Le Moment lamentable – Pour une fois, le rouleau compresseur médiatique du covid qui dure depuis un an en écrasant tout le reste de l’actualité a du bon. Le débat parlementaire contre le séparatisme n’intéresse personne et ne sort pas des murs de l’Assemblée. Le pays se voit donc épargné des heures de meurtrières tirades infamantes contre les musulmans. Quel moment lamentable. Mais dans l’hémicycle, c’est une torture. On « débat » actuellement sous le régime du « temps programmé ». Mais il faut beaucoup se taire. Car nous n’avons que 3H35 de temps de parole attribuées pour la discussion de 51 articles et 400 alinéas. La droite LR, pour sa part, dispose de 9h heures. LREM 7h45 (temps de parole du ministre et des rapporteurs en plus). Le modem 3H15. L’UDI 2H25 Le PCF 3h30 et le PS 4h20. Les présidents de groupe ont droit à une expression personnelle supplémentaire d’une heure. Nous devons donc subir le flot des interventions des autres sans broncher pour conserver un temps de parole sur chacun des articles les plus sensibles. Les non-inscrits (50 minutes) ont été purement et simplement privés de temps parole avant même la fin de la discussion de l’article 1. Ce n’est pas normal ni souhaitable.
Je ne reviens pas ici sur le contenu des débats. Nos interventions sont en ligne en vidéo. Pour ma part j’ai bénéficié de la présence de 8000 auditeurs présents sur Facebook et YouTube en permanence pendant mon discours sur la motion de rejet du texte. Près de 400 000 personnes ont regardé la vidéo depuis. Mes camarades, Alexis Corbière, Ugo Bernalicis, Éric Coquerel, Jean Hugues Ratenon ont fait de magnifiques interventions. Alexis et moi avons parlé au milieu d’un hourvari permanent de cris et hurlements. À leur banc, les ministres participaient activement à la tactique de déstabilisation des orateurs par leur rires et bavardages. Cela, le téléspectateur ne le voit pas ni ne l’entend. Ils nous voient seulement forcer la voix pour dominer le vacarme et parfois ils s’en étonnent auprès de nous : « pourquoi criez-vous ? ».
Certes on a vu pire. La veille Mathilde Panot avait été grossièrement insultée en séance. L’alcool avait fait son œuvre, semble-t-il, chez certains marcheurs. Jaurès avait droit aussi à ces interruptions permanentes et on a même vu une occasion où un député est monté à la tribune pour le frapper tandis qu’il parlait. Heureusement, nous n’en sommes pas là. Puis la réplique du ministre (Darmanin) et celle du rapporteur (de Rugy) se fit sur un mode très personnel, politicien et offensant. On a vite vu où serait l’angle des éléments de langage. Comme je défends la liberté du culte, et que je l’ai déjà fait contre la fermeture des lieux de culte, je serai un « porte-parole du cléricalisme ». Ni plus ni moins. Que j’ai félicité la conférence des évêques de France pour avoir dit que la loi de 1905 était « une loi de liberté » fait ricaner des bancs d’ignorants qui ne savent rien de la bataille de l’époque ou le pape avait appelé a ne pas appliquer cette loi. Face au public d’un beuglant, quelle musique s’entend ?
En fait, je n’attends rien de Darmanin et De Rugy, et surtout pas de la culture historique républicaine. Les deux procèdent par amalgames, insinuations et contrepèteries sur fond d’une culture contre-républicaine qu’ils ne peuvent me cacher. L’un nous rebat les oreilles avec son grand-père musulman et l’autre avec la chouannerie. Leur mépris pour les autres et leurs railleries à deux sous sont une honte visible. Car pour le reste, à l’honneur des collègues, dans les échanges entre députés, personne n’est aussi vulgaire et agressif dans les prises de parole. Nous n’avons jamais répliqué dans le même registre quand bien même admettez que ces deux-là auraient pourtant de quoi faire parler… Mais c’est désolant de voir des esprits hier si libres, répéter sur tous les tons les absurdités cuisinées de longue main dans l’extrême droite. Ainsi de madame Caroline Fourest désormais murée dans un fanatisme qui lui interdit de partager les principes qu’elle défendait hier : l’État chez lui, l’Église chez elle et la liberté de culte pour tous. La liberté de conscience est à ce prix.
La société n’a pas à être laïque. L’espace public ne l’est donc pas. Cependant la société peut être de culture laïque. C’est même souhaitable. C’est à dire être à la fois respectueuse de l’engagement de chacun et refusant un point de vue imposé par le culte majoritaire ou un pouvoir. Par contre l’État est les services publics le sont par nécessité et sans exception. Je ne sais pas ce qu’il faudrait ajouter à cela. C’est en tous cas la position historique de l’école de pensée dans la tradition de 1905. La traduction de ces principes est très concrète. Par exemple, elle exclut la police des habillements dans l’espace public et, à l’inverse, la présence des élus en écharpe dans les manifestations religieuses.
Dans le débat, nous avons donc été dans un premier temps assimilé à des défenseurs des religion et même du cléricalisme. Quand nous refusions la police du vêtement contre le port du voile. Puis nous fumes repeints en « laïcards » ennemi des religions. Par les mêmes !!!! C’était au moment où nous demandions que les élus ne cautionnent pas, par leur présence, les manifestations religieuses. Et dans chacune de ces postures contradictoires ce furent les mêmes lazzis, les mêmes moqueries. Le débat semblait patauger dans la mauvaise foi. Mais tout autant dans la bêtise la plus crasse. Les mêmes qui meuglaient en cadence contre le foulard dans l’espace public ne trouvaient rien à redire à la qualité de chanoine de Latran du président de la République ou à la participation des élus à des cérémonies comme celle de reconnaissance à la vierge pour la délivrance de la peste de 1630 !!! Au contraire, ils se posèrent soudain en défenseur de l’Église. Mais qui l’attaquait ? Personne. Au point qu’un de ces brillants amis des Lumières, l’instant d’avant, se risqua à dire que nous n’avions pas à discuter pour savoir si la vierge avait ou non protégé la ville de la peste ! Non ce n’étaient pas des républicains qui parlaient mais des croisés. Les brillantes plumes fermaient la marche de cette croisade. Dans Le Figaro une nouvelle fois la technique de prétendus « anciens cadres » de LFI , évidemment anonymes compte tenu du risque qu’il y a nous critiquer, viennent dire que Coquerel parle comme il le fait par électoralisme. Car, bien-sûr, il est bien connu qu’il n’y a aucun calcul électoral dans la propagande contre les musulmans. Nous parlons des 500 communes sans école publique ? Des élus dans les manifestations religieuses ? C’est que nous serions gênés par la question de l’islam, psalmodie Marianne. Le journal est désormais converti à l‘intérêt du débat sur les certificats de virginité et la lutte contre la polygamie et reste sans voix sur la question du Concordat ou des immeubles de rapport. Dommage que Macron ne soit pas imam d’honneur de la mosquée du Caire, on aurait été mieux compris dans ces colonnes-là.
Le résultat des simagrées du pouvoir est simple : moins de liberté pour les associations, un serment pour tous ceux qui touchent des subventions, une latitude plus grande pour les préfets de dissoudre, contrôler et ainsi de suite. Où est le terrorisme islamiste là-dedans ? Nulle part évidemment. On finit par se demander si c’était vraiment le sujet. La « démocratie défaillante » en France défaille un peu plus. Mais qui a la liberté de le dire à part la presse étrangère ?
Partout à travers le monde se déclenchent des mouvements sociaux éruptifs. Ceux-ci arrivent par vagues, ou grappes, et s’enflamment comme au fil d’une trainée de poudre. On a pu suivre dernièrement l’une de ces vagues, de Hong Kong jusqu’au Chili en passant par le Liban. Ces moments de jaillissement populaire signifient ensemble quelque chose qui dépasse chaque exemple pris individuellement. Les étudier est une de nos tâches. En effet, nous travaillons à étoffer chaque jour davantage « la théorie de l’Ère du peuple et de la Révolution citoyenne ». J’ai proposé des décryptages de nombre d’entre elles. On voit ainsi des caractéristiques communes les traverser.
Ce qui se passe en Inde mérite toute notre attention. En effet, cela concerne un secteur que nous n’avions pas encore eu l’occasion d’examiner de près dans une dynamique de révolution citoyenne. Ici est en cause l’agriculture et la condition paysanne. Au fur et à mesure que les exemples surgissent, il faut aussitôt les étudier en détail pour les confronter à la théorie. L’exemple indien est un nouveau cas d’étude. Avant toute chose, il faut commencer par rappeler notre définition du « peuple ». Celui-ci rassemble tous ceux qui doivent accéder aux réseaux collectifs pour pouvoir vivre. Ce sont l’eau, l’électricité, les transports pour les plus évidents. C’est aussi le logement ou la santé. Ceux-ci sont vitaux. Toute entrave à leur accès peut constituer un élément déclencheur. Nous l’appelons « fortuit ».
Au point de départ, ceux-ci sont bien sûr variables. La dégradation des conditions d’accès à ces réseaux peut être économique : une hausse de tarif, un éloignement ou une détérioration du service lui-même. Elle peut aussi être écologique : on l’a vu récemment à travers l’exemple de la marée noire à l’Île Maurice. À chaque fois donc, une forme de dégradation fondamentale des conditions matérielles d’existence constitue l’étincelle. Les formes de dégradations peuvent également se superposer jusqu’à rendre la vie impossible. Pour des milliers de gens, la déflagration économique et sociale qui résulte de la pandémie de Covid-19 chauffe à blanc un fond de l’air déjà suffocant.
Au commencement se trouve donc une préoccupation commune : le refus de décisions cruciales prises sans recours possible alors que les gens ont la conviction qu’il s’agit d’une question vitale pour eux. La situation indienne n’est pas différente. Depuis un an, les travailleurs, étudiants et d’autres parties de la population se mobilisent contre les réformes antisociales et antisyndicales du gouvernement. La pandémie de Covid-19 a dégradé les conditions de vie de 1,3 milliard d’Indiens.
Que fait leur gouvernement ? Il a décidé de suspendre le Code du travail et les législations environnementales au nom de la relance de l’économie. Une grève générale a eu lieu le 8 décembre 2020 à l’appel des organisations syndicales. Elle a rassemblé 250 millions de travailleurs. Soit 20% de la population. Dans ce contexte social bouillant, le gouvernement indien a jeté de l’huile sur le feu. En effet, en septembre 2020, il a adopté des lois de libéralisation de l’agriculture et de dérégulation des tarifs agricoles. Ces lois visent à faire disparaître les marchés réglementés et donc les garanties qu’ils apportent sur les cours des productions donc sur la rémunération des paysans.
Pour comprendre l’importance de l’enjeu autour de cette réforme, il faut d’abord mesurer à quel point l’agriculture indienne est un réseau majeur. L’Inde est la quatrième puissance agricole mondiale. 60% de sa surface est cultivable, soit une surface équivalente à la taille de l’Europe. Par ailleurs, la moitié de la population est composée d’agriculteurs. Environ 70% de la population dépend de manière directe ou indirecte de ce secteur. Le bon fonctionnement de celui-ci est donc vital. Or, ce réseau est déjà en difficulté. En effet, la révolution industrielle du secteur l’a complètement sinistrée. L’eau et les sols sont pollués, la terre sans vie, les agriculteurs endettés.
Les conséquences du réchauffement climatique n’arrangent rien. L’Inde fait face à une véritable crise de l’eau, entre raréfaction de la ressource et vagues de chaleurs extrêmes. Le fonctionnement dégradé du réseau se mesure à l’aune du nombre de gestes désespérés que commettent ceux qui en dépendent. En 2019, plus de 10 000 agriculteurs indiens se sont suicidés. Au total, ce sont près de 300 000 depuis les années 1990.
Aujourd’hui, les paysans peuvent vendre une vingtaine de produits de base à des prix minimum garantis par l’État. Certes le système actuel pourrait être amélioré. Mais au lieu de cela, le gouvernement indien veut tout détricoter. Demain, avec ces lois de libéralisation, les paysans pourront vendre ce qu’ils veulent à qui ils veulent. Les grandes compagnies auront aussi le droit de stocker les céréales sans limites. Cela favorisera la spéculation et une montagne russe permanente des prix. Les paysans indiens le savent. L’amélioration des conditions de vie des paysans par une concurrence accrue est une illusion libérale planétaire. Au contraire, et à juste raison, les paysans indiens dénoncent une réforme à l’avantage des grands groupes de l’agro-alimentaire qui tireront les prix vers le bas. 86% des paysans indiens sont des touts petits propriétaires qui possèdent moins de 2 hectares. Ils risquent de ne pas faire le poids dans ce rapport de force.
Ces lois de libéralisation constituent ici l’élément déclencheur. En effet, la question agricole et alimentaire se situe au point de départ de notre société. Le plus vital est de se procurer à manger. Lorsque ceux qui produisent notre nourriture ne peuvent plus se nourrir eux-mêmes et que ce fait concerne 70% de la population, le potentiel de déflagration est puissant. Le cours des évènements l’illustre parfaitement. La ministre de la Transformation alimentaire a démissionné dès la fin du mois de septembre. Des centaines d’agriculteurs ont entamé le siège de la capitale New Delhi en décembre. Les premiers agriculteurs à manifester ont été ceux des États les plus concernés par les conséquences de l’agro-industrie (Pendjab et Haryana). Depuis, le mouvement a grossi jusqu’à rassembler plusieurs dizaines de milliers d’agriculteurs et 250 organisations paysannes.
Le 11 janvier, la Cour suprême indienne a suspendu ces lois. Mais rien n’arrête plus la vague. Cette demi-mesure ne peut plus suffire. La survie des agriculteurs indiens dépend d’une mesure radicale. La revendication des manifestants est donc claire : l’abrogation de la réforme.
On repère beaucoup de femmes engagées dans le mouvement en cours. Dans l’Histoire, elles sont un marqueur de détermination de tout mouvement révolutionnaire. Le 26 janvier, jour de la fête nationale, des milliers de paysans ont forcé les barrages de police et ont envahi la capitale. D’autres défilés de plusieurs dizaines de milliers de tracteurs ont lieu dans le sud du pays.
Les analyses faites à partir du récit de cet évènement et des vidéos circulant sur les réseaux sociaux permettent aussi d’étayer la théorie générale. On retrouve là encore des caractéristiques similaires. Celles-ci se déploient dans différentes phases qui s’entremêlent. Dans la phase instituante, les individus se donnent à voir par des signes distinctifs. Les drapeaux nationaux présents dans toutes les révolutions citoyennes, y compris en Inde, résument à eux seuls l’enjeu d’unicité de la multitude au service d’une revendication commune.
Après cette phase instituant le peuple comme acteur politique, vient la phase destituante. C’est le moment où les gens réclament le départ de l’ensemble de l’oligarchie aux commandes. Les Tunisiens ont résumé l’enjeu par un slogan simple : « Dégage ! ». Slogan complété plus tard par les Libanais : « tous, c’est tous ! ». N’est-ce pas le signal envoyé par les paysans indiens ? La symbolique des lieux parle elle aussi. Les paysans ont envahi le Fort Rouge. C’est là que tous les 15 août, jour de l’Indépendance en Inde, le Premier ministre indien s’adresse à la nation. Pour finir, la phase constituante est l’aboutissement d’une telle phase de turbulences. Elle se traduit par la volonté de redéfinition par le peuple des conditions d’exercice de sa propre souveraineté. Autrement dit, par le changement de fond en comble des règles du jeu. Si les syndicats ouvriers s’associent aux paysans indiens dans le processus décrit ici, le pire est à craindre pour le pouvoir indien.
Je note une certaine stabilité dans le paysage de la campagne présidentielle au point où elle en est aujourd’hui. Du moins dans l’espace attribué à cette « gauche » dans laquelle nous installent les analystes. Un nouveau sondage paru dans « l’Obs » confirme une tendance déjà nette depuis plus d’un an. D’une part Macron et Le Pen figurent en tête, d’autre part la « gauche traditionnelle » est hors-jeu. Cependant, l’analyse de l’observatoire insoumis des sondages m’a mis la puce à l’oreille. Il faut donc nuancer toute interprétation. Non pas tant à cause de la distance de cette élection. Mais surtout du fait que la fiche technique de ce sondage n’est pas publiée au complet. Il n’est donc pas possible de connaitre l’ampleur et la nature des « correctifs » apportés par l’entreprise de Brice Couturier.
Je pars donc de ce qui est publié faute de mieux. Je mets de côté, tout de suite, ce qui me concerne directement. Dans quatre cas sur huit examinés par ce sondage un score de 9 % m’est attribué. 10 % dans les autres. Point d’accord : je crois à la stabilité de ce que représente ma candidature, car elle est confirmée elle aussi depuis plus de deux ans dans les enquêtes. Mais à quel niveau ? Là est la dispute éventuelle. Je comprends parfaitement qu’il faille m’attribuer un « 9 % » dans la moitié des configurations prévues de manière à produire un effet d’identité « en dessous de 10 » avec le candidat PS ou celui d’EELV. Je m’amuse de voir que pour le faire, il aura fallu m’attribuer moins de 45 % de mes propres électeurs de 2017 ! Et le plus fort taux d’abstention de tous les candidats. Une situation jamais indiquée par aucun sondage jusqu’à ce jour. Ces derniers m’attribuent au contraire une stabilité avec 60 % de fidélité de mes électeurs dans les cas les plus bas. C’est ce que fait un autre institut de sondage une semaine avant celui-ci… Mais, passons !
Je note aussi que contrairement à d’autres sondages réalisés dans le passé à aucun moment ma candidature comme candidat de cette « union » tant désirée par les sondeurs n’est publiée. Dommage. Dans les précédentes enquêtes, même dans cette configuration, et aussi bien face à Hidalgo que Jadot dans le même rôle, j’arrivais en tête. Pourquoi ici ne publie-t-on pas ce résultat ? Parce que le but est de reconstituer la force de centre gauche d’hier, pas de formuler un nouveau bloc populaire. « L’Obs » note que le sondage confirme la stratégie de rassemblement d’Anne Hidalgo. Bonjour la novlangue ! Cette stratégie consiste à taper sur les insoumis et EELV ! Logique ! Le but est de reconstruire la suprématie du PS et rien de plus. Cela est tout simplement impossible. Mais tant qu’ils le croient…
Mais ce n’est pas, non plus, le plus intéressant à mes yeux. Voyons ce qui est spectaculaire : qu’advient-il lorsque se réalise l’union du PS et de EELV ? C’est aussi intéressant à examiner que la stabilité qui m’est attribuée. Car on note alors : Jadot fait mieux qu’Hidalgo ! Mais comme cela se joue à un point, admettons que ce soit insuffisant pour trancher leur compétition. Quoique ce ne soit pas le moindre aspect du problème qui leur est posé. Le plus remarquable à mes yeux est ailleurs. L’addition de ces deux de candidatures ne donne un résultat égal ou supérieur au total de chacun des deux qu’à la condition d’imaginer un transfert total de leurs électeurs respectifs (ce qui est peu probable) mais aussi d’une très grande partie de tous les autres dans cet espace politique. Ce qui est tout simplement impossible. Et par-dessus tout, une fois de plus il est clair que « l’union » ne suffit pas pour accéder au deuxième tour. Et il se confirme que « l’union » ne fait pas non plus remonter le « total gauche ». Elle ne change donc rien au tableau de ce que nous connaissons déjà. Cela signifie qu’il est impossible de créer une dynamique électorale sur cette base. Impossible ! Rien ne se passera sans que ce soit une dynamique d’adhésion a des mesures dans un programme qui motive les gens pour aller voter sans faire escale à l’extrême droite ou dans le macronisme.
Dans ces conditions la bonne nouvelle est ailleurs. Elle vient de tout ce qui apparaît dans le programme des uns ou des autres comme convergeant avec le contenu de « l’Avenir en commun ». Cette addition-là est propice pour créer ces nouvelles « hégémonies culturelles » dont nous avons tant besoin pour reconstituer un bloc électoral dynamique. J’ai dit ce que je trouvais de positif, de ce point de vue, dans le programme d’Arnaud Montebourg. « L’Obs » prétend du coup que je serai d’accord « au mot près » avec Montebourg. Naturellement il s’agit d’une de ces simplifications infantilisantes dont raffolent les journalistes pressés. En vérité oui, il y a des idées sur lesquelles nous sommes d’accord « au mot près ». Mais cela sans cacher ce qui pour le reste nous sépare aussi profondément. Dans le même état d’esprit, je suis heureux de voir le programme de Laurent Joffrin comporter désormais une mesure de « rappel des élus ». Il se situe dans le même état d’esprit que notre « référendum révocatoire », même s’il n’est pas du tout identique. Cette question n’est nullement secondaire. Elle participe à la remise en cause du caractère monarchique de la fonction présidentielle pour ne parler que d’elle. Je prends le pari que ce n’est pas la dernière idée venue dans notre programme que l’on retrouvera dans celui des autres. Je considère cela comme autant de victoires idéologiques. Non pour nous attribuer des médailles ni réclamer des droits d’auteurs. Mais pour constater que le travail accompli par nos préparations et par la mobilisation électorale porte ses fruits et contribue à construire une nouvelle « culture commune » même si elle reste parcellaire même si elle ne suffit pas à combler l’écart avec notre parti pris de rupture avec le système économique et politique dominant. Mais refuser de le voir, faire grise mine par principe ne nous aiderait guère à entraîner. Encore une fois j’ai la certitude que la dynamique électorale viendra de la force d’entrainement du programme.
Le 21 janvier, je dialoguais à Marseille avec le groupe des « écrivains insoumis ». Il s’agit de militants marseillais engagés depuis le début de mon mandat de député dans une initiative novatrice et riche en enseignements. Lorsque j’ai été élu à l’Assemblée nationale, je cherchais, comme mes collègues du groupe insoumis, un moyen de faire ma permanence parlementaire un lieu utile pour les gens de ma circonscription. Je voulais rompre avec les logiques clientélistes et le système des interventions passe-droits. Ce groupe est venu à moi en me proposant de recevoir la file des Marseillais qui sollicitaient mon bureau pour leurs problèmes de logement, de papiers, de retraite, d’allocations. Leur but était de reprendre les méthodes des écrivains publics dans une permanence parlementaire afin d’aider à l’accès aux droits. Il s’agit donc non pas d’intervention du parlementaire pour peser, mais d’une démarche de conquête de ses propres droits.
J’ai tout de suite dit oui. Et je dois dire que je suis impressionné de voir un tel dévouement dans l’action durer depuis et même se développer. Je n’y ai aucun mérite personnel. Les « écrivains insoumis » font partie d’une constellation d’innovations militantes testées à Marseille depuis 2017. Avec l’équipe qui m’accompagne là-bas, nous avons fait de cette ville une sorte de laboratoire du mouvement. Nous avons, au fur et à mesure, inventé tout un panel de pratiques. Elles dessinent un rapport à la politique très différent de ce que l’on trouve dans les vieux partis. Il s’agissait de ne pas répéter les éternelles intrigues internes qui prennent tellement de temps et détournent de l’action populaire. Dans mon esprit, le rôle du mouvement de la révolution citoyenne n’est pas de construire un parti, mais un peuple révolutionnaire. Il sort donc nécessairement des logiques d’avant-garde et de la posture de surplomb par rapport aux gens. Nous avons tâché de remplacer cette attitude par une volonté de se rendre utile tout de suite. Je sais bien qu’aux municipales nous n’avons échappé à aucune des tares traditionnelles des intrigues poisons et dentelles de la course aux places. Tant pis. Cela n’enlève rien à la valeur de ce qui compte aux yeux des insoumis venus à ce mouvement pour servir les objectifs de la révolution citoyenne.
Les « écrivains insoumis » ont incarné à merveille cette ligne de conduite. Ils se sont confrontés à la pauvreté extrême de Marseille, qui est une caractéristique centrale du néolibéralisme. Ils ont pris le problème par un bout : celui de l’accès aux droits et donc à la dignité en tant que personne. Évidemment, des droits sociaux, on passe rapidement aux droits politiques. Les droits, en France, fonctionnent avec la citoyenneté. Ainsi, par le truchement de l’aide à l’écriture, ils prennent leur part à la tâche de la révolution citoyenne. Des pauvres qui commencent à demander le respect qui leur est dû à l’État ne sont déjà plus des individus éparpillés : ils peuvent former un peuple et passer à la conquête de la souveraineté.
D’autres initiatives, à Marseille, sont issues de la même démarche. Je les cite dans cette note afin que chacun prenne connaissance du chemin parcouru depuis la création de la France insoumise. Il s’est inventé en douceur une nouvelle pratique politique correspondant à une analyse rassemblée dans la théorie de l’ère du peuple et au déploiement d’une stratégie : la révolution citoyenne. Il y a eu, bien sûr, en juillet 2018, la brillante rénovation citoyenne de l’école de la Liste dans les quartiers nord. D’autres ont développé des « caravanes santé » pour faire de l’accès à la santé là où l’État s’est totalement retiré dans ce domaine. Pendant le confinement, les insoumis marseillais se sont organisés pour monter les « manufactures solidaires ». Il s’agissait de fabriquer les masques et le gel hydroalcoolique qui manquaient alors pour cause de l’absence de planification et du refus du gouvernement de réquisitionner les usines nécessaires comme nous le demandions à l’Assemblée nationale. Depuis le printemps, nos militants organisent chaque semaine des collectes de denrées alimentaires et essentielles. Ma permanence sert de lieu pour la centralisation de ces opérations. C’est une réaction à l’explosion de la pauvreté résultant de la pandémie et de sa gestion désastreuse.
La plupart de mes collègues au groupe parlementaire, en lien avec leur situation locale, ont eux aussi inventé une pratique parlementaire centrée sur l’aide à l’auto-organisation. Ainsi, tous ont ainsi transformé leur permanence en lieu de collecte alimentaire. Je suis très fier de toutes ces actions. Elles élèvent le degré d’auto-organisation populaire dans le pays. Ceci sera précieux lorsque nous aurons à mettre en œuvre les grands objectifs de L’Avenir en commun comme l’éradication de la pauvreté. 30 ans de diffusion du néolibéralisme ont considérablement atomisé les liens de solidarité de la société. Nous avons besoin de fortifier les habitudes d’entraide. Cette tâche est plus importante à un projet de changement structurel que n’importe quelle intrigue.