La « une » de Libé fait scandale en macronie. Ceux qu’on appelle « les castors » c’est-à-dire les électeurs mobilisés « pour faire barrage à Le Pen » de 2017 disent qu’ils ne participeront plus à la comédie. Quelles que soient ses motivations politiques pour la présidentielle où Libération soutiendra volontiers n’importe qui sauf moi -et c’est bien son droit- parlons net : il met dans le mille. Ce que dit cette « une », des dizaines de gens le disent. Et autour de moi c’est un fait dominant. Certes on est loin du vote. Certes nous avons été victimes d’une persécution intense et particulièrement intrusive dans nos vies. Certes les macronistes sont haïs pour leur arrogance, leurs mensonges incessants, leurs méthodes d’infantilisation de leurs interlocuteurs, leur volte faces identitaires, leur triangulation permanente, leurs violences policières et que sais-je encore. Mais le déclic a fini par se faire. Qui en est surpris après le duo Darmanin Le Pen, l’ode à Pétain et Maurras de Macron et la chasse à « l’islamo-gauchisme » ? Les macronistes eux-mêmes savent bien à quoi s’en tenir.
Ce qui est donc à noter, c’est leur manière de réagir. Cette fois-ci c’est le centre gauche qui a le privilège de goûter aux méthodes de la propagande macroniste. D’abord, et comme toujours, l’insulte : cette gauche-là serait en mal d’identité et elle souhaiterait en réalité la victoire de Le Pen pour se ressourcer. D’où la confusion à bord : les macronistes qui voulaient récupérer des voix RN se retrouvent à en dire du mal une semaine après les avoir trouvées « trop molles» à la télé. Puis viennent les injonctions moralisantes. Confusion encore : comment peut-on à la fois accuser des universitaires « d’islamo-gauchisme » et demander leur soutien ensuite contre l’inventeuse de l’accusation ? Enfin, notez les péroraisons : seuls les macronistes agiraient contre l’extrême droite, seuls bla-bla-bla. Odieux.
À mes yeux, c’est un affolement qui en dit long. La macronie avait ouvert l’année avec un grand projet de drague de l’électorat d’extrême droite (interview dans L’Express avec l’apologie de Pétain et Maurras, présentation de la loi « séparatisme », duo France 2. La macronie gémit et pleurniche devant l’ampleur des dégâts qu’elle a déclenchés. Progressivement s’impose dans les esprits la formule qu’avait trouvée Jean Christophe Lagarde, le président de l’UDI : « seule la candidature de Macron peut faire gagner Le Pen ».
Macron l’a reçu avec des flatteries paternalistes ridicules, son Premier ministre Jean Castex et sa ministre des Armées Florence Parly sont allés dans son village natal à des milliers de kilomètres de la capitale lui présenter leurs vœux de bonne année et accepter ses cadeaux. Idriss Deby, président du Tchad depuis trente ans et maréchal depuis peu, leur fait le coup à tous : visite imposée au village tribal. Un village qui a déjà vu bien des quémandeurs illustres venir se prosterner. Madame Le Pen par exemple, en pleine présidentielle française, arrivée sur place dans un jet du Maréchal. Elle s’est bien gardée de s’en vanter. Notez que Castex et Parly n’ont tweeté leur visite que vingt minutes après que je leur aie demandé pourquoi il la cachait et s’ils en avaient honte. À présent voici les élections présidentielles au Tchad. Démarrage en trombe et sang.
Vendredi, un opposant issu de la communauté du maréchal, monsieur Yaya Dillo a déposé son dossier de candidature à la présidentielle. Dimanche, la garde présidentielle commandée par le fils du maréchal a pris son domicile d’assaut. « Un incident violent » avait aussitôt titré la chefferie de RFI pour noyer un article pourtant bien factuel. On y apprenait en effet que « l’incident » était en réalité un assaut en char faisant cinq morts dont la mère et le fils du candidat ! Depuis, au fil des heures, la résistance se constitue. En effet le pays est à vif. Depuis de semaines on avait vu de puissantes manifestations populaires déferler dans les rues. Cette fois-ci les chars sont dans la rue. Les chars que Macron venait de livrer au maréchal… Et pourtant, les gens sont là, en résistance à mains nues.
L’urgence est de sauver la vie de l’opposant Yaya Dillo. Non par accord avec lui (nous ne sommes pas Tchadiens) mais pour permettre que l’élection ne soit pas la mascarade qu’elle vient d’être au Niger où le record du monde du bourrage d’urnes vient d’être remporté haut la main (avec même des scores de plus de 100 % ici ou là). Il le faut aussi pour que les Tchadiens sachent que la France ce n’est pas seulement Macron et les chars qui les agressent. La France c’est aussi les Français qui rêvent d’un partenariat mutuellement respectueux sur des dynamiques partagées avec les Africains de tous les pays.