contre les amish et autres amis de la bougie et des cavernes. Il serait indispensable dans la lutte contre le changement climatique car il serait « dé-car-bo-né ». Il faut comprendre faiblement émetteur de C02. Il garantirait l’indépendance énergétique du pays et une énergie à bas prix pour les usagers.
Certes, il faut saluer le génie français planificateur responsable du déploiement du nucléaire civil. Mais nous n’avons pas « besoin du nucléaire » comme le prétend Macron. Les énergies renouvelables sont faiblement émettrices de C02. Surtout, elles ne posent pas les problèmes liés au nucléaire. Et elles ne produisent ni déchets multi-millénaires ni risque d’anéantissement en cas d’accident.
EN 2019, Mathilde Panot, député du Val-de-Marne, avait organisé avec l’appui de tous les réseaux de la France insoumise une votation citoyenne pour ou contre le nucléaire. Ce fut à ce jour la plus importante mobilisation jamais réussie sur ce thème en France. 300 000 personnes y avaient participé. Il est temps de récapituler nos arguments contre la prolongation de ce moyen de production d’énergie
D’abord, le nucléaire ne nous garantit aucune indépendance. En effet, l’uranium est importé. Le nucléaire était censé fournir une énergie à bas coût. Or, le prix de l’électricité en France a depuis augmenté de 50%. C’est aussi un gouffre financier. La dette d’EDF a triplé en 10 ans. Elle s’élève à plusieurs dizaines de milliards d’euros. Il faudrait par ailleurs investir près de 100 milliards d’euros pour prolonger la durée de vie des centrales. Chacun des 6 nouveaux EPR en projet coûterait 7 milliards supplémentaires. Le coût du projet de stockage des déchets nucléaires CIGEO est chiffré à 35 milliards. Du fait de cette addition salée, les énergies renouvelables coûtent aujourd’hui le même prix sinon moins cher. En effet, les coûts moyens du solaire photovoltaïque ont été divisés par 10 depuis 2009, ceux de l’éolien par 3,5.
Loin d’être une énergie sûre, l’industrie nucléaire française est aujourd’hui un naufrage. La France est loin d’être un leader mondial. Sur 393 réacteurs étrangers, 14 sont d’origine française. L’EPR de Flamanville illustre à lui seul le fiasco industriel de la filière. Il a 10 ans de retard. Si jamais il voit le jour, il coûterait au moins 6 fois plus cher que prévu. De manière générale, l’essentiel des activités de maintenance sont effectuées par des sous-traitants. Cela entraîne notamment des failles de sécurité. Récemment, Greenpeace a révélé que des documents ultra-sensibles détaillant le système de sécurité du site de Flamanville circulaient librement entre les différentes prestataires et sous-traitants.
Enfin, des problèmes totalement ignorés au départ nous mettent aujourd’hui au pied du mur. Premièrement, le nucléaire produit quantité de déchets. Ce sujet ne doit pas être traité à part du choix du modèle énergétique national. Car tant que nous persistons ainsi, nous continuons de produire en masse des déchets dont nous ne savons quoi faire. Or, les capacités d’entreposage françaises devraient arriver à saturation à l’horizon 2030. Aucune solution de stockage sécurisée n’existe. Les enterrer, comme le prévoit le projet CIGEO, ne fera jamais illusion. En effet, leur « durée de vie » radioactive dépasse de très loin les horizons d’une vie humaine.
Deuxièmement, les installations nucléaires s’avèrent inadaptées aux conséquences du changement climatique. Les arrêts de réacteurs se multiplient à cause des températures élevées ou du débit insuffisant des fleuves. Le nucléaire devient de fait intermittent ! D’autant que les pertes de production des centrales nucléaires sont considérables. Leur rendement est seulement de 35% environ. Autrement dit, deux tiers de l’énergie produite réchauffent les fleuves, les mers et l’atmosphère. Efficace, le nucléaire ?
Fondamentalement il s’agit d’un choix intellectuellement fainéant. Le nucléaire est une technologie rustique. Il s’agit de provoquer entre des barres radioactive une réaction automatique qui provoque de la chaleur pour chauffer de l’eau avec une double circulation de liquide l’une passant sa chaleur à l’autre. De tels système existent aussi dans la nature. C’est le degré proche de zéro en matière de trouvaille technique et d’ingéniosité.
En bref, il ne s’agit pas de savoir s’il faut sortir ou non du nucléaire. Mais plutôt comment s’y prendre pour le faire. Et surtout de se donner les moyens d’y parvenir. La question n’est pas énergétique, elle est politique. Le démantèlement du nucléaire et le déploiement des énergies renouvelables vont de concert. Nous sommes loin de prétendre le faire en un claquement de doigts. Il faut le planifier. La méthode implique donc de poser les bonnes questions : quels délais ? quels savoir-faire ? quels investissements ? quelles implantations sur le territoire national ? Il faudra des milliers de fois plus d’invention et d’ingéniosité pour démonter qu’il n’en a fallu pour monter tout cela.
Nos interrogations sont autrement plus sérieuses que les incantations de Macron et des nucléorolâtres . Depuis le début de son mandat, il fait tout pour sauver « quoi qu’il en coûte » le soldat nucléaire. Il a tout d’abord repoussé de 10 ans l’objectif de diminution de la part du nucléaire dans le mix électrique. Sa propre promesse de campagne a été rompue d’entrée de jeu. Puis les préconisations de l’enquête parlementaire sur la sûreté des installations nucléaires ont été enterrées. Le gouvernement étudie désormais un projet de 6 nouveaux EPR. Cela réjoui surtout « l’industrie de la finance » qui sait qu’elle est appelée à la rescousse pour financer les projets sans fond des nucléocrates.
Plus récemment, Macron a multiplié les discours et les déplacements pour louer les mérites de la filière, flatter les adeptes et convertir les récalcitrants. En décembre dernier, il s’est rendu dans l’usine de Framatome au Creusot pour réaffirmer la place centrale du nucléaire. Tout un symbole. En effet, cette usine est celle qui a forgé la cuve défaillante de l’EPR de Flamanville et qui est accusée d’avoir falsifié des résultats. Une manière de conjurer le mauvais sort ?
Cerise sur le gâteau, le projet HERCULE négocié avec la Commission européenne vise à démanteler EDF. Dans une logique de « socialisation des coûts, privatisation des profits » il a pour but de transformer notre géant public en vache à lait. L’État (c’est-à-dire chacun d’entre nous) payerait les frais de tous les problèmes liés au nucléaire. EDF serait abaissé au rang de simple producteur d’électricité. Tandis que le secteur privé aurait accès à la privatisation du secteur des énergies renouvelables et des barrages. Et à leurs profits. Ce seul partage montre ou est le futur : là où va l’argent frais.
Ainsi, le camp des écologistes pragmatiques et conséquents se trouve du côté de ceux qui démystifient le nucléaire. Casser le dogme ne se résout ni par la technique ni par le débat d’experts. C’est un sujet éminemment politique. Le nucléaire appartient à une époque qui ne connaissait pas les limites planétaires et les bouleversements climatiques. Cette énergie appartient désormais au passé.
J’ai pointé ici déjà l’importance de la question logistique dans l’organisation de la campagne vaccinale. Je recommandais au gouvernement de s’entourer de davantage d’expert de la question et de moins d’experts de santé dont ce n’est pas le métier. Une fois de plus il s’agissait pour moi de pointer du doigt dans la mentalité des « élites » leur peu de connaissance et souvent de reconnaissance à propos de métiers décisifs dont ils méprisent souvent l’importance décisive autant que le savoir de ceux qui s’en occupent. Je suis donc en alerte sur le sujet.
Heureuse découverte, donc, dans ce numéro du Monde du 6 janvier. Une tribune tirée au cordeau qui explique et convainc sous le titre: « De toute évidence, la stratégie vaccinale française se fracasse contre le mur du réel ». J’y trouve une phrase d’introduction en écho à mon conseil sur le sujet. « Lorsqu’on élabore une stratégie, il est crucial d’intégrer les contraintes logistiques. Si l’on ne le fait pas, le risque est de voir cette stratégie, une fois mise en œuvre, se fracasser contre le mur du réel. De toute évidence, c’est ce qui arrive à la stratégie vaccinale française, conçue par la Haute Autorité de santé (HAS) et mise en œuvre depuis dix jours par le gouvernement. » J’en recommande la lecture.
Évidemment l’auteur de cette tribune, Aurélien Rouquet, sait de quoi il parle : il est professeur en logistique. Il ne se mêle pas de dire comment doit être dosé le vaccin mais comment il faut le distribuer sur le terrain. À l’inverse, les connaisseurs en vaccins, s’ils décident de ce qu’il doit contenir, se mêlent de dire sans réfléchir plus avant à qui on le donnera en premier, en second et ainsi de suite sans se demander si c’est possible, ni même si c’est raisonnable. Aurélien Rouquet fait une démonstration d’efficacité concrète que je n’aurai pas su faire. Consulter les intellectuels d’un secteur professionnel est souvent un bon moyen pour pouvoir disposer de ressources que l’on n’a pas soi-même. À condition de ne pas mépriser les bacs et licences professionnels…
Depuis le départ, notre mot d’ordre est simple : il faut planifier. La planification est avant tout une méthode. Elle consiste à organiser dans le temps et dans l’espace les moyens correspondant à des objectifs déterminés. Vacciner la population est un objectif. Pour l’atteindre, il faut faire confiance à ceux qui ont les savoir-faire : l’État, les élus locaux, les praticiens. Au lieu de cela, le gouvernement a fait appel à 4 cabinets de conseil ! Ruineux. Inefficace. Et perte d’expérience pour l’État. Il faut se reprendre en main !
Les faiseurs de phrases du gouvernement n’ont pas tenu compte des contraintes de stockage des milliers de doses, ni de leur conservation à − 70 °C ni des exigences et contraintes de leur déploiement à grande échelle. La démonstration d’Aurélien Rouquet est implacable.
On a le sentiment que l’État s’est effondré. Lors de la première vague, le pays n’a pas été capable de produire en nombre suffisant les pauvres masques en tissu. Pourtant, par le passé, nous avons été capables de produire 80% des médicaments que nous utilisions. Aujourd’hui, on réalise que notre pays n’est plus capable d’organiser une campagne de vaccination de masse. J’ai pourtant connu une période où on vaccinait pour le BCG toute la jeunesse de France en 15 jours ! En octobre dernier, on a encore vacciné 4,5 millions de personnes contre la grippe en une semaine ! Entre temps, les têtes de linottes qui gouvernent ont eu d’autres soucis sans doute et leurs amis de la bonne société du libre marché ont su se faire entendre. Cent million de frais de conseil pour une seule entreprise ! Comme c’est beau !
Le professeur de logistique Aurélien Rouquet a donc raison d’insister. Et il a raison de rappeler à ces gouvernants qui méprisent les ressources de leur pays que « les savoirs logistiques nécessaires sont disponibles, et que les acteurs qui les détiennent sont prêts à se mettre au service du gouvernement ». Il suffit de les solliciter. Et de se dire que le monde réel ne ressemble pas au monde de la toute puissance enfantine où l’on croit qu’il suffit de vouloir pour pouvoir.
Les évènements du capitole aux USA sont vraiment un tournant dans l’histoire des puissances en général et de la puissance politique en particulier. Après la tentative ratée de l’extrême droite contre le pouvoir parlementaire, une prise de pouvoir autrement plus concrète s’est opérée en faveur de l’oligarchie numérique qui gouverne les GAFA. Avant d’expliquer plus avant je dois prendre mes précautions. En effet, une campagne des marcheurs macronistes contre moi a visé à m’attribuer un soutien aux meneurs de l’invasion du Capitole. Aussi absurde que soit ce propos, il a été immédiatement rabâché par les occupants du radeau de la méduse qu’est le groupe parlementaire du parti présidentiel. Mais cela a aussi été relayé par quelques porte-voix gouvernementaux dans la presse en mal d’audience. Ceux-là s’appuient sur l’indignation qu’ils suscitent pour booster l’intérêt à leur sujet. Sinon qui s’intéresserait à eux ? C’est le fameux paradoxe d’Érostrate il y a deux mille trois cents ans quand il mit le feu au temple d’Éphèse, l’une des sept merveilles du monde, dans le seul but qu’on parle de lui.
Je mets donc d’abord les points sur les « i ». L’invasion du Parlement américain du 6 janvier 2021 est une tentative de putsch ratée. Dès que j’ai vu les images, j’ai tweeté en ce sens pour contribuer au soutien moral des parlementaires états-uniens empêchés de faire leur travail institutionnel. J’ai ensuite écrit sur ce blog pour souligner l’importance de bien nommer les coupables de cette agression contre la démocratie : il s’agit de groupes d’extrême-droite, suprémacistes blancs et néo-nazis pour certains.
Les macronistes, croyants malin de m’assimiler à cet évènement pour me flétrir, ne commettent pas seulement un raisonnement stupide. Ils détournent le regard de la réelle menace : l’ultra-droite internationale et ses ramifications en France. Je sais que c’est le principal souci de ces gens partis a la conquête des cœurs a l’extrême droite. Quand Macron dit que Pétain est un grand chef militaire et Maurras un talent dans la littérature, les petits chefs reçoivent l’ordre de repousser l’attaque contre l’extrême droite et de se concentre sur les coups à me donner sous l’appellation « extrême gauche ». Ce n’est pas faute d’avoir alerté ici et combien de fois sur le fait que le soutien inconditionnel apporté par Macron aux putschistes vénézuéliens que la droite locale elle-même rejette ne pouvait pas être neutre. Peu à peu on est arrivé sur cette hésitation dans la nuit du putsch capitolin et la reculade dans le ridicule à trois heures du matin devant ce drapeau américain et cette conclusion en anglais. Aussitôt ont commencé à circuler sur la toile la longue série des vidéos où l’on voit macron l’atlantiste comme un petit garçon dans les bras du gorille Trump. On comprend alors la nature du lien qui les unissait. Macron est un petit garçon devant n’importe quel président US car celui-ci incarne son idéal. L’atlantisme chez le président français a la force d’une hallucination idéologique.
Je suis depuis toujours un adversaire sans concession de la famille politique de Donald Trump. Je ne prends pas avec légèreté la tentative de coup d’État qu’il a provoqué. Malgré tout cela, je ne suis pas d’accord pour accepter que Facebook et Twitter lui coupent tout accès à ses comptes, du jour au lendemain, sans en référer à personne. Je l’ai dit publiquement. Il s’agit pour moi de défendre un principe : des entreprises privées n’ont pas à s’arroger le droit de poser les bornes de la liberté d’expression. Ces limites, quand elles existent, doivent être définies par les institutions démocratiques et confiées à des autorités agissant sous l’autorité du peuple.
Cette position a parfois été critiquée. J’ai vu que Mme Audrey Pulvar, candidate d’Anne Hidalgo en Île-de-France pour l’élection régionale avait réagi contre mon propos sur ce point. Elle n’y consacre pas moins de quatre tweets pour utiliser un extrait de mon interview sur LCI. Tout cela pour dire combien elle soutient le procédé de censure privée exercé ici par Twitter et Facebook. « Je suis d’accord pour que Twitter et Facebook prennent leurs responsabilités et cessent de relayer, en les démultipliant, les mensonges et manipulations évidentes de leaders politiques extrémistes, racistes et dangereux » écrit-elle. On ne peut faire plus clair. Elle espère peut-être que ce soit bientôt mon tour sans doute. Et je sais pourquoi elle pense pouvoir l’espérer et pouvoir dire le moment venu : « il l’a bien cherché et j’avais prévenu que je n’étais pas pour ce genre de liberté d’expression ».
Je m’étonne de cette étrange conception des règles du débat public pour une ancienne journaliste. Comment peut-on accepter que les intérêts privés des GAFA remplacent les Parlements et la justice pour la régulation de la parole publique alors même que dépendent d’eux la protection de la liberté de la presse ? Comment ne pas voir ici l’avènement d’un nouvel arbitraire ? La question dépasse largement Trump. Il est naïf de penser que ces entreprises s’arrêteront à lui. Des oppositions démocratiques au systèmes peuvent aussi être visées très vite. Par exemple, en toute bonne foi, pour Facebook, Google ou Twitter ce serait un scandale et une violence inacceptable de voir advenir des gouvernements déterminés à récupérer l’argent qu’ils escamotent par leur évasion fiscale ! Une exagération ? Un procès d’intention ? Non : des faits réels et rien d‘autres.
Ceux qui se réveillent aujourd’hui ont raison de le faire. Mais ils ont été long à la détente ! Dans le passé récent, les grosses plateformes ont déjà coupé l’accès à des forces de notre famille politique. En avril 2019, une semaine avant les élections générales, Facebook a ainsi fermé le canal WhatsApp de Podemos, sur lequel 50 000 espagnols étaient inscrits pour coordonner leur action. La même année, la même entreprise a aussi fait fermer la page de l’ancien Président de l’Équateur Rafael Correa. Cette page permettait à ce Président en exil victime de persécutions politiques de s’adresser à 1,5 millions de personnes dans son pays et à travers le monde. Facebook a ici participé à une opération de lawfare lancée par le successeur de Correa à la présidence visant à éliminer son opposition. Lula avait subi le même sort au Brésil. Dans chaque cas, à gauche, l’information avait circulé. Aujourd’hui, même aux États-Unis la gauche démocrate et combien de personnalités disent leur trouble devant cette forme de censure alors même qu’ils sont tous fermement opposé à Trump.
Mme Pulvar ne peut donc pas ignorer que les GAFA ont déjà fait subir ce genre de censure arbitraire à des leaders progressistes du monde. Nous avons alerté à chaque étape. Mais elle devrait au moins se rendre compte que cela correspond exactement au modèle que la majorité LREM a tenté d’importer en France. La loi sur les fausses nouvelles a délégué une partie du travail de censure contre la diffusion de « rumeurs et de diffamations » à des plateformes privées. Y compris spécifiquement en année électorale ! La loi Avia prévoyait même une censure privée et par algorithmes. Heureusement, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions. Mais l’instinct des macronistes est bien de transférer à des entreprises privées le pouvoir de décider qui peut s’exprimer dans l’espace public et pour dire quoi. Ils savent qu’ils ne seront jamais en conflit de conviction avec ces censeurs là.
Est-ce bien avec cela que Mme Pulvar est d’accord ? Je ne peux pas le croire si je tiens compte de tout ce qu’on peut savoir d’elle et de ses engagements dans le passé. Je crois à un dérapage et je mets en garde tout ceux qui s’y abandonnent. La consigne de m’attaquer pour cliver et conquérir ce faisant le cœur des « macronistes déçus » ne devrait pas justifier de se retrouver à défendre l’appropriation par l’oligarchie numérique du pouvoir de censurer la liberté d’expression. Et la liberté d’expression, dois-je l’apprendre à une journaliste, c’est toujours celle des autres et d’abord la liberté de ceux avec qui on n’est pas d’accord.
La détestation de Trump ne doit pas être un hallucinogène qui conduit à confondre dans une même colère tous ceux que vous n’aimez pas ! Car vos propres mots vous serons jetés demain à la figure quand votre tour viendra d’avoir déplu aux princes qui gouverneront l’accès à toute parole. Que vous a valu le plaisir fugace de vous réjouir sans protester quand des policiers factieux sont venu assiéger la France Insoumise ? Réponses : des policiers faisant en toute impunité le siège de quelques rédactions bien connues. Tout le monde connait la tirade de Martin Niemöller : « Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit car je n’étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit car je n’étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit car je n’étais pas syndicaliste. Et quand ils sont venus me chercher, il n’existait plus personne qui aurait voulu ou pu protester.»
J’ai été trainé dans la boue bien des fois par la nouvelle équipe de Charlie Hebdo, celle qui a succédé à l’époque de mes amis assassinés. Elle vient de donner deux grandes pages d’interview à la maire de Paris Anne Hidalgo qui a adopté le discours Vallsiste dans toute sa profondeur inquiétante. Quoiqu’en désaccord contre le traitement qui m’est réservé et en désaccord avec bien des formes d’un humour qui ne me fait pas rire, je défendrai jusqu’au bout le droit de l’une et de l’autre de dire du mal de moi, même avec des mensonges et cette haine palpable que l’on sent à chaque détour des lignes et du crayon. Et je ne demanderai à personne d’autres qu’aux gens eux-mêmes de se faire une idée aussi longtemps que la loi n’est pas enfreinte. Et dans ce cas ce sera aux juges d’en décider même si je n’ai pas confiance dans leur impartialité politique à mon égard. Cela s’appelle la République. Pleine d’imperfections, oui. Mais sinon quoi ?
Pour la quatrième fois, Macron a organisé un grand raout de chefs d’États, d’institutions internationales et de partenaires privés. Cette fois-ci le thème était celui de la biodiversité. Pour Macron, l’objectif de ce type d’évènement est de s’arroger la place centrale du grand bal des apparences et des promesses. On rirait presque si la situation n’était pas si grave.
1 espèce sur 8 est en danger d’extinction à court terme, soit près d’un million d’espèces. Son érosion vitesse grand V est considérée par la communauté scientifique comme la sixième extinction de masse. Or, la France concentre 10% de la biodiversité mondiale. Elle a donc un rôle et une responsabilité à assumer. Pourtant, le gouffre entre les grandes gesticulations de Macron et son bilan réel reste une honte publique. D’une main il énumère les annonces : un objectif de 30% d’espaces protégés d’ici 2022, une « Coalition pour une mer Méditerranée exemplaire » et de nouvelles promesses de fonds pour relancer le projet de Grande Muraille verte au Sahel.
De l’autre, il ordonne le saccage de la nature. Les scientifiques pointent du doigt la responsabilité du modèle agro-industriel dans l’appauvrissement systématique du vivant. D’après le WWF, il est à l’origine de 80% de la déforestation, de 70% de l’appauvrissement de la biodiversité terrestre et capte 70% des ressources en eau. Pourtant, Macron a refusé d’interdire le glyphosate et ré-autorisé les néonicotinoïdes. Il a multiplié et applaudi les accords de libre-échange à rebours de tout objectif de souveraineté alimentaire : d’abord, le CETA, ensuite le JEFTA et dernièrement l’accord UE-Chine. La stratégie nationale de lutte contre la déforestation est au point mort. Pire, le mal est encouragée par l’autorisation donnée à Total de produire du diesel à base d’huile de palme importée. Il y a pire. La demande de moratoire sur l’exploitation minière en Guyane est piétinée. Aucun représentant de l’État ne s’est présenté à l’audience du tribunal pour s’opposer à la compagnie Montagne d’Or. Le tribunal a relevé que l’État « ne produit aucune pièce justificative » et le « défaut de contestation sérieuse du ministre » concernant le refus de prolonger les concessions minières. Résultat : le projet au cœur de l’Amazonie est relancé. 1500 hectares de forêt et 2000 espèces sont menacées par des tonnes de cyanure et d’explosif. Pour finir, les députés LREM au Parlement européen ont approuvé une Politique Agricole Commune dans la continuité pure et simple du modèle productiviste.
Outre, les pesticides, la pollution plastique est un aussi véritable fléau pour la biodiversité. Il y aura bientôt plus de plastiques que de poissons dans les océans. La Méditerranée est particulièrement polluée. « Exemplaire », vous dis-je. Mais le gouvernement a fixé la fin du plastique à usage unique à… 2040. Dans le même temps, il laisse Verallia, entreprise française, troisième productrice mondiale d’emballage en verre licencier à tour de bras. Or, sans système de consigne en verre, entre autres, certes, nous ne pourrons jamais sortir de l’ère du tout plastique.
Nombre des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat ont trait à la préservation de la biodiversité. Pourtant, près de la moitié d’entre elles ont été retoquées ou édulcorées. La taxe sur les engrais azotés est reportée au projet de loi de finances 2024. De leur côté, les zones commerciales et Amazon pourront continuer à bétonner des terres agricoles si la superficie de leurs projets est inférieure à 10 000 m². Cela représente 80 % d’entre elles. La lutte contre l’artificialisation des sols est donc compromise dans les faits. Pour finir, le délit d’écocide est en passe d’être enterré en coulisses par le MEDEF, avec le soutien actif du ministère de l’Économie.
La prochaine grande réunion pour déterminer les objectifs internationaux de préservation de la biodiversité doit se dérouler en Chine du 17 au 30 mai 2021. Son thème sera « la civilisation écologique : construire un futur commun pour toute forme de vie sur Terre ». Il faut pour cela tirer les leçons de la pandémie de Covid-19. En effet, le lien entre érosion de la biodiversité et pandémies est désormais acté. D’après les scientifiques, il existerait 1,7 million de virus inconnus chez les mammifères et les oiseaux. Entre 540.000 à 850.000 d’entre eux auraient la capacité d’infecter les humains. Sans modification en profondeur de notre modèle de production, de consommation et d’échanges, les pandémies seront plus fréquentes et plus meurtrières. L’élevage concentrationnaire est en cause sans aucun doute possible.
Nous devons donc planifier une bifurcation écologique d’ampleur. Je résume sa philosophie globale dans la formule : l’harmonie entre les êtres humains et avec la nature. Il faut pour cela agir à la racine du problème : nous ne devons plus prélever ni produire davantage que ce que notre planète peut régénérer ou absorber. Tel est le sens de la règle verte. Elle est autrement plus ambitieuse, urgente et exigeante que la communication d’affichage et les décisions honteuses du gouvernement.
Le gouvernement a présenté un projet de loi organique sur l’organisation de l’élection présidentielle examiné en commission des lois de l’Assemblée nationale le 13 janvier 2021. Il contient plusieurs dispositions sur la campagne et l’élection en elle-même. Il prévoit par exemple un délai minimal de 10 semaines entre la publication du décret de convocation des électeurs et la tenue du vote. Aujourd’hui, ce délai n’existe pas formellement dans la loi même si c’en est l’usage. Cela a une certaine importance car la publication de ce décret déclenche aussi l’envoi des formulaires de parrainages aux élus par le Conseil constitutionnel.
Le projet de loi modifie aussi quelques règles du vote lui-même. Il met en place le vote par correspondance pour les détenus, déjà expérimenté lors des élections européennes. On pourra par ailleurs désormais donner procuration à un électeur inscrit sur les listes électorales dans une autre commune que la sienne. Jusqu’à maintenant, les Français de l’étranger étaient contraints de faire une déclaration attestant sur l’honneur ne pas pouvoir se déplacer au bureau de vote pour pouvoir faire une procuration. Le projet de loi supprime cette obligation.
Nous n’avons pas de problèmes avec ces articles. Mais quitte à discuter de l’élection présidentielle, nous avons aussi des propositions. Le déroulement de l’élection centrale dans le régime de la cinquième République mérite davantage qu’une discussion expédiée. Il s’agit pour nous de favoriser tout ce qui peut accroitre la place du peuple dans la campagne et l’élection elle-même. Ainsi, nous déposons un amendement pour autoriser le prêt aux candidats par des personnes physiques, des individus et non seulement des banques. C’est déjà autorisé pour d’autres élections. Car sinon, il reste comme seul moyen pour financer une campagne que les dons et les banques.
Les dons ? Cela favorise les candidats dont les partisans sont des ultra-riches qui peuvent faire des dons très élevés. Macron organise ainsi des dîners très sélects où grands patrons, avocats d’affaires et banquiers lui font des gros chèques à titre privé. Certains ont même débordé des limites prévues. La justice a fait les gros yeux avant de passer l’éponge. Petits veinards ! Le deuxième canal de financement possible est de rechercher un prêt auprès d’une banque privée. C’est à priori sans risque pour la banque s’agissant de candidats qui ont toutes les chances de dépasser le plafond de 5% des voix donnant lieu au remboursement des dépenses par l’État. Mais cela laisse toujours la possibilité au monde de la finance de boycotter un jour un candidat jugé trop dangereux. C’est pourquoi nous faisons la proposition des prêts par des individus et non des banques. Ils permettraient d’organiser des campagnes de financement populaire massive. Nous y avons eu recours pour l’élection européenne et levé deux millions en dix jours que nous avons intégralement remboursés depuis.
Nous allons aussi présenter un amendement reprenant le contenu de ma proposition de loi sur les 150 000 parrainages citoyens. J’en rappelle le principe. Pour l’instant, la sélection des candidats est le privilège des élus. Il faut, pour avoir le droit de se présenter, réunir 500 parrainages d’élus. Je propose d’ouvrir ce droit à 150 000 citoyens inscrits sur les listes électorales. Ce chiffre, je ne l’ai pas choisi au hasard. Je l’ai repris d’un rapport écrit par une commission présidée par Lionel Jospin. Lui-même a reporté sur le corps électoral français, la proportion choisie dans les pays qui pratiquent déjà cette méthode. Cette procédure ne remplacerait pas l’actuelle : les deux pourraient exister en parallèle. Ainsi, ceux qui sont attachés à ce pouvoir des maires n’en seraient pas privés. Mais les simples citoyens gagneraient un droit démocratique supplémentaire.
Nous présenterons donc ces amendements à l’occasion du passage de cette loi devant l’hémicycle. Nous pensons qu’ils peuvent être acceptés bien au-delà de notre groupe politique. Ils sont l’occasion, après les océans d’abstention des élections municipales, de placer l’élection présidentielle sous le signe de la participation populaire. J’espère donc que ces amendements pourront être discutés et votés en commission et en séance plénière sans être rétorqués avant même les débats comme les macronistes ont pris l’habitude de le faire. L’organisation de l’élection présidentielle n’est pas un petit sujet.